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1870 - Mobiles de la Meurthe

Voir aussi Combat de Pierre Percée - 23 septembre 1870 - Septembre 1870 - Mobiles de la Meurthe - Récit allemand


Nous avons déjà évoqué le monument cantonal aux morts de 1870, inauguré en 1900, avec notamment le récit très complet d'Emile Badel. Dans le même ouvrage, Emile Badel relate l'inauguration la même année d'un monument à la scierie Lajus (Celles-sur-Plaine) : nous extrayons de cet exposé les informations sur les mobiles de la Meurthe, où sont cités les soldats de la 3ème compagnie du 2ème  bataillon des mobiles du canton de Blâmont, et les tués : Auguste MARTEL, d'Ogéviller ; Charles Oreste PICARD, d'Emberménil ; DOMBRAT, de Domjevin..


Dix ans du Souvenir français en Lorraine
Emile Badel
NANCY - A. CRÉPIN-LEBLOND, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
1907

 Le Monument de la Scierie Lajus.
6 juillet 1900

Le Monument de la Scierie Lajus.

C'est un superbe monument, tout en granit bouchardé et poli sur certaines parties, haut de 3m,50, exécuté parla maison Prix-Adam, de Saulxures-sur-Moselotte, d'après les dessins et les plans de M. Le Brun, architecte et ingénieur à Lunéville.
Notre dessin, du à la plume du jeune sculpteur nancéien, Victor Huel. reproduit exactement l'oeuvre élégante et sobre de M. Le Brun. Sur le socle se détache une belle plaque de marbre blanc, portant cette inscription:
SOUVENIR FRANÇAIS
MORTS POUR LA PATRIE:
V. HISTRE, MENTREL, V. BOUDOT, T. SAUZER.
BLESSÉS:
E. BOUDOT, H. LION, E. ENEL.



Sur le soubassement en granit, on a gravé les noms des officiers qui commandaient, à ce combat de Lajus, les 1re et 3e compagnies des Mobiles de la Meurthe.

1re Compagnie.
Capitaine, Goeury ; lieutenant, Villain ; sous-lieutenant, Parmentier.
3e Compagnie.
Capitaine, Mézière ; lieutenant, Protche ; sous-lieutenant, Genfeld.

Sur la face antérieure de la pyramide, faite d'une seule pièce et haute de 1m,39, on a gravé cette dédicace:
A la Mémoire des Officiers et Soldats
des 1re et 3e Compagnies des Mobiles
de l'arrondissement de Lunéville
qui ont reçu bravement ici
le baptême du feu, le 23 septembre 1870.
Sur la face postérieure est gravée une croix de Lorraine, et en dessous, les noms des membres du comité du Souvenir français de Lunéville sur l'initiative et la direction duquel a été édifié le monument.
Les Mobiles de la Meurthe .

Nous empruntons au Journal de Marche dé l'héroïque et regretté commandant Brisac, le récit si pathétique et si émouvant de l'organisation du 2e bataillon des Mobiles de la Meurthe et du combat dit de Pierre-Percée, à la scierie Lajus, aux confins de la Meurthe et des Vosges, dans l'admirable vallée de la Plaine.

«  Un décret impérial du 16 juillet 1870 avait mobilisé la garde nationale mobile du 3e corps d'armée. Le 2e bataillon de la Meurthe, recruté dans l'arrondissement de Lunéville, commandant Brisac, devait se réunir à la caserne des Carmes de Lunéville (quartier de La Barollière actuel). Il demanda alors de pouvoir y appeler ses cadres dès le 24 juillet, afin de commencer leur instruction. Mais il fallut renoncer à cette faculté et attendre patiemment jusqu'au 3 août.
3 août 1870.- A cette date, la situation des cadres est la suivante:
M. le commandant Brisac est nommé depuis le 29 octobre 1868 ; MM. Goeury, Gridel, Mézière, Clément, Levasseur, Hypolite, Verdelet et Welche, sont pourvus des commandements des compagnies depuis les mois d'avril et mai 1869.
Une grande partie des lieutenants et sous-lieutenants ont reçu des lettres de service le 18 juillet et le 3 août 1870. Chaque compagnie compte un sergent-major et un sergent instructeur nommés par le général Ladreit de La Charrière, commandant la subdivision militaire. Enfin, le commandant a été autorisé à nommer un adjudant, M. Clément.
Du 4 août au 9 août, le bataillon s'équipe et s'organise.
Le 10 août, il quitte la caserne des Carmes. Cet épisode historique a été reproduit sur la toile par le peintre Gridel, de Baccarat, capitaine des mobiles.
Ce tableau est précieusement conservé au Musée de Lunéville.

