BLAMONT.INFO

Documents sur Blâmont (54) et le Blâmontois

 Présentation

 Documents

 Recherche

 Contact

 
 Plan du site
 Historique du site
 
Texte précédent (dans l'ordre de mise en ligne)

Retour à la liste des textes

Texte suivant (dans l'ordre de mise en ligne)


La croix de Lorraine
(notes renumérotées)

 


Le Pays lorrain (Nancy)
1926

LA CROIX DE LORRAINE (1)
Avant 1870, la croix à deux traverses était l'emblème de la Lorraine proprement dite, les Etats des ducs issus de Gérard d'Alsace ; mais ce n'est pas là toute la Lorraine. Ce nom, pris dans sa large acception, s'attache à un territoire qui correspond à peu près aux quatre anciens départements de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges, auxquels il convient d'ajouter le pays ardennais jusques et y compris Sedan, puis une partie du Bassigny haut-marnais, jusqu'au delà de Bourmont. En d'autres termes, la Lorraine comprend les trois anciens diocèses (2) de Metz, de Toul et de Verdun, plus les Décanats wallons de l'archidiocèse de Trèves (3) et le Clermontois.
Cette étendue provient, non pas seulement de la création du duché carolingien de Haute-Lorraine, mais, plus encore peut-être, des circonscriptions romaines, qui s'étaient inspirées des traditions gauloises et furent assez bien conservées par l'établissement des diocèses. Aussi, malgré de grandes variétés parmi les populations de cette contrée, il s'est fondé une sorte d'unité morale, que le traité de Francfort, coupant la Lorraine en deux morceaux, a ravivée et, en quelque sorte, renouvelée. Divisée par ce malheureux traité, la Lorraine a protesté contre cette iniquité ; elle a tenu à manifester ses sentiments par un symbole. Oubliant leurs anciennes luttes contre les ducs, les Messins ont adopté la croix double et leur exemple a été suivi partout. Lors de leur mémorable pèlerinage, autant national que religieux, fait, peu de temps après 1871, au sanctuaire de Sion-Vaudémont, la «  colline inspirée » de Maurice Barrés, ils ont arboré sur leur bannière la croix à deux traverses, mais brisée par le milieu, avec cette devise en patois messin, que les Allemands ne comprirent pas et laissèrent passer : C'name po tojo, ce n'est point pour toujours !
Le choix de ce symbole me paraît avoir été heureux, car il est simple, populaire ; il ne date, comme je l'ai prouvé, que du duc René II ; mais il rappelle le fait le plus saillant de notre histoire provinciale, la victoire sur l'ennemi de la Lorraine et de la France, Charles le Téméraire ; René était le successeur légitime des ducs carolingiens, qui dominèrent sur Metz, Toul et Verdun (4), aussi bien que sur le pays de Nancy, et cet emblème fut celui du petit-fils de René II, François, duc de Guise, qui défendit héroïquement et victorieusement, contre Charles-Quint, la ville de Metz, récemment réunie à la France.
Mais peu de personnes connaissent exactement l'origine de cette croix ; il est souvent demandé de quand elle date, ce qu'elle signifie, comment on doit la représenter, quelle forme et quelle couleur il importe de lui donner. C'est à ces questions que, dans la mesure de ce que j'ai pu apprendre, je voudrais tâcher de répondre brièvement, ayant lieu de croire que je ferai oeuvre utile.
Ainsi que je l'ai expliqué il y a une douzaine d'années, à la sollicitation du directeur de l'Austrasie (5), dans le dernier numéro qui a pu paraître avant la guerre, le type de la croix à deux traverses provient de Jérusalem. La croix ordinaire est le symbole du règne du Christ ; avec deux traverses, ce symbole devient plus spécialement celui du triomphe, car la traverse supérieure rappelle le titulus ou écriteau sur lequel était inscrit en hébreux, en grec et en latin : Jésus Nazarenus, Rex Judaeorum (S. Jean, XIX, 20). Les reliquaires de la Vraie Croix envoyés de Palestine ou de Constantinople sont d'habitude en forme de croix à deux croisillons, et certaines de ces reliques furent ainsi taillées, tandis qu'ordinairement les reliquaires occidentaux n'ont pas cette branche supérieure et allégorique. Par suite de la vénération attachée à de si pieux souvenirs, plusieurs de ces reliques, ou des reliquaires qui les renfermaient, sont devenus des meubles héraldiques, des emblèmes de confréries, de sociétés et même de nations ; mais j'estime que la Croix de Lorraine fait exception, en ce sens qu'elle ne représente pas un objet matériel ; elle est purement symbolique.
En 1885 (6), je me suis attaché à établir qu'elle a été créée, comme emblème de la maison ducale et de la nation lorraine par René II, qui l'employa comme signe de ralliement pendant la guerre contre Charles-le-Téméraire. Avant lui, on avait vu dans les duchés de Lorraine et de Bar, sous la dynastie d'Anjou, une croix analogue : c'est le roi René qui l'avait apportée ; elle rappelait la relique de la Vraie Croix conservée autrefois à l'abbaye de la Boissière (7) ; en outre, le roi René avait mis sur ses grands sceaux de majesté deux écus, l'un à ses armes pleines, où se trouve l'écu de «  Hongrie moderne », l'autre à l'écu de «  Hongrie ancien », qui offre, sur un mont de trois coupeaux, une croix à double traverse, image d'un reliquaire célèbre.
René II a pu être frappé par la vue de ces emblèmes. A ses yeux, j'en suis convaincu, la croix à deux traverses évoquait le royaume de Jérusalem, bien que l'emblème héraldique en soit une croix potencée ; mais ce n'est pas comme héritier du roi René qu'il y prétendait ; il croyait bien descendre directement d'un frère de Godefroy de Bouillon et avoir les meilleurs droits sur ce royaume.
Aussi, dit un ancien chroniqueur, il a donné à la croix de Lorraine la couleur blanche (8), tandis que la croix d'Anjou était noire et celle de Hongrie rouge. Cependant, à l'égard de cette dernière, il existe une contradiction : tandis qu'en effet, certains auteurs la disent de couleur rouge, le blason l'indique d'argent, c'est-à-dire blanche ; je pense que l'on peut expliquer cette divergence : la croix d'argent serait, en réalité, le reliquaire ; la couleur rouge se rapporterait à la relique, le bois de la croix rougi par le sang du Christ. Il se pourrait donc que René II se fût inspiré de la croix héraldique de Hongrie ; mais la question n'est pas encore bien élucidée et, en tous cas, René n'a pas cherché à imiter la forme de ce reliquaire : celle de la croix de lorraine, quant aux proportions, a été dès son règne, très variable (9). Il parait aussi que la couleur n'en ait pas été fixée et que, dans la suite, on l'ai vue, non plus d'argent, mais d'or (10).
Il semble donc qu'il soit permis de donner à la croix de Lorraine des couleurs diverses, comme on le voit dans des armoiries accordées par les ducs, et aussi des formes variées quant aux détails, tels que la terminaison (11) et la disposition des traverses ; mais la supérieure ne doit jamais être la plus longue.
Notre victoire sur l'Allemagne a donné raison à la devise c'name po tojo. Puisse la Lorraine se reconstituer sous l'égide de la croix ducale, conservant ses caractères particuliers dans l'unité de la patrie française !

