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10 juin 1900 - Le monument de Blâmont


Dix ans du Souvenir français en Lorraine
Emile Badel
NANCY
A. CRÉPIN-LEBLOND, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
1907


Le Monument de Blâmont
10 juin 1900
 
La ville de Blâmont a inauguré, le 10 juin 1900, dans les splendeurs d'une fête d'union patriotique, un superbe monument en granit, à la mémoire glorieuse de tous les Enfants du canton de Blâmont, morts pour la Patrie.
Pensée pieuse et salutaire, féconde en nobles enseignements pour les générations nouvelles qui viendront s'inspirer devant ce tombeau et y puiser du courage, de la force, de la vaillance.
Les 33 communes du canton de Blâmont sont représentées sur ce monument, qui redira les noms des jeunes héros aux âges les plus reculés, monument que nous voudrions voir reproduit dans tous nos chefs-lieux de canton et nos bourgades les plus importantes de la région lorraine.
Voilà l'oeuvre bonne, nécessaire et durable que devraient entreprendre toutes les sections de ces Sociétés patriotiques qu'on appelle le Souvenir français, les Vétérans, les Associations de Conscrits.
Cela vaudrait mieux assurément que ces couronnes de perles grossières ou de tôle émaillée qui coûtent généralement fort cher et qui sont bientôt en loques, défigurant plutôt les monuments que les ornant convenablement.
Oui, dans tous les chefs-lieux de canton, nous voudrions voir, sur une place publique, dans un bosquet ou un square, à la bifurcation de deux routes, ou bien au centre du cimetière, un monument de souvenir qui deviendrait cher à toutes les populations et serait comme le palladium patriotique de tout le canton.
Voilà du bon, du vrai patriotisme digne de tous les éloges et non de la vaine agitation dangereuse.

La ville de Blâmont (Albus Mons) s'est souvenue en ce jour de sa glorieuse histoire que nous voudrions résumer brièvement.
Dès le VIIe siècle elle appartint à l'abbaye de Senones, et l'on parla d'elle dans le célèbre partage carolingien de Charles le Chauve et Louis le Germanique.
Dès le Xe siècle, ce pays portait le titre de comté de Blâmont, et les sires châtelains bien souvent eurent maille à partir avec les évêques-comtes de Metz, tout puissants dans la région de la Meurthe et de la Vezouse.
La capitale du Blâmontois appartint successivement à des seigneurs particuliers, puis aux princes de Salm qui lui donnèrent leurs armoiries : les saumons de gueules, accolés, avec une rose rouge entre les deux.
L'histoire de cette ville et de ses seigneurs a été écrite plusieurs fois en ces derniers temps, et cette histoire est fort curieuse.
Disons seulement que Blâmont a subi des sièges nombreux et que ses défenseurs se sont toujours montrés héroïques.
C'est en 1587 que les reitres allemands viennent d'abord l'assiéger: un jeune gentilhomme lorrain, Mathias Klopstein, qui s'était jeté dans la ville avec deux compagnies, se défendit si vaillamment, qu'après avoir tué 200 hommes aux Allemands, il les obligea à lever le siège.
En 1593, Blâmont reçoit des visites royales (beau sujet de cavalcade historique un jour). C'est Catherine de Médicis et son fils Henri III, le duc d'Alençon et Marguerite de Navarre. Ce sont les ambassadeurs de Pologne, venant offrir la couronne au frère de Charles IX, ce sont des seigneurs français et de hautes et puissantes dames.
Voici maintenant l'invasion de la Lorraine pendant la guerre de Trente-Ans. Le féroce duc Bernard de Saxe-Weimar arrive devant Blâmont pour l'investir.
Un autre Klopstein, qui en était gouverneur, y met le feu et se réfugie dans le château-fort. Il s'y défend avec tant d'énergie que les Allemands, devenus maîtres de la place, le tirent pendre à la porte du château et passèrent toute la garnison au fil de l'épée.
Admirable défense, morts héroïques de Blâmont en 1636, qu'il conviendrait de glorifier un jour par une plaque commémorative du Souvenir français, fixée aux ruines majestueuses du vieux château de Blâmont.

