On lit dans Le maréchal de Vauban, 1633-1707, du Général
baron Ambert (Ed. Tours 1882
« Lorsqu'en 1674 Louis XIV appela l'arrière-ban composé de sa
noblesse, Vauban écrivit à Louvois: « . L'arrière-ban, ne
pouvant être formé que de noblesse fort gueuse et incommodée
(pauvre), ne pourra être que très mal équipé. » Vauban
connaissait donc cette noblesse comme incapable de faire la
guerre.
En effet, au mois d'octobre, cinq à six mille cavaliers composés
de la noblesse se réunirent à Nancy sous les ordres du maréchal
de Créqui. Ne pouvant établir aucune discipline, ce maréchal
prit le parti d'envoyer à Turenne cet arrière-ban. L'intendant
Morangis écrivait à Louvois : « Il n'y a point de désordre que
cette noblesse n'ait fait partout où elle a passé. » Turenne
écrivait le 14 novembre: « L'on a fait entendre aux nobles
qu'ils devaient s'en retourner chez eux; il n'est pas concevable
combien cela a mis de licence parmi eux; et il serait difficile
de faire comprendre au roi la peine que donnent tant de gens peu
accoutumés au commandement, et qui ne peuvent souffrir une
pauvreté, en servant, qu'ils supportent dans leurs maisons. A
tout moment, ils perdent le respect pour leurs officiers en
négligeant le service. »
Ils désertèrent; ils commirent des actes contraires à la
bravoure entre Lunéville et Blamont; enfin, lorsque Turenne
obtint leur licenciement, il écrivit à le Tellier: « Je souhaite
ardemment que le roi n'ait jamais besoin de rassembler sa
noblesse, car c'est un corps incapable d'action, et plus propre
à susciter des désordres qu'à remédier à des accidents. »
Malgré cette cruelle expérience, l'arrière-ban fut convoqué le
1er avril 1675 ; mais cette fois le remplacement fut autorisé,
et l'ordonnance du roi renfermait cette phrase qui eût été
blessante au temps de Henri IV : « Ne doutant pas que notre
noblesse ne soit bien aise, pour une somme modique, de se
dispenser de marcher en personne. » Seule la noblesse de
Normandie déclara qu'elle voulait payer de son sang et non de
son argent. »
De quels « actes contraires à la bravoure entre Lunéville et
Blamont » s'est rendu coupable l'arrière ban de la noblesse
? Nous avons déjà abordé le combat du 5 novembre 1674 dans
l'article 1674 - Charles IV de
Lorraine - Ultimes combats.
Les critiques de Turenne contre l'arrière ban, ici de la
noblesse angevine, semblent effectivement fondées au regard du
désastre militaire que les lorrains de Charles IV lui infligent à Bénaménil.
En voici une autre relation, donnée par Augustin Calmet dans son
Histoire de la Lorraine (ed. 1757),
où l'on voit qu'à Saint Nicolas, l'arrière ban du Limousin
aurait pu subir même sort que celui de l'Anjou.
Cependant les Impériaux demeurèrent campés aux
environs de Strasbourg, sans rien entreprendre, les Officiers ne
songeant qu'à faire grand'chere dans leur Camp. Le Duc de
Lorraine, au déspoir de voir une si belle & si nombreuse Armée
dans l'inaction, encourageoit sans cesse les Généraux de tenter
quelque chose digne de la réputation des Armes de l'Empire. Ils
ne l'écouterent point; & leur indifférence le plongea dans une
sombre mélancolie, dont il ne se réveilla que quand on lui
apporta, étant à Tambach, la nouvelle que cinq cens
Gentilshommes, composant l'Arriere-ban de la Noblesse d'Anjou,
passoient par la Lorraine, pour venir au secours de Turenne.
