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Léon Marchal (1867-1908), missionnaire au Transvaal


Le Transvaal, région située dans le nord-est de l'Afrique du Sud, devient en 1852 un état indépendant comprenant 5000 familles Boers (pionniers blancs essentiellement originaires des régions néerlandophones d'Europe). La république d'Afrique du Sud est créée en 1856, mais en 1877 l'Empire Britannique annexe le Transvaal. Le vice-président de la république, Paul Kruger, s'y oppose et organise une résistance armée : les combats de 1880 à 1884 rendent sa pleine souveraineté au Transvaal.

Le développement économique (notamment les mines d'or) entraîne une nouvelle crise en 1899, et mène les Boers dans une nouvelle guerre contre les britanniques. Cette seconde «  guerre des Boers » sévit pendant deux ans, avec les défaites de Bloemfontein (mars 1900), Mafeking (mai 1900) et Pretoria (juin 1900), détruisant le terres de l'Orange et du Transvaal, et conduisant à l'internement dans des camps britanniques de plus de 100 000 Boers. En mai 1902, le Transvaal et l'État libre d'Orange sont définitivement annexés à la couronne britannique.

Dès 1862 les oblats de Marie-Immaculée s'étaient implantés en Afrique du Sud, et la première mission catholique avait été crée au Basutoland (actuel Lesotho).

Pierre Léon Marchal est né à Blâmont le 28 juin 1867, fils de Jules Marchal, commissionnaire, et Camille Cayet.
La semaine religieuse de Nancy nous apprend que :
  • Léon Marchal est déjà au Transvaal lorsque décède sa mère, Camille Cayet (le 14 mars 1899). Il y est apparemment depuis environ un an, puisque Les Annales de la propagation de la foi de 1898 (second numéro de l'année, n° 417) indiquent «  DEPARTS DE MISSIONNAIRES [...] Voici les noms des membres de la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée partis récemment pour les missions: [...] pour le Transvaal, les RR. PP. Alexandre Baudry (Angers), Léon Marchal (Nancy), Casimir Valette (Viviers), [...]  »
  • Léon Marchal participe à cette seconde guerre des Boers dans le camp britannique, dont dépendent les missions (voir l'extrait ci-dessous du bulletin hebdomadaire de l'Oeuvre de la propagation de la foi) ; il est d'ailleurs attaché aux Royal Inniskilling Fusiliers, brigade irlandaise du général-major Fitzroy Hart.

La Semaine Religieuse du Diocèse de Nancy & de Toul - Ed. Nancy
28 mars 1908 - n° 13 - p. 256

Nécrologie.
Le R. P. Marchal, Oblat de Marie-Immaculée, est mort à Lapanne (Belgique), le jour de la Saint-Joseph, des suites d'une anémie infectieuse qu'il avait contractée, durant un séjour qu'il fit au Transvaal, comme missionnaire : il avait à peine 40 ans.
Déjà miné par la maladie, il s'était dépensé sans compter, depuis plusieurs années, pour rendre service à ses anciens confrères du diocèse de Nancy. Il y a quelques semaines encore, il donnait à Goviller et à Gugney des missions très goûtées et très fructueuses, et il devait prêcher à Strasbourg les quatre dernières semaines du Carême.
Il est donc tombé les armes à la main, et l'on peut dire qu'il a usé le reste de ses forces à cultiver notre terre lorraine. Nos prières hâteront pour lui le jour de la délivrance et nous espérons que ses suffrages nous obtiendront que la semence qu'il a jetée, lève en une belle et riche moisson.
Ses funérailles ont été célébrées lundi, à Blâmont, son pays d'origine, en présence d'un bon nombre de prêtres, ses condisciples ou ses amis.
Nous prions ses regrettés confrères, ces dévoués gardiens de Notre-Dame de Sion, d'agréer nos respectueuses et bien vives condoléances.
E. M.


La Semaine Religieuse du Diocèse de Nancy & de Toul - Ed. Nancy
4 avril 1908 - n° 14 - p. 271

Le R. P. Marchal
OBLAT DE MARIE-IMMACULÉE.

