Le progrès de Lyon - Mai/Juin 1915
A BLAMONT
Sous la Botte allemande
I
Prétextant l'impossibilité de
nourrir la population civile du territoire français qu'ils
occupent en ce moment, les Allemands ont obligé nombre
d'habitants à s'en aller. Par groupes, ils ont été conduits en
Suisse d'abord et, de là, en France, où ils ont été répartis par
les soins des autorités.
Sur la route de Lyon à Paris, dans une des plus jolies localités
du pays du Beaujolais, vivent en compagnie de leur mère, deux
jeunes Lorraines, évacuées de Blamont. Elles ont été les témoins
de l'invasion des troupes tudesques et ont vécu plusieurs mois
sous leur domination. L'une d'elles a consigné le souvenir des
choses qu'elle a vues, et nous en fait le récit :
La petite ville de Blamont compte environ dix-sept cents
habitants. Elle fait partie de l'arrondissement de Lunéville,
est située à cinq kilomètres de la frontière, sur la ligne du
chemin de fer d'Avricourt à Cirey.
C'est le 5 août qu'apparut chez nous la première patrouille
allemande, qui se borna à une simple reconnaissance, faite à
distance, mais le lendemain, vers six heures du matin, une
seconde patrouille de vingt hommes arrivait brusquement et
s'arrêtait devant la gare qui est la première maison de la
ville, côté frontière.
Inquiète et n'ayant presque pas dormi de la nuit, j'étais dehors
de grand matin ; je regardais le long de la route. Tout à coup,
j'aperçus les casques des uhlans et me précipitant vers la
maison, je criai :
- Papa, les voilà qui arrivent !
Presque aussitôt, les Allemands furent à l'entrée de la gare.
Ils y pénétrèrent baïonnette au canon et revolver au poing. Le
chef de gare se présenta. Ce furent des menaces inintelligibles
quant aux paroles, mais suffisamment expressives pour qu'il soit
possible de les comprendre :
- A mort ! à mort ! crièrent-ils, si soldats frandzouses là-haut
!
Et ils désignaient la partie supérieure de la gare, les
toitures, croyant que des soldats français pouvaient être cachés
dans les greniers.
Malgré l'assurance qui leur est donnée qu'aucun Français ne se
trouvait ni présent, ni caché, ils veulent tout visiter.
Ils obligent le chef de gare à passer devant et ils le suivent,
les uns tenant un revolver dans chaque main. Ils trouvent
d'abord de la paille, ce qui éveille fortement leurs soupçons.
En effet, deux jours auparavant, des douaniers avaient couché
dans la gare. Aucune pièce n'est épargnée ; tout est fouillé,
les placards, les armoires, les lits sont jetés sens dessus
dessous. Au grenier, un pauvre chat épouvanté s'élance de
derrière une caisse et se précipite affolé dans les jambes des
Allemands, aussi effrayés que le chat, par le bruit qu'il a fait
en se sauvant.
La visite est achevée. Ils sont convaincus maintenant qu'il n'y
a aucun soldat français pour les déranger, et la destruction va
commencer. Ils brisent les guichets, les bureaux, les appareils
télégraphiques ; tout le matériel y passe.
Le lendemain arrive un escadron de chasseurs à cheval français.
Les Allemands s'en vont. Le 8 août ils reviennent en grand
nombre, envahissent les rues de la ville et se précipitent dans
les maisons. Les scènes de pillage auxquelles ils se livrent
sont indescriptibles. Il faut avoir vu ces choses abominables
qu'aucune revanche n'effacera de la mémoire de ceux qui en ont
été les témoins. Nombre de maisons ont été mises à sac, sans
distinction, pauvres ou riches. Ces actes de banditisme sont
accomplis surtout dans la nuit.
Tout d'abord en arrivant, une jeune fille, Mlle C..., âgée de
22 ans, dont le père tenait un hôtel, est tuée lâchement. Au
moment où arrivaient les troupes allemandes elle se trouvait
dans un champ, non loin de la route et coupait de l'herbe au
moyen d'une faucille. Apercevant des soldats, elle regarde dans
leur direction. Sans explication, ils tirent dessus. La jeune
fille tombe morte.