Départ de Lunéville.

10 août 1870. - Dès le matin, le quartier est consigné, et les officiers avertis de s'y tenir à la disposition du commandant. Celui-ci, informé dès 4 heures que les coureurs ennemis étaient signalés à Dieuze, venait de télégraphier à Nancy, pour savoir si la direction du bataillon sur Marsal était maintenue.
Le général de La Charrière a répondu aussitot:
«  Evitez bien vite Marsal, prenez ordres Mac-Mahon ! »
Le maréchal, en effet, était arrivé à 9 heures à Lunéville, précédant d'une heure ou deux ses troupes; il était descendu avec son état-major à la Sous-Préfecture.
La confusion la plus grande règne dans le cabinet du sous-préfet. Le maréchal et ses officiers n'ont pas de cartes. On court pour s'en procurer, on mande l'ingénieur des ponts et chaussées, les agents forestiers, pouvant donner des renseignements utiles; enfin on a trouvé dans la ville quelques cartes du département ou de l'arrondissement à l'usage des écoliers ou des administrations.
Le maréchal, seul actif au milieu des officiers qui l'accompagnent, prend des distances au compas. Il
veut, dit-il, éviter Nancy et rejoindre la route de Châlons, à Toul, a Bar, enfin le plus loin possible (ce plus loin, hélas, c'était Sedan !)
Apercevant le commandant du 2e bataillon des mobiles, il l'interpelle brusquement : «  Que voulez-
vous ?... Cela ne me regarde pas, c'est l'affaire du commandant territorial... »
Enfin, il finit par s'écrier : «  Mais que craignez-vous ? vous êtes sous la protection de mon corps d'armée! »
Le commandant, voyant qu'il n'avait plus rien à attendre, quitta la Sous-Préfecture et rejoignit le bataillon aux Carmes.
A ce moment, le 1er corps (ou plutôt ce qui restait du 1er corps d'armée), commençait à défiler dans les rues de la ville qu'il traversait pour aller prendre son bivouac à 4 kilomètres au-delà.
L'infanterie marchait en désordre, les régiments étaient mélangés ; des traînards s'écartaient à droite et à gauche ; l'artillerie seule, quoique ayant beaucoup souffert, faisait bonne contenance, les petits pelotons de servants étaient à leur distance derrière les pièces. Quant à la cavalerie, ses escadrons décimés quittaient le quartier au moment où le commandant y entra.
Le bataillon, massé dans la cour, l'attendait ; les fusils à tabatières, arrivés pendant la nuit, avaient été distribués le matin ; les hommes, ayant mangé la soupe, étaient à leurs rangs.
Le commandant appela les officiers autour de lui et en quelques mots les informa de ce qui venait de se passer.
Renvoyé du général au maréchal, du maréchal au général, n'ayant pas grande confiance dans la protection de ce Ier corps, de la désorganisation duquel il avait été témoin, craignant bien plus encore pour ses jeunes soldats le voisinage et le contact des troupes démoralisées qui le composaient, il avait résolu de se diriger sur Langres et de faire étape à Charmes, après avoir prévenu de son mouvement, le général de la subdivision, afin que, le cas échéant, celui-ci pût lui faire tenir des ordres à Charmes même.
A onze heures, les portes du quartier s'ouvrirent et le bataillon s'ébranla au milieu de la population serrée qui l'attendait et qui s'ouvrit avec émotion devant lui. Bien des mouchoirs s'agitèrent sur son passage, des cris d'adieu s'élevèrent de toutes parts; bien des pères serrèrent furtivement la main de leur fils, bien des amis vinrent nous jeter ce voeu suprême: Que Dieu vous protège.
Les rues étaient encombrées : d'une part, c'étaient des hommes qui venaient, par bandes, du pays de
Dieuze, fuyant à l'approche des Prussiens qui menaçaient, disaient-ils, de les faire marcher devant eux; plus loin, l'interminable défilé des troupes du Ier corps.
Enfin, à une heure de l'après-midi, le bataillon sortit de la ville en entamant sa marche d'un pas rapide, et Lunéville disparut bientôt à ses yeux. »

