Bibliophiles, les collectionneurs
et les bibliothèques des monastères des Trois Evêchés. 1552-1790
Arthur Benoît
Éd. R. Wiener, Nancy; 1884
[...]
CHATELLENIE ÉPISCOPALE DE LAGARDE
Un petit village de cette châtellenie, Veho, a donné naissance à l'abbé
Grégoire, dont la carrière politique et religieuse est bien connue et qui
restera toujours célèbre, à cause de ses trois discours sur le vandalisme
révolutionnaire qu'il prononça à la Convention. Il fallait avoir du courage pour
s'écrier: « Celui qui à Metz proposait de faire main basse sur la littérature
ancienne, n'est pas plus français que les brigands de la Vendée qui ont livré
aux flammes la bibliothèque de Buzay, la seule richesse scientifique du
district. » Un homme qui s'exprimait ainsi devait être écouté (1). La Convention
adopta toutes les mesures qu'il voulut; mais ce fut lettre morte; car il disait
le 15 frimaire an IX à la tribune du Conseil des Cinq-cents: « Six millions de
volumes en province et seize cent mille à Paris se détériorent, il s'agit de
distribuer ces richesses, il faut prendre un parti. »
Le parti que l'on prit, augmenta le mal ; car on fit diriger sur Paris tout ce
qu'il y avait de plus curieux non-seulement dans les départements nouvellement
réunis, mais encore en province. (2) Ce démeublement officiel excita de nouveau
la fougue du zélé abbé : « Une manie ancienne et toujours subsistante, dit-il,
est de dépouiller ou plutôt de voler les divers cantons de la France pour
enrichir Paris. On se rappelle en Lorraine, la tentative faite par Louis XIV
pour enlever le sépulcre de saint Mihiel, chef-d'oeuvre de Richier. Le rédacteur
de cet article qui, au milieu des tourmentes révolutionnaires, déploya tant
d'efforts pour opposer dans toute la France l'esprit conservateur des monuments
et des arts aux fureurs du vandalisme, s'opposait aussi avec le même zèle à cet
esprit d'envahissement qui voulait les concentrer tous dans la capitale et à la
tribune nationale, il reproche amèrement aux Parisiens que, s'ils le pouvaient,
ils feraient venir à Paris les arènes de Nîmes et le pont du Gard. »
Une nuée d'agents, presque tous d'anciens religieux très instruits, parcouraient
les départements. L'ex-prêtre Noël, auteur de dictionnaires bien oubliés,
cherchait partout en l'an III dans les Pays-Bas espagnols les précieux
manuscrits des Bollandistes; Camus inventoriait la rive gauche du Rhin;
Hausmann, au milieu des fureurs de la guerre, voulait, sur la rive droite de ce
fleuve, qu'on lui apportât la partition de la Flûte enchantée; la Havayia
d'Einsiedeln allait au cabinet des Antiques; enfin l'Italie était dévastée,
malgré la noble opposition de David, de Girodet, de Pajou et d'autres artistes,
l'honneur de l'art français. (3) « J'avais demandé à certaine époque, observe
Grégoire, qu'on recherchât à Metz un manuscrit inédit de Dom Drouin, abbé de
Saint-Pierremont, sur l'histoire du pays au XVIIe siècle. A l'instant on le fait
avoir à l'Arsenal où personne ne le consulte. » (Mémoires, I, 343.)
