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1587 en Lorraine : éphéméride

Éphéméride de l'expédition des Allemands en France (août-décembre 1587)
par Michel de La Huguerye (1545?-1608?)
Notes par le Cte Léonel de Laubespin - Ed. 1892
(notes renumérotées en fin de document)


«  Tour à tour secrétaire du cardinal de Rambouillet, de Ludovic de Nassau et du prince Henri de Condé, il [Michel de La Huguerye ] l'est, depuis le 1er juin 1586, de Jean-Casimir de Bavière, régent de l'Electorat pour son neveu Frédéric IV. L'heure est propice. Le traité de Nemours, qui a scellé l'union entre le dernier des Valois et les princes de la maison de Lorraine, a creusé un nouveau fossé entre protestants et catholiques. Malgré sa répugnance à employer des étrangers contre ses compatriotes, le roi de Navarre, chef des huguenots et héritier présomptif de la couronne de France, vient d'autoriser la levée en son nom d'une armée de Suisses, de lansquenets et de reîtres, avec mission de ravager la Lorraine, frappant ainsi la Ligue à la tête et du même coup se ménageant une diversion puissante, grâce à laquelle il aura le champ libre dans le midi et le centre.
Retenu à Heidelberg par les devoirs de sa charge, Jean- Casimir ne peut songer à prendre le commandement de ses hordes, comme en 1568, comme en 1576. La Huguerye, dont il a apprécié déjà le dévouement à qui le paie et le peu d'attachement à son pays, le remplacera, sinon en titre, du moins comme son agent de confiance, confiance que notre homme justifie avec éclat : à son instigation, le plan si rationnel proposé, ou, pour appeler les choses par leur vrai s'agit point, en effet, du mal que causera ou ne causera pas à la Ligue la mise à feu et à sang du boulevard de la Ligue : il s'agit de sauver, coûte que coûte, de la ruine un prince proche parent de son maître.
L' «  armée de secours » va alors au hasard, sans but précis, roulant de Champagne en Bourgogne, en Gâtinais, en Beauce, en Sologne, en Morvan, jonchant de cadavres les routes qu'elle parcourt, victime, du reste, plutôt de ses propres excès que de l'épée de ses adversaires, qui, pendant les trois mois que dure son agonie errante, parviennent tout juste à lui infliger deux menues défaites, transformées aussitôt en victoires signalées par les nouvellistes à la solde du duc de Guise.
Et cependant, ce désastre, qui l'avait provoqué, sinon La Huguerye, - ou, si l'on veut, Jean-Casimir, dont il n'était, après tout, que le docile porte-paroles, - en détournant l'armée de sa base d'opérations logique? Ce ne fut donc pas tout à fait sa défense personnelle qu'il entreprit en rédi- geant l' Éphéméride. Point ne faut d'ailleurs s'étonner si, en épousant une querelle d'Allemand, il s'est par surcroît inoculé la mauvaise foi proverbiale de la race. Etant admis que l' «  armée de secours » ne devait pas aller en Lorraine, puisque cela déplaisait à Jean-Casimir, à qui la faute si elle n'a fait que marcher de mésaventure en mésaventure? Aux gentilshommes français, qui, obéissant aux instructions du roi de Navarre, refusaient de le conduire vers ce prince; aux gentilshommes français, qui se réservaient les meilleurs logis et entassaient les pauvres étrangers dans des bicoques ; aux gentilshommes français, qui refusaient de se battre et donnaient à leurs alliés allemands de continuelles alarmes qui les harassaient sans profit.
La traversée de la Lorraine qu'il n'avait pu empêcher, s'il avait pu s'opposer à sa dévastation systématique, lui fournit un autre prétexte à déclamations, presque touchant, à force de naïve impudence, contre les agissements des Français. Que sont les quelques petites rapines des reîtres, des lansquenets, même des Suisses, au préjudice de ses protégés, les vassaux du cousin de Jean-Casimir, à côté des méfaits d'un Quitry, d'un Clervant, d'un Couvrelles ? Il est vrai que, quand il leur arrivera d'incendier l'abbaye de Saint-Sauveur-en-Puisaye, il enregistrera cela très froidement; ces gens de guerre n'étaient-ils pas en pays ennemi, sur la terre des Welches ? »

Le dimanche 20 d'aoust (1), nous délogeasmes d'Eich, Sarrebourg, et, ayans eu nos départemens à Hubigny, où ne fut traitté d'aucune chose, comme on avoit résolu, nous arrivasmes d'assez bonne heure au logis es environs de Blasmont (2), aux fauxbourgs de ladite ville, à Barba (3) et autres lieux, où les François avoyent fait le logis de l'armée en intention de faire dès la nuict les aproches de l'artillerie, ayant ledit sieur de Quitry de bonn'heure fait sommer ladite ville pour sentir la résolution de ceux de dedans, qu'il espéroit trouver estonnéz de son chef-d'oeuvre et ne devoir attendre l'artillerie.
Le lundy 21e d'aoust (4), nous séjournasmes à Serturville, à Chevillers (5), Barba et es environs de Blaumont, que les François espéroyent prendre d'emblée, ayant logé dans les fauxbourgs un régiment des Suisses avec celluy de Villeneufve et l'artillerie fort près de là à cest effect; et dès hier avoyent fait recognoistre le tout par le capitaine Cormont, fait fere les aproches par ledit de Villeneufve, son fils, qui y perdit quelques bons hommes ; c'estoit à son tour de fere l'effort et aller à l'assaut. Ce commancement fit cognoistre à son père que la fin en pourroit estre. plus dommageable à son fils, qui d'ailleurs avoit réputation de mesnager trop sa vie. C'estoit aussi aux François de mettre pied en terre au besoin. Il y avoit dedans un capitaine qui ne feit point de contenance de s'estonner (6). Outre cela, ils avoyent desjà jette leurs furies et commençoyent à apeller les périls et incommoditéz au conseil, et ceste brave résolution de prendre toute la Lorraine s'attiédissoit à la françoise; de sorte qu'ils estoyent sur le change et en délibération de ne s'amuser plus à prendre places, mais, en passant, païs brasier, saccager, lascher estangs, noyer et gaster tout ce qu'ils pourroyent. Et, sur ce, nous vindrent d'eux-mesmes remettre en avant la négociation de Lorraine, de laquelle nous n'espérions plus rien, et nous escrivirent de la venue dudit sieur de Buy, qu'ils avoyent accoustumé de cacher et nous celer, nous priant, Monsieur de Bouillon, d'aller au conseil à Sertuville, pour voir ensemble ce qu'on pourroit fere sur son raport; dont nous fusmes bien estonnéz, n'en faisant plus d'estats par les ruptures qu'ils en avoyent fait exprès, ayant retenu et empesehé ledit sieur de Buy de venir à nous, surprins au chemin les lettres, qu'il nous escrivoit et, en hayne de ce qu'il s'employoit en cela, l'ayant injurié et tenu pour un traistre. Mais, n'entendans point jouer le canon que nous pensions ouïr de grand matin, nous aperçeusmes bien qu'il y avoit de l'encloueure au fait de leur résolution, et qu'il y avoit du changement, craignant de se perdre aux efforts, où il falloit pour leur honneur qu'ils allassent les premiers.
