Voilà du
bon, du vrai patriotisme digne de tous les
éloges et non de la vaine agitation
dangereuse.
La ville de Blâmont (Albus Mons) s'est
souvenue en ce jour de sa glorieuse histoire
que nous voudrions résumer brièvement.
Dès le VIIe siècle elle appartint
à l'abbaye de Senones, et l'on parla d'elle
dans le célèbre partage carolingien de
Charles le Chauve et Louis le Germanique.
Dès le Xe siècle, ce pays portait
le titre de comté de Blâmont, et les sires
châtelains bien souvent eurent maille à
partir avec les évêques-comtes de Metz, tout
puissants dans la région de la Meurthe et de
la Vezouse.
La capitale du Blâmontois appartint
successivement à des seigneurs particuliers,
puis aux princes de Salm qui lui donnèrent
leurs armoiries : les saumons de gueules,
accolés, avec une rose rouge entre les deux.
L'histoire de cette ville et de ses
seigneurs a été écrite plusieurs fois en ces
derniers temps, et cette histoire est fort
curieuse.
Disons seulement que Blâmont a subi des
sièges nombreux et que ses défenseurs se
sont toujours montrés héroïques.
C'est en 1587 que les reitres allemands
viennent d'abord l'assiéger: un jeune
gentilhomme lorrain, Mathias Klopstein, qui
s'était jeté dans la ville avec deux
compagnies, se défendit si vaillamment,
qu'après avoir tué 200 hommes aux Allemands,
il les obligea à lever le siège.
En 1593, Blâmont reçoit des visites royales
(beau sujet de cavalcade historique un
jour). C'est Catherine de Médicis et son
fils Henri III, le duc d'Alençon et
Marguerite de Navarre. Ce sont les
ambassadeurs de Pologne, venant offrir la
couronne au frère de Charles IX, ce sont des
seigneurs français et de hautes et
puissantes dames.
Voici maintenant l'invasion de la Lorraine
pendant la guerre de Trente-Ans. Le féroce
duc Bernard de Saxe-Weimar arrive devant
Blâmont pour l'investir.
Un autre Klopstein, qui en était gouverneur,
y met le feu et se réfugie dans le
château-fort. Il s'y défend avec tant
d'énergie que les Allemands, devenus maîtres
de la place, le tirent pendre à la porte du
château et passèrent toute la garnison au
fil de l'épée.
Admirable défense, morts héroïques de
Blâmont en 1636, qu'il conviendrait de
glorifier un jour par une plaque
commémorative du Souvenir français, fixée
aux ruines majestueuses du vieux château de
Blâmont.
Dirons-nous aussi toutes les illustrations
de Blâmont ? C'est le général Louis Klein,
devenu pair de France; c'est le célèbre
docteur Lottinger, c'est surtout Régnier,
duc de Massa, grand-juge de France sous
Napoléon Ier, sorti de Blâmont simple fils
de meunier; c'est encore le député Regnault
sous la Révolution, et tant d'autres qu'il
nous serait facile de citer dans le temps
présent.
On le voit, aucune gloire n'a manqué à
Blâmont et à son canton : gloire militaire à
tous les âges, gloire artistique et
littéraire, célébrités de tout genre,
industrie, commerce, agriculture.
Aujourd'hui, nos 33 communes lorraines,
unies dans le même sentiment d'amour
patriotique exaltent les meilleurs de leurs
enfants.
Saluons tous ces héros, morts pour la
Patrie. Que leur mémoire soit bénie et à
jamais conservée, et qu'au jour des
prochains combats, leur exemple enflamme et
conduise à la victoire de nombreux enfants
de Blâmont !
Sur leur tombeau de granit, jeunes filles,
tressez des couronnes; petits garçons,
effeuillez des roses... sur leur tombeau de
granit, passe et repasse un vent d'héroïsme
et de foi !
Loin d'abord, bien loin dans les âges, à la
formation de nos communes rurales, les
enfants du canton
plusieurs fois se levèrent à l'appel des
seigneurs, des suzerains de Blâmont, les
vaillants sires batailleurs qui frappaient
d'estoc et de taille et se servaient des
manants, nos pères, pour agrandir leurs
domaines ou défendre leurs forteresses.
