Voici un court
extrait concernant le secteur de Reillon, des écrits du
soldat Louis Joseph André Febvre, né le 29 janvier 1887
à Paris 6ème. Il est indiqué sur sa fiche du
ministère de la Défense tué à Louvemont (Meuse) le 28
décembre 1916 (et non le 29), tout comme sur le livre
d'or du 5ème arrondissement de Paris, et à
chaque fois comme soldat de 2ème classe au
367ème régiment d'infanterie.
Mais en décembre 1916, ce régiment n'est plus à Verdun :
en novembre 1915, André Febvre écrivait à son père «
Tu me crois à Montargis; or, c'est de Toul que je
t'écris. Il parait que je ne fais plus partie du ...e,
mais du ...e, mon ancien régiment, dont le dépôt était à
Toul. Le plus drôle, c'est que dans aucun dépôt on ne
voulait de moi, sous prétexte que mon cas est spécial.
C'est ainsi que j'ai dû me promener en chemin de fer
pendant trois jours. Je retournerai très probablement à
mon ancienne compagnie de mitrailleuses. »
Car il a en réalité été affecté à la 3ème
compagnie de mitrailleuses du 167ème Régiment
d'Infanterie, caserné lui aussi à Toul au début de la
guerre, et effectivement toujours présent autour de
Verdun en décembre 1916. La fiche du ministère de la
défense est raturée, et indiquait initialement « Haudremont » : et le journal des marches et opérations
du 167ème régiment d'infanterie, dans l'état
nominatif des pertes en date 28 décembre 1916 « devant
Verdun, (Haudremont) », indique en complément des 12
blessés du jour: « FEBVRE Louis, 2e classe, disparu »
En souvenir de mon fils André Febvre, tué
à l'ennemi à Louvemont (front de Verdun), le 29 décembre
1916
J. Febvre
Impr. Dejussieu (Langres), 1917
J'ai conservé toutes
les lettres que m'a adressées mon fils pendant ses 29
mois de campagne. J'aime à les relire, parce que je l'y
retrouve tout entier. Ses lettres, c'est lui-même Il me
parle de la guerre, des combats auxquels il a pris part.
Il me dit sa confiance, ses espoirs.
[...] J'ai puisé un à un dans cette correspondance et
j'ai réuni en une sorte de recueil, sans rien changer au
texte, les faits de guerre auxquels il a participé.
C'est lui qui les raconte ; il est à la fois acteur et
narrateur. L'ordre suivi est celui des dates.
Un grand intérêt s'attache pour moi à ces documents
évocateurs de souvenirs émotionnants, tragiques.
Mon fils a été mobilisé le 3 Août 1914 Sa première
lettre, datée du 6 Août, de Toul. débute ainsi ; « Nous
sommes prêts à entrer en campagne ».
[...]
Du 22 Décembre 1915. - « On vient de me verser dans la
...e compagnie qui est exclusivement composée de
mitrailleurs. J'aurai à apprendre la nomenclature et le
fonctionnement de toutes les pièces d'une mitrailleuse,
et elles sont nombreuses. Cela ne m'empêchera pas de
repartir sur le front comme conducteur, car tout homme
d'une compagnie de mitrailleuses doit connaître à fond
la machine. Pour ma part, j'aimerais mieux être tireur
que conducteur, car la société d'un mulet n'a rien de
bien attrayant. Je changerai, s'il est possible.
L'instruction spéciale se fait le matin ; le soir, nous
continuons à faire tous les mouvements propres à
l'infanterie. » [...]
Du 16 Janvier 1916. - « J'ai
quitté Toul. Nous sommes en ce moment à quelques
kilomètres de Lunéville, où une compagnie de
mitrailleuses est en formation. Mon désir est exaucé.
C'est moi qui introduis les cartouches dans la
mitrailleuse.
Quand je connaîtrai ma nouvelle adresse, je t'en
aviserai aussitôt. »
Du 21 Janvier 1916 - « Je ne peux encore te donner mon
adresse à cause de l'incertitude où je suis de ma
nouvelle destination. Tout ce que je sais, c'est que
nous sommes à Ogeviller, à une assez faible distance du
front.
Le bruit du canon est très perceptible . »
Du 27 Janvier 1916. - « Encore rien de nouveau, sinon
que tu pourras m'écrire à l'adresse suivante : en
subsistance à la 5e compagnie, s. p. ... »
Du 4 Février 1916. - « Je ne suis pas un fanfaron, tu le
sais, et le danger ne m'attire pas plus qu'il ne me fait
peur ; mais je trouve le temps long. Ayant fini mes
études théoriques de la mitrailleuse, je voudrais bien
tout de même les compléter par un peu de pratique sur le
front. Notre instructeur, qui en vient, dit qu'on se
passionne à la longue pour ce genre de sport. »
Du 11 Février 1916. - « Mon rêve s'est évanoui pour un
temps, du moins. Je suis retourné dans les tranchées
armé d'un fusil. Le secteur est d'une tranquillité
absolue : pas un coup de fusil, mais, de temps en temps,
un coup de canon pour l'arrière. Entre nous et les
premières lignes ennemies, assez éloignées, il y a tant
de fils de fer que je me demande comment on parviendrait
à les détruire s'il fallait avancer.
C'est le secteur de Reillon.