Dirons-nous aussi toutes les illustrations de Blâmont ? C'est le général Louis Klein, devenu pair de France; c'est le célèbre docteur Lottinger, c'est surtout Régnier, duc de Massa, grand-juge de France sous Napoléon Ier, sorti de Blâmont simple fils de meunier; c'est encore le député Regnault sous la Révolution, et tant d'autres qu'il nous serait facile de citer dans le temps présent.
On le voit, aucune gloire n'a manqué à Blâmont et à son canton : gloire militaire à tous les âges, gloire artistique et littéraire, célébrités de tout genre, industrie, commerce, agriculture.
Aujourd'hui, nos 33 communes lorraines, unies dans le même sentiment d'amour patriotique exaltent les meilleurs de leurs enfants.
Saluons tous ces héros, morts pour la Patrie. Que leur mémoire soit bénie et à jamais conservée, et qu'au jour des prochains combats, leur exemple enflamme et conduise à la victoire de nombreux enfants de Blâmont !

Sur leur tombeau de granit, jeunes filles, tressez des couronnes; petits garçons, effeuillez des roses... sur leur tombeau de granit, passe et repasse un vent d'héroïsme et de foi !
Loin d'abord, bien loin dans les âges, à la formation de nos communes rurales, les enfants du canton plusieurs fois se levèrent à l'appel des seigneurs, des suzerains de Blâmont, les vaillants sires batailleurs qui frappaient d'estoc et de taille et se servaient des manants, nos pères, pour agrandir leurs domaines ou défendre leurs forteresses.
Ces paysans de nos vallées lorraines luttaient et combattaient ensemble, mouraient en héros modestes, ayant bien fait leur devoir, ou retournaient, vainqueurs, à leurs joncs, à leurs oseraies, à leurs pâturages et aux rudes labeurs du sol ancestral.
- Sur leur tombeau de granit, jeunes filles, tressez des couronnes ; petits garçons, effeuillez des roses... sur leur tombeau de granit, passe et repasse un vent d'héroïsme et de foi.
Ce furent ensuite les grandes épopées du moyen âge, les chevauchées sans fin, les sièges innombrables: ce fut l'époque où, de Blâmont à Ogéviller, de Buriville au ban de la Rivière et à Herbéviller, de Badonviller à Pierre-Percée, s'élevèrent les châteaux-forts, les donjons et les tours, dont les ruines gigantesques nous émeuvent encore aujourd'hui.
Et les enfants de Blâmont - civis murus erat, chaque citoyen était un mur vivant - s'unirent pour repousser l'envahisseur, l'allemand, le germain d'outre-Rhin.
Non pas une fois, mais dix... et un jour, aux murailles sanglantes du vieux château de Blâmont on vit ceci : le corps d'un Klopstein, gouverneur et défenseur de la cité, pendu par les reîtres, se balançant à une corde, avec, au-dessous, les cadavres des citoyens, des enfants de Blâmont, morts glorieusement pour avoir lutté contre l'Allemand et sauvé l'honneur de la Lorraine envahie.
- A ceux-là, a ces héros d'autrefois qui n'ont pas de tombeau de granit, jeunes filles, ah! tressez des couronnes; petits garçons, conscrits de demain, offrez des palmes de triomphe... sur les ruines du vieux château de Blâmont, passe et repasse depuis 1636, un vent d'héroïsme et de foi.
Et puis, hier, ce fut l'histoire sublime... les enfants de Blâmont, se levant avec un ensemble merveilleux, dans toutes les communes, et s'en allant là-bas, vers la Woëvre ou les plaines d'Alsace, vers Metz et vers Sedan, aux champs de Loigny ou de Bapaume.
C'étaient nos pères, nos frères, nos parents, nos amis.
Ils sont tombés pour la patrie, ils sont morts pour elle... Ils ont fait simplement ce qu'avaient fait leurs pères, ce que leurs fils feront à leur tour, au jour de l'appel aux armés.
Ils sont morts et ils vivent, ils revivent aujourd'hui dans la mémoire de tous, et Blâmont les honore et veut perpétuer à jamais leur souvenir. Gloria Victis !
Sur leur tombeau de granit, jeunes filles, tressez des couronnes ; petits garçons, effeuillez des roses... sur leur tombeau de granit passe et repasse un vent d'héroïsme et de foi.