La bijouterie Watrinet-est entièrement dévalisée ; mais où
l'appétit teutonique donne sa mesure, c'est dans les caves.
Blamont comptait un certain nombre de marchands de vins en gros
dont les entrepôts étaient abondamment pourvus. Des caves de
particuliers étaient également bien garnies, autant en vin rouge
de premier choix qu'en bouteilles de champagne.
Ce forent pendant des heures les libations les plus gloutonnes.
Durant toute une journée les tonneaux sont mis à contribution ;
le champagne est débouché. Ce qui n'est pas bu s'en va, robinets
ouverts sur le sol, par hectolitres.
Sous l'influence de l'ivresse toute la fureur de la brute
allemande se donne libre cours. Le pillage recommence chez les
particuliers, dans les magasins et dans les usines. Cette fois
méthodiquement, ils chargent des ballots de marchandises qu'ils
emportent.
La chocolaterie Burrus est dévalisée. On emporte toute la
fabrication trouvée en magasin et, ô ironie, on voit le
lendemain des soldats donner des tablettes de chocolat aux
enfants.
Le pillage amplement pratiqué, les Allemands songent à leur
installation à Blamont. Ils ont obligé tous les propriétaires
d'armes à feu à les porter à la mairie. Les soldats s'installent
chez les particuliers, prennent possession de leurs
appartements, de leurs lits.
Toutes les mesures de sécurité sont prises par eux. Ordre est
affiché pour tous les habitants d'être rentrés à huit heures du
soir. Les volets seront laissés ouverts et sur chaque fenêtre
sera posé une bougie ou une lampe éclairée.
Ces ordres sont exécutés ponctuellement ; la population est
terrorisée.
Un propriétaire, M. Barthélemy, âgé de 85 ans, pose chaque soir
les bougies à ses fenêtres. Il se rend dans son salon pour y
poser la dernière lumière ; la persienne est à demi
entr'ouverte, pendant qu'il l'ouvre pour y placer sa bougie il
est visé. Une balle l'atteint à la tête et le malheureux
vieillard tombe. Entendant le coup de feu, la cuisinière
accourt. Elle voit son maître étendu, dans le sang, ne donnant
plus signe de vie. Elle a compris le crime qui vient d'être
commis et ne peut s'empêcher de faire entendre ses malédictions
contre les assassins.
Mme Barthélemy la prie de se taire, craignant encore de pires
représailles. Mais la cuisinière est une gaillarde ; elle n'est
plus une jeune fille et n'a pas froid aux yeux. C'est une femme
du peuple, Lorraine mûrie par l'épreuve ; elle proteste et
maudit avec raison. Le lendemain quand un officier allemand
vient faire une enquête, tout le monde tremble dans la maison ;
il trouve cependant devant lui la cuisinière, Mme Poucher, qui
lui renouvelle son indignation avec énergie.
- On a, dit-il, tiré des fenêtres de cette maison sur nos
soldats.
- C'est faux, monsieur, répond-elle, je n'ai pas peur de dire la
vérité. Est-ce qu'un vieillard de 85 ans tire comme ça des coups
de fusil ? Est-ce que c'est du bon sens, ce que vous dites-là ?
Et le reitre est confondu devant l'attitude de cette femme
courageuse. Il se retire exprimant quelques regrets :
- Que voulez-vous..., c'est comme ça, on n'y peut rien...
Le cadavre du vieillard est descendu devant la porte de sa
maison. Il y reste deux jours avant d'être enterré. Ce n'est
qu'au bout de ce temps que son corps est porté au cimetière,
sans convoi, sans cercueil.
(A suivre)
A BLAMONT
Sous la Botte allemande
II
Tout le monde était dans la
terreur. Les Allemands toujours ivres, tiraient des coups de
fusil à tort et à travers. La nuit c'étaient des feux de salves
épouvantables. Le lendemain toute la population était menacée
sous prétexte qu'on avait tiré sur eux. Ce qui était faux.
Plusieurs personnes ont reçu des coups de crosse de fusil,
d'autres ont été mises en joue.