Dom Maugerard, cet ancien moine de Saint-Arnould, se signala par sa ténacité
sénile à dépouiller la province au profit de la Bibliothèque nationale, qui lui
fit la charité de donner son nom à une salle. A peine de retour d'émigration, où
il avait laissé son cardinal-évêque supportant noblement la pauvreté; il fut,
grâce à ses vastes connaissances et à la part qu'il avait prise à la formation
des bibliothèques si renommées du duc de la Vallière et du cardinal de Brienne,
nommé inspecteur général pour la recherche des objets d'art dans les quatre
nouveaux départements du Rhin. Tout devait plier devant lui; cependant un
préfet, celui de la Sarre, (4) essaya de lui résister. Ce brave fonctionnaire
était un enfant de l'Alsace, car il était né à Andlau et il avait été maire de
Strasbourg; mais il dut obéir: « Je viens de mander au préfet de la Sarre,
écrivait Talleyrand (qui faisait du zèle), de ne mettre non-seulement aucun
obstacle à vos envois, mais de faciliter vos recherches. Ainsi, vous pouvez sur
le champ, expédier les objets que vous nous avez réservés pour la Bibliothèque
nationale. »
Puis : « Le conservateur de la Bibliothèque nationale a reçu, citoyen
commissaire, les deux caisses de manuscrits que vous avez trouvés à Luxembourg
et il a été on ne peut plus satisfait de ce nouvel envoi qui lui est parvenu en
bon état. Les objets d'art, dont il a enrichi l'établissement, sont précieux et
par leur ancienneté et par leur belle conservation. Les divers auteurs
classiques qui en font partie sont très importants, surtout étant des IXe, Xe et
XIe siècles; en conséquence, recevez tous nos remercîments pour nous avoir
procuré de telles richesses. Nous vous exhortons à ne rien négliger pour nous en
procurer de nouvelles. Vous ne devrez pas considérer le temps que vous mettrez à
les découvrir; celui de votre mission n'étant pas borné. C'est donc vous inviter
à examiner avec patience et tout le soin dont vous êtes capables les cent
caisses que vous nous dites exister à Trèves et à en extraire tous les objets,
soit sur vélin, soit sur papier, qui peuvent convenir à la Bibliothèque
nationale. (5) »
Après de pareilles dépêches, les envois affluent rue Richelieu ; le 13 floréal,
an X, trois caisses d'imprimés et de manuscrits partent de Trêves; le 11
brumaire an XII, arrivée de Metz de deux caisses avec 271 volumes et 15
manuscrits; peu après, Aix-la-Chapelle fournit un butin aussi précieux.
Il est à présumer que ce fut Dom Maugerard qui signala au Ministre de
l'intérieur les treize manuscrits de la cathédrale dits le Trésor et que l'on
portait en procession le jour de l'Assomption ; il dut aussi être pour beaucoup
dans l'enlèvement, en 1807, des colonnes en granit du portail des Augustins et
l'année suivante dans l'emballage, pendant la nuit, de l'admirable autel des
Grands Carmes. Grâce à la fermeté de l'évêque, la cuve en porphire de la
cathédrale ne devint pas la baignoire à la femme de César. (6)
Plus tard, l'ardeur dévorante du bénédictin, grâce à une commission du cardinal
Fesch pour créer les bibliothèques de la grande aumônerie et du séminaire
épiscopal de Metz, le porta à visiter les riches dépôts des rives de la Meuse
barroise et verdunoise. Son ancien confrère, Dom Ybert, nommé bibliothécaire de
la ville de Verdun, sut se garantir de sa visite. Déjà en 1805, au mois de
septembre, il s'était présenté avec sa commission, pour inspecter les 38,000
volumes, fonds des couvents et des émigrés, qui gisaient dans les cellules de
Saint-Paul. L'année suivante, il revint et il ne craignit pas de demander à
acheter les livres qu'il avait notés. Dom Ybert se fit autoriser par le maire à
ne pas le recevoir. Si cet honnête religieux eut raison de ne pas se commettre
avec un si fougueux bibliophile, il eut le grand tort d'être trop discret en
formant le noyau de la bibliothèque communale. Sur les 31,721 volumes que l'on
supposait encore rester après le siège de la ville, les enlèvements faits par
les religieux rentrés en ce moment, la malveillance et autres causes, il ne
prit, que 12,000 volumes et il se fit autoriser, en juin 1817, à en vendre au
poids plus de 25,000, dont beaucoup seraient portés de nos jours à un haut prix.
Cette misérable opération ne produisit que 2486 francs 80 centimes et il fallait
encore payer les frais. Mais que devinrent les papiers du district dans la
bagarre de 1792; ont-ils disparu? On a dû exagérer ce que perdit la ville à
cette époque. (7)
L'excès de zèle de l'ancien moine de Saint-Arnould montre que Grégoire n'avait
pas tort de tonner contre les spoliateurs des richesses littéraires
départementales. La ville de Lunéville, dont Veho n'est qu'à quelques
kilomètres, élève une statue en bronze à l'ancien curé. Les amis des lettres et
des arts applaudiront à l'érection de ce monument en l'honneur d'un homme qui,
répétons-le encore, eut au moins le mérite, dans des temps troublés, de tenir
tête aux barbares et qui, à lui tout seul, représentait l'énergique commission
des monuments historiques actuelle qui, elle aussi, à son éternel honneur, lutte
résolument contre le moderne vandalisme administratif.
