Lunéville, centre
administratif de la Meurthe - 1796
Lorsque le duc de
Lorraine Stanislas décède à Lunéville le 23 février
1766, le duché de Lorraine réintègre la royaume de
France : les villes de Lunéville et Nancy redeviennent
alors de simples villes de province.
Le 15 janvier 1790, l'Assemblée Constituante établit la
carte des départements et en fixe le nombre à 83 : mais
la vieille querelle entre Nancy et Lunéville ressurgit
dans ces lois des 15,16 janvier 1790 et 26 février 1790,
puisqu'elles prévoient la première session de
l'assemblée départementale à Nancy, puis par alternance
avec Lunéville.
Dans les faits, l'administration centrale reste
uniquement à Nancy, mais un rebondissement intervient en
1795 : car la ville de Nancy a la réputation d'être anti-patriote, et même favorable aux aristocrates. Pour
« punir » la ville, une série de lois prévoit alors des
transferts à Lunéville :
- la loi du 11 octobre 1795 maintient l'administration à
Nancy, mais transfère le tribunal à Lunéville.
- la loi du 25 février 1796 retire l'administration à
Nancy, et la transfère à Lunéville.
Après avoir repoussé plusieurs réclamations de Nancy
(dans le cadre desquelles d'inscrit le mémoire
réfutatif ci-dessous de la commune de Lunéville du 6
germinal an IV- 26 mars 1796), le conseil des Cinq-cents
cède devant les protestations de nombreuses autres
communes, et réexamine l'affaire le 31 juillet 1796. Un
projet de loi est établi pour restituer le siège à
Nancy. Après une première lecture le 5 novembre 1796, le
Conseil des Cinq-Cents adopte le projet le 13 décembre.
La loi du 30 décembre 1796 fixe donc définitivement le
siège de l'administration départementale à Nancy.
Cette administration n'aura cependant jamais quitté
réellement Nancy, puisque durant les dix mois de
fixation officielle à Lunéville, le transfert physique
n'a jamais été effectué dans le couvent délabré des
chanoines réguliers proposé par Lunéville : on voit
d'ailleurs que Lunéville, en note de son mémoire, ajoute
« Les Cultivateurs de la Commune s'offrent de faire,
gratuitement, les voitures nécessaires pour le transport
des archives et autres effets. ».
Mémoire
réfutatif pour l'administration municipale de la commune
de Lunéville, contre les prétentions de celle de la
commune de Nancy, en sa réclamation du 6 germinal de la
présente année
Éditeur J.-N. Jacquot, 1796
C'est pour la pour la
troisième fois que la Commune de Nancy a voulu
entretenir le Corps législatif de ses intérêts
particuliers sur l'emplacement des Tribunaux et de
l'Administration départementale ; l'éclat de ses
prétentions s'éclipse naturellement à la lueur des
principes qui ont dicté, les décrets des 19 vendémiaire
et 6 ventôse derniers ; les mêmes motifs qui avoient
déterminé l'emplacement des Tribunaux à Lunéville, y ont
fixé l'Administration du Département; il suffiroit sans
doute de rappeler ces deux décrets, pour se dispenser de
redresser des erreurs de calcul et certaines
inconséquence sur lesquelles la Commune de Nancy
construit l'édifice de ses nouvelles réclamations.
LES besoins et le nombre des Administrés, l'étendue et
l'importance des relations politiques, l'abondance et
l'heureux choix des moyens ont fixé en sa faveur la
préférence accordée par les décrets des 4 mars et 14 mai
1790.
LES besoins des Administrés étoient égaux, le nombre en
étoit encore incertain à ces époques, car celui de la
Commune de Nancy ( à en juger par celui des lecteurs) se
portoit à 38000, au-lieu de 30000, qu'il étoit en effet
et qui se trouve aujourd'hui réduit à 27000.
L'ÉTENDUE et l'importance des relations politiques s'accroissoient
Commune de Nancy
par l'habitude de la jouissance et par l'effet des
réunions multipliées qu'un régime restaurateur a fait
enfin disparoître.