Voici le croquis du joli monument patriotique inauguré à Blâmont le 10 juin 1900.

Cette pyramide est toute en granit des Vosges, taillé et poli. Elle a été exécutée parla maison Cuny-Mangin, de Lunéville, si connue et si réputée dans l'arrondissement pour ses beaux travaux en marbre, en pierre, en granit. Le plan et les dessins sont l'oeuvre de M. Charles Cuny, et tout l'ensemble a été exécuté sous sa direction.
La hauteur totale du monument est de 7 mètres; vers le centre, on voit un superbe cartouche en marbre blanc, contenant les armes de la ville de Blâmont et la devise de la Société des Vétérans.
Disons ici que ce cartouche a été spontanément offert par l'entrepreneur, à titre de souscription personnelle.
Sur les différentes faces de la pyramide, on remarque des panneaux polis renfermant la dédicace du monument:
AUX ENFANTS DU CANTON MORTS POUR LA PATRIE,
1900.
Sur les panneaux latéraux, également polis, on peut lire les noms de toutes les communes du canton de Blâmont qui ont participé à la souscription.
Tout autour de la pyramide, on a placé une grille en fer forgé, reposant sur des bordures de granit. Cette grille est un don du Souvenir français; elle a été posée par les soins de la maison Cuny-Mangin, qui est heureuse d'enregistrer dans ses annales, qui remontent à 1857, l'exécution d'un monument patriotique qui rappelle de si glorieux souvenirs lorrains.

L'Inauguration.

Quand, dans un beau geste militaire, le général Marin se retourna au cimetière de Blâmont, vers les drapeaux flottants des Vétérans, il y eut comme un frisson d'enthousiasme, un cri d'espérance dans toute la foule réunie au pied du monument commémoratif.
En quelques phrases vibrantes, après la claironnée vigoureuse de M. Niessen, le général, illustre enfant de Blâmont, avait fait appel à l'union patriotique. Il y avait là, groupés sous le chaud soleil de midi, un bon millier de vrais Lorrains au grand coeur, prêtres et soldats, vétérans et conscrits, hommes politiques et simples paysans, tous unis dans la même pensée: honorer les glorieux morts de 1870, les enfants du canton tombés pour la France, pour la grande patrie dont la Lorraine est une des meilleures provinces.
On sentait vibrer chez tous la même foi patriotique, le même enthousiasme, la même ardeur.
Au pied du monument, croyez-le, il n'y avait que de bons Français, heureux de se trouver réunis, rayonnants de bonheur et d'émotion, enflammés par les paroles ardentes qu'ils venaient d'applaudir.
C'était là--pour un instant trop court - l'union des esprits et des coeurs. Blâmont ne connaissait plus de divisions, ni de partis... On sentait passer une flamme, le souffle des anciens héros, des défenseurs de Blâmont à travers les âges... l'âme des vieux Lorrains se levait de la terre ancestrale et planait sur toute l'assemblée... pendant que se profilaient sur l'azur du ciel les ruines pittoresques du château féodal, forteresse avancée où succombèrent glorieusement tant d'enfants de Blâmont.
C'était vraiment beau, vraiment solennel, et quand les clairons sonnèrent aux champs, quand les drapeaux s'inclinèrent devant le monument de granit, un cri s'éleva, répété par la foule : «  Vive l'armée! Vive la France ! »
De telles cérémonies sont bonnes et toutes réconfortantes. Elles sont vraiment trop rares, mais comme elles vivifient, comme elles raffermissent aux heures de trouble et de défaillance, comme elles consolent des déboires de la vie, comme elles sont un gage d'espérance et d'union !
L'union, l'union, on n'a pas cessé d'y faire appel, aux fêtes de Blâmont !
Il ne faut pas que ce soit un vain mot, une simple réclame d'un jour; il faut en faire notre règle de conduite, dans les grandes et les petites choses.
Les socialistes militants, parlent sans cesse de bonheur, d'humanité régénérée par eux... et pour cela ils prêchent la guerre sociale, ils appellent la révolution sanglante et tous ses excès violents.
Nous voulons l'union de tous les bons citoyens, la paix sociale, l'accord surtout entre les habitants d'une même bourgade comme d'une même cité.
Républicains d'origine, ouvriers de la première heure, nous savons mieux que personne - mieux surtout que ces ouvriers de la onzième heure, néophytes plus ardents que sincères et désintéressés, que rien de grand et de durable ne se fonde, ne se garde, ne se maintient solidement sans union.
Serrons les rangs, habitants des villes et des campagnes, l'union fait la force, l'union c'est la paix, c'est la victoire.