Ces paysans de nos vallées lorraines
luttaient et combattaient ensemble,
mouraient en héros modestes, ayant bien fait
leur devoir, ou retournaient, vainqueurs, à
leurs joncs, à leurs oseraies, à leurs
pâturages et aux rudes labeurs du sol
ancestral.
- Sur leur tombeau de granit, jeunes filles,
tressez des couronnes ; petits garçons,
effeuillez des roses... sur leur tombeau de
granit, passe et repasse un vent d'héroïsme
et de foi.
Ce furent ensuite les grandes épopées du
moyen âge, les chevauchées sans fin, les
sièges innombrables: ce fut l'époque où, de
Blâmont à Ogéviller, de Buriville au ban de
la Rivière et à Herbéviller, de Badonviller
à Pierre-Percée, s'élevèrent les
châteaux-forts, les donjons et les tours,
dont les ruines gigantesques nous émeuvent
encore aujourd'hui.
Et les enfants de Blâmont - civis murus
erat, chaque citoyen était un mur vivant -
s'unirent pour repousser l'envahisseur,
l'allemand, le germain d'outre-Rhin.
Non pas une fois, mais dix... et un jour,
aux murailles sanglantes du vieux château de
Blâmont on vit ceci : le corps d'un
Klopstein, gouverneur et défenseur de la
cité, pendu par les reîtres, se balançant à
une corde, avec, au-dessous, les cadavres
des citoyens, des enfants de Blâmont, morts
glorieusement pour avoir lutté contre
l'Allemand et sauvé l'honneur de la Lorraine
envahie.
- A ceux-là, a ces héros d'autrefois qui
n'ont pas de tombeau de granit, jeunes
filles, ah! tressez des couronnes; petits
garçons, conscrits de demain, offrez des
palmes de triomphe... sur les ruines du
vieux château de Blâmont, passe et repasse
depuis 1636, un vent d'héroïsme et de foi.
Et puis, hier, ce fut l'histoire sublime...
les enfants de Blâmont, se levant avec un
ensemble merveilleux, dans toutes les
communes, et s'en allant là-bas, vers la
Woëvre ou les plaines d'Alsace, vers Metz et
vers Sedan, aux champs de Loigny ou de
Bapaume.
C'étaient nos pères, nos frères, nos
parents, nos amis.
Ils sont tombés pour la patrie, ils sont
morts pour elle... Ils ont fait simplement
ce qu'avaient fait leurs pères, ce que leurs
fils feront à leur tour, au jour de l'appel
aux armés.
Ils sont morts et ils vivent, ils revivent
aujourd'hui dans la mémoire de tous, et
Blâmont les honore et veut perpétuer à
jamais leur souvenir. Gloria Victis !
Sur leur tombeau de granit, jeunes filles,
tressez des couronnes ; petits garçons,
effeuillez des roses... sur leur tombeau de
granit passe et repasse un vent d'héroïsme
et de foi.
Voici le croquis du joli monument
patriotique inauguré à Blâmont le 10 juin
1900.
Cette pyramide est
toute en granit des Vosges, taillé et poli.
Elle a été exécutée parla maison
Cuny-Mangin, de Lunéville, si connue et si
réputée dans l'arrondissement pour ses beaux
travaux en marbre, en pierre, en granit. Le
plan et les dessins sont l'oeuvre de M.
Charles Cuny, et tout l'ensemble a été
exécuté sous sa direction.
La hauteur totale du monument est de 7
mètres; vers le centre, on voit un superbe
cartouche en marbre blanc, contenant les
armes de la ville de Blâmont et la devise de
la Société des Vétérans.
Disons ici que ce cartouche a été
spontanément offert par l'entrepreneur, à
titre de souscription personnelle.
Sur les différentes faces de la pyramide, on
remarque des panneaux polis renfermant la
dédicace du monument:
AUX ENFANTS DU CANTON MORTS POUR LA PATRIE,
1900.
Sur les panneaux latéraux, également polis,
on peut lire les noms de toutes les communes
du canton de Blâmont qui ont participé à la
souscription.