Nous allasmes voir ce que c'estoit, et, estans en la chambre dudit sieur duc de Bouillon, on nous présenta ledit sieur de Buy, qui se plaignit d'abordée à nous fort et ferme du tort qu'on luy avoit fait, non seulement de l'injurier en faisant ce qu'il pouvoit de bonne volonté et sans obligation, mais aussi du dommage qu'il avoit receu pendant son dernier voyage, et, en haine d'icelluy, en faisant brusler la maison du capitaine Neufville, où il avoit eu ses gens, hardes, papiers et chevaux, se plaignant tout ouvertement du sieur de Quitry, de la compagnie et commandement duquel il disoit cela estre provenu, et en demandoit raison sans laquelle il disoit ne se vouloir plus mesler de cest affaire et vouloit cercher sa raison ailleurs.
Il luy fut promis de luy fere raison et justice, et, lors, il nous présenta l'extraict d'une lettre de Monsieur de Lorraine au sieur d'Aussonville, portant accord de conférence par députez de part et d'autre, demandant le sieur de Lorraine qu'on en envoyast tant des François que des estrangers; des François, les sieurs de Montlouet, de Beaujeu (7) et moy; des Allemands, Cloth, Rompff et Jose von Werden; faisant, ledit extraict, mention de quelque autre asseurance, dont ledit sieur de Buy se prétendoit avoir esté chargé par ledit sieur duc. Nous fusmes esbahis d'où venoit cela, toutesfois estant requis d'en dire nostre avis, nous opinasmes, quant aux Allemands, qu'on demandoit que c'estoit contre la forme des procédures, en tel cas de nommer les députéz de partie adverse et encores que ce fussent gentilhommes d'honneur, néantmoins, pour estre la première fois qu'ils portent les armes pour ce party, il sembloit qu'il y eust quelque dessein caché là-dessoubs pour rabiller l'esprit de Cloth mal content, et fere quelque chose avec les deux autres qui avoyent tousjours esté de party contraire, et brasser quelque mesnage; que toutesfois nous estions asseuréz qu'ils estoyent gentilshommes d'honneur et que nous raportions à leur advis qui fut semblable au nostre, et fut trouvé meilleur de remettre ceste négociation en son train, pour la poursuite par nous s'il y avoit aparence d'issue, dont il se faudroit enquérir dudit sieur de Buy, nous prians de le fere d'autant, disoyent-ils, qu'il s'en descouvriroit plus volontiers à nous qu'à eux.
Ils avoyent fait cependant apeller le sieur de Cormont pour venir fere son raport au conseil; de la cognoissanee, par luy faicte, de la place de Blaumont (8) lequel feist son raport assez confusément et mal, de sorte que nous cognusmes que c'estoit contre son jugement, estant bon capitaine, et un artifice pour couvrir leur honte, disant que le fauxbourg avoit esté gagné sans grande résistance, que ledit Villeneufve avoit fait ses aproches jusques sur le fossé et percé les logis au-devant, de sorte que, qui vouldroit battre la ville, il y auroit grande espérance de l'emporter, non sans perte d'hommes, d'autant que ceux de dedans tiroyent bien et sans cesse, et y avoit aparence qu'ils estoyent environ cinq cens arquebusiers là-dedans ; mais que, en les forçant dans la ville, ils se retireroyent et toutes choses dans le chasteau sans qu'on les en peust empescher, qui seroit une nouvelle et plus grande perte d'hommes; que, pour y éviter, il luy sembloit qu'on devroit battre le chasteau le premier, lequel luy sembloit assez bon par dehors, n'ayant peu juger quel il est dedans par aucun avantage et commandement sur iceluy (9); mais que, pour fere les aproches de l'artillerie, il faudroit fere des tranchées, estant toute campagne rase au-devant dudit chasteau; que, pour ce fere, il seroit besoin d'un bon nombre des pionniers, fascines et autres choses, sans quoy il ne pensoit pas qu'on le peut bien fere, sinon avec une grande perte d'hommes, à laquelle il revenoit tousjours, faisant la chose aussi difficile et dangereuse que si c'estoit le chasteau de Milan, ne se souvenans pas les François qu'ils nous avoyent dit, pour le trouver bon, que Blaumont ne valloit pas Sarrebourg et qu'il n'attendroit pas le cannon.
Et, à l'heure mesme, entra un capitaine qui avoit esté autrefois dedans, lequel dit que ce n'estoit qu'un chasteau de plaisir (10) et qu'il n'estoit point de deffence.