Grégoire laissa sa bibliothèque et sa fortune à Madame veuve Dubois, puis plus
tard, les hôpitaux de Sens et de Blois furent légataires universels.
David (d'Angers) a fait don à la ville de Nancy du buste en marbre du vieil
athlète. (8) D'après Stendahl, l'aimable payen, c'est un des trois ou quatre
bustes que les modernes peuvent opposer aux anciens. » Espérons que cet objet
précieux n'ira pas enrichir d'autres collections. Le portrait de l'évêque du
Loir et Cher devrait être dans toutes les bibliothèques communales, il en fut le
vaillant défenseur, et un « obscurantisme niais » ne devrait pas l'en faire
expulser.
CHATELLENIE ÉPISCOPALE DE MOYEN
Opposé d'idées à son voisin d'Embermenil, le curé de Saint-Clément, l'abbé
Chatrian fut élu député à l'Assemblée nationale. A sa mort, arrivée en 1814, à
Lunéville, sa ville natale, il laissa plusieurs volumes de notes journalières et
de critiques littéraires, qui sont conservés à la bibliothèque du grand
séminaire de Nancy. La publication d'une petite partie de ces papiers,
occasionna d'assez vives protestations, malgré que le curé eut émigré. L'abbé
Chatrian avait coutume de mettre son nom en petites majuscules sur le titre de
ses livres.
On comptait plusieurs faïenceries dans la généralité de Metz, elles étaient
situées à Moyen, à Saint-Clément, à Niederwiller, à la Grange près Thionville.
Les deux premières appartenaient à Chambrette, possesseur de celle de Lunéville.
Le célèbre Cyfflé travailla longtemps à Saint-Clément, qui date de 1758. Le
directeur actuel a bien voulu donner au musée lorrain les moulages des charmants
groupes composés par Cyfflé, dont il possède les originaux. A la Révolution,
l'émigration d'un associé fit intervenir la nation. On dressa un inventaire; on
y remarque les groupes des « Vendangeurs, les Baisers, les Cris de Paris » et
puis on catalogua les bustes de Marat et de le Pelletier.
CHATELLENIE ÉPISCOPALE DE BACCARAT
Cette ville a-t-elle donné son nom à ce jeu célèbre qui y aurait été inventé
pendant que les troupes françaises l'occupaient dans les tristes années de la
guerre de trente ans ? Le Figaro (août 1882) l'assure et sans vouloir le
contredire, disons que Baccarat possède une des plus belles cristalleries du
monde entier. Pendant le congrès de Lunéville, les plénipotentiaires MM. de
Cobentzel et Joseph Bonaparte ne sachant que faire, se mirent à parcourir les
environs. Le 6 décembre 1800, ils visitèrent Baccarat (9) ; la veille ils
avaient été voir les salines de Vic, de Moyenvic, de Château-Salins et de
Dieuze, et le 3, jour de la bataille de Hohenlinden, gagnée par Moreau, ce qui
assura la paix, ils avaient été à Saint-Clément.
L'usine de Baccarat était une création de l'évêque de Metz, M. de
Montmorency-Laval. Lorsqu'il lit la demande pour être autorisé à la construire,
il dut s'adresser à l'intendant, qui renvoya sa pétition à son subdélégué
(sous-préfet) de Vic. C'est déjà la lente paperasserie moderne.
Le couvent des Carmes remontait au XVe siècle ; l'évêque de Toul diocésain fit
fermer leur école en 1515, sur la demande des Bénédictins de Montet et des
chanoines de Deneuvre. Le 2 juin 1790, le maire Drouet vint faire l'inventaire
en présence du prieur Navier et du procureur J. Gousse. Le 22 juin 1792, on mit
dans vingt-un sacs et on envoya au district à Lunéville, les papiers, la
bibliothèque (855 bouquins, « la plupart en lettres gothiques, » reliés en bois
et en cuir, dépareillés, minés par le temps et le Journal de Luxembourg), une
caisse contenait les vases sacrés. L'église, après avoir servi de magasin à
salpêtre, fut démolie.