Tout autour de la pyramide, on a placé une
grille en fer forgé, reposant sur des
bordures de granit. Cette grille est un don
du Souvenir français; elle a été posée par
les soins de la maison Cuny-Mangin, qui est
heureuse d'enregistrer dans ses annales, qui
remontent à 1857, l'exécution d'un monument
patriotique qui rappelle de si glorieux
souvenirs lorrains.
L'Inauguration.
Quand, dans un beau
geste militaire, le général Marin se
retourna au cimetière de Blâmont, vers les
drapeaux flottants des Vétérans, il y eut
comme un frisson d'enthousiasme, un cri
d'espérance dans toute la foule réunie au
pied du monument commémoratif.
En quelques phrases vibrantes, après la
claironnée vigoureuse de M. Niessen, le
général, illustre enfant de Blâmont, avait
fait appel à l'union patriotique. Il y avait
là, groupés sous le chaud soleil de midi, un
bon millier de vrais Lorrains au grand coeur,
prêtres et soldats, vétérans et conscrits,
hommes politiques et simples paysans, tous
unis dans la même pensée: honorer les
glorieux morts de 1870, les enfants du
canton tombés pour la France, pour la grande
patrie dont la Lorraine est une des
meilleures provinces.
On sentait vibrer chez tous la même foi
patriotique, le même enthousiasme, la même
ardeur.
Au pied du monument, croyez-le, il n'y avait
que de bons Français, heureux de se trouver
réunis, rayonnants de bonheur et d'émotion,
enflammés par les paroles ardentes qu'ils
venaient d'applaudir.
C'était là--pour un instant trop court -
l'union des esprits et des coeurs. Blâmont ne
connaissait plus de divisions, ni de
partis... On sentait passer une flamme, le
souffle des anciens héros, des défenseurs de
Blâmont à travers les âges... l'âme des
vieux Lorrains se levait de la terre
ancestrale et planait sur toute
l'assemblée... pendant que se profilaient
sur l'azur du ciel les ruines pittoresques
du château féodal, forteresse avancée où
succombèrent glorieusement tant d'enfants de
Blâmont.
C'était vraiment beau, vraiment solennel, et
quand les clairons sonnèrent aux champs,
quand les drapeaux s'inclinèrent devant le
monument de granit, un cri s'éleva, répété
par la foule : « Vive l'armée! Vive la
France ! »
De telles cérémonies sont bonnes et toutes
réconfortantes. Elles sont vraiment trop
rares, mais comme elles vivifient, comme
elles raffermissent aux heures de trouble et
de défaillance, comme elles consolent des
déboires de la vie, comme elles sont un gage
d'espérance et d'union !
L'union, l'union, on n'a pas cessé d'y faire
appel, aux fêtes de Blâmont !
Il ne faut pas que ce soit un vain mot, une
simple réclame d'un jour; il faut en faire
notre règle de conduite, dans les grandes et
les petites choses.
Les socialistes militants, parlent sans
cesse de bonheur, d'humanité régénérée par
eux... et pour cela ils prêchent la guerre
sociale, ils appellent la révolution
sanglante et tous ses excès violents.
Nous voulons l'union de tous les bons
citoyens, la paix sociale, l'accord surtout
entre les habitants d'une même bourgade
comme d'une même cité.
Républicains d'origine, ouvriers de la
première heure, nous savons mieux que
personne - mieux surtout que ces ouvriers de
la onzième heure, néophytes plus ardents que
sincères et désintéressés, que rien de grand
et de durable ne se fonde, ne se garde, ne
se maintient solidement sans union.
Serrons les rangs, habitants des villes et
des campagnes, l'union fait la force,
l'union c'est la paix, c'est la victoire.
En
route.
Bleu, bleu, le ciel
est tout bleu.
Il fera chaud, mais la journée sera belle,
et sous le vent brûlant qui vient des
Vosges, les oriflammes vont joyeusement
claquer.
Au loin, tout là-bas, s'estompe la ligne
bleue des Vosges, dont les ballons s'imprécisent,
fermant l'horizon. On les dirait, ces monts
arrondis, noyés dans un bain d'air bleuté,
avec des remous plus profonds et plus
sombres, qui sont les grands bois de sapins
et les franges des vallons.