Le combat de Lajus.

«  De Lunéville, le bataillon des Mobiles, fort de 750 hommes, se rendit à Bayon, puis à Charmes, puis à Mirecourt, Vittel, Contrexéville et Langres, où il resta cantonné jusqu'au 18 septembre.
Le 19 septembre, il revint à Epinal, puis le 21 à Saint-Dié.
Le commandant nous avait rejoint le 22 septembre au soir, dans notre camp de Saint-Dié.
Là, il reçoit une dépêche annonçant qu'une colonne prussienne menace Raon-l'Etape, il se décide à marcher dans cette direction le lendemain matin, et à prendre position à Rouge-Vêtu, maison de garde dans la forêt, d'où, tout en couvrant Raon, on peut surveiller à la fois, Baccarat, Badonviller et les chemins intermédiaires.
23 septembre. - Nous partons de grand matin et nous arrivons à Raon pour apprendre que les Prussiens sont à Celles, village situé a 10 kilomètres sur la route de Schirmeck.
Cependant il faut accorder une heure de repos aux hommes.
Le café bu, on se remet en marche. La chaleur est accablante dans cette vallée, les sacs sont lourds; mais tous savent que l'ennemi est proche et la colonne n'a pas de traînards.
Trois compagnies de francs-tireurs : Neuilly, capitaine Sagaret ; Luxeuil, capitaine de Perpignac; Colmar, capitaine Eudiline, s'adjoignent au batailIon ; l'une d'elles est chargée d'éclairer la route en fouillant les bois des deux côtés.
Le capitaine Mézière, ayant sous ses ordres la 1re et la 3e compagnies, est détaché à gauche vers Pierre-Percée, ligne de retraite que doivent suivre les Prussiens pour regagner Badonviller.
La petite vallée de Pierre-Percée débouche dans la vallée de Celles, que nous suivons en remontant la rive gauche de la Plaine.
Pour rejoindre cette vallée, le capitaine Mézière traverse ce ruisseau, et, côtoyant ensuite le pied des
montagnes de la rive droite, il marche parallèlement à nous avant de s'enfoncer à gauche dans la vallée latérale.
A Celles, on nous dit qu'une douzaine de Prussiens sont venus dans le village, ce matin même, mais qu'ils se sont retirés à l'arrivée des gardes nationaux des communes voisines, avec lesquels ils avaient
échangé quelques coups de fusil.
Un exprès accourt à ce moment ; il vient nous prévenir qu'on se bat à la scierie Lajus, située au point
de croisement des vallées de Celles et de Pierre-Percée.
Nous nous portons aussitôt sur ce dernier village, dans l'intention de prendre l'ennemi à revers.
Mais il s'était déjà replié et nous n'atteignons que son arrière-garde, qui, après quelques coups de feu, s'échappe dans les bois, laissant plusieurs morts.
Le véritable combat avait eu lieu, en effet, à la scierie Lajus. Le capitaine Mézière, précédé par la compagnie des francs-tireurs de Luxeuil, arrivait au croisement des deux vallées, lorsqu'il aperçut une colonne d'environ 500 hommes commandée par trois officiers montés.
Les éclaireurs des deux partis se rencontrèrent sous bois et engagèrent un combat corps à corps.
Le feu devint bientôt très vif et dura de 2 h. 1/2 jusqu'à 4 heures.
Le capitaine Mézière, qui, malgré son infériorité numérique, n'avait cessé de défendre le terrain pied à pied, s'aperçut alors que les Prussiens abandonnaient la position en emportant leurs morts et leurs blessés.
Nos pertes furent, à Lajus, pour le bataillon, de 4 hommes tués et 3 blessés grièvement.
Tués : Victor HISTRE, garde, de Baccarat; MENTREL, garde, de Baccarat ; Jean-Baptiste-Victor BOUDOT, garde, de Pierre-Percée ; Théophile SAUZER, garde, de Pexonne.
Blessés : Joseph-Emile BOUDOT, garde, de Vacqueville ; Hippolyte-Edmond ENEL, d'Ogéviller ; Henri
LION, caporal, de Blâmont.
L'un des blessés, Enel, fut victime d'un odieux attentat ; déjà atteint d'un coup de feu à la jambe, il avait été transporté sur un lit à la Scierie, lorsque les Prussiens, y pénétrant, l'en arrachent violemment, le jettent par la fenêtre, la face dans la poussière et le fusillent à bout portant, en le frappant à coups de pied, à coups de crosse.
Enel eut la présence d'esprit de simuler la mort, et il survécut à ses nombreuses blessures. »