Néantmoins ils continuèrent tous à dire leur advis sur le raport dudit sieur de Cormont, qui estoit résolu entr'eux sans nous, auquel toutesfois nous ne voulions nous opposer et puis nous dirent que, pour sauver l'honneur de l'armée, il faudroit feindre que ce fust à cause de ladite négociation de Lorraine qu'on eust retardé la baterie à nostre requeste, et couvrir leur deffaut de ce manteau, nous prians de parler audit sieur de Buy pour sçavoir ce qu'il jugeoit qu'on en pourroit espérer, ce que nous feismes en une chambre à part de toute nostre affection. Il nous dit qu'il jugeoit que, nonobstant les aigreurs intervenues par les hostillitéz passées et les empeschemens de Monsieur de Guise (11), il pensoit que, si on y vouloit bien et sincèrement procéder, qu'il y avoit encores de quoy en espérer quelque chose de bon, pourveu que cela fut traicté par personnes qui y eussent de l'affection et qui seussent bien rendre raison des choses passées ; mais, quant à luy, qu'il ne nous pouvoit promettre de s'y plus employer, s'il ne luy estoit fait raison de ce que dessus, nous prians d'y tenir la main, ce que nous luy promismes fere comme il estoit raisonnable; nous ayant nommé les autheurs le sieur de La Thour, de la compagnie du sieur de Quitry, du commandement duquel il croïoit que cela avoit esté fait ; sur quoy, il entra avec nous et en feist sa requeste verbalement, puis sortit ; et, ayant fait raport de son advis, on nous pria de le renvoyer de nostre part bien instruit pour la justification de ce qui s'estait, passé et de luy fere tenir parole d'envoyer, députéz à discrétion de part et d'autre, en quelque lieu, pour en traicter moyennant un bon sauf-conduit si autrement il ne pouvoit rien fere luy seul, et d'adjouster à nostre mémoire de recevoir les blesséz à Villeneufve, dans la ville, pour les fere penser, ce que nous promismes de fere, mais que ledit sieur de Buy ne vouloit retourner qu'il n'eust justice de son faict; laquelle nous requismes à bon escient, remonstrans que telle injure n'estoit pas faicte à luy qui pour son particulier n'avoit point d'intérest en cest affaire mais y avoit. esté employé par d'autres qui pouvoyent estimer ceste injure-là estre faicte à eux, ayant d'ailleurs assez entendu comme on en parle de grands et de petis, requérant ledit sieur de Bouillon d'en fere justice et réparation et commandant audit sieur de Quitry de se saisir desdits, sieurs de La Tour; ses chevaux-légers et les représenter au premier jour de conseil, pour respondre desdits excèz, sur peine de s'en prendre à luy-mesmes ; ce qui fut ordonné de l'advis de tous ceux du conseil et promis par ledit sieur de Quitry de fere son devoir pour y satisfaire; et, quant à nous, que ne devions estimer qu'on voulust nous offencer à raison de ladite négociation au progrès de laquelle nous avions tousjours eu leur consentement.
Nous feismes raport audit sieur de Buy de ceste résolution de conseil sur son fait, l'asseurans de tenir la main à l'exécution comme y ayans intérest, et le priasmes de venir avec nous à Achevillers (12), pour de là aller à Nancy et retourner en dilligence, luy donnans par mémoire les points qu'il feroit entendre à Monsieur de Lorraine, et charge d'aporter un sauf-conduit s'il ne pouvoit rien fere. Ledit sieur de Buy disoit que je ferais bien d'aller jusques à Nanci et ferais beaucoup plus que luy, et Monsieur le baron me pria de fere ce voyage s'il en estoit besoin, dont je m'excusay, tant pour ce que je sçavois bien que ce qu'en faisoyent les François n'estoit que pour couvrir leur honneur et qu'ils empescheroyent tousjours cela, que pour les dangers et injurieuses paroles desdits François. Toutesfois, ledit sieur baron m'en priant encores et n'asseurant ledit sieur de Buy, que, faisant moy-mesme, bien entendu (13), toutes choses, j'advancerois beaucoup plus que luy qui demeuroit court en beaucoup des choses qu'on luy objectoit, j'accorday d'aller en quelque lieu traicter avec un député de Monsieur de Lorraine, mais ce fut à condition que je n'irois pas seul et aurions des ostages ; et fut ordonné Monsieur Wambolt (14) pour aller ensemble s'il en estoit besoin, priant ledit sieur de Buy de fere tant de devoir et diligence qu'il ne nous fust point besoin d'y aller, ce que j'accorday, non que nous eussions espérance de quelque chose, mais, du moins, pour fere nostre devoir, et descharger Son Altesse, tant qu'il nous seroit possible, des opinions imprimées par les François d'aucune intelligence ny participation en tel excès, affin au moins que, les François ne se pouvans corriger au peu de respect qu'ils avoyent en cela à la conservation de Son Altesse, nous feissions tout devoir de lever de sa part tout soubçon et occasion de revenge et incommodité de. ses affaires.
Comme nous achevions cest affaire avec les François, voilà venir un advertissement au sieur de Clervant que les lansquenetz avoyent pillé dans les logis des vivres tous ses grans chevaux et bagage. C'estoit une abbaye riche dont ils s'estoyent accommodéz, et sembloit que tousjours le sort tombast, entre ledit sieur de Clervant et le collonnel Schregel, qui estoit là présent et feit tout devoir, de monter à cheval pour y aller donner ordre (15). A la fin dudit conseil, sur le changement fait par les François de leur dessein de prendre les places de Lorraine, fut dit derechef qu'il falloit brasier et noyer païs, et on ne faisoit que résouldre le partement dudit sieur de Buy. Monsieur de Bouillon, estant au lit malade, se print à dire qu'il falloit lascher l'estang de Diouze (16) et rompre la chaussée. Le sieur de Clervant respondit que la basse ville de Metz seroit noyée, et je dis, au sieur de Bouillon qu'il y auroit assez d'ennemis sans en faire davantage, et quand il auroit envie d'interposer en cela son autorité et commandement sauf son respect, il le devroit mieux dissimuler, et, après avoir eu le rendez-vous en la plaine d'entre Erbevillers (17) et Ogevillers (18), nous en retournasmes au cartier d'Achevillers pour dépescher ledit sieur de Buy.