Bleu, bleu, le ciel est tout bleu, pendant
que les rivières de Meurthe et de Vezouse
sont toutes blanches, blanches de fleurs
d'eau qui s'étendent par myriades à la
surface des londeaux, telles par les rues de
Lunéville, en ce chaud dimanche de juin, les
petites communiantes de chez nous.
Et, passent les terres rouges, les andains
de la fenaison, Ies boquetaux de plaisance,
les fermes isolées, les mamelons aux vignes
à moitié gelées, et les plaines, les larges
plaines où frissonnent, emmy les bleuets,
les marguerites et les rouges coquelicots,
les blés, les avoines et les seigles.
Passent aussi les villages : Marainviller et
Thiébauménil, Manonviller et son fort, Vého
où naquit Grégoire, Emberménil où il fut
curé, Domjevin, patrie de curés rebouteurs
et bâtisseurs, Bénaménil aux maisons
blanches, Laneuveville-aux-Bois, aux bains à
venir, aux sources laxatives, enfin Repaix.
Igney, Amenoncourt et Avricourt. les ultimes
villages lorrains du bord de la cruelle
frontière, qu'on ne revoit jamais sans un
déchirement d'âme.
Et c'est la gare française d'Avricourt avec
ses multiples services d'avant-postes, jetée
là en pleins champs, entre deux petits
villages, fin de France, fin de Lorraine -
face à l'autre, à l'insolente gare allemande
avec ses faux airs de château-fort, garni de
tourelles, de créneaux et de mâchicoulis.
Bientôt nous repartons vers Blâmont et Cirey,
en passant par les finages si perdus de
Foulcrey et de Gogney... Et c'est tout de
suite Blâmont, avec, sur la placette de la
station, une foule d'Albimontais heureux de
cette fête et de cette animation inespérée.
A
Blâmont.
La jolie petite ville
de Blâmont a fait une pimpante toilette pour
recevoir ses hôtes et célébrer les héros de
son canton. Partout, à toutes les fenêtres,
ce ne sont que drapeaux, oriflammes
tricolores, russes, lorraines. Les forêts
voisines ont prêté leur verdure, de nombreux
sapins sont disposés avec élégance à travers
les rues, garnis de petits drapeaux
tricolores du plus gracieux effet.
De la gare au cimetière, c'est un
enchantement de verdure et de couleurs
chatoyantes. Çà et là, des arcs de triomphe
en mousse et sapins; les fontaines sont
parées et transformées en jets d'eau. Sur la
place Carnot - où le monument patriotique
eût été mieux à sa place - on voit une oeuvre
remarquable du capitaine Delabbeye, une
porte massive, avec la date de 1766 et cette
inscription : « Honneur aux vétérans de
1870-71 ! ».
Au-dessus, dans un trophée de drapeaux, les
armes de la glorieuse ville de Blâmont.
Presque toutes les maisons ont arboré des
drapeaux, et la coquette cité s'est
véritablement transformée. C'est plaisir de
parcourir ces rues descendantes, où
l'archéologue est heureux de cueillir une
date, de croquer un trumeau Renaissance et
de signaler des souvenirs curieux.
Sur la place de l'Hôtel de Ville - il a
grand air ce monument - c'est une profusion
de décorations de tout genre qui témoignent
du bon goût et du dévouement des
organisateurs.
Le
Défilé.
A la gare même,
s'organise le défilé, dès l'arrivée du train
de Nancy, Lunéville et Avricourt.
En tête, la musique la Blâmontaise,
habilement dirigée par M. Receveur, greffier
de la mairie et qui va donner toute la
matinée, sans compter.
Puis la compagnie des sapeurs-pompiers, en
armes, le maire, M. Labourel et son conseil
municipal, M. Bentz, conseiller général, M.
Moitrier, conseiller d'arrondissement, un
officier d'état-major, délégué par le
général de Monard, plusieurs officiers des
garnisons de Lunéville et de Baccarat,
quelques officiers de la réserve et de la
territoriale, parmi lesquels le baron de
Turckheim, maire de Repaix, et notre ancien
condisciple Duron, juge de paix de Blâmont.
Viennent ensuite les délégations des
vétérans de Blâmont, Cirey, Lunéville avec
leurs drapeaux, puis les jeunes conscrits de
Blâmont, enfin une foule considérable venue
de tous les points du canton.