B. Localités non dépendantes du domaine de l'évêché de Metz
Près de Moyenvic se trouvait l'abbaye de Salivai qui, jusqu'à la fin de la
Restauration, conserva son aspect primitif, car l'église ne fut démolie qu'à
cette époque. La Galerie lorraine (Nancy, 1846) a reproduit une vue du monastère
d'après un dessin de la collection Beaupré. Les moines cultivaient leurs terres
; leur vignoble est encore renommé. Cela n'empêchait pas qu'il y eut une haute
école pour les jeunes prémontrés et que l'abbé eut l'honneur, en 1724,
d'haranguer Marie Leczcinska, se rendant à Paris pour. épouser le roi. (10)
Les commissaires se présentèrent le 18 juin 1790 et l'inventaire signale dans
une salle « une tapisserie de Nancy » et les belles boiseries qui ornaient les
chambres ; au réfectoire, elles alternaient avec des ornements en stuc et des
tableaux. On donna le catalogue de la bibliothèque et on y mit les scellés ; les
livres sont bien reconnaissables à cette marque manuscrite :
Canonioe Stae Mariae Salinae-vallis 1727.
Communitatis Beatae Mariae Salinae-vallis, 1630.
M. Noël parle d'une école de sculpture installée dans le cloître par les moines,
mais elle dura peu. Plusieurs ouvrages en bois et en faux albâtre du pays lui
sont attribués (XVIe et XVIIe siècle).
On voit dans l'église néo-gothique de Château-Salins les orgues et le
maître-autel de Salival que l'on a eu le bon goût de conserver. Les frères de la
Doctrine et l'église des Cordeliers de Nancy ont de belles boiseries et les
riches stalles du choeur; la tribune des orgues de Moyenvic vient aussi de
Salival. Mais qu'est devenue la ceinture en soie de la Vierge, citée par Ruyr.
On voit au musée d'Epinal le sceau d'un abbé (XVe siècle.)
De nos jours, M. Pargon a fait connaître dans la région de l'Est la culture hors
ligne de l'exploitation agricole de Salival.
Un des points les plus élevés du pays, est le château de Marimont (aujourd'hui
de la commune de Bourdonnay), bien reconnaissable jadis par son télégraphe
aérien et de nos jours par sa haute tour de près de cinquante pieds de hauteur,
débris mutilé du vieux burg. Dépendance du comté de Réchicourt, propriété du duc
de Richelieu, en 1789, la terre de Marimont fut vendue à la bru du sculpteur
Falconnet à qui Saint-Pétersbourg doit la statue de Pierre le Grand. Madame la
baronne de Jankowitz hérita du domaine à la mort de sa mère. Ce fut une
donatrice insigne des musées de Nancy. Mais pourquoi ne voit-on plus le buste de
son aïeul au musée de la ville ? Il pouvait figurer avec les tableaux et les
bustes en marbre offerts si généreusement en même temps que de précieux
souvenirs de la cour du roi Stanislas et de la Sémiramis du Nord.
Une vue à la main du château de Marimont pendant la guerre de trente ans est aux
Estampes nationales.
Le village de Réchicourt n'a que des débris insignifiants de ses anciennes
fortifications. Le comté, après avoir appartenu aux Linange-Dabo, vint entre les
mains du duc de Richelieu, Le château démoli était sans aucun caractère, il fut
la résidence des officiers de la seigneurie. Quelques livres ont encore
l'ex-libris gravé aux armes d'Egmont-Pignatelli, qui épousa Mademoiselle de
Richelieu, co-seigneuresse. Les blasons de Juliers et de Gueldres sont sur les
armoiries d'Egmont. La bibliothèque nationale, d'après Guigard, a presque toute
la bibliothèque de ce seigneur, mais les volumes sont richement habillés et
décorés sur les plats du blason doré du comté. En 1789, la terre de Réchicourt
était amodiée au maître de poste de Blamont, père du général de division comte
Klein, sénateur de l'Empire, etc.