Le mardy 22e d'aoust (19), nous partismes de Serturville, Barba, Achevillers et es environs de Blaumont pour aller au rendez-vous en la plaine d'entre Erbevillers et Ogevillers, èsquels villages et es environs, nous logeasmes et arrivasmes à bonne heure à Saint-Martin (20), la traicte estant petite, et logea ce jour Monsieur le baron avec le régiment de lansquenetz, dont j'estois bien aisé, espérant que les reistres se pourroyent accommoder doresnavant à cela pour la seurté de leur logis, ausquels les François ne les accommodoyent pas d'arquebuserie et s'en servoyent eux-mesmes contre leurs promesses. Ce logis d'armée fut le seul bien fait par le mareschal de camp, ne pouvant fere moins par la nature du lieu. Ledit sieur de Buy, suivant ce qu'il avoit hier promis, arriva à Reclainville (21) de bonne heure, dont ledit sieur de Bouillon advertit ledit sieur baron, qui nous y envoya ledit sieur Wambold et moy pour adviser à ce qu'on auroit affaire sur le retour dudit sieur de Buy. A nostre arrivée, ledit sieur de Bouillon nous dit qu'il avoit aporté un sauf-conduit. Je luy dis et aux conseillers françois qui estoyent en la chambre qu'ils avoyent hier veu que Monsieur de Lorraine désiroit qu'il y eust quelcun de leur part, qu'à la vérité; la négociation seroit plus entière et aporteroit plus d'asseurance, d'autant que, nous voyans seuls, ils craindroyent tousjours des effets semblables à ceux de devant et que ne peussions pas fere accomplir par eux ; ce que nous leur promettrions, les priant à ceste occasion d'y envoyer quelqu'un et de nous dire le dernier mot, d'autant qu'il n'estoit plus tems de marchander et qu'il n'y avoit qu'un jour à négocier, affin d'aller tous ensemble bien résolus et asseuréz de nostre costé; nous asseurant au reste que, pendant que nous serions là, ils né souffriroyent estre rien fait au préjudice de cest affaire, autrement nous n'y voudrions pas retourner et recevoir encores une honte sans rien faire ensemble qu'ils limitent bien le temps, affin que nous pressions, la résolution ; sur quoy il print l'advis dudit conseil.
Vezines lui conseilla d'y envoyer, mais les autres l'en disuadèrent, et luy-mesmes n'y estoit pas bien disposé, alléguans que, puisque jusques là ceste négociation c'estoit conduite de leur advis par nous, qu'il estoit plus séant de la conclurre ainsi. Quant aux conditions, que nous en feissions le mieulx qu'il nous seroit possible, en laissant les deux articles derniers et taschans d'avoir la somme de 100,000 esçus, et que dépeschessions tout en un jour s'il estoit possible, qu'il donneroyent ordre que rien ne se passeroit qui peust nous fere tort n'y altérer l'affaire et ne passeroyent la rivière de Muz (22), qui passe à Limminville (23), que ce ne fust faict ou failli dans ce temps-là. Je demanday à voir le sauf-conduit que ledit sieur de Buy me bailla, et, l'ayant leu, je trouvay que le nom de sieur Wambolt n'y estoit point et en désiray la réformation pour sa seurté. Ledit sieur de Buy nous dit qu'il n'y avoit point de danger et qu'il y auroit autant d'ostages que nous serions, qui estoit le point principal de la seurté, qu'il avoit bien veu cela en chemin, mais que pour fere diligence il n'avoit voulu retourner.
Ceste résolution prinse pour partir demain et le sauf-conduit entre nos mains, j'apperceu le sieur de Cussi (24) en un lieu à part du logis de Monsieur de Bouillon, qui estoit venu de la court et puis de Sedan vers luy avec passeport du roy, ayant passé à Metz et partout sans difficulté. Nous estions prests à nous en retourner, et on ne nous en disoit mot. Je demanday des nouvelles pour sentir ce qu'il diroit et veis bien qu'en estoit marri que je l'avois veu. Ils me dirent et feirent entendre par luy que le Roy (25) désiroit surtout que nous feissions la guerre en Lorraine et sur la frontière des places de la Ligue, que cependant le Roy ne bougeroit et ne laisseroit aller personne à leur secours, retenant et apellant tout le monde près de luy pour cest effect, par ce discours, encores qu'il me dit fort peu, je sentis bien qu'il estoit courtisan et instrument ordinaire des intelligences et praticques de la court aux affaires de Monsieur de Bouillon, leur avoit aporté beaucoup d'autres particularitéz de la court, selon lesquelles ils commançoyent à mesnager leurs affaires, mais ils me célèrent l'occasion pour laquelle il estoit venu, en conséquence et preuve de ce qu'il m'avoit dit ; ce que je sceu par quelqu'un d'entr'eux, en secret duquel j'aprennois souvent de leurs nouvelles secrettes, qui estoit que le roy accordoit au sieur de Bouillon la prolongation de la tresve afin que l'armée n'eust besoin de venir à Sedan (26), afin, disoit le sieur de Cussi, que rien ne nous retirast de la guerre qu'il disoit désirer que nous feissions en Lorraine (27).
Mais celuy qui m'aprint cela (28) me dit en très grand secret et avec serment pris de moy que c'estoit que le Roy craignoit principalement que, nous accommodans à l'entour de Sedan de villes et places fortifiables, nous feissions un canton advançant tousjours vers Paris, bastissions un chemin seur de Jametz en Allemagne pour en estre rafraischis et recevoir nouvelles forces et feissions si bien nos affaires que, ne pouvant venir à bout de nous, sinon par une paix à luy dommageable d'un costé, et ceux de la Ligue se fortifiant des païs et d'Allemagne contre nous, d'autre part, il se trouvast entre deux extrémitéz très grandes : ou de nous donner une paix et par ce moyen perdre toute créance dans les villes catholiques qui se donneroyent à la Ligue, se laissans persuader que desjà par icelle de beaucoup d'intelligences entre Sa Majesté et le roy de Navarre, ou de nous combattre et subir le hazard d'une battaille qu'il vouloit éviter, tant pour ne ruiner le roy de Navarre, lequel il disoit vouloir conserver pour fere teste à la Ligue, que pour ne tomber à la miséricorde des armes de la Ligue, dont il sçavoit les desseins ; que ce discours tendoit à nous fere fere la guerre en Lorraine et nous y consommer en luy donnant une victoire aisée, et par nostre ruine, et battant l'orgueil de la Ligue pour la rendre plus ployable et obéissante, ou bien de laisser le chemin de Sedan et, prennant la gauche, nous consommer en traversant la France par l'incommodité de l'armée et les desgats que nous feroyent Messieurs de Guise en nous devançant et costoyant à toutes mains dans leurs gouvernemens pour nous trouver après en tel estat que la victoire luy en fust facile et le moyen acquis de fere taire et désarmer la Ligue, qui auroit esté seule incommodée de nos armes, tant en grandes despences qu'en perte d'hommes et desgast et ruine des pais et noblesse à eux plus affectionnez.