A l'heure même où, dans le champ du père de famille, allaient commencer les divines semailles dont le Carême marque le retour, un des meilleurs ouvriers, requis pour un travail de choix, sentait ses forces le trahir. Le P. Marchal, le missionnaire au merveilleux entrain, était venu dans la famille de sa soeur, avant d'aller prêcher a Strasbourg; et, là, saisi peut être du pressentiment de sa fin prochaine, comprenant qu'il était pour la première fois dans la douce atmosphère de la famille, peiné surtout de se sentir à bout, il se laissait tomber dans un fauteuil, et pleurait ...
Puis, il brusqua ses adieux, et, comme l'oiseau blessé qui fuit son nid pour y mourir, il regagna sa résidence de La Panne, chère retraite qu'il aimait, comme tout religieux, sa cellule, et tout fondateur, la maison qu'il élève au prix de mille sacrifices : in nidulo meo morior. - C'est là, à deux pas du sol français, qui semble ne vouloir plus offrir à ses meilleurs enfants de quoi reposer la tête, même pour rendre le dernier soupir, qu'il est mort, le mercredi 18 mars dans les sentiments de la plus admirable piété, résigné calme et confiant, aux premières Vêpres du patron des agonisants, visité de Jésus, et béni par son Vicaire, N. S. Père le Pape.
Après le service célébré à La Panne, son corps fut ramené à Blâmont, où les obsèques eurent lieu le lundi suivant. Et tandis qu'escortant sa dépouille, nous parcourions les rue de sa ville natale, nous évoquions l'image de l'enfant espiègle qui les réjouissait, il n'y a pas trente ans : fougueux et batailleur, à telles enseignes qu'aux approches de sa première communion, ayant calculé très exactement, pour en faire le complet aveu, le nombre de fois qu'il s'était battu, mettant en moyenne trois combats pour deux jours, il était arrivé à un total formidable, qui provoqua, disait-il, cette exclamation de son confesseur: «  Mais, vous êtes donc un Tamerlan ! ». Nous le revoyons ensuite, séminariste en vacances, rapportant à la maison paternelle, avec le récit de quelques escapades (inoffensive rançon des richesses de sa nature exubérante), sa résolution de plus en plus affermie d'être missionnaire en pays lointain.
Quand, le ramenant a l'ombre de son église, nous perçûmes le salut des cloches à celui qui revenait reposer au pays natal, il nous semblait entendre encore, car vraiment 1890 n'est pas une date si éloignée, les sonneries de sa première Messe. Que de chemin parcouru depuis ! Que d'âmes évangélisées ! Et puisqu'il fut religieux excellent, apôtre du Transvaal et missionnaire en notre pays, n'a-t-il pas, en ces dix-huit années de ministère, vécu trois vies et mérité trois fois la récompense ?