Un jour, sons prétexte encore qu'on avait tiré sur les
Allemands, les habitants reçurent l'ordre de se rendre à
l'église. Ils furent interrogés, fouillés. Ne trouvant rien on
les relâcha, mais à mesure qu'ils traversaient les rues pour
rentrer chez eux, les coups de fusils partaient de toutes les
directions ; il fallait se baisser, glisser le long des murs
pour éviter les balles qui sifflaient. C'est miracle que
personne n'ait été tué.
Nous avons vécu ainsi jusqu'au 14 août, dans des transes
mortelles. A ce moment les troupes françaises se sont
approchées. On a entendu le canon et j'ai vu le général allemand
qui était à Blamont monter en auto et prendre le chemin de la
frontière. Il était vraiment temps, car paraît-il, la ville
devait être brûlée le 15 août. Pendant deux jours nous avons vu
les Allemands rebrousser chemin.
Puis, la canonnade et la fusillade ont redoublé d'intensité.
Nous sommes descendus dans les caves. Le lendemain les Français
étaient là. Nous pensons bien ne plus jamais revoir les
Prussiens, mais malheureusement ils s'étaient retirés pour mieux
attirer les nôtres.
Le 19 et le 20 août, nous entendions avec désolation le canon se
rapprocher. Le 21, dès le grand matin, nos soldats retournaient
bien fatigués et tous dispersés.
Chacun parlait de fuir pour ne pas revoir ces sauvages. Dans
l'après-midi, voyant l'artillerie française refoulée, nous nous
sommes sauvés. Nous avons pu faire seize kilomètres. Au bout de
ce parcours nous nous sommes trouvés entourés par les troupes
allemandes qui débouchaient de toutes les directions. Impossible
d'aller plus loin.
Le 25 août, ne sachant plus quel parti prendre, nous nous sommes
décidés à retourner à Blamont. Nous ayons donc été voir un
commandant allemand qui nous a donné un soldat pour nous
accompagner et nous garder.
A chaque instant un officier nous arrêtait :
- Gare à vous, disait-il, si soldats frandzouses là-bas !
A quelques kilomètres de Blamont, nous nous sommes trouvés en
pleine fusillade. C'était terrible. Nous ne croyions jamais en
sortir. Nous avons franchi les lignes allemandes, puis nous
retournant nous avons vu le feu aux quatre coins du village que
nous venions de traverser.
La frayeur nous a fait courir jusqu'à Blamont. Routes, champs et
bois, ce n'était que des Allemands.
Arrivés sur la place, un officier nous arrête, nous emmène au
poste et nous dit :
-- Vous avez tiré sur nos troupes, vous serez tous fusillés:
Ils étaient hantés par cette idée que les civils pouvaient tirer
sur eux, et ils en étaient effrayés.
Les enfants se sont mis à pleurer en criant :
- Monsieur, je serai gentil.
Le spectacle était navrant.
Ils nous ont fouillé. Voyant que nous n'avions pas d'armes, ils
nous ont laissé sur place.
Au bout d'un instant nous entendons une nouvelle fusillade, les
balles sifflent de tous côtés. Une est entrée dans la salle où
nous étions. Nous avons cru notre dernière heure arrivée.
C'étaient les Allemands qui tiraient à travers la ville, sous
l'influence de l'ivresse, sur des ennemis imaginaires.
A sept heures du soir on nous emmène à l'église où les
habitants, depuis deux jours, allaient pour y passer la nuit.
Arrivée là, j'en suis ressortie, avec ma famille, pour aller
vers notre maison. On pouvait à peine circuler dans les rues,
encombrées de troupes allemandes. Enfin, nous voilà devant chez
nous. Un officier nous dit :
- C'est tout à fait impossible d'occuper la maison. Allez
ailleurs ; la voisine ne peut pas refuser de vous recevoir.
Nous y allons. La maison était pleine d'au moins deux cents
soldats.
Les deux factionnaires qui étaient à la porte d'entrée ne
voulaient pas nous laisser passer.
- Heraus (dehors), disaient-ils.