Ce discours me sembloit fort vraysemblable principalement de luy, homme docte d'estat et d'entendement, et toutesfois je voulus attendre à croire ce que l'on me disoit, qu'on renvoyoit le sieur de Cussy avec pouvoir de prolonger ladite trefve pour Sedan, de n'y aller point, de gaster la Lorraine, puisqù'à faute de vivres on n'y pouvoit pas demeurer, et de prendre le chemin de la gauche pour, aller joindre le roy de Navarre, et, quand nous aurions passé les rivières qu'il falloit passer, sçavoir : la Muz, Moselle et Modon, pour tourner à Sedan, pour lors advertir Monsieur le baron des incommoditéz de la gauche, s'ils la nous vouloyent fere prendre, luy jurant de tenir ce discours secret et d'en fere proffit sans le révéler à personne.
Ledit sieur de Bouillon estoit en l'armée sans autre conseil particulier que du ministre Montigny et du petit Roux (29), qui estoyent tous deux à la dévotion du sieur de Quitry, par le moyen desquels il luy faisoit fere ce qu'il vouloit, et, encores que ledit sieur de Cussi fust son serviteur, il estoit courtisan fort confident de Monsieur Pinard (30) aux affaires de son maistre, auquel il persuada de prolonger la trefve, à quoy personne n'oza résister à cause dudit sieur de Quitry qu'on tenoit le plus instruict de la volonté du roy, de Navarre, qui luy adressoit tous ses commendemans, et ainsy ils feirent jouer à ce jeune seigneur deux personnages contraires, indignes de sa sincérité et bon naturel et de très dangereuse conséquence, ne se soucians pas qu'il en deust advenir ny aux églises ny audit sieur de Bouillon ny à Son Altesse, pourveu qu'ils feissent tout au plaisir dudit sieur de Quitry, selon les intelligences qu'il entretenoit par le sieur des Marivaux, son cousin, confident du duc d'Espernon, avec le Roy; donc je remis à advertir en gros ledit sieur baron en temps et lieu, après les passages desdittes rivières, affin de luy fere cognoistre ceste malice et infidélité.
Comme nous prennions congé d'eux pour nous en retourner au cartier, nous ouysmes un coup de cannon et leur demandasmes que c'estoit, et, en entendans encores un, puis deux autres, après avoir fait semblant de ne sçavoir que c'estoit, enfin, ils nous dirent qu'ils pensoyent que c'estoit au chasteau de Gerbevillers (31), cartier des Suisses, qui avoyent fait difficulté de fournir des vivres. Je leur respondis que c'estoit chose contraire à ce qu'ils venoyent de résouldre avec nous, et qu'il y falloit donner ordre en diligence, afin que cela ne passast outre. Et, voyant qu'ils n'en tenoyent comte, tant ils estoyent enclins à tromperie et infidélité (veu que, au mesme temps qu'ils résolvoyent que nous irions à Limminville, nous promettans de ne rien fere au préjudice de cest affaire, ils avoyent donné le commandement de bastre ce chasteau sans nous en parler), nous y allasmes pour y donner quelque ordre et trouvasmes les Suisses desjà dedans ; de sorte qu'il n'y eust moyen d'empescher le pillage du chasteau, quelque peine que prînt ledit sieur baron, qui y accourust comme nous et s'en courrouça fort au sieur de Couvrelles, l'accusant d'avoir fait contre son serment et promesse, et luy s'excusant sur le commendement dudit sieur de Bouillon, auquel et aux François il s'accommodoit trop pour tirer profit de son artillerie ; et le menaça ledit sieur baron de luy en oster le commandement, se plaignant de ce que, le bourg estant assez grand et accommodé pour loger, on avoit pillé le chasteau appartenant au comte Reingraf, vassal de Son Altesse, duquel Couvrelles tira huict cens livres de pouldre, et tous les denniers, meubles ; bestail et chevaux furent pilléz à nostre veue (32).
En ce mescontentement, nous en retournasmes et feismes entendre tout ce que nous avions fait audit sieur baron et le peu d'espérance qu'il y avoit de conduire ceste négociation à fin, veu l'infidélité des François, qui nous feit dès lors, veoir, comme devant nos yeux, la ruine de l'armée, pleine de perfidies et intelligences contraires à la capitulation avec les maladies qui s'y fourroyent desjà si fort, à faute de vivres et à cause des mauvaises eaux, qu'elle diminuoit tous les jours beaucoup, ce qui nous feist tan plus résouldre de fere, ce nonobstant encores, ce voyage, tant pour n'y avoir regret et avoir ce contentement en nous d'avoir fait nostre devoir, que principalement pour descharger tant qu'il nous seroit possible Son Altesse de tout soupçon, danger et inconvénient à l'occasion de ceste entreprise.