Les princes de Salm-Salm avaient des enclaves dans le comté de Réchicourt; ils
furent expulsés à la Révolution de leur petite principauté franche de Senones et
les commissaires de la Convention ordonnèrent le transfert à Epinal de leur
belle galerie de tableaux et de leur bibliothèque composée de 1295 volumes.
Ceux-ci sont bien reconnaissables par leur riche reliure, veau marbré, tranches
et filets dorés, armoiries :
Quelques volumes ont sur le dos les saumons
des Salm-Salm, avec les croix recroissetées de l'écu.
Les vallées du haut Saargau appartenaient jadis aux évêques de Metz; mais les
voués surent bientôt s'affranchir de leur domination et les prélats n'eurent
plus droit qu'aux hommages féodaux.
Le prieuré des Bénédictins de Saint-Quirin, dépendance de l'abbaye de Marmoutier
en Alsace, fut bâti par un comte de Metz. En 1769, le roi le donna aux
chanoinesses de l'abbaye royale de Saint-Louis de Metz, au grand désespoir des
moines. Ceux-ci, pour utiliser leurs vastes forêts, avaient créé une verrerie
devenue si importante, grâce à d'heureux associés, qu'elle fut établie «
verrerie royale, » honneur qui permettait d'avoir à la porte un suisse à la
livrée du roi.
Le prieur Dom Herb, depuis abbé de Marmoutier, créa la bibliothèque ; on lit sur
le titre des volumes : Abbaye de Marmoutier et prieuré de Saint-Quirin, 1734.
Ex-libris abbatiae Mauri monasterii prope Tabernas alsaticas et proeposituroe ad S.
Quirinum, 1748. Placidus, abbas.
Les livres transportés à Strasbourg disparurent lors du fatal incendie du 14
août 1870.
Non loin de Saint-Quirin, dans une petite clairière, se trouve le pèlerinage de
Notre-Dame de Pitié de Lohr. On y remarque, comme à la chapelle de Bonnefontaine
près de Phalsbourg, quelques ex-voto grossièrement peints, mais précieux, parce
qu'ils représentent le costume des paysans saargoviens au siècle dernier et au
commencement de celui-ci. C'est mal dessiné, encore plus mal peint, mais c'est
exact et cela suffit.
En 1724, le prince de Craon, Marc de Beauveau, (11) grand écuyer de Lorraine,
était seigneur « des Baronnies, » c'est-à-dire des seigneuries de Lorquin, de
Turquestein, du Ban le Moine, de Saint-Georges et d'Harbouey. En 1738, il fit
ses foi et hommage à Metz pour ces vastes domaines conservés par ses héritiers
jusqu'à ce siècle. Après 1830, on les voit encore plaider contre l'Etat (12).
Les armoiries du prince de Beauveau sont données ici au même titre que celles
des princes de Salm-Salm, c'est-à-dire comme vassaux des évêques de Metz.
M. J. Rouyer a bien voulu me communiquer une copie du fer de reliure du prince
de Craon. (13) Il est remarquable à cause des insignes de grand écuyer de
Lorraine.
Le prieuré des Dominicaines de Renting était près de la route de Paris à
Strasbourg, non loin de Sarrebourg. Le 15 juin 1791, eut lieu la visite; on ne
parle pas de livres, mais d'archives, il y avait trente-six liasses, dont une de
lettres de cachet. Les soeurs tenaient un pensionnat qui, un moment, leur causa
bien du désagrément. Elles fabriquaient de l'eau-de-vie renommée et leur onguent
contre les chancres était célèbre. Le nez du vieux maréchal de Berchiny en sut
quelque chose, aussi le guerrier reconnaissant se déclara le protecteur des
soeurs et elles en avaient bien besoin.
On possède sur Renting une chronique écrite d'une manière très naïve par un
prieur à la fin du siècle dernier.
La table de communion en fer finement ouvragé est à Sarrebourg, l'autel en bois
à baldaquin à Hartzwiller, une cloche à Brouviller, etc.
