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Le clergé du diocèse de Nancy pendant la guerre (1914-1918)
 


Le clergé du diocèse de Nancy pendant la guerre (1914-1918)
Abbé R. Hogard,...
Éd impr. Vagner (Nancy) - 1920

[...]
CHAPITRE II - Le clergé mobilisé

[...]
PAROISSES HORS DE NANCY
[...] ARCHIPRÊTRÉ DE LUNÉVILLE
[...] DOYENNÉ DE BLAMONT
M. l'abbé Joseph DUPRÉ, vicaire à Blâmont.
Cl. 1904 mobilisé quelques jours. Réformé en avril 1915.

M. l'abbé Achille COLIN, curé d'Amenoncourt.
Cl. 1894 ; mobilisé le 7 octobre 1915, comme infirmier à la 23e Section.
Hôpital Gama à Toul (octobre 1915-novembre 1916), Hôpital 10 à Vittel (novembre 1916-janvier 1918).

M. l'abbé Léon RENAULT, curé de Domêvre-sur-Vezouze.
Cl. 1898 ; mobilisé le 1er août 1914. Infirmier à la 23e Section.
Ambulance n 2° du 5e Corps (septembre 1914-juin 1915), même Ambulance passée à la 15e Division coloniale (juin 1915-février 1919).
Argonne (1914-1915). Champagne, Somme, Chemin des Dames, Verdun, Somme, Eparges, Verdun.
Croix de guerre.

M. l'abbé Joseph MEYER, curé de Domjevin.
Cl. 1892 ; mobilisé le 1er août 1914. Infirmier à la 23e Section.
Train sanitaire 2/20 (août-décembre 1914), Hôpital de Contrexéville, (octobre 1915-janvier 1918), Hôpital de Bayon (janvier-avril 1918), Hôpital de Mandres-sur-Vair (avril 1918-janvier 1919).

M. l'abbé Victor DEMOYEN, curé d'Emberménil.
Cl. 1897 ; mobilisé le 31 juillet 1914. Infirmier à la 23e Section.
Au fort de Manonviller (août 1914), Hôpitaux de Nancy, Contrexéville, Martigny (août 1914-juillet 1918), 18e Section d'infirmiers (juillet 1918-janvier 1919).
Fort de Manonviller, Somme (1918). - Caporal en février 1915, Sergent en mai 1915, Adjudant en septembre 1916.

M. l'abbé Jean-Baptiste SÉEL, curé de Nonhigny.
Cl. 1893; mobilisé le 1er août 1914. Infirmier à la 23e Section.
Brancardier à la 73e Division (août 1914-mai 1915), 3e Zouaves (mai-septembre 1915). Infirmier aux 23e et 22e Sections (décembre 1915-octobre 1918). Interprète pour les prisonniers de guerre (octobre 1918-janvier 1919).
Mortmare, Bois-le-Prêtre (1914-1915), Marne (1918).

M. l'abbé Auguste HANS, curé de Repaix.
Cl. 1891; mobilisé le 2 août 1914. Infirmier à la 24e Section.
Infirmier (août 1914-octobre 1916), Artillerie de position (octobre 1916-octobre 1918), 5e Génie, service des chemins de fer (octobre-décembre 1918).

M. l'abbé Georges HUEL, curé de Saint-Martin.
ÇL 1894 ; mobilisé le 3 août 1914. Infirmier à la 23e Section.
Hôpitaux de Troyes et de Toul (août 1914-juillet 1916), Train sanitaire C/7 et gare régulatrice de Seveux (juillet 1916-décembre 1917), Brancardier divisionnaire (janvier-avril 1918), Train sanitaire C/7 (avril 1918-janvier 1919).
Maladie grave en 1914.
Médaille des épidémies en avril 1915.