Le mecredy 23 d'aoust (33), on séjourna audit Ogevillers et nous partismes, Monsieur Wambolt et moy, pour aller à Gerbersvillers, logis du sieur de Clervant, trouver le sieur de Buy pour aller avec luy et prier, de la part dudit sieur baron, le sieur de Clervant de recevoir les ostages et les garder; suivant laconfience dudit sieur d'Aussonville en luy. Il escrivit au sieur de Quitry de les: recevoir en son nom et les luy envoyer. Je le priay aussi de garder ledit sauf-conduit dudit sieur d'Aussonville. Ayant les lettres dudit sieur de Clervant audit sieur de Quitry, nous allasmes avec ledit sieur de Buy au haut clocher, cartier dudit sieur de Quitry, que nous trouvasmes à la campagne en allarme, à cause de quelques troupes d'ennemis qui estoyent venu attacquer des soldats dudit sieur de Mouy en un moulin près Tibaumeny (34), son cartier, où il ne feit rient et luy baillay, à son retour, les lettres dudit sieur de Clervant. Nous attendismes là longtemps la venue des hostages, et, comme ils tardoyent, avec un trompette du sieur d'Aussonville, qui estoit au cartier dudit sieur de Quitry, nous priasmes ledit sieur de Buy d'aller les advancer, qu'autrement, ayans fait nostre devoir, nous en retournerions. Il y alla, et ce pendant nous disnâmes avec ledit sieur de Mommartin, et me fut dérobée ma pistole (35) au-devant du logis du sieur de Quitry. Après disner, ledit sieur de Buy retourna avec les ostages qu'il avoit rencontré en chemin, n'ayans osé s'advancer à cause de ladite armée et ayans esté un peu retenus au quartier dudit sieur de Mouy. Lesdits ostages estoyent le sieur de Belleguise, lieutenant-collonnel du sieur de Routtigouti (36), et le capitaine Page du régiment dudit sieur d'Aussonville, lesquels ledit sieur de Quitry envoya audit sieur de Clervant par cinq ou six chevaux de sa compagnie, et nous allasmes droit à Limminville (37), trouvans en nostre chemin force vedetes vers lesquels nous feismes advancer le trompette et arrivasmes à la porte de la ville bien bordée d'arquebuserie à nostre venue et nous feit ledit sieur d'Aussonville descendre par son logis. Il estoit desjà si tard que ledit sieur d'Aussonville avoit soupe et nous feit traitter en nostre logis. Après souper, nous l'allasmes saluer, et ceux qui estoyent avec luy, le priant de gagner du temps à faire ce pour quoy nous estions venus, n'ayans plus long terme que le jour de demain auquel nous devions retourner, et ce, d'autant que les François que ce n'estoit que; pour nous amuser qu'ils estoyent rentrés en ceste conférence, sur quoy, il pria les gentilshommes et capitaines qui estoyent avec luy de se retirer, retenant seulement les sieurs de Montruel, de Roustigoutti et de La Bastide (38). Et, estans tous assis à l'entour de sa table, ledit sieur d'Aussonville commença à nous dire que nous estions les plus que très bien venus pour l'occasion bonne qui nous y amenoit dont il s'asseuroit que nous désirions bonne issue autant que luy, nous déclarant qu'il avoit esté extrêmement marri des actes d'hostilité qui avoyent esté commis par nos François contre les promesses et au préjudice et rupture de ceste bonne négociation, à laquelle il s'esbahissoit de voir nos François si contraires, ne pouvant estimer d'eux en cela, sinon que ou ils en ignoroyent le fruict, ce qu'il ne pouvoit croire, ou ils le vouloyent empescher, ce qui leur procédoit d'une aigreur véhémente qui les poussoit à offencer un prince qui n'a jamais offencé personne, à le fere armer, malgré luy, et par ce moyen incommoder grandement leurs propres affaires, mesmes qu'il confessoit bien (comme je luy dis par interruption) qu'il y en avoit de leur côté qui ne le désiroyent pas, mais que les raisons que ceux-là, sans les nommer, en avoyent, très pertinentes (c'estoyent Messieurs de Guise), avoyent au contraire deu esmouvoir nos François de chercher cela très curieusement, et qu'au contraire il sembloit qu'ils eussent en cela très bonne intelligence avec eux et feissent leurs affaires, louant Dieu de ce que néantmoins il voyoit leurs négociations se renouer entre nous et luy, qu'il ne doubtoit point d'y aporter une bonne volonté et disposition et qu'à cest effect, il nous prioit de luy déclarer en quoy nous en estions demeurez depuis que nous avions parlé à luy au-dessus de Saverne, afin d'adviser meurement à quoy nous en pourrions tomber, enfin, pour nous en résouldre ensemble et, en advertir quant à luy Son Altesse en toute diligence et de ceste nuict. Sur quoy, je priay le sieur de Wambolt d'ouvrir le propos, et il me pria de parler pour avoir auparavant assisté à toutes choses. Ainsy je commançay à le remercier de l'honneur qu'il nous faisoit en sa bonne réception, l'asseurant que, si nous n'eussions eu une bonne volonté à l'issue de ceste négociation, par le fruict évident que nous en prévoyons de tous costéz, nous n'eussions tant travaillé à cela et ne fussions venu icy, particulièrement moy qui sçavois combien les François m'en vouloyent mal et me faisoyent des mauvais offices par tout à ceste occasion, pour ce que je ne me voulois vestir de leurs passions, aigreurs et animositéz qui leur faisoyent perdre le jugement et cognoissance du bien qui en estoit à espérer, estant ceste négociation la porte par laquelle eux- mesmes devoyent entrer en repos avec un acheminement et suite d'affaires qui en fut souvenue, auquel le sieur d'Aussonville mesmes pouvoit bien et honorablement servir si cest affaire pouvoit en estre conduit à une bonne conclusion après avoir esté désespéré par Monsieur le baron de Potlitz qui a fait l'espace de trois semmaines, de la part de Monseigneur le duc son maistre tous les bons offices qu'on eust peu désirer de l'intercession et prières de Son Altesse, et autant qu'il en eust peu employer pour son propre fait mesmes, comme il l'avoit escrit à Monseigneur de Lorraine en s'en retournant sur la rupture évidente de cest affaire. Ayant esté ledit sieur de Potlitz et le sieur de Couvrelles et moy qui estions très marris de ce qui avoit esté comme résolu avec le sieur de Tantonville à Saverne, le 9e de ce mois (39), à quoy nous espérions fere consentir les François, sauf à faire hausser la somme d'argent, avoit esté si malicieusement interrompu par eux, lesquels ledit sieur de Tantonville, à son partement de Saverne pour aller faire son raport à Son Altesse et estre de retour samedy ensuivant (40), à six heures du matin, avec la résolution toute asseurée, avoit trouvéz allans, sous couleur de faire nettoyer le passage de la montagne, prendre et emmener le capitaine Steffen, gouverneur de Pfaltzbourg, ce que nous protestions avoir este fait par eux à nostre desceu (41) et contre les promesses et asseurances qu'ils nous avoyent donné de ne rien faire qui peut altérer ceste négociation et que ne voudrions jamais participer à telles