***

Religieux excellent, il le fut. De tout coeur, dès le scolasticat, il s'y forma, au mi lieu des entraves que la persécution mettait sous ses pas: en Hollande d'abord, à St-Gerlach-Fauquemont, puis, en Irlande, à Belcamp-Hall, et de nouveau en Hollande, à Kerkrade. «  Je remercie tous les jours le Sacré-Coeur de m'avoir donné une si belle vocation, en même temps que je le prie de m'en rendre de plus en plus digne, Oblat de Marie-Immaculée, est-il rien de plus beau ? On m'arracherait la vie, plutôt que de m'arracher ce titre si précieux. » Ce titre précieux, il a contribué, s'il m'est permis sans être indiscret de le dire ici, à le faire désirer par deux Lorrains actuellement au Sud-Afrique, et qui s'appellent Monseigneur Delalle, évêque du Natal, et le R.-P. Cenez, préfet apostolique du Bassoutoland,
Mais son ardent désir est d'être missionnaire. Au lendemain de son ordination, il écrit à sa soeur religieuse: «  De tels jours sont uniques dans la vie; mais, si Dieu le veut, n'en aurai-je pas un plus grand encore ? Jésus s'est immolé pour moi: ne serai-je pas immolé pour Lui ? ... Tu me comprends : Dieu veuille m'exaucer! » C'est en 1897 seulement que son voeu commence à se réaliser. «  Je viens, écrit-il alors à un de ses amis, te faire part d'une nouvelle qui me remplit de joie : enfin, Je vais partir pour les missions. Tu sais combien j'ai désiré cette obédience; on a fini par me l'accorder : Deo gratias ! » Pour tempérer cette joie et rendre douloureux un départ accueilli avec tant d'allégresse, le Ciel voulut que la santé de sa vaillante et pieuse mère donnât alors les plus vives inquiétudes. «  Je n'ai pas osé lui annoncer la chose. Je vais essayer tout doucement. Mon départ sera pour elle l'occasion d'un dernier sacrifice, d'un mérite suprême devant Dieu. » Il était au Transvaal, quand elle mourut.
Là-bas, il se jette à corps perdu dans le travail, car la parole du Maître s'y réalise : beaucoup d'ouvrage et peu d'ouvriers. C'est d'abord l'étude de divers idiomes : «  Je travaille dur, les langues surtout; c'est la tour de Babel, ici ». Bientôt, ce sont des pérégrinations incessantes, à travers une «  paroisse » vaste comme un diocèse. Ce sont des dimanches où le missionnaire s'exténue à multiplier les réunions pour accueillir tout son monde, présidant par exemple deux vêpres, car les Zoulous veulent avoir leur office, durant lequel ils apportent à l'exécution des chants un tel entrain que le Père est effrayé de leurs crescendos menaçants et que les voûtes de l'église courent risque de s'effondrer: hostiam vociferationis ! - Quand, quelque mine étant ouverte à l'exploitation, une cité nouvelle surgit aux environs, le missionnaire plante sa tente au milieu du campement, «  aussi ardent à la poursuite des âmes que le mineur à la recherche de l'or ». - Puis, un jour, un peuple de paysans ayant déclaré, par la bouche de Kruger, «  ne vouloir reconnaître qu'un maître, le Dieu tout-puissant qui règne aux cieux », on vit ce peuple, aux applaudissements du monde, se lever en face de l'immense Angleterre. Alors, le Père, quittant les villes désertes et les villages abandonnés, monte en selle et suit ses ouailles. Or, voici que le batailleur d'autrefois gémit sur les batailles dont il est le témoin: «  Horrible chose que la guerre ! Les hommes la revêtent de poésie dans leurs chants et leurs livres; mais on la déteste, quand on l'a vue de près ». C'est à la brigade irlandaise qu'il est attaché; il en aime le drapeau vert, ce drapeau qu'il a vu flotter au-dessus de l'autel improvisé d'où il élevait vers le ciel l'Hostie sainte, «  tandis que du camp des Boers arrivait, comme une vague d'harmonie, l'écho plaintif et monotone des psaumes alternés ».
Ces multiples travaux avaient épuisé ses forces; il dut, en 1901, revenir en Europe. Ce ne fut pas, du reste, pour y rester oisif. Il commence une campagne de conférences faire mieux connaître les Missions du Sud-Afrique ; un séminaire du Transvaal est fondé à Waereghem, pour lequel il sollicite partout des hommes et des ressources. - Puis, il est chargé d'organiser à La Panne une résidence, où les Oblats, à la saison dans laquelle les travaux apostolique chôment quelque peu, procureront aux baigneurs toutes les facilités pour l'accomplissement de leurs devoirs religieux ; de précieuses sympathies l'encouragent, au premier rang desquelles j'ai vu de mes yeux qu'il est juste de placer celles que la famille d'Arripe lui prodiguait si généreusement. Enfin, il prêche, en Belgique, en France, en Alsace. Il se donne tout entier; et les âmes, qui le sentent bien, se donnent elles-mêmes à Dieu par son intermédiaire. Même, il arrive que des simples, séduits par la bonté de ce prêtre qui brûle de les attirer au divin Maître, s'arrêtent inconsciemment à mi-chemin ; témoin, ce pauvre. auquel le Père cherchait à faire produire le nécessaire acte de foi : «  Croyez-vous qu'il y a trois personnes en Dieu ? » - «  Oh ! mon Père, autant personnes que vous voudrez : vous êtes si bon ! » .... Nul doute que cette bonté, si naïvement proclamée, n'ait suggéré à l'apôtre, d'abord déconcerté, d'autres motifs de crédibilité à faire valoir dans l'occurrence.
... Les privilégiés de Jésus, les pauvres, ont dit du P. Léon Marchal qu'il était bon : nous en avons la confiance Dieu qui l'a jugé, l'a déjà récompensé.
P. GUISE.