M. l'abbé Frédéric COLIN, curé de Vého.
Cl. 1897 ; mobilisé le 2 août 1914. Infirmier à la 23e Section.
Trains sanitaires 3/20 et Nord 4 (août 1914-décembre 1916), Ambulance 6/21 (décembre 1916-août 1917). Infirmerie et hôpital d'évacuation (aout 1917-janvier 1919)
[...]
CHAPITRE V - Prêtres du diocèse de Nancy morts au champ d'honneur
[...]
M. l'abbé Henry
L'offensive, qui s'éternisait de part et d'autre en efforts impuissants, nous valait bientôt une nouvelle victime. M. l'abbé Edmond Henry (1), vicaire à la paroisse
Saint-Joseph de Nancy, aumônier de la 11e division, tombait le 4 juillet, affreusement mutilé, dans ce même village de Mareuil.
Les circonstances d'une telle mort, dans l'accomplissement d'un devoir de charité, à la veille de la relève du corps d'armée pour un long repos en Lorraine, jettent sur cette vie finissante un mélancolique reflet.

Depuis le 9 mai, le village subissait jour et nuit de très violents bombardements. Les morts et les blessés ne se comptaient plus. C'est au cours d'une de ces rafales que M. Henry fut atteint. Le 4 juillet, à 10 heures du soir, il s'entretenait encore avec des prêtres-soldats, quand un obus de bombardement tomba sur le bâtiment principal du poste de relai. Au lieu de se précipiter vers le refuge et de descendre au sous-sol, il se dirigea vers les salles des blessés, où son ministère pouvait être immédiatement opportun.C'est en mettant le pied sur le seuil qu'il fut littéralement déchiqueté. Il n'eut pas le temps de pousser un cri, de dire une parole. La mort fut instantanée.
Un confrère reçut dans ses bras ce corps sanglant, affaissé sur lui-même, enlaidi par une affreuse plaie à la poitrine.
«  Je ne ferai pas l'éloge de cet excellent prêtre, écrivait Monseigneur Ruch en relatant le douloureux événement. En campagne, il avait été tel que tous l'avaient connu : homme de devoir. C'était la conscience même. Il a eu l'honneur d'être frappé à sa place. Prêtres, officiers et soldats avaient pour lui une très grande estime. Martyr de la charité fraternelle et sacerdotale, il nous protégera du haut du ciel... »
Parlant des obsèques, Monseigneur Ruch écrivait encore : «  Les funérailles à Haute-Avesnes ont été très dignes... Tous les médecins et officiers, tous les prêtres qui étaient dans la paroisse assistaient à la cérémonie. Le Général commandant la 11e division, le Directeur du Service de santé du corps d'armée, le Médecin principal divisionnaire étaient présents. J'ai, en quelques mots, fait revivre la physionomie morale du défunt, homme d'une conscience exemplaire ».
Une croix de bois sculpté, avec attributs sacerdotaux, marqua sa tombe.