Sur l'ordre de l'officier ils nous laissèrent entrer. On nous
introduisit dans une petite chambre où il y avait juste un
matelas par terre, qui devait suffire à sept personnes. Nous
sommes restés dans cette situation pendant quinze jours, gardés
par deux factionnaires.
La première nuit a été terrible. On entendait le bruit effrayant
du canon et de la fusillade ; deux maisons brûlaient, et les
soldats nous faisaient comprendre que la nôtre brûlerait aussi.
Nous n'osions pas descendre ; c'était d'ailleurs difficile. La
maison était si pleine d'habitants que les Allemands couchés par
terre, harassés de fatigue, se touchaient tous. Ils ne
bougeaient pas et il fallait leur marcher dessus pour sortir.
Parfois, lorsque nous étions dehors, il en venait qui
cherchaient à nous parler. Ils prenaient un air narquois et
réjoui et nous disaient :
- Nous avons pris le grand fort de Manonvillers. Nous sommes à
Toul et à Verdun et nous marchons sur Paris. Les Frandzouses
tous kaput. Deutsch nicht kaput.
C'est-à-dire tous les Français seront tués, mais pas les
Allemands:
Un officier à cheval nous arrête, un jour, et nous demande :
- Pourquoi les habitants sont-ils partis ?
Nous lui répondons que c'était parce qu'ils avaient peur des
batailles. Il ajouta:
- Où sont-ils ? A Paris. Mais demain nous livrerons une grande
bataille à Paris.
(A suivre)
A BLAMONT
Sous la Botte allemande
III
Entre temps le pillage avait
continué. C'est le tour d'une fabrique de velours. Les Allemands
s'emparent de tout ce qui est manufacturé. Il y a des pièces
pour ameublement, avec dessins et ornements. Ils en font des
ballots qu'ils expédient en Allemagne.
Le velours fantaisie employé aux costumes féminins est aussi
déménagé. Il y en a de toutes couleurs : noir, bleu, mauve. Des
officiers en font doubler leurs manteaux. Il y a des velours de
travail, les soldats s'en font faire des vestes. Ils s'adressent
aux vieux tailleurs restés dans la ville. Les uns paient la
façon, d'autres oublient de payer ; mais il faut exécuter quand
même les commandes.
Le velours pillé est abondant. Impossible de l'utiliser
complètement. On jette alors des pièces entières dans les rues,
dans les écuries, pour servir de litière, aux chevaux. La
cavalerie marche sur le velours, C'est écoeurant,
Les fabriques de toileries sont aussi cambriolées. Après le
vêtement il faut songer au linge de corps. Les soldats du Kaiser
se font faire des chemises, des caleçons et des mouchoirs par
les dames de la ville. Il faut travailler, exécuter les ordres.
Nous sommes, chez nous, dans notre maison, relativement moins à
plaindre que d'autres, et cela à cause de la présence d'un
officier qui y est logé. Il y a un factionnaire à la porte qui
nous a préservé du pillage. J'ai été obligée de faire des
chemises et de border des mouchoirs pour un soldat. C'était un
Saxon qui n'était pas trop sauvage, à comparer surtout aux
Bavarois, qui ont été vraiment féroces et brutes. Il m'a
manifesté sa reconnaissance en m'apportant du café, du pain, de
la viande et aussi des pommes de terre. Un jour, il arrive à la
maison avec une pièce de velours, qu'il avait volée, bien
entendu. Il me l'offrit en disant que Je devais m'en faire une
robe. Comme il ne parlait pas français, il dut se livrer à une
mimique impossible pour se faire comprendre.
Puis, posant l'étoffe sur mes bras, il finit par prononcer les
mots : Belle, belle, toi... robe.
Je compris, et plutôt que de le laisser remporter la pièce, qui
était invariablement perdue, je la pris avec l'intention de la
rendre plus tard à son propriétaire.
Je lui demandais sa profession ; il me répondit qu'il était
tapissier à Hambourg, mais en un tel jargon que je compris qu'Il
était tapissier de l'empereur. Je crus, pendant un certain
temps, qu'il avait le fatal honneur de décorer les palais
impériaux. C'était pour le moins un garçon gai : il chantait et
dansait une partie de la journée. Dès qu'il apercevait mon père,
il redevenait grave et demandait. . « Homme ? homme ? qui ? » Je
lui répondais : « Papa ».