Aux sons entraînants de la musique, le
défilé descend, à travers les rues
pavoisées, se rendant à la mairie, où a lieu
une première dislocation.
Bientôt arrivent M. Fenal, député de
Lunéville, revêtu de ses insignes
parlementaires, M. Niessen, délégué du
Souvenir français, le colonel Delarue.
enfant de Blâmont, enfin le président
d'honneur, le général Mann, en grande tenue,
deux croix de commandeur au cou.
A
l'Église.
Dix heures sonnent, et
pendant que les cloches carillonnent, le
cortège officiel, aux accents de la musique,
se rend à l'église, la charmante petite
cathédrale ogivale, dont les Blâmontais sont
si fiers, et à juste titre.
Les deux tours, aux flèches pointues,
s'élancent droit vers le ciel, et le
portail, dressé au sommet d'un immense
escalier, est tout orné de sapins, de
guirlandes, d'écussons et de drapeaux.
A l'intérieur, partout des drapeaux:
drapeaux à l'autel, drapeaux en trophées aux
piliers, réunis par un écusson portant la
devise: Pro patrià.
A l'arrivée du cortège, l'église est déjà
pleine: les dames de Blâmont et des
alentours, en claires toilettes d'été, les
jeunes filles en délicieux atours; tout un
joyeux monde froufroute et bourdonne sous
les nefs trop étroites.
Affairé, haut en couleur sous sa mosette
décanale, M. le curé-doyen Florentin
s'essaye à placer tous ses invités. Avec
aisance, il reçoit le cortège officiel et le
conduit aux places réservées. C'est un
instant de tumulte, au milieu duquel résonne
la voix brève du capitaine Delabbeye avec
ses commandements militaires.
Enfin tout le monde réussit à se caser.
La grand'messe est chantée par l'abbé
François, curé de Verdenal, « ce vieux curé
François de Xousse », d'il y a vingt-cinq
ans, qui eut la joie, étant curé de
Saint-Marcel, près de Mars-la-Tour, de
découvrir dans les champs de bataille du 16
août les corps de deux glorieux soldats
français.
La Chorale de Baccarat exécute une messe en
musique très remarquable et fort appréciée,
pendant que, derrière l'autel, la fanfare
interprète de splendides symphonies.
M. l'abbé Florentin prononce après
l'Évangile une allocution empreinte du plus
pur patriotisme.
Dans un style châtié et très élégant,
l'éloquent curé fait délicatement l'éloge du
général Marin, puis il montre que le
patriotisme ne peut se séparer de la
religion, surtout au milieu des périls qui
menacent la patrie.
Il définit le patriotisme et en donne de
beaux exemples; il montre les sacrifices de
nos héros et fait un admirable parallèle
entre la France du passé et celle
d'aujourd'hui, saluant avec émotion
l'angélique figure de Jeanne d'Arc.
M. le curé de Blâmont parle aussi du corps
et de l'âme de la patrie: On ne s'improvise
pas Français, dit-il, et n'est pas qui veut
de l'âme de la France.
Enfin il termine par une péroraison très
émue, paraphrasant la devise célèbre : Gesta
Dei per Francos et le Domine, salvam fac
Rempublicam.
Il s'écrie: Vive la France! Vive l'armée!
Vive la religion ! ô Dieu, sauvez la France,
sauvez l'état de choses actuel !
Et le choeur entonne le chant liturgique pour
la République, secondé par les airs
enlevants de la Blâmontaise.
Au
Cimetière.
Pendant que la messe
s'achève et que s'organise le défilé
processionnel, nous allons visiter le
cimetière où le monument est érigé.
Plus loin que l'église et les dernières
maisons, sur l'autre versant de la vallée,
se trouve l'enclos funéraire, récemment
agrandi de près de moitié.
On peut citer le cimetière de Blâmont pour
modèle; il est parfaitement entretenu et les
monuments sortent de la banalité ordinaire.
M. Cuny-Mangin fils, l'aimable artiste
lunévillois, veut bien se faire notre guide
; il nous dit qu'à Blâmont il y eut naguère
un sculpteur habile, Goeury, qui cisela la
plupart de ces beaux monuments funéraires.
