JOURNAL OFFICIEL
DE L'EMPIRE FRANÇAIS
30 août 1870
NOUVELLES ÉTRANGÈRES
[...]
SUISSE
BERNE, 26 août. - Deux courants se laissent apercevoir dans la
presse allemande: d'un côté, sous l'impression des télégrammes
prussiens, on devient de plus en plus arrogant; de l'autre, des
hommes beaucoup plus sérieux commencent à se rendre compte des
grande sacrifices qu'impose la guerre à l'Allemagne, interrogent
avec inquiétude l'avenir; ils se posent cette grave question :
si le succès le plus brillant et le plus inattendu même serait
une compensation suffisante aux pertes que l'Allemagne a
éprouvées ?
La Gazette de Silésie, toute prussienne qu'elle soit, consacre
un long article à des réflexions bien saines et remplies de
retours profondément mélancoliques sur l'avenir. Elle déplore
presque la journée du 18 août (*), qui, certainement, ne fera
que prolonger la lutte, multiplier les pertes à l'infini, et
transformer cette guerre glorieuse en une calamité générale.
Elle regrette que les armées prussiennes ne se soient pas
portées droit sur Paris, et elle craint que la route ne leur en
soit fermée désormais.
La Nouvelle Presse libre de Vienne, très-sympathique à la Prusse
jusqu'à présent, se hasarde jusqu'à publier un long article
intitulé : Vae victoribus, et s'empresse de donner de très-bons
conseils aux vainqueurs, tâchant de les prémunir contre les
illusions et les dangers de la prospérité.
Il est évident qu'un sentiment de patriotisme autrichien s'est
enfin réveillé chez elle, et qu'elle commence à craindre
l'orgueil et les instincts de domination des Hohenzollern. Elle
rappelle au prince royal de Prusse, tout en rendant hommage aux
talents des généraux prussiens, que cependant c'est la nation
allemande qui a remporté les victoires. Elle craint que la part
des Bavarois dans les lauriers ne soit amoindrie, et elle prêche
la modération.
Les journaux allemands se plaignent de ce que les armées
prussiennes ont trouvé toutes les maisons, depuis Blamont
jusqu'à Lunéville, hermétiquement fermées. Dans cette dernière
ville, les hôtels, restaurants et cafés avaient, à leur
approche, été désertés par les propriétaires, et ils ne trouvent
pas d'expressions assez fortes pour flétrir cette conduite de la
population qu'ils appellent système criminel (frevelhafter
system).
Ils se montrent aussi indignés de ce que le général Ulrich n'a
pas voulu capituler, quoique le général de Werder lui eût fait
annoncer la défaite des Français sous les murs de Metz. Ils
prétendent qu'en exposant la vie des habitants de Strasbourg et
toute la ville à un bombardement, il commet un acte sauvage,
indigne d'un homme civilisé. (Correspondances du Nord-Est.)
(*) NDLR : le 18 août 1870 se
déroule à l'ouest de Metz la bataille de Saint-Privat, plus
connue sous le nom allemand de bataille de Gravelotte, où le
Maréchal Bazaine, à la tête des 112 000 hommes de l'armée du
Rhin, devra se replier dans Metz devant la puissance de
l'artillerie allemande (qui a laissé sa trace dans l'expression
« Ça tombe comme à Gravelotte ») et sa supériorité
numérique (188 000 soldats) |