Les Missions catholiques : bulletin hebdomadaire de l'Oeuvre de la propagation de la foi - 1900

A KIMBERLEY
PENDANT LA GUERRE DES BOERS ET DES ANGLAIS
Par le R. P. PORTE
OBLAT DE MARIE IMMACULÉE

L'article suivant dont nous n'avons pas besoin de faire remarquer l'actualité, donne les impressions d'un témoin oculaire dans une guerre qui a passionné et qui, malgré même les évènements de Chine, passionne encore l'opinion. L'auteur enfermé a Kimberley pendant le siège est, on le voit, et c'est naturel, sous la vive impression des maux amenés par la guerre dans la mission qui lui est confiée.

Les amis des Missions ont dû suivre avec un palpitant intérêt les diverses phases de cette grande guerre Sud-Africaine qui a jeté tant de troubles et cause tant de misères dans nos Missions du Transvaal, de Natal et de l'Etat libre d'Orange, y compris le Bechuanaland. Il ne m'appartient pas de porter mon verdict sur cette guerre. En Europe surtout, la presse est si partialement divisée, qu'il faudra renvoyer la question à cent ans, suivant l'usage de l'Aréopage. Ce que je sais, c'est que les Boers ont, depuis le commencement de ce siècle, un grief contre les Anglais, celui de leur avoir volé la colonie du Cap de Bonne-Espérance; ce grief s'accentua davantage au moment de la libération des esclaves, environ en 1835, et il alla toujours grandissant avec les exodes en masses des Boers quittant le Cap, Natal, le fleuve Orange, pour se soustraire à la domination britannique. Ce sont des faits connus, que les Boers n'appellent les Anglais que du terme de «  Rooi necks » les cous rouges; tandis que les Anglais, en guise de revanche, nomment les Boers «  Vaalpeux » les ventres jaunes. Mais le grand tort du Transvaal ce sont les mines d'or. Si ce pays était reste inconnu avec ses troupeaux, ses pâturages et sa population patriarcale, les «  Rooi necks » n'auraient probablement jamais trouble le repos des «  Vaalpeux ». «  Nous n'avons que faire de ces quelques arpents de sable, » disait le grand Gladstone, en 1881 après la défaite de Mayula; mais en cela le ministre anglais se trompait fortement: ces quelques arpents de sable contenaient de l'or. Or le poète l'a dit
«  Nous irons chercher l'or, malgré l'onde et le vent,
«  Aux lieux où le soleil le forme en se levant »
En réalité, les chercheurs d'or ont cause la guerre directement ou indirectement, car c'est à cause d'eux que le Transvaal a inventé une foule de lois d'ostracisme et que l'Angleterre a trouve des raisons à ses yeux plausibles a l'appui surtout de la raison du plus fort.

C'est le Vicariat de l'Etat libre d'Orange, on peut le dire, qui a été, depuis le commencement de la guerre, le théâtre des opérations, par suite c'est celui-là qui aura probablement le plus souffert. Une partie du Vicariat est formée de l'Etat libre d'Orange, tandis que le reste se trouve dans le Griqualand West et le Bechuanaland. Par suite des hostilités entre les Boers et les Anglais, nos Missions de Bloentfontein, d'Harrismith, de Jagersfontein et de Clocolan se sont trouvées sevrées de communication avec notre Vicaire apostolique, Mgr Gaughan, lequel se trouva enferme à Kimberley pendant quatre mois de siège. Les Boers annexèrent le Griqualand West des les premiers jours, leurs troupes inondèrent les villes et les villages. S'ils l'avaient voulu, ils eussent emporté Kimberley d'assaut, car la place n'était -défendue que par 450 hommes de troupes régulières.
Leur retard et leurs hésitations donnèrent le temps a la ville d'organiser la défense. M. Rhodes, le roi des diamants, avait tenu à se faire enfermer dans la ville assiégée, avec son or et celui de la compagnie «  de Beer's » La ville fut étonnée de sa valeur; elle résista à un siège de quatre mois, maigre la rareté des vivres, car on en était réduit à quatre onces de pain par personne et à un quart de livre de viande de cheval par jour. Les bombes de 100 livres ne brisèrent jamais le courage de la petite garnison.
Pendant les longs jours du siège, M. Rhodes fit fondre un canon de gros calibre, il fit préparer des bombes et des obus, et chose digne d'un homme d'état, pour empêcher l'inaction et le vol, il entreprit d'ouvrir des voies publiques autour de la ville, occupant ainsi des centaines d'ouvriers tant Européens qu'indigènes. Aucun des établissements catholiques n'eut à souffrir du bombardement continu. Les Pères avec Monseigneur, les Soeurs de Nazareth, les Soeurs de la Sainte-Famille et les Frères des écoles chrétiennes se dévouèrent avec un zèle admirable au soulagement des blessés et des fiévreux. Après la prise de Cronje à Paardeberg, tous les édifices de la Mission furent remplis de blessés boers. Les soins attentifs et dévoués des Soeurs à leur égard firent plus que vingt sermons en notre faveur.