En faisant le tour des allées, nous relevons
certains tombeaux: voici une curieuse
rotonde, sorte de chapelle d'attente, puis
la tombe de Vautrin, officier en retraite,
chevalier de la Légion d'honneur, ancien
juge de paix et conseiller général
(1786-1855) ; le mausolée du sculpteur Goeury,
orné de son buste; les tombes de L. Fensch,
sous-officier de tirailleurs tonkinois, de
Victor Pierre, un des grands bienfaiteurs de
Blâmont, qui a sa rue devant l'église, du
capitaine L. Lafrogne, 1771-1851 et de J.
Lafrogne, ancien officier, 1810-1880.
Voici encore les cénotaphes de la famille
lorraine Mathis de Grandseille, de la
comtesse de Pindray, baronne de Sailly,
morte en 1816, bienfaitrice de Blâmont, la
chapelle de la famille de Martimprey de
Romécourt, avec son double écusson accolé et
sa devise: Pro fide pugna.
Enfin nous saluons les tombeaux des Le
Harivel de Gonneville, dont un capitaine,
mort en 1894, du doyen Mengin, curé de
Blâmont, 1797-1868, de Marie Comte, insigné
bienfaitrice de la cité, de Brice, ancien
conseiller général, 1840-1887, de Collesson
et des Lafrogne, l'un conseiller général,
1799-1848, l'autre député, 1769-1847.
Tout à l'autre bout du champ des morts, se
dresse la pyramide de sept mètres, en granit
bleu des Vosges, qu'on va inaugurer
solennellement.
Le
Monument.
Ce monument, nous en
avons fait l'exacte description, et nous en
avons donné la reproduction fidèle, grâce au
dessin si précis de M. Cuny-Mangin. Nous n'y
reviendrons donc pas.
Constatons simplement trois choses:
1° Le monument a fort grand air avec ses
tonalités de granit poli et bouchardé, sa
plaque de marbre-blanc armoriée, sa croix de
Lorraine et ses inscriptions commémoratives.
Il devra, pour produire tout son effet,
continuer à être entouré de sapins en
hémicycle, comme il était provisoirement à
l'inauguration.
2° Il eût été préférable de l'ériger sur une
des places de Blâmont. Ce n'est pas un
monument de deuil, mais un monument de
triomphe et un monument cantonal.
3° Il n'est pas encore terminé tout à fait.
Sur les faces latérales, il reste à graver
et à dorer les noms
des 33 communes du canton, 17 d'un côté, 16
de l'autre.
Ajoutons que sur la face postérieure on a
posé un marbre noir avec cette inscription :
« Ce monument a été érigé en l'an 1900 ».
Deux couronnes ont été déposées devant le
monument, l'une par le Souvenir français,
apportée par
M. Niessen, l'autre par l'Union patriotique
des conscrits de Blâmont, classe 1900, avec
cette inscription : « A nos aînés morts pour
la Patrie ».
L'Inauguration.
Mais, au son des
cloches et au bruit des fanfares guerrières,
le cortège s'avance, précédé du clergé, qui
bénit le monument après le chant du Libera
et de l'antienne de la Résurrection.
Pendant qu'avec un bruit lugubre, la lourde
bâche verte qui recouvrait la pyramide
tombe, les personnages officiels se groupent
sur le devant du monument entouré par une
foule considérable.
M. Ferrez, président de la 320e section des
Vétérans, prend le premier la parole et
remet le monument à la municipalité de
Blâmont. Il remercie les invités, le général
Marin, M. Fenal, M. Niessen, le colonel
Delarue, le capitaine Keller, délégué du
général de Monard, etc. Il remercie les
souscripteurs de la ville et du canton et
commente la devise des vétérans: Oublier ?
Jamais ! Il termine par un salut aux humbles
héros et offre le monument à la ville de
Blâmont.
M. Labourel, maire de Blâmont, prend
possession du monument patriotique; il
remercie le comité des Vétérans de leur
pieuse pensée; il remercie les souscripteurs
et les communes qui ont répondu avec
empressement. Il constate que l'oeuvre est
grandiose pour une petite ville, et il
assure que c'est avec orgueil que les jeunes
générations fixeront leurs regards sur
l'élégante colonne de granit.