En route.

Bleu, bleu, le ciel est tout bleu.
Il fera chaud, mais la journée sera belle, et sous le vent brûlant qui vient des Vosges, les oriflammes vont joyeusement claquer.
Au loin, tout là-bas, s'estompe la ligne bleue des Vosges, dont les ballons s'imprécisent, fermant l'horizon. On les dirait, ces monts arrondis, noyés dans un bain d'air bleuté, avec des remous plus profonds et plus sombres, qui sont les grands bois de sapins et les franges des vallons.
Bleu, bleu, le ciel est tout bleu, pendant que les rivières de Meurthe et de Vezouse sont toutes blanches, blanches de fleurs d'eau qui s'étendent par myriades à la surface des londeaux, telles par les rues de Lunéville, en ce chaud dimanche de juin, les petites communiantes de chez nous.
Et, passent les terres rouges, les andains de la fenaison, Ies boquetaux de plaisance, les fermes isolées, les mamelons aux vignes à moitié gelées, et les plaines, les larges plaines où frissonnent, emmy les bleuets, les marguerites et les rouges coquelicots, les blés, les avoines et les seigles.
Passent aussi les villages : Marainviller et Thiébauménil, Manonviller et son fort, Vého où naquit Grégoire, Emberménil où il fut curé, Domjevin, patrie de curés rebouteurs et bâtisseurs, Bénaménil aux maisons blanches, Laneuveville-aux-Bois, aux bains à venir, aux sources laxatives, enfin Repaix.
Igney, Amenoncourt et Avricourt. les ultimes villages lorrains du bord de la cruelle frontière, qu'on ne revoit jamais sans un déchirement d'âme.
Et c'est la gare française d'Avricourt avec ses multiples services d'avant-postes, jetée là en pleins champs, entre deux petits villages, fin de France, fin de Lorraine - face à l'autre, à l'insolente gare allemande avec ses faux airs de château-fort, garni de tourelles, de créneaux et de mâchicoulis.
Bientôt nous repartons vers Blâmont et Cirey, en passant par les finages si perdus de Foulcrey et de Gogney... Et c'est tout de suite Blâmont, avec, sur la placette de la station, une foule d'Albimontais heureux de cette fête et de cette animation inespérée.

A Blâmont.

La jolie petite ville de Blâmont a fait une pimpante toilette pour recevoir ses hôtes et célébrer les héros de son canton. Partout, à toutes les fenêtres, ce ne sont que drapeaux, oriflammes tricolores, russes, lorraines. Les forêts voisines ont prêté leur verdure, de nombreux sapins sont disposés avec élégance à travers les rues, garnis de petits drapeaux tricolores du plus gracieux effet.
De la gare au cimetière, c'est un enchantement de verdure et de couleurs chatoyantes. Çà et là, des arcs de triomphe en mousse et sapins; les fontaines sont parées et transformées en jets d'eau. Sur la place Carnot - où le monument patriotique eût été mieux à sa place - on voit une oeuvre remarquable du capitaine Delabbeye, une porte massive, avec la date de 1766 et cette inscription : «  Honneur aux vétérans de 1870-71 ! ».
Au-dessus, dans un trophée de drapeaux, les armes de la glorieuse ville de Blâmont. Presque toutes les maisons ont arboré des drapeaux, et la coquette cité s'est véritablement transformée. C'est plaisir de parcourir ces rues descendantes, où l'archéologue est heureux de cueillir une date, de croquer un trumeau Renaissance et de signaler des souvenirs curieux.
Sur la place de l'Hôtel de Ville - il a grand air ce monument - c'est une profusion de décorations de tout genre qui témoignent du bon goût et du dévouement des organisateurs.

Le Défilé.