L'ABONDANCE et l'heureux choix des moyens ne
s'établissent pas par le nombre des établissemens
supprimés, mais bien par les qualités et le dévouement
des individus à la chose publique, et la Commune de
Nancy est forcée de nous accorder ce témoignage.
REPRENONS les calculs et supposons, avec le mémoire de
la Commune de Nancy, la division des ci-devant Districts
du Département, en-trois classes; on en peut former une
de Nancy Toul et Pont-à-Mousson mais Vezelize est
évidemment, à un huitième prêt, autant à la proximité de
Lunéville que de Nancy, et ce huitième qui ne conserve
pas la même distance est plus que compensé par un tiers
des Communes plus rapprochées de Lunéville que de Nancy.
C'est donc faire grace que de porter le District de
Vezelize dans une seconde classe avec deux de
Salins-libre et Dieuze que, malgré leur rapprochement
sensible de Lunéville on suppose être d'une distance
égale de Nancy et de Lunéville.
LE .mémoire veut que les Districts d'une troisième
classe, Lunéville, Blamont et Saarbourg soient
considérés sans intérêt dans l'affaire, pour laisser la
contestation entre les deux premières classes dont on
compare ensuite la population.
CE raisonnement genre tout est aussi caduc que les
suppositions dont il dérive, car déjà il est avoué qu'on
ne peut rejeter l'ensemble des ci-devant Districts de
Lunéville, Blamont, Saarbourg, Salins-libre et Dieuze;
il est également constant que le District de Vezelize
que la Commune de Nancy s'efforce de ranger auprès
d'elle, seroit classé sans inégalité dans le cadre des
cinq premiers alors la balance de la population et des
contributions respectives cesse d'être de quelque
considération dans le mémoire de la Commune de Nancy,
tout l'avantage se reporte évidemment du côté de
Lunéville qui déjà en a obtenu un bien éclatant dans la
distribution de l'emprunt forcé,
LES remarques particulières relatives aux difficultés de
la communication avec le District de Vezelise par
Lunéville, n'ont pas une base plus assurée que les
premières ; car tous les convois militaires, ordonnancés
dans ce District ont été exécutés directement par
Lunéville ; toutes les relations sont réciproques et
suivies entre les deux; Communes., et si le hazard d'un
débordement pouvoît occasionner quelques pas rétrogrades
qui n'approcheroient pas Nancy de trois lieues, c'est un
événement commun aux Districts de Toul et Pont-à-Mousson
que la même rivière arrose avec plus de danger ; mais il
falloit ajouter l'observation, pour accréditer les
calculs.
LES sollicitations dont les Administrés de Dieuze et
Salins-Libre se proposent d'étayer les voeux de la
Commune de Nancy, auroient, un mérite apparent si on
n'eût prêté aux Administrés du District de Blamont le
Prétendu grief qui fait agir les deux premiers : en
effet on ne conçoit pas, que des Administrés, à la
distance de six lieues de Lunéville, doubleroient à
plaiir leurs dépenses.
ON permettra de révoquer en doute cette assertion du
mémoire pour s'abstenir de réflexions ultérieures dont
l'influence démontreroit trop clairement le sens des
sollicitations des Districts de Dieuze et de
Salins-Libre.
MAIS quels sont donc les ressorts si puissans qui
détermineroient les Administrés de ces deux Districts ?
ONT-ils oublié leurs anciennes habitudes et la nature de
leur commerce, pour dévoïer tout-à-coup ?
DE tout temps ces deux Districts et les plus éloignés
sur la même ligne, ont eu le centre de affaires à
Lunéville: c'est à Lunéville qu'ils versoient, ou
entreposoient leurs grains les sels; des routes directes
et constamment fréquentées leur offrent toutes les
ressources et les communications dont ils n'ont que des
occasions accidentelles pour Nancy ; c'est encore par
Lunéville qu'ils vivifient leur commerce avec les
Départemens des Haut et Bas-Rhin avec la partie
nourricière du Département des Vôges et avec toute la
Suisse/
IL n'y auroit donc que Pont-à-Mousson et Toul qui
seroient à la distance d'onze et dix lieues de Lunéville
; Saarbourg qui étoit éloigné de 18 lieues de Nancy
seroit rapproché à la distance de 12 de Lunéville, sans
qu'il soit rien changé à celle des autres Districts.