M. Labourel, après avoir distribué de
nombreux éloges et remerciements, dit que ce
monument sera un enseignement perpétuel et
fécond, un exemple pour le devoir à remplir.
Il termine en faisant des voeux pour que le
tir de Blâmont soit mieux suivi par les
jeunes gens. Cet appel sera entendu, car le
discours du maire a été clôturé par les cris
répétés de « Vive l'armée! »
Discours de M. Niessen.
On ne saurait analyser
ni même reproduire un discours de M. Niessen.
Chez cet apôtre enflammé du Souvenir
français, Alsacien au grand coeur, tout parle
à l'âme, la voix, les gestes, les paroles
ardentes.
M. Niessen, à Blâmont comme ailleurs, a été
vraiment éloquent, de cette éloquence qui
est sincère et naturelle et qui empoigne les
auditeurs. Il a félicité chaleureusement les
promoteurs de la cérémonie, salué toutes les
autorités et longuement parlé de la femme
française et de l'oeuvre admirable qu'il a
créée et dont il reste l'infatigable
promoteur, le Souvenir français.
M. Niessen a eu des mots éloquents pour
saluer les tombes de nos soldats de 1870, en
France, en Alsace et en Allemagne.
Il a ensuite montré tout ce qu'avait fait le
Souvenir français depuis 1887 et annoncé que
le département de Meurthe-et-Moselle venait
seulement au 43e rang dans l'oeuvre si utile
qu'il a entreprise avec une foi et une
persévérance si indomptables.
M. Niessen salue le nouveau monument de
Blâmont qui restera comme l'autel de la
patrie; il voudrait voir (comme nous), dans
chaque bourgade lorraine, un semblable
monument se dresser, afin d'être un
témoignage de la valeur des anciens et un
exemple pour les jeunes; il espère même que
dans chaque village, dans chaque hameau, on
pourra élever une plaque commémorative à la
mémoire d'une illustration militaire locale,
tombée sur les champs de bataille au service
de la patrie.
Et M. Niessen, dans une péroraison des plus
enthousiastes, salue le drapeau français; il
acclame les humbles héros de Blâmont et en
déposant sa couronne, il s'écrie: A nous le
souvenir, à eux l'immortalité !
Discours du général Marin.
Le général Marin,
enfant de Blâmont, prend le dernier la
parole. Il remercie les Vétérans de l'avoir
appelé à présider cette fête patriotique de
son pays natal.
A quelque opinion politique que nous
appartenions, dit-il, une même pensée
patriotique nous réunit: l'union des coeurs
dans le culte des soldats morts pour la
patrie.
Cette cérémonie a un caractère d'autant plus
imposant qu'elle a lieu à nos frontières
mutilées, devant les ruines séculaires du
château de Blâmont, où nos pères ont
combattu avec énergie.
Les enfants feront ce qu'ont fait leurs
pères. Enfants de la vieille Lorraine, ayons
toujours au coeur l'amour de l'armée, qui
reste la sauvegarde de nos institutions.
Au nom de mes camarades, merci aux Vétérans,
merci à tous ceux dont l'influence,
l'autorité, la générosité, ont permis
l'érection de ce monument; merci au général
de Monard qui a voulu associer l'armée
active à cette fête du souvenir, merci au
clergé qui a senti que la religion et le
patriotisme ne pouvaient se séparer, merci
au Souvenir français, à M. Niessen,
l'Alsacien au grand coeur, à la foi
patriotique.
Et maintenant, Messieurs, saluons nos
humbles héros morts pour la patrie! Au
drapeau ! Au drapeau !
Les cris de « Vive l'armée! » accueillent
cette courte mais vibrante allocution, et
les clairons sonnent aux champs.
La musique exécute ensuite la Marseillaise
et le cortège se disloque pour redescendre
en ville.
Un banquet de 80 couverts à l'hôtel de ville
a suivi.
Plusieurs toasts ont été portés par M. le
Maire, M. Fenal, député, M. Bentz,
conseiller général, M. Ferrez, M. Delabbeye,
le général Marin, M. Niessen et M. Moitrier,
conseiller d'arrondissement. |