La lettre ci-dessous est intéressante à plus d'un titre.
«
Vendredi, il y a eu un combat près de Badonviller » : il
s'agit indéniablement du combat de la
scierie de Lajus, le vendredi 23 septembre 1870.
L'auteur, anonyme, appartient sans doute à la communauté
israélite de Blâmont, puisque le seul Henri, blessé lors de ce
combat est Henri LION, de Blâmont, caporal au 2ème
bataillon des Mobiles de la Meurthe.
Mais
- le combat de Lajus ne fit pas « trois mobiles morts et un
blessé », mais quatre morts et trois blessés ;
- le nombre de tués allemands (150) est sans aucun doute très
largement surestimé ;
- et la phrase « Le maire a été tué et sa femme blessée; elle
s'était battue comme son mari. » reste une énigme.
« Tous les garçons d'ici et des environs sont partis ainsi
que beaucoup d'hommes mariés de Blamont; tout le monde se
soulève, car c'est de la rage que l'on éprouve. » Est-ce un
chiffre exagéré ? Car si l'on ignore quels soldats de Blâmont
sont partis dans l'armée régulière, on sait que 2ème
bataillon de la Meurthe comportait 750 mobiles, divisés en 9
compagnies dont la 3ème est celle de Blâmont : elle
comporte un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant, 15
sergents et caporaux, et donc sans doute environ 80 mobiles.
S'ils ne sont peut-être pas "tous" partis, ils sont donc partis
nombreux...
Archives israélites. v.32
(1871).
SOUVENIR DES PRUSSIENS EN LORRAINE.
Guerre de 1870-1871. On
lira avec un vif intérêt l'extrait suivant d'une lettre adressée
de Lorraine, par un père Israélite à son fils, au milieu des
péripéties de l'invasion de la Lorraine par les Prussiens. Nous
la reproduisons dans son français médiocrement correct et dans
ses illusions, hélas! trop vite dissipées par les événements.
Septembre 1870.
« Le facteur de la poste est venu me dire hier que l'on pouvait
écrire, qu'il y a une poste organisée; je viens donc vous donner
à tous de mes nouvelles. Nous n'allons pas mal, et j'espère que
vous, mon cher enfant, vous allez bien. Je pense que vous n'avez
pas eu vos visiteurs, nous avons toujours les nôtres, dont le
nombre est augmenté de vingt cavaliers, ils sont toujours sur le
qui-vive maintenant, car ils ont voulu s'avancer dans les
Vosges, et ont été très-mal reçus par les francs-tireurs et la
mobile de la Meurthe, qui s'est dispersée dans les montagnes;
ils viennent même tout près de Blamont, aussi vendangions-nous
vite pour que rien ne reste plus dehors, car il est probable
qu'il y aura sous très-peu un engagement tout près de nous.
Vendredi, il y a eu un combat près de Badonvillers. Nous avions
la garde nationale, quelques francs-tireurs et la mobile de
Blamont; tous se sont battus héroïquement. Les Prussiens ont en
effet perdu cent cinquante hommes, et nous n'avons perdu que
trois mobiles morts et un blessé. Le maire a été tué et sa femme
blessée; elle s'était battue comme son mari.
Le mobile blessé, c'est Henri ! Est-ce avoir de la chance, mon
cher enfant, Dieu nous aime bien, il pense souvent à nous, mais
que peut-on faire, toujours tendre le dos, hélas! Il a eu une
balle qui lui est entrée dans le bras et qui est sortie par le
poignet, le coup l'a fait tomber dans un ravin, et lorsqu'il se
relevait, les Prussiens l'ont pris et lui ont donné des coups de
poing; alors il est retombé et s'est cassé le bras à deux
endroits, il a perdu beaucoup de sang; la première nuit il a
couché à la prison de Badonvillers, et le lendemain, qui était
samedi, il a été conduit à Lunéville; en passant dans un
village, une bonne vieille femme est venue à sa voiture et lui a
dit : « Mon bon garçon, tiens, mon fils, je n'ai plus que cela
chez moi. » Et elle lui a offert une tartine de beurre longue
d'un mètre. Dans une autre ville, le maire est venu à sa voiture
et lui a dit: « Mon brave, avez-vous besoin de quelque chose ? ma
maison et ma bourse sont à votre disposition. » Il a refusé,
bien entendu.
Immédiatement, Justine, et nous, avons été prévenus, car le
maire de Brémenil avait été mis en prison et se trouvait avec
Henri; bref, on a obtenu qu'il resterait à Lunéville; on a
encore obtenu qu'il soit dans une ambulance française où il est
comblé de bons soins et de toutes les douceurs imaginables. Sa
mère est partie lundi matin, quoique fête, pour aller le voir,
et est rentrée hier à sept heures du soir; mardi, son bras
n'était pas remis, car il est par trop enflé. Je dois vous dire
qu'il a passé ici, mercredi dernier, neuf cents Prussiens, des
hommes comme on n'en voit guère, d'une grandeur et d'une force
épouvantable, à peine s'ils ont pu entrer par les portes;
ceux-là campent la moitié devant Domevre, et l'autre moitié
devant Herbeviller.
Ils s'étaient avancés dans les Vosges, mais, comme je vous l'ai
dit, ils ont été repoussés et se sont repliés. Tous les garçons
d'ici et des environs sont partis ainsi que beaucoup d'hommes
mariés de Blamont; tout le monde se soulève, car c'est de la
rage que l'on éprouve. Maintenant ils rançonnent partout d'une
manière épouvantable; chacun court à la ruine pour peu que cela
dure.
Il n'y a plus moyen de voyager, ils refusent des laissez-passer,
mais on voyage quand même sans en prendre. L'espoir renaît
cependant. On croit qu'on en sera débarrassé, car on est décidé,
dans notre pays, à les exterminer.... »
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