Cette mort, quelques jours plus tard trouvait dans la paroisse Saint-Joseph et surtout dans le coeur des infortunés parents, exilés de Blémerey, un douloureux écho. Le lundi 12 juillet, un service était célébré dans l'église Saint Joseph. Le général Schneider, chef du Service sanitaire de Nancy, représentait l'hôpital militaire, un bon nombre de prêtres rendaient à leur confrère le témoignage de la suprême affection. Avec art et piété la chorale paroissiale, dirigée autrefois par M. Henry et le Choeur exécutèrent les chants. Monseigneur Turinaz, accompagné de M. le Vicaire général Barbier donna l'absoute.
Un prêtre, qui connaissait intimement le défunt, louait en termes délicats cette vie si noblement couronnée par le sacrifice. «  Il donna constamment écrit-il, l'impression d'un esprit élevé, d'un caractère énergique, d'une «  conscience... » De si belles qualités étaient enchassées dans une charmante modestie. Son abord très simple inspirait la confiance et attirait l'estime. Quand, après sa nomination de vicaire, il se présenta à son curé, il ne lui exprima qu'un désir : «  Reprenez-moi franchement et sévèrement quand je manquerai à mon devoir ». Son curé n'eut jamais l'occasion d'obéir à cette consigne.
On gardera longtemps, dans la paroisse de Saint-Joseph, le souvenir du vicaire ardent, respecté et aimé. Sur la jeunesse, il exerçait un ascendant considérable. On goûtait ses catéchismes pour la limpidité de l'exposition, la discipline et la bonne tenue. Son influence ne se discutait pas. Grâce à ces brillantes qualités, un groupe éclairé, très instruit des vérités religieuses, était sorti de ses mains.
Sous son habile direction, le cercle paroissial des jeunes gens fut porté à son apogée. La Chorale, qui en est la partie la plus vivante, dirigée avec un grand talent par M. Henry apporta aux représentations de la Passion un brillant concours.
Son ministère parmi les jeunes puis à l'hôpital militaire l'avait préparé aux travaux de la guerre. Il y fut un aumônier modèle. Un Ordre de l'Armée louait en ces termes, sa trop courte carrière : «  N'a cessé de se prodiguer, depuis le début de la guerre, avec le plus grand esprit de sacrifice, pour apporter des secours aux blessés et mourants, jusque sur la ligne de feu. Frappé mortellement le 4 juillet 1915, en se portant sur un point violemment bombardé ».
De cette vie d'efforts, de fatigues, de périls incessants, ceux qui l'ont connu gardent le souvenir de l'endurance, et de la bonté. Beaucoup, même non croyants, ont ressenti l'influence très profonde de son âme convaincue, goûté le charme de son aménité, savouré ses réparties vives, et subi l'ascendant de son esprit distingué.