Ajouterai-je que ce secteur est mal organisé : pas de
seconde ligne, pas de boyaux de communication. Les
territoriaux qui l'occupaient avant nous nous ont laissé
tout à faire. Nous allons nous mettre à l'ouvrage. »
Du 23 Février 1916. - « Je me promettais de t'écrire
dans les tranchées, mais les Allemands ne nous ont pas
laissé un moment de repos ; ils ont même réussi, par un
bombardement terrible, à bouleverser tous les ouvrages
que nous avions eu tant de peine à construire. Pour
comble de malheur, la pluie s est mise ensuite de la
partie.
Dans les boyaux, on avait par endroits de l'eau jusqu'à
la ceinture. Des hommes se sont même trouvés dans
l'impossibilité de se retirer seuls des bourbiers où ils
étaient enlisés, Enfin, nous sommes au repos et l'on
vient de nous rendre nos mitrailleuses. Il ne nous reste
qu'à en faire un bon usage. »
Du 2 Mars 1916. - « Nous travaillons à construire en
ligne des emplacements pour nos mitrailleuses. Ce
travail durera quelques jours. Je suis au comble de mes
voeux. »
Du 8 Mars 1916. - « Je suis toujours enchanté de mes
nouvelles fonctions. Seule nous a manqué l'occasion de
faire des expériences sur les Boches. Une grande
accalmie règne sur cette partie du front.
Il n'en est pas de même à Verdun où les Allemands ont
déclanché une attaque formidable qui n'est pas sans
causer ici quelque appréhension. Moi, j'ai la confiance
robuste. Ces sinistres oiseaux de proie se consumeront
en efforts impuissants ; Verdun n'est pas pour leur bec.
Toi, que penses-tu de cette bataille gigantesque ? »
Du 16 Mars 1916. - « Je me fais un plaisir de te donner
satisfaction quant aux renseignements que tu me
demandes.
D'abord, le rôle du mitrailleur n'est pas d'attaquer ;
il doit seulement arrêter tout mouvement de l'infanterie
adverse. Aussi les hommes doivent-ils montrer un
sang-froid imperturbable. Au lieu du fusil, nous avons
le mousqueton plus maniable et plus léger, mais tirant
avec la même cartouche.
Voici maintenant comment est servie une pièce
1° un caporal, chef de pièce ;
2° un tireur;
3° un chargeur ;
4° un aide-chargeur;
5° un pourvoyeur.
Il y a deux pièces par section ; quatre sections par
compagnie.
Le rôle du chef de pièce est de voir si la mitrailleuse
fonctionne bien. Il voit cela principalement à la
distance à laquelle tombe l'étui de la balle rejeté au
dehors après chaque coup tiré. C'est un point très
important. C'est sur cette observation qu'est basé le
réglage du gaz poussant le système moteur. Le tireur
vise et tient le doigt sur la détente ; les coups
partent seuls après le premier. Le chargeur introduit
les bandes de vingt-cinq cartouches dans le couloir
d'alimentation. Enfin, l'aide-chargeur sort les bandes
des caisses de douze bandes et les tend au chargeur. Le
pourvoyeur a pour rôle d'amener toujours le même nombre
de cartouches à la pièce. En outre, il y a par section
un armurier et un télémétreur. Le télémètre ne sert
qu'en rase campagne. Il faut compter aussi dix
conducteurs par section.
Tu me dis que l'offensive allemande à Verdun, quelle que
soit sa durée, est vouée à un échec certain. C'est mon
avis ; c'est aussi l'avis des hommes de ma section à qui
j'ai fait connaître ton opinion et qui la partagent
entièrement. »
Du 27 Mars 1916. - « Dans les tranchées nous creusons
maintenant des abris souterrains à trois ou quatre
mètres sous terre. Ces abris très résistants nous
manquaient jusqu'ici dans nos premières lignes. Ils ont
le grand avantage d'être invisibles et par conséquent
difficiles à repérer.
J'ai omis dans mon explication sur la composition d'une
compagnie de mitrailleuses de te dire qu'il y a
actuellement ... compagnies de mitrailleuses par
régiment, c'est-à-dire ... par bataillon. »
Du 3 mai 1916. - « Une bonne nouvelle. Les permissions
suspendues pendant la bataille de Verdun viennent de
reprendre. Quand sera-ce mon tour ? Vers la mi-juin
probablement.
Ici, tout est très calme ; cependant nous travaillons
fiévreusement à organiser le terrain en vue d'une avance
aussi bien que d'un repli. A plusieurs kilomètres à
l'arrière s'étendent nos ouvrages, tranchées, réseaux de
fils de fer, emplacements de mitrailleuses. Quels
événements se préparent ? »
Du 4 Juin 1916. - « Nous sommes pour l'instant au repos
à Bénaménil. Cette localité est un centre de
distractions pour le soldat. Un cinéma qui fonctionne en
plein air nous fait assister à des scènes variées et
presque toujours intéressantes. On y représente des
actualités sur la guerre, des pièces comiques, des
voyages instructifs. Puis des soldats récitent des
monologues ou chantent des chansons comiques ou
patriotiques. La séance est généralement suivie d'un
concert instrumental. C'est gai et c'est moral. Il
serait à désirer que cet exemple fût suivi sur tout le
front.
Je désespère de voir venir mon tour de permission. Chez
nous, cela marche si lentement qu'on ne peut faire
aucune conjecture. »
Du 8 Juin 1916. - « Me voilà encore une fois sorti sain
et sauf de la fournaise, toujours au Bois Le Prêtre.
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