En 1789, la commanderie de Malte de Saint-Jean de Bassel avait pour titulaire un
Hompesch, nom fatal à l'ordre. Jean-Jacques Klein, avocat au parlement de Metz,
était amodiateur, il fut élu membre du Conseil général de la Meurthe, et il dut
rendre les nombreuses archives dont il avait la garde et qui sont actuellement à
Nancy. Son beau-frère, Dom Antoine Combette, originaire d'Ornans en
Franche-Comté, ancien secrétaire de Morimont, licencié en théologie, membre du
bureau intérimaire de Lunéville, prieur claustral des Bernardins de l'abbaye de
Haute-Seille près de Cirey, vint se réfugier à la commanderie, après avoir
failli être brûlé vif, lorsque les montagnards saargoviens sujets de l'abbaye y
descendirent.
Dans sa fuite, il avait sauvé quelques souvenirs de son monastère, entre autres,
trois beaux portraits des derniers abbés commendataires. Ces peintures sont
maintenant à l'aumônerie des « soeurs de la Providence» qui ont acheté les
bâtiments de la commanderie. Dom Combette mourut très âgé en 1830, à Fénétrange.
Il ne reste plus pour terminer la série des vassaux des évêques de Metz que de
parler des seigneurs du franc-alleu de Vaucourt et de la baronnie de Cirey.
Le premier figure dans les nobles du bailliage de Vic, en 1789, c'est M. Le
Vasseur, seigneur de Martimbois et de Vaucourt. Son ex-libris gravé a son blason
entre une palme et une branche de laurier, au-dessus : Bibliothèque de Mr de
Vaucourt.
Cirey-sur-Vezouse qu'il ne faut pas confondre avec Cirey-le-Château, canton de
Doulevant, arrondissement de Vassy (Haute Marne), où résidèrent Voltaire et
Madame du Chatelet, fut longtemps la propriété d'une branche de cette illustre
famille, alliée aux ducs de Lorraine. En 1790, Cirey appartenait à un lettré,
Sigisbert Arnould de Prémont, ancien officier de dragons, membre du district de
Vic.
Les forges établies par le marquis du Chatelet ont été changées en une
importante fabrique de glaces de la compagnie de Saint-Gobain, Chauny et Cirey,
dont fut longtemps directeur M. Eugène Chevandier, né à Saint-Quirin,
correspondant de l'Institut, ancien ministre de l'intérieur.
[...]
Mon travail est terminé; il me reste à parler encore une fois du sort de tant de
milliers de volumes que la nation s'était appropriés. Ces malheureux bouquins
traversèrent pendant près d'un demi-siècle des phases bien tristes; entassés
dans des salles plus ou moins humides, ils subirent d'abord un premier triage
pour former les bibliothèques des écoles centrales, puis celles-ci ayant été
supprimées, on les rejeta dans leurs anciens dépôts : l'Intendance à Metz,
Saint-Paul à Verdun, l'Evêché à Toul, l'Université, les Visitandines, les
Minimes à Nancy.
Lorsque le pays fut doté d'institutions stables sous le Consulat, le
gouvernement donna l'ordre d'utiliser les livres confisqués pour former les
bibliothèques spéciales des nouveaux services publics : préfectures, tribunaux,
collèges, etc. Grâce à un travail fort bien fait (14) par M. Favier de la
bibliothèque de Nancy, on peut se rendre compte facilement de la marche suivie
dans l'opération. L'évêché de Nancy, formé de portions des diocèses de Toul, de
Metz et de Strasbourg, reçut 2627 volumes d'après le reçu du vicaire général
Brion, du 5 février 1809. Le préfet avait fait la demande dès 1802. Les livres
fournis provenaient principalement des anciennes abbayes de Domèvre et de
Salivai et des couvents de la ville de Vic (anciens districts de Blamont
(Lorraine) et de Vic (Evêchés). Les administrateurs de ces districts, véritables
ignares, avaient sans doute envoyé leurs bibliothèques monastiques au chef-lieu
du département, peu soucieux de conserver chez eux de telles richesses, et
l'excuse mise en avant par ces ineptes personnages était toujours la même : le
manque d'emplacement convenable ! C'était bien véritablement la peine d'avoir
délogé avec tant de fracas tant de citoyens tonsurés ou non, pour n'avoir pas
même une petite place pour sauver leurs bouquins et obéir ainsi à la loi. Il
résulte donc de la présence à Nancy des livres de Blamont et de Vic, que le
chef-lieu du département de la Meurthe fut le dépôt central que l'on choisit
pour trois districts, ce qui n'était pas
conforme à la loi. Par un pareil abus, Metz eut presque tous les livres du
département de la Moselle et Verdun ceux des districts situés au nord du
département de la Meuse. La bibliothèque de Nancy a profité de ces annexions;
son Grolier (Un Erasme, Bâle, Froben, 1522, in-folio) vient de la bibliothèque
des Carmes de Vic ; ce qui montre que, tout en brassant de la bière et en
propageant le culte de la Vierge du Carmel, les religieux établis par la reine
Anne d'Autriche tenaient aussi à avoir des raretés bibliographiques.