(1) M. l'abbé Jean-Joseph-Hilaire-Edmond HENRY, né à Blémerey, le le 7 janvier 1882, ordonné prêtre le 9 juillet 1905, avait été nommé vicaire à la paroisse Saint-Joseph de Nancy, après son ordination.
Ce récit a été rédigé d'après divers témoignages de chefs et de soldats ; de confrères et des notes de M. le Chanoine Petit, curé de Saint-Joseph.

LA CHAMPAGNE
M. l'abbé Antoine Grosse
L'offensive de Champagne allait se déclencher. Le vendredi 24 septembre 1915; à la parallèle qui devait servir de départ pour l'attaque du lendemain, le 167e Régiment d'Infanterie hâtait les derniers travaux.
L'ennemi, très nerveux, ne cessait de harceler nos troupes, par de fréquents arrosages sur tous les points du secteur. C'est au cours d'un de ces tirs que fut touché M. l'abbé Antoine Grosse (1), curé de Gémonville, prêtre brancardier. Il remplissait les fonctions d'aumônier au 3e bataillon de ce régiment. Tandis qu'il se trouvait aux abords du poste de secours de sa formation, un obus, éclatant près de lui, le frappa mortellement, ainsi que plusieurs officiers et soldats qui l'entouraient.

La veille d'un jour d'attaque, au moment où, comme prêtre, il rendait aux âmes la confiance et distribuait le pardon divin, cette mort apparaît comme le digne couronnement d'un généreux apostolat. Ouvrier de Dieu, frappé en plein travail, il offrait son dernier sacrifice. L'aumônier divisionnaire rendait de lui ce témoignage, riche en sa concision : «  Il s'est dépensé sans compter, tant sur la ligne de feu qu'au repos, profitant de toute occasion pour donner à son dévouement des formes
nouvelles... » «  Le Seigneur, écrit un autre confrère, a récompensé son zèle en lui ménageant la consolation de nombreux retours ».
C'est à un de ces retours que fait allusion ce billet, tracé de sa main : «  Au milieu des circonstances pénibles où nous sommes, je vous écris dans la joie. J'ai eu le bonheur, ce matin, à la messe dite à cinq heures et demie dans une paroisse de la Marne, de faire faire la première communion à un jeune soldat que j'avais instruit. Un certain nombre de ses camarades l'ont accompagné à la Table sainte. Simple et silencieux aux yeux des hommes, c'était grand aux yeux des anges et de Dieu lui-même ».
Un mélange de simplicité et de «  bonhomie naïve » rendait son abord facile. Tous les soldats l'estimaient et connaissaient sa bonté.
Il se plaisait aussi à rester en communion de pensées et de prières avec ses paroissiens. Par ses lettres il les encourage, les réconforte, élève leur patriotisme. Mieux encore, il les édifie. Ils savent, en effet, combien sur le champ de bataille leur curé paie de sa personne. Une lettre du 22 juin 1915 leur apprend dans quelles conditions il sait exercer ce devoir :
«  J'ai eu la consolation de pouvoir administrer mon pauvre sergent dans la tranchée, à l'endroit même où il venait de tomber. Il avait le crâne ouvert, mais a encore vécu un bon quart d'heure ».
Le souci de sa dignité sacerdotale le préoccupe :
«  Croyez-vous que le prêtre, passant au milieu des soldats, ses camarades et amis, dans les cantonnements au repos, dans les tranchées et jusqu'en première ligne ne laisse pas une bonne impression et que cela ne peut pas servir à faire aimer davantage son caractère de prêtre et, par lui, l'Eglise catholique et le bon Dieu lui-même ?... J'avoue franchement que le coeur m'a battu quelquefois bien fort pour passer en certains endroits ».
La Providence avait décidé qu'il trouverait la mort sur le chemin de son dévouement. Dans l'après-midi du 24 septembre, ses yeux se fermaient, au milieu de ses chers soldats. Il a été enterré dans le cimetière militaire de Saint-Thomas, près de Vienne-le-Château (Argonne), entre un officier frappé en même temps que lui et un séminariste tué la veille. Prêtre et soldats, ils avaient communié dans la peine et la souffrance des champs de bataille. Sur la douce terre de France, ils dormaient leur dernier sommeil, tandis que Dieu couronnait leur commune immolation.