Mafeking, ce nom si populaire depuis des mois, Mafeking cette ville qui a si crânement tenu bon avec son colonel, Mafeking est au nord du British Bechuanaland. La ville est petite, située sur un plateau ouvert, au bord d'une rivière que vous appelleriez ruisseau ; elle n'a aucune redoute, aucun mur, aucun rempart. Quand la guerre éclata, elle n'avait pour sa défense qu'un régiment incomplet de troupes nouvellement recrutées, son artillerie était si microscopique que, même après le siège, on est surpris de voir si peu de canons sur la plate-forme du Market square.
Les Boers, ayant Cronje à leur tête, arrivèrent au nombre d'environ 7.000 prendre Mafeking. Qui les arrêta ! on n'en sait rien: ils ne donnèrent jamais réellement l'assaut durant huit mois qu'a duré le siège. Leur artillerie extrêmement supérieure jeta dans la ville près de 1.500 bombes de 100 livres et plus de 3.000 de calibre inférieur cependant la ville ne se rendit pas. Certainement il y a eu des maisons renversées de fond en comble, nombre d'autres ont été percées par les obus. Le couvent des Soeurs de la Merci a surtout été le point de mire de l'ennemi. Avec ses vingt ouvertures dans la toiture et le pignon Il est devenu inhabitable.
Grâce au temps que les Boers laissèrent à la garnison, en quelques jours des tranchées furent creusées tout autour de la ville, avec des redoutes bâties à la hâte en guise de fort. Une ligne légère de chemin de fer permettait au train armé de porter rapidement secours aux forts en danger; le téléphone et le télégraphe unissaient les diverses redoutes aux quartiers généraux au centre de la ville où se trouvait Baden-Powell, le défenseur de Mafeking.
La cloche de la Mission avait été réquisitionnée par les autorités militaires; elle devait sonner l'alarme toutes les fois qu'un obus allait partir dans la direction de la ville. Chaque maison avait du pratiquer un souterrain près de la porte d'entrée, comme lieu de refuge au moment du bombardement. Les vivres commençaient à manquer, mais néanmoins la ville résista jusqu'à la fin avec des pertes presque insignifiantes.

A Mafeking, les Soeurs rendirent des services immenses à la garnison en soignant les blessés et les malades. Leur zèle, qui ne se démentit jamais, leur a conquis une estime que cinquante ans de travaux n'auraient pas acquis. Tous, depuis le général jusqu'au troupier, bénissent le nom des Soeurs. Tous veulent et désirent que le couvent soit rebâti, tous ont promis leur obole. Deux Soeurs contractèrent la fièvre typhoïde auprès des malades; la Providence heureusement les épargna.
A part Mafeking, le reste du Bechuanaland n'offrit aucune résistance. La partie habitée par des cousins ou des frères des Boers abandonna la cause anglaise; il en fut de même de toutes les fermes. Les fermiers fidèles et anglais furent chassés du pays. Ce ne fut qu'après trois mois de voyage qu'au nombre de 4 à 500 ils arrivèrent en contact avec les troupes anglaises qui les recueillirent.
Vrylung, autrefois la capitale du Bechuanaland est le siège de l'administration, Vrylung fut loin d'imiter Mafeking, elle invita les Boers à s'en emparer sans combat.

Taungs étant une réserve cafre où l'on comptait avant la famine près de 25.000 habitants, ne fut pas très troublé par les troupes envahissantes du Transvaal. Pendant trois semaines, elles se réunirent ici, attendant avec impatience la capitulation de Mafeking pour aller opérer sur Kimberley. Après ce temps perdu, Cronje descendit de Mafeking où il laissa son capitaine Suyman achever sa conquête. En passant à Taungs, les républicains détruisirent la ligne du chemin de fer et essayèrent de faire sauter le pont sur le Hartz River ; mais, sort malheureux attache à ce fléau qu'on appelle la guerre, les propriétés ne furent pas épargnées. Après avoir détruit le camp de la police, la gare et tous tes édifices publies, les vainqueurs attaquèrent les boutiques des marchands anglais. Sur quatorze boutiques, on en pilla huit. Les six autres furent épargnées parce qu'elles étaient habitées, la plupart, par des femmes.