La supérieure des soeurs de la Doctrine chrétienne à Nancy, dont la maison mère
était à Toul avant la Révolution, demanda aussi au préfet de vouloir bien lui
donner des livres, en remplacement de l'ancienne bibliothèque, composée,
disait-elle, d'ouvrages d'histoire et de piété, et qui était peut-être celle du
fondateur de l'institution, le chanoine Vatelot (1748) ; elle reçut 1114
volumes. Ces distributions faites et d'autres encore pour les séminaires, les
cours impériales, les mairies, etc., on eut à satisfaire aux justes réclamations
des émigrés qui venaient de rentrer ; mais les demandes furent modestes et ne
diminuèrent guère « le tas », qui, à la fin, était devenu un cauchemar
administratif.
Les bibliothèques publiques municipales furent enfin créées dans quelques villes
(à peine si on en compta deux par département), et une mesure déplorable vint
atténuer les bons résultats que l'on attendait de leur établissement; car, dans
toutes les villes qui en étaient pourvues, Metz, Nancy, Toul, Verdun, etc., on
vendit les doubles, les volumes dépareillés et ceux qualifiés d'insignifiants
par les experts. Dans ces derniers, on comprit des incunables, des raretés ou
des ouvrages à titre bizarre dont l'acquisition fait la joie des amateurs. Ces
malheureuses ventes se continuèrent jusque sous la monarchie de Juillet.
La part qui revint aux bibliothèques municipales fut pour ainsi dire minime, et
presque tous les livres confisqués qui, d'après les décrets de l'Assemblée
nationale et de la Convention, devaient servir à l'instruction du peuple,
furent, pour les deux bons tiers, détournés du but que le législateur primitif
avait voulu lui donner. Autant on mit d'ardeur à exécuter les décrets, autant on
mit d'apathie à laisser se perdre des richesses qui avaient été rassemblées
d'une manière si violente. C'est un résultat auquel on était loin de s'attendre
et que malheureusement on ne peut nier. Dans tous les cas, il excitera toujours
les justes regrets des bibliophiles.
(1) V. Convention nationale.
Instruction publique. Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et
sur les moyens de le réprimer par Grégoire, séance du 14 fructidor, l'an II de
la République une et indivisible, suivi du décret de la Convention nationale
imprimé et envoyé aux administrations et aux sociétés populaires.
Id. Id. Second rapport sur le vandalisme. Séance du 2 brumaire, an III.
Id. Id. Troisième rapport sur le vandalisme. Séance du 24 brumaire, an III.
Id. Id. Rapport sur la bibliographie par le même. Séance du 22 germinal, l'an
II, suivi du décret de la Convention nationale, imprimé et envoyé, etc.
A ces quatre pièces rares et recherchées, il faut ajouter :
27 novembre 1789. Lettres patentes du roi concernant la conservation des
bibliothèques et archives des monastères.
4 janvier 1792. Loi relative aux bibliothèques des maisons religieuses et autres
établissements supprimés et la continuation des travaux ordonnés pour la
confection des catalogues.
(2) Le changement radical arrivé en France fit transporter au loin des objets
qui n'auraient jamais dû quitter leur endroit originaire. En 1807, la ville de
Verdun hérita des livres et des manuscrits de Dom Cajot, aumônier de l'abbaye
des Cisterciennes du Paraclet; il y avait, parmi les manuscrits, un évangéliaire
qui avait été à l'usage d'Héloïse et que l'on disait avoir été écrit par Abelard.