A la gare même, s'organise le défilé, dès l'arrivée du train de Nancy, Lunéville et Avricourt.
En tête, la musique la Blâmontaise, habilement dirigée par M. Receveur, greffier de la mairie et qui va donner toute la matinée, sans compter.
Puis la compagnie des sapeurs-pompiers, en armes, le maire, M. Labourel et son conseil municipal, M. Bentz, conseiller général, M. Moitrier, conseiller d'arrondissement, un officier d'état-major, délégué par le général de Monard, plusieurs officiers des garnisons de Lunéville et de Baccarat, quelques officiers de la réserve et de la territoriale, parmi lesquels le baron de Turckheim, maire de Repaix, et notre ancien condisciple Duron, juge de paix de Blâmont.
Viennent ensuite les délégations des vétérans de Blâmont, Cirey, Lunéville avec leurs drapeaux, puis les jeunes conscrits de Blâmont, enfin une foule considérable venue de tous les points du canton.
Aux sons entraînants de la musique, le défilé descend, à travers les rues pavoisées, se rendant à la mairie, où a lieu une première dislocation.
Bientôt arrivent M. Fenal, député de Lunéville, revêtu de ses insignes parlementaires, M. Niessen, délégué du Souvenir français, le colonel Delarue. enfant de Blâmont, enfin le président d'honneur, le général Mann, en grande tenue, deux croix de commandeur au cou.

A l'Église.

Dix heures sonnent, et pendant que les cloches carillonnent, le cortège officiel, aux accents de la musique, se rend à l'église, la charmante petite cathédrale ogivale, dont les Blâmontais sont si fiers, et à juste titre.
Les deux tours, aux flèches pointues, s'élancent droit vers le ciel, et le portail, dressé au sommet d'un immense escalier, est tout orné de sapins, de guirlandes, d'écussons et de drapeaux.
A l'intérieur, partout des drapeaux: drapeaux à l'autel, drapeaux en trophées aux piliers, réunis par un écusson portant la devise: Pro patrià.
A l'arrivée du cortège, l'église est déjà pleine: les dames de Blâmont et des alentours, en claires toilettes d'été, les jeunes filles en délicieux atours; tout un joyeux monde froufroute et bourdonne sous les nefs trop étroites.
Affairé, haut en couleur sous sa mosette décanale, M. le curé-doyen Florentin s'essaye à placer tous ses invités. Avec aisance, il reçoit le cortège officiel et le conduit aux places réservées. C'est un instant de tumulte, au milieu duquel résonne la voix brève du capitaine Delabbeye avec ses commandements militaires.
Enfin tout le monde réussit à se caser.
La grand'messe est chantée par l'abbé François, curé de Verdenal, «  ce vieux curé François de Xousse », d'il y a vingt-cinq ans, qui eut la joie, étant curé de Saint-Marcel, près de Mars-la-Tour, de découvrir dans les champs de bataille du 16 août les corps de deux glorieux soldats français.
La Chorale de Baccarat exécute une messe en musique très remarquable et fort appréciée, pendant que, derrière l'autel, la fanfare interprète de splendides symphonies.
M. l'abbé Florentin prononce après l'Évangile une allocution empreinte du plus pur patriotisme.
Dans un style châtié et très élégant, l'éloquent curé fait délicatement l'éloge du général Marin, puis il montre que le patriotisme ne peut se séparer de la religion, surtout au milieu des périls qui menacent la patrie.
Il définit le patriotisme et en donne de beaux exemples; il montre les sacrifices de nos héros et fait un admirable parallèle entre la France du passé et celle d'aujourd'hui, saluant avec émotion l'angélique figure de Jeanne d'Arc.
M. le curé de Blâmont parle aussi du corps et de l'âme de la patrie: On ne s'improvise pas Français, dit-il, et n'est pas qui veut de l'âme de la France.
Enfin il termine par une péroraison très émue, paraphrasant la devise célèbre : Gesta Dei per Francos et le Domine, salvam fac Rempublicam.
Il s'écrie: Vive la France! Vive l'armée! Vive la religion ! ô Dieu, sauvez la France, sauvez l'état de choses actuel !
Et le choeur entonne le chant liturgique pour la République, secondé par les airs enlevants de la Blâmontaise.

Au Cimetière.