Vers le milieu d'octobre, quand les commandos boers nous quittèrent, nous eûmes la disette, la fièvre typhoïde et la malaria. Pendant huit mois, plus de communications plus de possibilité de s'approvisionner, isolement cruel, égal & l'exil. Dire ce que nous avons souffert est impossible. Mais :
Dieu fit bien ce qu'il fit et je n'en sais pas plus.
Les braves petites Soeurs bretonnes de Saint-Gaent ne firent jamais entendre la moindre plainte. Elles surent se priver de tout et elles trouvèrent encore assez pour entretenir quelques dames européennes, réfugiées chez elles. On ne pourra jamais apprécier au juste tout le bien que font ces différents ordres de religieuses de l'Afrique du Sud. En présence de tant de courage, de dévouement et de bon exemple, les protestants anglais restent stupéfiés. Après cette guerre, il n'y aura pas une ville, pas un village ou la «  None », nun comme l'appellent les Anglais, ne soit reçue à bras ouverts. En d'autres pays, on les persécute, ici on s'incline sur leur passage, car les voyant a l'oeuvre, les protestants les considèrent comme l'ombre du Bon Dieu.
Aujourd'hui, le Bechuanaland est débloqué, mais les autorités militaires se sont emparées de la ligne et de tous les moyens de transport. Les vivres qui étaient montés à des prix fabuleux sont lents à descendre au taux raisonnable. Ce qui veut dire que la Mission va absorber, en un seul mois, les ressources qui lui suffisaient en temps ordinaire pour dix à douze mois.
Est-ce haine du diable ou permission spéciale du Bon Dieu qui veut éprouver nos oeuvres, toujours est-il que depuis que la religion catholique est entrée en Bechuanaland, il y a cinq ans, tous les fléaux se succèdent pour nous éprouver.
Il y a deux ans un digne ecclésiastique, ami des Missions, me disait «  Les missionnaires semblent avoir à leur service une douzaine de fléaux qui leur servent à tour de rôle pour exciter la commisération publique. » Je pris l'observation avec humour, car probablement ce sont les pays nouveaux, déserts et intraitables qui causent ces fléaux dans les Missions. Tenez, en cinq ans, j'ai vu la foudre me ravir douze boeufs sur quatorze dont se composait mon attelage ; une circonstance Insignifiante me tint en retard et me sauva la vie. J'ai vu la Rinder-Peste faire tomber plus d'un million de bêtes à cornes dans le sud d'Afrique, 25.000 dans la seule réserve de Taungs. La famine suivit la peste: elle décima si bien la population que le village de Taungs, qui comprenait environ 7 à 8.000 âmes autour de l'église, n'en compte plus que 3.000. Le scorbut de terre fit autant de victimes que la famine. Toutes les sauterelles furent poursuivies, les chenilles, les baies des buissons recueillies, les racines recherchées dans les champs; c'est ainsi que les survivants purent échapper à la mort. Or, voilà que maintenant la guerre, et une guerre à outrance, s'est répandue sur toute l'Afrique australe, à Natal, au Transvaal, dans l'Etat libre d'Orange, dans le Bechuanaland jusqu'aux rives lointaines du fleuve Orange près de son embouchure.
A Peste, fame et bello, liberas nos Domine. Ce cri de nos coeurs n'est pas sentimental, mais exprime une réalité: il indique aux amis des Missions les terribles ennemis avec lesquels le missionnaire a à lutter.
Ah veuillez bien prier pour nous, lecteurs des Missions catholiques. Si vous le pouvez, n'oubliez pas ceux que tant de fléaux éprouvent. Vos aumônes nous aideront à faire encore plus de bien et vous procureront encore plus de joie qu'à nous, selon le mot de l'apôtre : Melius est dare quan accipere. Il est meilleur de donner que de recevoir.


Le Transvaal (République sud-africaine) et l'Etat libre d'Orange - Ed.1899

 

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