(1) Né à Nelling (diocèse de Metz), le 6 juillet 1881, M. l'abbé Antoine Ferdinand GROSSE, avait été ordonné prêtre le 2 août 1908, puis successivement vicaire à Thiaucourt, à Blâmont (1909), et curé de Gémonville ( 1910).
Cf. : Témoignages d'aumôniers, de confrères, de soldats. - Lettres du défunt. - Notes de M. l'abbé Rolin, cure actuel de Gémonville.
[...]
CHAPITRE VI - Nos Séminaristes
[...]
Ont fait campagne et sont encore retenus à, l'Armée De la classe 1918 : M. DELARUE, de Blâmont. Artilleur. Trois mois de front. S. X.
[...]
CHAPITRE VII - Nos Prêtres otages
[...]
MM. Edmond et Emile Chatton
Deux jours après l'invasion de sa paroisse, au soir du 24 août 1914, M. l'abbé Edmond Chatton, curé de Sornéville, était arrêté avec le maire et le garde-champêtre. Tous trois furent conduits à Château-Salins et emprisonnés. L'ennemi accusait la population de Sornéville d'avoir tiré sur une colonne sanitaire ; les vrais coupables étaient des soldats allemands qui abattaient des pigeons. M. le curé apprend ce détail par quelques mots que ses compagnons lui glissent furtivement, à voix basse, dans son cachot. Il prépare sa défense. Quand le conseil de guerre décide qu'avec ses complices il sera fusillé, il donne en allemand les précisions utiles. Après vérification des faits, c'est l'acquittement.
Impossible de rentrer à Sornéville, car la bataille fait rage.
M. Chatton doit subir pendant deux jours un dur traitement à Moncel, où de charitables habitants lui apportent des vivres.
A son retour, il éprouve une très vive douleur : le presbytère est en cendres ; sa bibliothèque, ses précieuses notes, fruit de longues années de travail, sont anéanties. Le pasteur est recueilli par ses paroissiens.
Bien court fut le répit d'alors. Le 10 septembre, M. l'abbé Edmond Chatton est arrêté de nouveau, non plus comme inculpé, mais comme «  otage ». Il proteste contre cette seconde mesure vexatoire. «  Désignez-en un autre », lui dit-on. Mais le digne curé s'y refuse et part en captivité.
II a du moins une consolation dans le malheur ; il retrouve son frère, M. l'abbé Emile Chatton, curé de Hoëville, qui après avoir subi dans sa paroisse toutes sortes d'avanies, est emmené en exil par Château-Salins et Sarreguemines avec plusieurs prêtres du diocèse de Nancy. A Ingolstadt, il goûtera la douceur de la férule germanique, successivement au fort von der Tann, au Hauptlazareth, au Fort 9, puis à Traunstein. Il lui faudra subir en terre ennemie seize mois d'un dur traitement.
Sur l'intervention d'un médecin qui l'avait soigné à Davos, il est renvoyé en France comme grand blessé. Tout de suite à son poste, il ne compte ni avec la fatigue, ni avec sa santé. Il se dévoue, pour le plus grand bien moral et religieux de Hoëville et des paroisses voisines. Une très flatteuse citation a souligné l'exemple d'énergie offert par le vaillant curé, en face d'un ennemi soupçonneux et brutal. Nous retrouverons, dans un dernier chapitre, le récit de ses souffrances dans sa propre paroisse, au moment de l'occupation allemande.
[...]
M. l'abbé Prosper Gérard
Déjà le 12 août 1914, l'ancien curé de Vaucourt, retiré à Hampont (Lorraine), avait été arrêté comme «  ami des Français » et mis au mur par un groupe de soldats exaltés. Relâché, il devait subir une nouvelle arrestation, le matin du dimanche 20 décembre, au moment où il quittait l'autel. Cette fois ce fut pour prendre la route de Holzminden et y rester jusqu'en janvier 1916. Puis vint l'épreuve du camp de Sennelager. Le 13 février 1918, ses 58 ans lui valaient la joie de retrouver le ciel de France. Un séjour hospitalier au Bas-Château (Essey-les-Nancy) l'aida alors à refaire une santé bien compromise.
MM. Rouyer et Peyen
Le lendemain, deux autres prêtres sont arrêtés sans motif, M. l'abbé Rouyer, curé de Gogney et M. l'abbé Peyen, curé de Jeandelize. Le premier subira pendant six semaines, à Haguenau, une première détention dans d'infectes écuries.
Puis pendant 22 mois de captivité à Holzminden, il sera soumis «  à des perquisitions ennuyeuses, à des vexations mesquines, parfois à d'odieuses visites ». Après un séjour de dix-huit mois en Suisse, il est rapatrié le 26 août 1918.
[...]
CHAPITRE VIII - Victimes civiles de la guerre dans le clergé nancéien
[...]
M. l'Abbé Küchly
M. le Chanoine Lacour avait succombé, loin de la patrie, sous le poids de l'épreuve et de la souffrance. Son compagnon de captivité à Ingolstadt, M. l'abbé Küchly, curé de Leintrey (1), ne revint au pays natal que pour y mourir, le 2 novembre 1915.
Dès le 9 août 1914, M. Kiichly avait vu, à Leintrey, les premières patrouilles allemandes. Sous prétexte de mitrailleuses placées au clocher, il était conduit, entre des soldats, les yeux bandés, sous les quolibets. Comme tant d'autres, il a senti en cette circonstance le froid des revolvers.
Après avoir comparu, du côté d'Avricourt, devant un conseil de guerre, il peut néanmoins rentrer chez lui. Mais le 21 août, il se réfugie à Lunéville, où l'immobilise l'occupation ennemie.