L. GERMAIN DE MAIDY.

(1) Cet article a été composé, pendant la guerre, pour une revue dont les événements ont arrêté
la publication. Je crois qu'il peut encore être utile.
(2) Il faut se garder de confondre le mot diocèse, qui s'applique à la juridiction spirituelle, avec le mot évêché, désignant ordinairement le temporel de l'évêque. Toutefois, quand on parle des Trois-Evêchés, il s'agit non pas seulement des territoires qui appartenaient aux évêques de Toul de Metz et de Verdun, mais encore des trois villes libres ainsi nommées et des temporels des chapitres.
(3) Ces décanats, de langue française, formaient l'Archidiaconé de sainte Agathe, qui s'étendait jusqu'à Sedan et dont le siège était à Longuyon. Dans les derniers siècles de l'Ancien Régime, l'archidiacre était un évêque in partibus qui avait une résidence à Longwy-Haut.
(4) Cette opinion, qui était la mienne depuis longtemps, a été mise hors de doute par les beaux travaux de M. Robert Parisot.
(5) N° 16, année 1913 : Note sur l'origine de la Croix de Lorraine.
(6) Origine de la Croix de Lorraine, dans la Revue de l'art chrétien, 1885 ; aussi tiré à part, in-4°. 9 p., avec figures. Dix ans plus tard, j'ai publié une nouvelle édition, remaniée, de ce travail dans l'Annuaire de Lorraine, Nancy, 1895, aussi tiré à part, in-8°, 28 p., figures.
(7) Au diocèse d'Angers. Cette croix, dont le reliquaire est fort remarquable, appartient à l'hôpital de Baugé.
(8) Joannès Lud, Vraye déclaration du fait et conduite de la bataille de Nancy, publiée par dom Calmet, Hist. de Lorr., Ire édit., t, III, pr., col, CXXIV.
(9) D'habitude, la Croix de Hongrie est légèrement pattée à ses extrémités; lorsqu'elle se présente isolée, on lui voit, au bas, un appendice pointu, destiné à la fixer sur un support. La Croix de Lorraine ne reproduit pas ces dispositions.
(10) J.-J. Chiffiet, Commentarius lothariensis, Anvers, 1649, p. 95-96.
(11) Je crois qu'anciennement la tige et les traverses se terminent toujours carrément ; mais, depuis longtemps déjà, on a parfois modifié ces extrémités, surtout en les tréflant.
Sur le même sujet, cf. Chr. Pfister, Histoire de Nancy, t. 1er, 1902, p. 550-553 et 707-708.

 

Mentions légales

 blamont.info - Hébergement : Amen.fr

Partagez : Facebook Twitter Google+ LinkedIn tumblr Pinterest Email