Pendant que la messe s'achève et que s'organise le défilé processionnel, nous allons visiter le cimetière où le monument est érigé.
Plus loin que l'église et les dernières maisons, sur l'autre versant de la vallée, se trouve l'enclos funéraire, récemment agrandi de près de moitié.
On peut citer le cimetière de Blâmont pour modèle; il est parfaitement entretenu et les monuments sortent de la banalité ordinaire.
M. Cuny-Mangin fils, l'aimable artiste lunévillois, veut bien se faire notre guide ; il nous dit qu'à Blâmont il y eut naguère un sculpteur habile, Goeury, qui cisela la plupart de ces beaux monuments funéraires.
En faisant le tour des allées, nous relevons certains tombeaux: voici une curieuse rotonde, sorte de chapelle d'attente, puis la tombe de Vautrin, officier en retraite, chevalier de la Légion d'honneur, ancien juge de paix et conseiller général (1786-1855) ; le mausolée du sculpteur Goeury, orné de son buste; les tombes de L. Fensch, sous-officier de tirailleurs tonkinois, de Victor Pierre, un des grands bienfaiteurs de Blâmont, qui a sa rue devant l'église, du capitaine L. Lafrogne, 1771-1851 et de J. Lafrogne, ancien officier, 1810-1880.
Voici encore les cénotaphes de la famille lorraine Mathis de Grandseille, de la comtesse de Pindray, baronne de Sailly, morte en 1816, bienfaitrice de Blâmont, la chapelle de la famille de Martimprey de Romécourt, avec son double écusson accolé et sa devise: Pro fide pugna.
Enfin nous saluons les tombeaux des Le Harivel de Gonneville, dont un capitaine, mort en 1894, du doyen Mengin, curé de Blâmont, 1797-1868, de Marie Comte, insigné bienfaitrice de la cité, de Brice, ancien conseiller général, 1840-1887, de Collesson et des Lafrogne, l'un conseiller général, 1799-1848, l'autre député, 1769-1847.
Tout à l'autre bout du champ des morts, se dresse la pyramide de sept mètres, en granit bleu des Vosges, qu'on va inaugurer solennellement.

Le Monument.

Ce monument, nous en avons fait l'exacte description, et nous en avons donné la reproduction fidèle, grâce au dessin si précis de M. Cuny-Mangin. Nous n'y reviendrons donc pas.
Constatons simplement trois choses:
1° Le monument a fort grand air avec ses tonalités de granit poli et bouchardé, sa plaque de marbre-blanc armoriée, sa croix de Lorraine et ses inscriptions commémoratives. Il devra, pour produire tout son effet, continuer à être entouré de sapins en hémicycle, comme il était provisoirement à l'inauguration.
2° Il eût été préférable de l'ériger sur une des places de Blâmont. Ce n'est pas un monument de deuil, mais un monument de triomphe et un monument cantonal.
3° Il n'est pas encore terminé tout à fait. Sur les faces latérales, il reste à graver et à dorer les noms des 33 communes du canton, 17 d'un côté, 16 de l'autre.
Ajoutons que sur la face postérieure on a posé un marbre noir avec cette inscription : «  Ce monument a été érigé en l'an 1900 ».
Deux couronnes ont été déposées devant le monument, l'une par le Souvenir français, apportée par M. Niessen, l'autre par l'Union patriotique des conscrits de Blâmont, classe 1900, avec cette inscription : «  A nos aînés morts pour la Patrie ».

L'Inauguration.

Mais, au son des cloches et au bruit des fanfares guerrières, le cortège s'avance, précédé du clergé, qui bénit le monument après le chant du Libera et de l'antienne de la Résurrection.
Pendant qu'avec un bruit lugubre, la lourde bâche verte qui recouvrait la pyramide tombe, les personnages officiels se groupent sur le devant du monument entouré par une foule considérable.
M. Ferrez, président de la 320e section des Vétérans, prend le premier la parole et remet le monument à la municipalité de Blâmont. Il remercie les invités, le général Marin, M. Fenal, M. Niessen, le colonel Delarue, le capitaine Keller, délégué du général de Monard, etc. Il remercie les souscripteurs de la ville et du canton et commente la devise des vétérans: Oublier ? Jamais ! Il termine par un salut aux humbles héros et offre le monument à la ville de Blâmont.
M. Labourel, maire de Blâmont, prend possession du monument patriotique; il remercie le comité des Vétérans de leur pieuse pensée; il remercie les souscripteurs et les communes qui ont répondu avec empressement. Il constate que l'oeuvre est grandiose pour une petite ville, et il assure que c'est avec orgueil que les jeunes générations fixeront leurs regards sur l'élégante colonne de granit.
M. Labourel, après avoir distribué de nombreux éloges et remerciements, dit que ce monument sera un enseignement perpétuel et fécond, un exemple pour le devoir à remplir. Il termine en faisant des voeux pour que le tir de Blâmont soit mieux suivi par les jeunes gens. Cet appel sera entendu, car le discours du maire a été clôturé par les cris répétés de «  Vive l'armée! »