Et il s'en allait en grommelant des mots inintelligibles.
Nous avons vécu ainsi pendant plusieurs mois sons un régime que
vous devinez des plus désagréables.
Les Allemands avaient saisi toutes les farines qui se trouvaient
dans le pays, et les avaient expédiées en Allemagne. En échange,
ils sont venus revendre aux habitants une autre farine mêlée de
sarrazin, au prix de 0 fr. 75 le kilogramme. Le pain valait de
douze à treize sous le kilo. Et quel pain ! Enfin, nous avions
beaucoup de mal à avoir des vivres. Nous faisions queue chez le
boulanger et l'épicier. Deux factionnaires étaient à la porte de
chaque magasin et faisaient servir les soldats avant les civils.
Ils entraient dans les maisons à toute heure et la première
question était de demander s'il y avait des hommes et quel était
leur âge, Ils ont emmené prisonniers les hommes de 17 à 48 ans.
D'autres, plus âgés, ont passé plusieurs jours enfermés au
poste. Toutes les maisons inhabitées ont été pillées de fond en
comble et les meubles emmenés dans les tranchées. Ils ont
arraché les traverses de la ligne du chemin de fer également
pour leurs tranchées.
Plus tard, la difficulté de s'approvisionner n'a fait
qu'augmenter. Les épiciers manquaient de marchandises. Les
habitants étaient obligés d'aller à la cantine des soldats, mais
souvent ceux-ci refusaient de leur vendre le plus petit produit.
Ils répondaient qu'ils n'avaient rien pour les civils. En
dernier lieu, nous n'avions plus que cent-vingt-cinq grammes de
pain par jour et par personne. Et quel pain !
Ceux qui ne pouvaient pas s'en procurer en étaient réduits à
ramasser les morceaux jetés par les soldats qui en avaient en
abondance.
Un jour, en passant dans la rue, un officier nous dit :
- Ce sont les Anglais qui sont la cause de la guerre ; la France
devrait donner la main à l'Allemagne pour abattre l'Angleterre.
Et dire qu'on ne pouvait rien leur répondre.
Les perquisitions n'étaient pas suspendues avec le temps. A
chaque instant ils entraient dans les maisons et emportaient ce
qui leur convenait, poussant les gens à coups de baïonnettes.
Tous les jours nous entendions le canon. Bien souvent des obus
français venaient éclater tout près de la ville et même
quelquefois sur les maisons.
Les Allemands étaient tellement méfiants que tous les soirs il
fallait s'enfermer hermétiquement pour que l'on ne vit pas la
lumière au dehors, car s'ils la voyaient ils prétendaient qu'on
faisait des signes aux Français. Vers la fin du mois de mars, le
commandant a prévenu les habitants que l'Angleterre ne leur
laissant plus passer de vivres, ils ne pouvaient plus nous
nourrir ; ils se voyaient obligés de nous envoyer dans
l'intérieur de la France.
En attendant, ils ont reconstruit la gare de Blamont, réparé la
voie ferrée. Ils cultivent les terres des propriétaires, se
servant des produits et vendant le surplus aux habitants.
La date de notre départ a été fixée au 17 avril. Des affiches
terrifiantes ont été apposées. Défense d'emporter de l'or, des
valeurs, des écrits, des plans ou indications des troupes
allemandes, sous peine de mort. Toutes les personnes seront
fouillées et si un objet défendu est trouvé, tout le convoi sera
arrêté.
Malgré cette menace, ils n'ont fouillé personne. Nul,
d'ailleurs, n'a osé emporter même des papiers de famille.
Nous ne nous réjouissions d'ailleurs pas de partir, parce que
nous croyions toujours qu'ils nous retiendraient tous
prisonniers en Allemagne, mais tout le long du voyage ils ont
été assez aimables, sans doute parce que nous allions rentrer en
France. En Suisse comme en France, nous avons été très bien
reçus, et nous nous souviendrons toujours du bon accueil qui
nous a été fait partout. |