Aussi-tôt il détacha quatre Régimens de Cavalerie, avec cent
Dragons de ses troupes, sous la conduite des Colonels Dupuy,
Mercy, le Rhingraff & la Roche, pour enlever cette Noblesse sur
sa route. Elle s'etoit arrêtée au Village de Bénamenil, entre
Lunéville & Blamont. Le Parti Lorrain avoit fait son compte de
la surprendre pendant la nuit: mais les détours qu'il avoit été
obligé de prendre, furent cause qu'il n'arriva qu'à neuf heures
du matin ; & toutefois l'Arriere-ban n'avoit aucun avis de leur
marche, & faisant si mauvaise garde dans le Village, qu'à peine
eurent-ils le loisir de se reconnoître, lorsque les troupes
Lorraines parurent. Le Baron de Mercy demanda à Dupuy qui
commandoit, d'avoir l'Avant-garde, répondant du succès, si on
vouloit lui laisser commencer l'attaque avec son Régiment. Dupuy
répondit, que cela appartenoit à la Roche. Pendant cette
contestation le Régiment de Mercy filoit derrière le Village
avec quelques Dragons, pour former l'attaque de l'Arriere-ban du
côté de Lunéville; alors donnant tête baissée dans le Corps de
Garde, il en tua une partie, dissipa l'autre, & enleva ceux des
Gentilshommes qui étoient dans les maisons voisines.
Au bruit des mousquetades, ceux de l'autre quartier, qui n'étoit
pas encore attaqué, se rassemblèrent dans la maison où logeoit
le Marquis de Sablé leur Commandant, & s'y barricadèrent. Le
Capitaine Dayau, ce brave, que Turenne avoit si hautement loué
après l'affaire de Sintzeim, alla les y assiéger avec sa troupe.
II les somma de se rendre. Sur leur refus, comme il n'avoit pas
assez de monde pour les forcer, il fit mettre le feu aux deux
maisons voisines. La flâme les obligea de sortir, & se faisant,
l'épée a la main, un passage à travers les assìégeans, ils se
jetterent dans l'Eglise. Dayau fit mettre pied à terre à ses
Cavaliers pour l'investir; & comme il sautoit par dessus les
murs du Cimetière, il reçut deux coups de fusil, l'un dans l'os
au-dessus du bras gauche, & l'autre dans le bas ventre, & fut
renversé par terre. Son Régiment effrayé de la chute d'un si
brave Chef, se retira en désordre.
Sur ces entrefaites, le Comte de Mercy arrive avec ses gens,
rallie ceux de Dayau, & les ramene à l'attaque. Dupuy survint un
moment après avec le reste du Détachement. On presse les
assiégés; & sur le point d'en venir à la sappe, les
Gentilshommes de l'Arriere-ban capitulèrent, & se rendirent
prisonniers guere. II y eut sept cens prisonniers, y compris les
valets. Le Marquis de Sablé fut pris avec les autres. Le butin
fut d'environ quatre cens chevaux, presque tous Anglois; de
treize mulets, & en argent ou en hardes, pour la valeur
d'environ quarante mille livres. Mercy y fut blessé de sept
coups des mousquets; trois Capitaines de Cavalerie, & un
Capitaine de Dragons y furent tués; Sainte-Croix, Braco, Dayau,
furent blessés mortellement. Mercy ne pouvant passer Badonviller
à cause de ses blessures, y demeura prisonnier de guerre du
Comte de Bissy, qui en l'absence du Marquis de Rochefort
commandoit en Lorraine.
Le Duc Charles s'etoit avancé jusqu'à Sainte-Marie-aux-Mines,
afin de soutenir ses gens, & de les recevoir en cas de besoin.
On lui présenta les prisonniers, & il retourna au Camp des
Alliés. La Noblesse du Limousin étoit dans le même tems à S.
Nicolas. Dayau avoit eu la pensée qu'il falloit faire passer en
Alsace les prisonniers par les Cavaliers les plus mal montés des
Régimens; prendre les chevaux frais des prisonniers, & marcher
droit à S. Nicolas, pour y faire un pareil enlèvement: mais
ayant été blessé à mort, il n'eut pas le loisir de communiquer
sa pensée aux Colonels.
La Gazette de France donne au 13 novembre
1634 une relation très laconique de l'évènement :
Mille Chevaux des Ennemis attaquèrent n'agueres
entre Luneville & Blamont, deux Escadrons de l'Arriéreban de la
province d'Anjou, qui le défendirent avec beaucoup de valeur.
Ils tuèrent plusieurs des Ennemis. Le Marquis de Sablé fut
blessé & pris, avec vne partie des Gentilshommes qu'il
commandoit.
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