ET pourquoi ceux de Blamont et Saarbourg ne seroient-ils
pas fondés à rétorquer sur le calcul des distances qui
les blessent visiblement ?
IL en est de, même des amfigouris politiques, employés
par la Commune de Nancy qui se plait à nous qualifier sa
rivale, par le seul motif que nous réclamons l'exécution
de la Loi et l'égalité des droits.
LE rétablissement des Tribunaux qu'elle vient d'obtenir
sembloit d'abord lui suffire, mais elle veut encore que
l'Administration cède à l'assaut de l'éloquence.
Quelques simples réflexions suffiront pour repousser
l'attaque.
LA Justice et l'Administration sont deux autorités
absolument distinctes, entre lesquelles la loi établit
une barrière qu'il n'est pas, permis de franchir: nous
conviendrons que Nancy est une pépinière d'hommes de loi
en l'exécutant de notre côté, nous les laissons
paisiblement à leurs fonctions dont l'amalgame seroit un
contraste avec celles administratives, nous les laissons
computer à loisir les instances qui naissent
ordinairement de la proximité des Tribunaux et établir
en principe que ce n'est pas dû choix des Administrés
mais de la disposition de la loi que sort l'action des
Corps administratifs.
CETTE. première réflexion détermine visiblement la cause
de Lunéville et pourquoi ne lui laisseroit-on pas la
pépinière des Administrations ? car ce n'est qu'en
isolant les différentes autorités qu'on centralise les
connoissances relatives à chacune d'elles, pourquoi
Lunéville, le lieu central aux besoins, à la majorité et
aux convenances des Administrés seroit-il privé d'un
établissement que déjà les décrets originaires lui
avoient décernés et que deux lois subséquentes viennent
de lui confirmer ?
POURQUOI ?
PARCE qu'il faut subvenir à plusieurs hôpitaux, à un
nombre infini de citoyens, aux corps nombreux de troupes
en marche, quelquefois à la garnison elle-même ; parce
que le courrier qui, durant neuf mois au moins, arrive
pendant le jour, il trouve les Administrateurs réunis ou
prêts à s'assembler au premier signal, tandis; qu'il ne
peut parvenir à Lunéville que fort avant dans la nuit,
parce qu'il faut une somme considérable en numéraire
réel pour les frais provisoires de l'Administration à
Lunéville, parce qu'on suppose que ces frais seront
décuplés en définitif, tandis que la Commune de Nancy
possède les plus vastes établissemens ; parce que
Lunéville est avantagé d'un Tribunal de police
correctionnelle ; parce qu'enfin Lunéville n'est pas
susceptible de contenir les employés de l'Administration
et ceux que cet établissement entraîneroit.
ON colore tous ces motifs de la possession de plusieurs
manufactures, d'une agriculture florissante et d'un
commerce étendu que favorisent onze grandes routes.
Nous sommes bien éloignés d'envier à la Commune de Nancy
aucun de ses avantages, mais il n'est pas permis de
supposer que la résidence de l'Administration soit
nécessaire pour les activer : on ne peut en critiquer la
surveillance non plus que celle des autorités
correspondantes, et dans tous les cas, la Commune de
Lunéville qui, (comme on l'a démontré,) est le lieu
central, est également le plus convenable pour reporter
à la circonférence les rayons de l'action
administrative.
On invoque auxiliairement le soin des troupes en marche,
et quelque fois de celles de garnison ; on feint
d'ignorer que la Commune de Lunéville est celle de tout
le Département la plus assujettie aux passages, puisque
de tous les points elle reçoit les troupes destinées, à
l'armée combinée du Rhin.