Le 7 septembre, il obtient un laissez-passer pour revenir à Leintrey. Les Saxons, qui y étaient restés depuis son départ, feignent, après de minutieux interrogatoires, de le prendre pour un espion. Ils l'emmènent en captivité. Ceci se passait du 10 au 12 septembre, précisément à l'époque où l'ennemi lâchait pied.
Avec de nombreux otages de l'arrondissement de Lunéville, M. Küchly partait pour Ingolstadt, après un premier arrêt à Sarreguemines. Partout le curé de Leintrey rendait volontiers service à ses compagnons, comme interprète.
A l'arrivée dans le fort von der Tann, quand le fourrier allemand commence à former les groupes qui doivent aller croupir dans les diverses casemates, M. Küchly s'avance et demande en allemand, dans une forme très polie, au commandant du fort de vouloir bien mettre les prêtres ensemble.
Celui-ci, protestant, répond en français - il a passé deux ans à Lyon, avant la guerre : - «  L'égalité, je ne connais que l'égalité. Belle chose que l'égalité ! »
L'ironie méchante, qui s'ajoute à l'accent, indique qu'il n'y a pas lieu d'insister. Sous prétexte d'égalité, au lieu de laisser les prêtres réunis, - ils étaient une douzaine, - on les disperse en divers locaux, en contact avec des gens d'une grossièreté écoeurante, même pour des laïques simplement honnêtes qui étaient là. Une basse promiscuité avec les voyous, les anarchistes enlevés au hasard, en même temps qu'avec d'honorables citoyens, ne fut pas la moindre souffrance des prêtres prisonniers à Ingolstadt. Et pourtant combien de braves gens, parmi les maires et les instituteurs ou fonctionnaires, ont souhaité vainement qu'on mît à part ces bas-fonds de la société et qu'on formât quelques chambrées honnêtes ! L'officier ennemi se faisait un plaisir parmi les ricanements, de pratiquer ainsi «  l'égalité si - prônée, disait-il, en France ».
Les privations physiques et les souffrances morales agirent plus fortement sur M. l'abbé Küchly, qui était atteint de diabète. Il était bien question de régime dans ce camp où l'insuffisance de nourriture faisait dépérir à vue d'oeil les prisonniers même les plus robustes ! Après un mois, l'état du curé de Leintrey s'aggrava, ses jambes étaient enflées. Le docteur Lorentz, médecin français prisonnier, demanda en vain son transfert à l'hôpital, en même temps que celui de M. l'abbé Chatton, curé de Hoëville, atteint d'une forte bronchite et affligé d'hémorragies. Le médecin allemand fit la sourde oreille, prétendant que l'hôpital était trop encombré de blessés militaires, Un mois plus tard, le 20 novembre 1914, alors que les deux prêtres malades allaient beaucoup mieux, malgré le manque de soins appropriés, un ordre de la Kommandantur les fit transporter malgré eux au Hauptlazareth d'Ingolstadt.
Là, on les ausculta méticuleusement. On remplit une grande fiche in-folio qui ne laissait dans l'ombre aucun point de leur état sanitaire, depuis leur naissance, tout en notant avec force détails l'état, actuel de leur organisme. Et puis ce fut tout. On ne s'occupa plus d'eux, jusqu'au moment où, à l'occasion de nouvelles entrées, on les expédia à l'Exercierhaus, grande remise devenue annexe de l'hôpital, à l'usage des prisonniers.
Les deux prêtres sollicitèrent en vain l'autorisation de célébrer la sainte Messe. Et pourtant la chapelle de l'hôpital se trouvait dans le même couloir que la salle où ils étaient gardés. M. Chatton avait même adressé une requête, avec l'assentiment de son médecin, au médecin-chef de l'hôpital, qui était juif. Celui-ci fit répondre que le service religieux était suffisamment assuré par les aumôniers allemands.
Ces brimades et les autres tracas influèrent fâcheusement sur le caractère de M. Küchly. Il devint sombre, renfermé, presque farouche.
L'état physique et moral ne fit qu'empirer au cours des mois qui suivirent, soit à Ingolstadt, soit à Traunstein. Son regard était devenu vitreux, sa maigreur extrême. On eût dit un squelette ambulant. On dut le transporter à l'hôpital de Munich, la ville de Traunstein ayant déclaré que l'Etat allemand devait soigner lui-même ses prisonniers.
Quand il fut sur le point de mourir, on se rappela enfin qu'il avait demandé de rejoindre sa famille à Saint-Louis. Il n'arriva pas au terme du voyage, car il dut faire une halte à l'hôpital de Saverne. Son neveu, qui alla le voir alors, disait de lui : «  Mon oncle n'est plus reconnaissable, on lui donnerait 80 ans ».
Ce fut là qu'il rendit pieusement son âme à Dieu, le 2 novembre 1915, après avoir terminé la longue l'épreuve. de l'exil par le fugitif bonheur de retrouver les siens sur la terre natale. Il s'endormait tout près de Saint-Louis, son lieu d'origine. C'est là qu'il fut enterré, à côté des anciens curés de la paroisse.