Une nièce du bénédictin eut le miroir en métal de la malheureuse abbesse.
(3)Pétition au Directoire pour l'engager à suspendre la spoliation de l'Italie
(août 1796). « Ne serait-il pas aussi digne de la République de faire faire des
tableaux, que d'en prendre ? » observaient avec raison les artistes.
(4) L'honnête Maximilien Keppler ne fut pas oublié par l'empereur, qui le créa
baron avec les armes suivantes : « d'argent, à la barre de gueules, chargée de
six étoiles d'argent, accompagnée de deux lions affrontés de gueules, au franc
quartier de baron. » (Armoriai de Simon.) A Metz, les orgues des églises de
Saint-Eucaire et de Sainte-Ségolène viennent des églises tréviroises de
Saint-Jean et de Saint-Paulin. Un tableau provenant d'un couvent est dans la
chapelle de l'hôpital militaire.
(5) J.-B. Buzy. Dom Maugerard ou
histoire d'un bibliophile lorrain de l'ordre de saint Benoit. Châlons-s.-M.,
1882. - Dom Maugerard, né à Auzéville (province du Clermontois, Meuse), en 1735,
mort en 1815, à Metz, place de la Cathédrale, n° 278.
(6) Est-il vrai que l'évêque de Metz, aumônier de l'empereur, fut autorisé à
enlever de la bibliothèque de Saint-Mihiel, trois énormes voitures de livres
pour la bibliothèque de l'évêché ? L'assertion de l'employé chargé de la
confection du catalogue des manuscrits de Saint-Mihiel n'est pas une preuve
suffisante.
(7) N. FRIZON. Bibliothèque de Verdun. Liste des dons, 1881.
(8) Dans tous les cas, le roi de Prusse n'entra pas en ville et ne put, par
conséquent, rendre visite à l'évêque constitutionnel qui, par prudence, quitta
la ville. Ainsi tombe l'anecdote rapportée par Dumont (Hist. de Commercy, III).
La bibliothèque de Verdun possède un Règlement du séminaire de Toul, 1788,
marqué Aubry, évêque du dép. de la Meuse. Le célèbre Gros a dessiné le portrait
d'Aubry (Colon Dejabin).
« A Grégoire
ancien évêque de Blois.
P. J. David, 1828. »
Grégoire n'était pas toujours libéral; étant envoyé en Savoie, il fit venir
devant lui les deux vicaires généraux de l'évêque d'Annecy et n'ayant pas réussi
à les convaincre.,.,. de la beauté de l'église constitutionnelle, il les fit
incarcérer; l'un d'eux, M. Besson, put s'échapper, il fut plus tard évêque de
Metz et il se signala par sa tolérance. - Grégoire, commissaire en Savoie, ne
vota pas la mort de Louis XVI.
(9) M. Alcide Georgel donne pour armoiries à Baccarat et à Albestroff, à Lorquin
et à Cirey, l'éternel blason du chapitre de la cathédrale de Metz. Il serait
bien intéressant de connaître la source où l'auteur puise de pareils
renseignements, inconnus jusqu'alors. Jamais on n'avait vu d'armoiries aux
chefs-lieux des deux chatellenies épiscopales, ni à Lorquin, ni à Cirey. Les
tabellions seuls usaient des armes seigneuriales. Mais les tabellions n'étaient
pas les villes, c'étaient des officiers des seigneurs.
(10)Journal de Luxembourg.
(11) Le 1er octobre 1730, brevet du roi accordant au marquis de Beauveau et au
prince de Craon le traitement de cousin du roi.
(12) Mémoire pour Anne-Marie-Louise de Beauveau, princesse de Poix, contre
l'administration des domaines. Paris, 1832, in-4°.
(13) M. Alb. Cuny, architecte à Nancy, possède dans sa riche collection lorraine
le portrait du prince gravé par L. Cars d'après le tableau de Gobert.
(14) Coup-d'oeil sur les bibliothèques des couvents du district de Nancy, 1883. |