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Front d'Ancerviller - Septembre 1914


Le Réveil des APG du Centre
Juillet 1925

A l'instar de Vingré (*)

A la suite du brusque recul des Allemands sur tout le front le 10 sept. 1914, il s'ensuivit un flottement général bien compréhensible. On ne savait exactement ni d'un côté, ni de l'autre, qui on avait en face de soi, aussi chacun restait-il prudemment sur la défensive.
A cette époque mon régiment était cantonné à Baccarat dans les casernes des chasseurs a pied. Une zone neutre de 10 km. séparait les adversaires. A chaque instant des patrouilles partaient en reconnaissance et rentraient souvent sans avoir rien vu. Le haut commandent était inquiet. Cette situation ne pouvait durer.
Le 23 septembre à minuit mon bataillon reçoit l'ordre de partir. Où ? on n'en sait rien. Au petit jour nous arrivons à Ancerviller. Précédés de patrouilles, dont je faisais partie, les Compagnies s'avancent avec prudence en se défilant le plus possible des observatoires éventuels. Nous arrivons à la clairière d'un bois. Rien, On avance et on arrive dans un terrain découvert. Pas un boche ni un bruit. On part au pas gymnastique et on arrive à la lisière d'un autre bois. Toujours rien. Cela devient angoissant. L'arme à la main et les épaules basses nous rampons sous les hêtres et arrivons sans encombre à la lisière opposée. Le sous-lieutenant qui nous commande nous fait aplatir dans l'herbe et donne l'ordre à une patrouille de se porter en avant. Le sergent qui la commande revient en toute hâte dire qu'il avait aperçu 2 cavaliers ennemis en observation derrière un tertre et qui, se sont éclipsés à son arrivée. Cette fois çà y est nous disons-nous et on attend.
Les Boches aussi attendaient en face que tout le bataillon se soit engouffré dans le bois, pour témoigner leur présence, deux éclairs fulgurants suivis de deux détonations et nous nous rendons compte facilement que nous sommes repérés. Les Boches méthodiques tirent loin derrière nous formant barrage puis raccourcissent le tir. Maintenant c'est au-dessus et autour de nous que les fusants crépitent. Nous formons la carapace. Un camarade à côté de moi a un doigt fracassé par un shrappnell. La situation devient critique. Nous apercevons nettement les départs des canons boches tout près, aussi le lieutenant jugeant notre sacrifice inutile, nous donne-t-il l'ordre de nous replier sur la 19e Cie qui se trouve en soutien. Chacun se défile comme il peut. Mais en passant sur le terrain découvert les percutants entrent entrent en danse, un obus tombe à 20 m. de mon groupe et fait voler en miettes un sergent et 2 hommes. Nous ne nous voyons pas dans La fumée. Enfin voilà le bois. nous le traversons en trombe en exécutant couchez-vous, et levez-vous sans qu'il soit besoin de nous commander et nous arrivons sur une ligne de tirailleurs postés derrière le talus de la route. Le colonel se trouve là. D'où venez-vous? Le sergent lui répond : nous sommes à la recherche de la 19e Cie sur laquelle notre lieutenant nous a dit de nous replier. C'est faux crie le colon ,on n'a pu vous donner cette ordre repartez immédiatement rejoindre votre Cie et vous aurez de mes nouvelles. Le sergent sera cassé et les hommes passeront au conseil de guerre pour abandon de poste !!! Nous repartons et tombons sur notre Cie qui se reformait derrière un mamelon. Le capitaine ayant fait l'appel, nous lui disons d'où nous venons.
Le lieutenant dit ne pas se souvenir nous avoir donné l'ordre de repli et cependant lui s'est replié tout seul !! Le capitaine prend nos noms et nous fait mettre à part
La mission du bataillon étant terminée, on se met en route pour revenir à Baccarat.
Derrière nous Harbouey brûle, les boches le croyant occupé par nous l'ont incendié. Nous attendons la nuit pour revenir.
Chemin faisant un motocycliste nous arrête et remet un pli au colonel. Changement de direction. Au lieu de revenir à Baccarat nous nous dirigeons sur Badonvillers qui brûle. On y arrive à 3 h. du matin pour y relever le 97e d'Infanterie qui va s'embarquer à l'arrière pour le front nord nous dit un renseigné.
Au matin on demande des volontaires pour partir en patrouille aussi loin que possible. Je me présente avec 5 ou 6 copains et en route l'arme à la main. On arrive à Bréménil. Rien. Une demi-heure après nous voilà à Parux. Un civil nous crie: N'allez pas plus loin, les Uhlans, viennent à chaque instant. Peu nous importe nous continuons notre avance jusqu'à 1.500 m. de Cirey. Des cavaliers ennemis en observation sur des crêtes, se replient à notre approche. Nous décidons de revenir sur nos pas mais en procédant par bonds et dans les talus de la route.
Pour nous chaque bruit est suspect. Aux approche de Parux un vacarme ahurissant nous arrête. Qu'y a-t-il ? Avec un camarade je pars en avant et en arrivant aux premières maisons nous manquons d'éclater de rire. Un chat devenu fou miaulait à la mort et finissait de mettre en lambeaux les étoffes et les papiers épars dans une pièce sans ouvertures. Nous le laissons à sa besogne et rentrons rendre compte de notre patrouille. Un officier d'état-major de la division qui se trouve là recueille nos renseignements et repart à toute bride sur Baccarat. Il n'est plus question de nous faire passer au Conseil. Le capitaine est content de nous voir revenir sains et saufs, pour un peu il nous proposerait pour l'avancement.
Le lendemain le communiqué disait : «  Une reconnaissance partie de Baccarat s'est avancée jusqu'à 1.500 m. de Cirey ».
Quant au motif de notre reconnaissance de la veille nous l'apprîmes plus tard d'une façon indiscrète. Il s'agissait ni plus ni moins que de se rendre compte de l'importance de l'artillerie boche qui pouvait se trouver en face de nous. Pour ce faire on avait envoyé un bataillon chargé de recevoir les obus qui devaient servir à l'E.-M. à compter les pièces !!

F. CAILLOU.
217e R.I. Camp de Wittemberg.

* NDLR : A Vingré dans l'Aisne, le 27 novembre 1914, deux escouades du 298e R.I. se replient sous le feu d'un bombardement allemand, puis reprennent position à la fin de ce bombardement. Prévenus d'abandon de poste en présence de l'ennemi, les soldats indiquent avoir reculé sur ordre du sous-lieutenant, qui nie avoir donné cet ordre. Le 3 décembre, le conseil de guerre spécial désigne 6 soldats par tirage au sort, qui sont fusillés pour l'exemple le 4 décembre 1914.

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