Dans son 1914 - Histoire
illustrée la Guerre du Droit (Paris - A.Quillet - 1916) -
Émile Hinzelin écrit : « A la date du 10 août, les fantassins
allemands et bavarois ont, dans la région de Barbas, Harbouey,
Nonhigny, Montreux et Parux, systématiquement incendié les
villages qu'ils ont traversés, alors que, durant l'action, aucun
tir d'artillerie, de part et d'autre, n'avait pu provoquer
d'incendie. Dans la même région, ils ont obligé les habitants à
précéder leurs éclaireurs. »
Ce 10 août, Nonhigny devient donc aussi la cible des Bavarois,
qui tuent pillent et incendient (voir les
nombreuses cartes postales
allemandes).
Nous avons eu la chance de visionner le témoignage filmé en 1979
de Marguerite Freismuth, âgée de 13 ans à l'époque, et dont
quelques éléments sont retranscrits ci-dessous.
Les quatre victimes civiles citées dans ce témoignage sont
-
Joseph-Jules Victor
Bertrand,
-
Alfred Chatton,
-
Théophile Gerard,
-
Jean-Baptiste Jeanjean.
Comme dans d'autres cas de
massacres de civils en Belgique et en France, des officiers
allemands seront symboliquement condamnés par contumace, par des
conseils de guerre qui siègeront encore bien longtemps après
l'armistice. Dans le cas de Nonhigny, il faudra attendre 1925
pour une sentence de 20 ans de travaux forcés (qui ne sera
évidemment jamais exécutée), contre le général Albert von Schoch
(1860-1943) commandant la 1ère division d'infanterie
du Ier corps bavarois (général von Xylander) de la 6ème
armée allemande.
Le Rappel
(ou La Lanterne)
17 juillet 1925
UN SOUDARD ALLEMAND
Le général Schoch est condamné
Nancy, 16 juillet. - Le 10 août 1914, deux régiments
bavarois, commandés par le général Schoch, entraient à
Nonhigny (Meurthe-et-Moselle). Un soldat bavarois en
état d'ivresse ayant tiré un coup de fusil, les
Allemands prétendirent que les habitants avaient fait
feu sur leurs troupes. Le général Schoch fit arrêter le
maire et l'adjoint, deux vieillards, MM. Jules Bertrand
et Chatton, qui furent fusillés séance tenante.
Ce double crime accompli, les soldats enlevèrent les
plus beaux meubles des habitants, qui furent chargés sur
des camions, puis ils incendièrent le village, dont 47
maisons, ainsi que la mairie et l'église, furent la
proie des flammes.
Jugé aujourd'hui par le conseil de guerre du 20e
corps d'armée, le général Schoch a été condamné, par
contumace, à 20 ans de travaux forcés et 20 ans
d'interdiction de séjour. |
Extrait du témoignage filmé en 1979 de Marguerite Freismuth :
« Ma plus jeune soeur avait 15 mois, papa était mobilisé, et
nous étions donc seules avec maman. Le 10 août 1914, on a été
envahi par les Allemands, qui se sont mis à brûler toutes les
maisons, on ne sait pas pourquoi, et je me rappelle avoir été à
une fenêtre du premier étage, et les voyant amener des fagots
sous les granges. [...] Maman avait fermé toutes les portes à
clefs. On a entendu des coups de crosse. Alors nous nous sommes
sauvées : ma petite soeur était couchée [...] Elle est allé la
chercher, elle l'a prise dans ses bras et on est parti. Nous
nous sommes cachées sous un sureau qui avait une grande retombée
dans le jardin. Et les Allemands sont venus, ils ont cherché
[...] Ils ne nous ont pas vues. On est resté cachées là jusque
ce que les braises tombent sur notre dos et qu'il ait fallu s'en
aller.
« La maison a brulé. Papa était charron, il avait beaucoup de
bois d'avance ; la maison était très grande, il logeait du
fourrage pour les autres cultivateurs, pour trois. La maison a
pris feu en haut par les oeils de boeufs, avec des balles
incendiaires, et puis par le bas, dans la cave, ça a flambé.
Par bonheur, maman avait fait la lessive ce jour là et papa lui
avait installé un grand bac d'eau [...] Il ne nous est resté que
ce linge là pour nous changer. Son baquet était grand,
volumineux : tout ce qui dépassait au-dessus de l'eau a été
brulé, alors nous avons eu le linge qui était en dedans. Des
armoires pleines, des trousseaux, des pièces de toile, jusqu'au
mobilier... [...] Avant de partir papa avait dit « on ne sait
jamais ce qu'il peut arriver ». Il a fait un trou dans un
hangar, avec une lessiveuse : il a mis ses vieux contrats, ils
avaient leurs économies, [...]. C'est comme ca qu'on a eu un peu
d'argent. mais alors on a du aller les chercher que quand les
cendres ont été refroidies. C'était bouillant, c'était chaud.
[...] Je me souviens, avec elle on s'est mises assises dans un
coin où il y avait du sable pour frotter les pièces de 5 francs
tellement elles étaient noires. [...] »
« J'avais regardé toutes les maisons qui brulaient, [...] je
voyais les soldats allemands mettre des fagots dans les granges,
dans les tas de foins, et je les regardais. Il y a eu quatre
hommes qui ont été tués : un de mes cousins, il a ouvert la
porte de grange, comme ça, pour la bienvenue : ils lui ont fendu
le crâne, il est mort. Il y en a un autre, qu'ils ont emmené, et
comme il ne marchait pas assez vite, il a reçu un coup de
revolver, et ils l'ont jeté dans le fossé. Un troisième, on ne
l'a pas retrouvé. Sa femme a entendu des coups de feu : ils ont
toujours dit qu'il avait été mis à la cave, et toute la maison
s'est écroulée dessus, on ne l'a pas retrouvé. Et le
quatrième... ? La femme d'Ernest, pendant que nous étions sous
notre sureau qui nous cachait, était de la maison voisine : elle
s'est sauvée avec son petit garçon qui avait quatre mois, et les
balles sifflaient partout : une balle lui a traversé la bras,
s'est logée dans le ventre de l'enfant ; alors elle s'est
écroulée. Dans sa famille, quelqu'un est passé, lui a ramassé
l'enfant et puis les Allemands l'ont emmenée. Finalement elle a
eu le bras gangrené, en plein mois d'août avec la chaleur.
L'enfant n'est pas mort [...]. »
« Autrefois il parait qu'il y avait un monastère dans les
environs et que chez nous c'était l'huilerie. [...] En remontant
au premier étage c'était un escalier tournant en pierre, et sous
ces escaliers, papa avait fait sa cave de vin. Les bouchons ont
brûlés, le vin a cuit. [...] » |