façons de fere; comme nous leur aurions très bien remonstré, à nostre retour de Saverne, et au sieur de Cormont qui avoit eu commandement de ceste entreprise, qui nous asseura, quant à luy, n'avoir rien sceu de nos affaires dont nous requismes la réparation en renvoyant promptement ledit capitaine en sa place, et ne nous faisant plus ce tort pendant que nous travaillons rondement en un affaire de telle conséquence, de nous vouloir charger d'un soupçon que nous eussions part en telles insincéritéz pour servir à tromperie et infidélité, ce qu'ils auroyent excusé le mieulx qu'ils auroyent peu et promis renvoyer ledit capitaine Steffen sans aucun desplaisir, leur asseurant qu'autrement nous tiendrions tout le mal d'eux et ne nous voudrions plus mesler de cest affaire, pour lequel sur ce parachever lesdits sieurs de Potlitz, et Couvrelles et moy retournasmes à Saverne le vendredy au soir, espérans que ledit sieur de Tantonville ne faudroit de s'y trouver, le lendemain matin, comme il nous avoit promis, ce qu'il ne feist ny ledit sieur de Buy là présent, et ne nous escrivit rien, au moins n'avons receu nulles lettres de luy, lesquelles ont peu estre interceptées par les François, si non un petit mot de lettre dudit sieur de Buy que nous receusmes à dix heures, nous asseurans d'estre à nous à midy, jusques à laquelle heure nous l'attendismes et tout le jour en vain, et, pour ne détourner un si bon oeuvre, voyans les François presser ce jour-là le passage de la montagne; nous les priasmes d'attendre encores jusques au lendemain, afin de veoir ce que ledit sieur de Buy nous apporteroit (lequel présent dit), qu'il avoit esté retenu en chemin par les François, lesquels l'avoyent empesché de venir à nous (pensens avoir desjà gagné toute la Lorraine) et l'avoyent arresté quelques jours avec des injures et outrages indignes jusques à le vouloir tuer (comme il croyoit qu'ils eussent fait sans le sieur de Clervant), et voyant que, tout le jour de sammedy passé, il ne venoit personne, nous couchasmes là et y attendismes encores jusques au lendemain à l'heure que les François feirent, après eux, monter les Suisses et l'artillerie ne les pouvant plus destourner de cela en bonne conscience pour ne voir aucune responce, nous disans, lesdits François, que leur passage hasteroit l'affaire, et néantmoins pour aller au-devant de leurs passions et empescher le mal, tant qu'en nous serait, nous allasmes à Pfaltzbourg, espérans y trouver quelque nouvelles, et, voyans, le lendemain lundy, les Suisses et François s'advancer, allasmes jusques à Lixen exprès, faisant passer les reistres lentement en espérence d'avoir nouvelles dudit sieur de Buy ou dudit sieur de Tantonville, desquels n'entendans aucune chose et voyant ledit sieur de Potlitz sa plus longue demeure inutile pour voir les François et les Suisses se préparer à autres efforts avec l'artillerie délibéra de s'en retourner et escrivit à Monseigneur de Lorraine une lettre de toute sa négociation dont j'avois copie, recommandant à Monsieur le baron de Dona et à nous cest affaire-là au cas que l'occasion se présentast de nouveau d'y pouvoir fere quelque chose de bon, qui fut cause que voyant, au partir de Lixen, que l'armée alloit loger ès environs de Sarrebourg que les François vouloyent avoir comme Pfaltzbourg et continuer ainsi, nous advisasmes ne pouvoir mieulx fere que trouver moyen de dilayer ces effects, de jour en jour, espérans toujours, par le retour dudit sieur de Tantonville, avoir subject d'arrester telles exécutions, ou par le sieur de Buy, lequel, trouvans près Lixen, nous renvoyasmes exprès; mais, voyans lesdits François résolus de fere l'effort, nonobstant toutes nos très pregnantes remonstrances, ausquelles ils avoyent respondu par une lettre de commandement exprès du roy de Navarre, sur ce fait, ne trouvasmes plus autre expédient, veu la sommation de la ville desjà faite à nostre desceu que d'en advertir les collonnels pour interposer leurs remonstrances de ce qui les pouvoit toucher en telle entreprise, ce qu'ils feirent en telle et si bonne forme que nous espérions que les François y auroyent esgard, mais que, pour les contenter, ils leur avoyent respondu que ce qu'ils faisoyent n'estoit que pour avoir vivres et commoditéz pour eux, tout estant retiré dans ladite ville, que les sommations et l'aproçhe qu'ils vouloyent fere de l'artillerie ne tendoit qu'à cela sans vouloir user d'aucune force; que, la nuit ensuivant, nous avions esté bien marris de l'entreprise faite sur le logis du collonnel Bouck, bien qu'elle luy a esté fort honnorable, ayant bien cognu lors qu'il y en avoit aussi entr'eux qui vouloyent par ce moyen altérer l'affaire et contraindre les Allemands par force, comme nos François par artifices, à entrer en actes d'hostilité pour leur juste et nécessaire défense, de sorte que, pendant que nous estions empeschéz en ceste alarme, comme si cela eust esté fait par intelligence expresse avec nos François, qui faisoyent de leur costé les aproches de l'artillerie, je n'y peus arriver, sitost renvoyé par ledit sieur baron, que desjà ils n'eussent capitulé avec ceux de la ville; me plaignant à eux de ce qu'ils l'avoyent fait sans nous, ils m'auroyent respondu avoir en substance satisfait à leurs promesses et que ce qu'ils ne nous avoyent attendu par la formalité n'estoit procédé de mespris, mais pour, pendant nostre empeschement en ceste alarme, prendre l'occasion aux cheveux et venir au bout de leurs demandes, sans force et violences quelconques, mais par accord tel que je n'en pouvois rien dire, sinon que, pour les exhorter à le bien tenir et garder, j'entray dans la ville, où, voyant beaucoup des choses qui ne me contentoyent pas, et ny pouvant remédier par mes remonstrances, ny voulant participer, je m'en retournay fere raport de ce que j'avois veu audit sieur baron, lequel aurait fait tout devoir d'empescher le mal, et, au partir de ce logis, fait conserver ladite ville du pillage et laisser libre, sans garnison que les François y vouloyent laisser, comme ils avoyent fait à Pfaltzbourg, dont ils l'auroyent aussi fait retirer, et remettre le chasteau en son estat ; que, venans es environs de Blaumont, les François auroyent voulu continuer de mesmes, mais que le retour dudit sieur de Buy nous avoit aydé à rompre Ce coup, sur le raport duquel nous aurions fait que d'obtenir de passer outre et empescher, tant qu'en nous serait possible, tous désordres et espérances de renouer et ammener ceste négociation à quelque bonne fin, le priant de ne s'ennuyer de ce long discours, lequel j'avois trouvé convenable de luy fere pour luy mettre devant les yeux comme tout estoit passé depuis l'avoir veu jusques à ceste heure que, estans avec luy pour en fere une fin, je le priois que ce feust partout demain qui nous estoit limité par les François.