(1) M. l'abbé Jean-Pierre-Nicolas KUCHLY, né à Saint-Louis (Lorraine) le 16 avril 1852, ordonné prêtre le 10 juillet 1879, avait été successivement, vicaire à Einville, curé de Morey (1891), et curé de Leintrey (1893).
Le présent récit est dû à des témoignages de compagnons de captivité, en particulier à celui de M. l'abbé Emile Chatton, curé de Hoëville.
[...]
CHAPITRE IX - A travers nos ruines.
[...]
Le relevé suivant remonte au mois d'avril 1919 :
[...] II. - ARCHIPRÊTRÉ DE LUNÉVILLE
[...] 5° Doyenné de Blâmont. - Sur 33 paroisses ou annexes, 14 sont détruites ou presque (Blémerey, Reillon, Chazelles, Gondrexon, Domèvre-sur-Vezouze, Emberménil, Halloville, Leintrey, Nonhigny, Montreux, Vaucourt, Vého, Verdenal. Xousse). 15 sont en partie détruites ou très endommagées.
Sur 33 églises, 18 sont détruites (Ancerviller, Halloville, Blémerey, Reillon, Chazelles, Gondrexon, Domêvre-sur-Vezouze, Emberménil, Harbouey, Herbéviller, Leintrey, Nonhigny, Montreux, Igney, Vaucourt, Vého, Verdenal, Xousse).
Les autres sont ou fortement endommagées ou détériorées.
Sur 24 presbytères, 7 sont détruits (Amenoncourt, Chazelles, Domjevin, Emberménil, Nonhigny, Vého, Xousse), 5 très endommagés, les autres saccagés ou détériorés.
[...]
CHAPITRE X - Le diocèse de Nancy envahi et occupé
[...]
DOYENNÉ DE BLAMONT
Le Doyenné de Blâmont connut une triple invasion, en 1914, et endura l'occupation ennemie pendant quatre années dans la majeure partie de son territoire.
Durant ce temps, les membres du clergé furent, comme partout ailleurs, les premières victimes des brutalités allemandes. Y échappèrent à peu près seuls MM. les curés de Domêvre, de Domjevin, d'Emberménil, de Nonhigny, de Repaix, de Vého, et de Saint-Martin, que la mobilisation avait enlevés à leurs paroisses. Mais les confrères, restés à leur poste, furent tous plus ou moins maltraités, et quelques-uns traversèrent les plus graves dangers.
M. l'abbé Justin Colin, curé de Barbas, fut arrêté le 9 août 1914, sous le fallacieux prétexte, toujours le même, que l'on avait tiré sur l'armée allemande. Conduit, les yeux bandés, à Blâmont, il fut enfermé à l'hôpital et allait prendre le chemin de l'Allemagne, quand un général plus humain le fit relâcher. Une heure après son retour dans sa paroisse, un officier l'empoignait de nouveau en l'accablant d'injures et le dirigeait sur Ancerviller: là, un autre chef écoutait heureusement ses explications et lui permettait de rentrer chez lui.
A Amenoncourt, M. l'abbé Achille Colin fut pris comme otage, avec le maire du village, le soir du 9 août 1914. Emmenés à Igney, puis à Avricourt, ils comparurent le lendemain devant un Etat-Major allemand qui les condamna à être fusillés dans la soirée. La sentence allait s'exécuter, quand M. le Curé d'Avricourt (Metz) intervint et obtint la mise en liberté des deux victimes.
Particulièrement abreuvé d'outrages, en sa qualité d'Alsacien, M. l'abbé Küchly, curé de Leintrey, fut conduit en exil et mourut bientôt des suites de ses souffrances (Voir page 246).
M. l'abbé Elmerich, curé d'Autrepierre, dut également à son origine alsacienne les traitements les plus barbares. Il fut arrêté dès le matin du 9 août, comme il allait dire la messe à Repaix. Emmené par quatre cavaliers, à la suite de leurs montures, il fut, sous les insultes, conduit à Gogney où on le condamna à la peine capitale. Le lendemain cependant il était relâché sans explication.
Mais les sévices les plus graves étaient réservés à M. l'abbé Barbier, curé-doyen de Blâmont. L'ennemi qui, dès les premiers jours, avait «  réquisitionné » son ministère pour ses blessés, ne tardait pas à reconnaître de singulière façon ses services. Brutalisé d'abord avec le maire, il fut saisi à deux reprises, le 12 et le 13 août 1914, sous les prétextes les plus extravagants, insulté, menacé de mort ; la seconde fois, il fut entraîné, avec le maire et une trentaine d'otages, à la suite de l'armée allemande en retraite vers Sarrebourg. Emprisonnés dans l'église de Gogney, les malheureux passèrent la nuit du 14 au 15 dans des angoisses que la prière seule put apaiser. Au matin de l'Assomption, oubliés par l'ennemi, ils se hâtèrent de regagner leurs demeures.