Discours de M. Niessen.

On ne saurait analyser ni même reproduire un discours de M. Niessen. Chez cet apôtre enflammé du Souvenir français, Alsacien au grand coeur, tout parle à l'âme, la voix, les gestes, les paroles ardentes.
M. Niessen, à Blâmont comme ailleurs, a été vraiment éloquent, de cette éloquence qui est sincère et naturelle et qui empoigne les auditeurs. Il a félicité chaleureusement les promoteurs de la cérémonie, salué toutes les autorités et longuement parlé de la femme française et de l'oeuvre admirable qu'il a créée et dont il reste l'infatigable promoteur, le Souvenir français.
M. Niessen a eu des mots éloquents pour saluer les tombes de nos soldats de 1870, en France, en Alsace et en Allemagne.
Il a ensuite montré tout ce qu'avait fait le Souvenir français depuis 1887 et annoncé que le département de Meurthe-et-Moselle venait seulement au 43e rang dans l'oeuvre si utile qu'il a entreprise avec une foi et une persévérance si indomptables.
M. Niessen salue le nouveau monument de Blâmont qui restera comme l'autel de la patrie; il voudrait voir (comme nous), dans chaque bourgade lorraine, un semblable monument se dresser, afin d'être un témoignage de la valeur des anciens et un exemple pour les jeunes; il espère même que dans chaque village, dans chaque hameau, on pourra élever une plaque commémorative à la mémoire d'une illustration militaire locale, tombée sur les champs de bataille au service de la patrie.
Et M. Niessen, dans une péroraison des plus enthousiastes, salue le drapeau français; il acclame les humbles héros de Blâmont et en déposant sa couronne, il s'écrie: A nous le souvenir, à eux l'immortalité !

Discours du général Marin.

Le général Marin, enfant de Blâmont, prend le dernier la parole. Il remercie les Vétérans de l'avoir appelé à présider cette fête patriotique de son pays natal.
A quelque opinion politique que nous appartenions, dit-il, une même pensée patriotique nous réunit: l'union des coeurs dans le culte des soldats morts pour la patrie.
Cette cérémonie a un caractère d'autant plus imposant qu'elle a lieu à nos frontières mutilées, devant les ruines séculaires du château de Blâmont, où nos pères ont combattu avec énergie.
Les enfants feront ce qu'ont fait leurs pères. Enfants de la vieille Lorraine, ayons toujours au coeur l'amour de l'armée, qui reste la sauvegarde de nos institutions.
Au nom de mes camarades, merci aux Vétérans, merci à tous ceux dont l'influence, l'autorité, la générosité, ont permis l'érection de ce monument; merci au général de Monard qui a voulu associer l'armée active à cette fête du souvenir, merci au clergé qui a senti que la religion et le patriotisme ne pouvaient se séparer, merci au Souvenir français, à M. Niessen, l'Alsacien au grand coeur, à la foi patriotique.
Et maintenant, Messieurs, saluons nos humbles héros morts pour la patrie! Au drapeau ! Au drapeau !
Les cris de «  Vive l'armée! » accueillent cette courte mais vibrante allocution, et les clairons sonnent aux champs.
La musique exécute ensuite la Marseillaise et le cortège se disloque pour redescendre en ville.
Un banquet de 80 couverts à l'hôtel de ville a suivi.
Plusieurs toasts ont été portés par M. le Maire, M. Fenal, député, M. Bentz, conseiller général, M. Ferrez, M. Delabbeye, le général Marin, M. Niessen et M. Moitrier, conseiller d'arrondissement.

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