QUANT aux troupes de garnison, la Commune de Nancy qui a
des établissemens pour plus de cinq mille hommes, à été
invitée partager l'affluence des dépôts envoyés à
Lunéville ; mais elle n'a pas jugé l'invitation conforme
à ses intérêts.
LA distinction du courrier est d'une foible ressource à
la cause qu'entame la Commune de Nancy : en effet il n'y
a pas, ou que très-peu de différence entre les momens
utile, puisque pendant quatre mois, au moins, le
courrier arrive de jour à Lunéville ; pendant six
autres, il arrive de nuit à Nancy, comme à Lunéville,
toujours dans un intervalle de trois heures qui déjà
opèrent visiblement le même effet ; quant aux deux
autres mois, ils sont plus que compensés par l'arrivée
du courrier de Strasbourg, où la République trouve
également des intérêts majeurs à soigner.
Et qu'on ne croye pas que l'exactitude de
l'Administration puisse être ralentie en aucun cas, les
Républicains ne reposent que quand leur tâche est
remplie.
LE devis porte à neuf mille livres, en numéraire, la
somme des réparations à faire pour approprier
l'établissement.
Ce devis qui ne nous a pas été communiqué seroit sans
doute susceptible de réduction, si l'on en croit des
connoisseurs ; mais à tout événement, les citoyens de la
Commune dès long-temps familiarisés avec les dons
patriotiques n'hésiteroient pas de faire l'offrande de
cette somme pour la prospérité de la Commune, le soutien
de la classe nombreuse des indigens qui l'habitent et
l'avantage des Administrés.
ON s'est permis de supposer une dépense décuple en
définitif : cette supposition déjà contredite par le
devis, n'a pas l'ombre de vraisemblance ; mais une
vérité sensible est, qu'il en coûteroit au moins une
somme supérieure, pour approprier cet établissement à
Nancy; c'est que les édifices magnifîques qu'on lui
destineroit dans la même Commune, produiroient au trésor
public plus de quinze fois la valeur de celui qui lui
est assigné dans la Commune de Lunéville; il n'est aucun
citoyen impartial qui n'ait cette conviction.
QUANT aux inquiétudes que Nancy témoigne sur la
difficulté de loger à Lunéville les Administrateurs, les
employés et les différons fonctionnaires qu'entraîne
avec lui l'établissement ; il suffit de répondre que
Lunéville qui autre-fois a eu une population de 22 mille
individus, fourniroit aussi vingt-deux fois tous les
logemens convenables, avec d'autant plus de facilité,
que le Républicain est ennemi du luxe.
LA fixation d'un Tribunal de Police correctionnelle à
Lunéville est encore un .prétexte à la Commune de Nancy.
Comment ne demande-t-elle pas aussi l'arrondissement de
ce Tribunal pour l'adjoindre à celui fixé dans ses murs
?
JUSQU'A quand donc les intérêts de Nancy seront-ils
agités au mépris des Lois qui ont prononcé ?
Non Citoyens LÉGISLATEURS, vous proscrirez cette
versatilité qui attaque de front le maintien des Lois ;
et tout ce que Nancy aura obtenu sera d'apprendre, par
son exemple, à toute la République, que la même sagesse
qui a dicté les Lois proscrit les réclamations
individuelles qui pourroient leur porter atteinte.
DÉLIBÉRÉ à Lunéville par l'Administration municipale de
ladite Commune, le 16 germinal, an 4 de la République
Française une et indivisible par les Citoyens GEORGEAT,
Président ; LEMAIRE, vice-président ; BRIQUEL, ANDRÉ,
HENRY, LOUIS et MARCHIS Administrateurs ; ADAM,
Commissaire du Directoire exécutif et DAUPHIN,
Secrétaire en chef.
(NOTA.) Les Cultivateurs de la Commune s'offrent de
faire, gratuitement, les voitures nécessaires pour le
transport des archives et autres effets,
A LUNÉVILLE, de l'Imprimerie de J.N. JACQUOT. |