Avec le retour des Allemands, M. l'abbé Barbier fut en butte aux mêmes vexations. De plus, le départ des autorités locales fit retomber sur lui tout le poids des responsabilités et lui valut les plus durs traitements. Enfermé dans un corps de garde, puis consigné dans sa maison, il dut, à toute heure du jour et de la nuit, répondre aux injonctions et aux appels, exécuter les corvées les plus répugnantes, faire fonction d'appariteur jusqu'à quatre ou cinq fois par jour, pour annoncer toutes sortes de mesures étranges, odieuses, souvent absurdes. C'est ainsi que les conduites d'eau ayant été rompues par le passage de l'artillerie, il dut proclamer que lui, curé, serait fusillé avec deux notables, si l'eau s'obstinait à ne pas couler. Fort heureusement, après cette menace qui jeta la consternation dans toute la ville, il put décider un lieutenant de pionniers à accomplir les réparations nécessaires. Les fontaines reprirent leur service et la vie des trois victimes fut épargnée.
Il restait encore dans le doyenné quelques prêtres du voisinage : M. l'abbé Jacques, curé d'Harbouey, qui avait dû abandonner, le 30 septembre 1914, sa paroisse dévastée et son église détruite et se réfugier à Blâmont ; M. l'abbé François, curé de Verdenal et M. l'abbé Rouyer, curé de Gogney. Mais bientôt l'évacuation du 17 avril 1915 allait faire le vide complet et laisser seul M. le. Doyen (1). Ces prêtres, avec un bon nombre de leurs ouailles, partirent sur ordre, et, après un long voyage à travers l'Allemagne et la Suisse, gagnèrent la France. Jeunes gens et hommes d'âge militaire furent internés dans les camps de prisonniers, comme M. l'abbé Rouyer, curé de Gogney qui fut dirigé sur Holzminden.
Alors commença pour M. le Curé de Blâmont et son bercail une mortelle solitude, une longue période d'esclavage, de travaux forcés, ayant souvent un but militaire, de perquisitions incessantes, accompagnées de vols et d'amendes, avec des difficultés extrêmes de ravitaillement. Ajoutons à cela les méfaits des bombardements. Le premier, celui du 8 décembre 1914, tua la mère de M. le Doyen, à ses côtés. A partir d'avril 1915, ils furent presque quotidiens. Des victimes tombèrent dans la population civile. Mais en même temps que le pasteur, la protection divine préserva les religieuses de l'Hôpital. Celles-ci, en dépit des vexations du vainqueur, furent héroïques auprès des blessés.
Elles manifestèrent même, à l'égard des nôtres, une audace qui aurait pu les perdre. Après avoir soigné des soldats français égarés et malades, elles les travestirent pendant trois mois et réussirent à les faire passer en France.
Le service religieux ne fut pas délaissé dans le voisinage. Grâce à une démarche du Souverain Pontife, M. le Curé-doyen de Blâmont put obtenir une fois par semaine un passeport pour aller visiter les villages limitrophes encore habités. Par lui furent assurés les offices de Barbas et de Frémonville. Les autres localités reçurent aussi de temps en temps la visite du prêtre.
Cependant un petit nombre de paroisses du doyenné avaient échappé à la domination étrangère. La troisième invasion s'était arrêtée aux confins de Vého, d'Ogéviller, d'Herbéviller, d'Ancerviller. Une partie de la population resta, mais l'autorité militaire la jugeant trop exposée, décida qu'elle abandonnerait ses foyers. Seule ou à peu près la paroisse d'Ogéviller subsista jusqu'à la fin de la guerre, et M. l'abbé Duhaut, son curé, y maintint jusqu'au bout, au milieu des difficultés, la foi patriotique. Lorrain fidèle et tenace, enraciné au sol natal, il conserva autour de lui un grand nombre de ses paroissiens et sauva ainsi leurs maisons des déprédations inévitables. Prêtre dévoué, il prodigua inlassablement les secours de son ministère non seulement à ses fidèles, mais aux quelques habitants restés à Bénaménil, Fréménil, Buriville et Reclonville, ainsi qu'à une multitude de nos soldats.

(1) M. le Doyen perdait également M. l'abbé DUPRÉ, Son vicaire, qui, à
peine rentré en France, fut mobilisé seulement quelques jours. il fut ensuite réformé.

 

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