(1) Le 30, n. s. - Ce paragraphe n'a point passé dans les Mémoires. Pour les faits qu'il relate, cf. La Châtre, p. 9, et Mémoires... du 23 juin au 13 décembre (Recueil A-Z, lettre G, p. 204).
(2) Lisez : Blamont.
(3) Barbas, aujourd'hui comm. du cant. de Blamont, arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle.
(4) Le 31, n. s. - Même observation que pour le paragraphe précédent.
(5) Ancerviller, aujourd'hui comm. du cant. de Blamont, arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle.
(6) Il s'appelait Jean-Jacques Kiecler (note de M. de Ruble; Mémoires, t. III, p. 99).
(7) Christophe de Beaujeu, seigneur de Saulges, ancien guidon de l'amiral de Coligny ; cf. les Mémoires de La Huguerye, t. 1, p. 124, note.
(8) Lisez : Blamont.
(9) C.-à-d.: à l'aide d'aucune colline le dominant (puisqu'il était situé en plaine; voy. ci-après).
(10) Nous dirions aujourd'hui: de plaisance.
(11) Henri de Lorraine, duc de Guise, chef de la Ligue et commandant des troupes royales opposées à l'armée d'invasion.
(12) Ancerviller, déjà cité.
(13) Bien entendu, c.-à-d. si au fait de tout ce qui se passait.
(14) Le sieur von Bold, chancelier du baron de Dohna.(La Huguerye, Mémoires, t. II, p. 411).
(15) L'incident raconté au début de cet alinéa ne figure pas dans les Mémoires (loc. cit.). - Sur ces pillages continuels, cf. le Discours... de Châtillon (Delaborde, p. 469), et les différentes pièces de notre Appendice.
(16) Lisez : l'étang de Lindre, près Dieuze. - Dieuze, avant 1871, était un chef-lieu de cant. de l'arr. de Château-Salins, Meurthe ; il fait actuellement partie de l' Alsace-Lorraine.
(17) Erbéviller, aujourd'hui comm. du cant. de Saint-Nicolas-du-Port, arr. de Nancy, Meurthe-et-Moselle.
(18) Ogéviller, aujourd'hui comm. du cant. dé Blamont, arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle.
(19) Le 1er.septembre, n. s, - Ce paragraphe a,passé sous le? réserves ci-dessous dans les Mémoires (t. III, p. 107-116).
(20) Saint-Martin, aujourd'hui comm. du cant. de, Blamont, arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle..
(21) Réclonville, aujourd'hui comm. du cant. de Blamont, arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle.
(22) Probablement la Mossig, qui passe aussi à ce village de Marlenheim, souvent cité dans les pages précédentes.
(23) Lemainville, aujourd'hui comm. du cant. d'Haroué, arr. de Nancy, Meurthe-et-Moselle.
(24) M. de Cussy, messager ordinaire, entre la cour de France et le duc de Bouillon ; voy. les Mém. de La Huguerye, t. III, p. 109; note.
(25) Henri III.
(26) Sedan, aujourd'hui chef-lieu d'arr. du dép. des Ardennes.
Au commencement de l'année 1587, le duc de Guise avait investi- Sedan et Jametz, sans autre motif que l'affiliation de leur souverain, le duc de Bouillon, au parti opposé à la Ligue, puis, le 27 avril, avait signé une trêve d'un mois, prolongée ensuite, mais que les exigences contraires des belligérants ne permettaient pas d'espérer de voir frayer les voies à une paix définitive. (La Huguerye, Mém., t. II, p. 368 et 396, t. III, p. 110 et 111 ; cf. les excellentes notes a l'aide desquelles l'éditeur a éclairci chacun de ces passages.)
Bouillon aurait donc été charmé de détourner, au profit de ses intérêts particuliers, l' «  armée de secours, » dont il venait d'être nommé généralissime, de l'objectif primitif qui lui avait été donné.
(27) Cf. le Discours... de Châtillon (Delaborde, p. 469), les Mémoires... du 23 juin au 13 décembre 1581 (Recueil A-Z, lettre G, p. 205), et les documents manuscrits cités par M. de Ruble en note des Mémoires (t. III, p. 110 et 111).
(28) «  ... et c'estoit M. de Monlouet, ... » ajoute-t-il dans ses Mémoires (t. III, p. 111).
(29) «  ... son trésorier Le Roux... » (Mémoires, t. III, p. 113).
(30) Secrétaire d'état du roi de France.
(31) Gerbéviller, aujourd'hui chef-lieu de cant. de l'arr de Lunéville, Meurthe-et-Moselle
(32) Sur cette affaire, cf. les Mémoires... du 23 juin au 13 décembre (RECUEIL A-Z, G, p. 204) et le Mémoire de Quitry (Appendice, IV). - Ogéviller est confondue avec Gerbéviller dans les premiers
(33) Le 2 septembre, n.-s. - Ce paragraphe a passé à peu près textuellement dans les Mémoires (t:III, p. 116-118).
(34) Thiébaumesnil, aujourd'hui comm. du cant. et de l'arr. de Lunéville, Meurthe-et-Moselle.
(35) Pistole, synonyme archaïque de pistolet.
(36) Lisez : Artigotti. - Chrétien d'Artigotti, grand chambellan du duc de Lorraine, d'une famille basque fixée dans ce pays en 1570 (Cayon, Ancienne chevalerie de Lorraine, au mot ARTIGOTTI).
(37) Et non Lunéville, comme disent les Mémoires (t. III, p. 117). - Sur ce siège, cf. La Châtre, p. 8 et 9.
(38) Jean-Blaise de Mauléon, seigneur de La Bastide, chambellan du duc de Lorraine, plus tard sénéchal de Barrois (Lettres et Instructions de Charles III).
(39) Le 19 août, n. s. - Voy. ci-dessus, p. 75 et suiv.
(40) Le 22 août, n. s. - Voy. ci-dessus, p. 75 et suiv.
(41) Sic, pour: à notre insu...

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