TABLEAU D'HONNEUR
des MORTS DU 2e BATAILLON DES MOBILES DE LA MEURTHE

Raon-l'Etape, 27 septembre.
MARTEL, d'Ogéviller; MUNIER, de Gerbécourt.

La Bourgonce (Vosges), 6 octobre.
MERCIER, de Baccarat ; COLIN, de Gerbéviller; LACROIX, de Lunéville ; THINCELIN, de Crion ; PICARD,
d'Emberménil ; PETITJEAN, de Lunéville ; MASSON, de Laneuveville-aux-Bois; PARISOT, de Thiaville; PARISOT, de Lunéville ; THIERRY, de Lunéville ; LIBRY, de Neuviller ; MATISSEC, de ...; BRÉCEOT, de Fraimbois ; HOMAND, de Marainviller.
A ce combat, furent blessés le capitaine VERDELET,de Lunéville, le lieutenant RENAUX, de Baccarat, et le chirurgien CHARDIN, de Badonviller.

Beaune-la-Rolande (Loiret), 28 novembre.
THIRIET, de Paris, et Roy, de Croismare.
Furent blessés, Félix CASSAS, lieutenant, de Lunéville, et CHARPENTIER, sous-lieutenant, de Nancy.

Montbarrois (Loiret), 30 novembre.
CLASQUIN, de ... et PERRIN, de Blainville.

Villersexel (Haute-Saône) 9 janvier 1871.
Blessé : Emile ANTOINE, capitaine, de Lunéville.

Héricourt (Haute-Saône), 18 janvier.
DOMBRAT, de Domjevin.

Morts dans les ambulances ou les prisons de l'ennemi:
DIVOUX, de Lachapelle; VESSE, hôpital de Nancy; BANIER, de Saint-Remy-aux-Bois ; VANAT, de Fraimbois ; CHATON, de Fraimbois ; KILRIC, de Gerbéviller; PLAID, de Gerbéviller ; BAIL, de Lunéville ; LHOMME, de Manonviller ; MARCHAL, sergent-major, de Haroué, mort en Suisse ; QUQU, sergent-major, mort en Suisse.
En résumé, le 2e bataillon des Mobiles de la Meurthe eut 25 tués, 43 blessés et 11 morts dans les ambulances. Total : 79 hommes hors de combat.

LISTE DES
Anciens Combattants par Compagnies

ETAT-MAJOR
Commandant, Brisac ; chirurgien, Chardin ; adjudant, Clément.

1re Compagnie (Badonviller).
Capitaine, Goeury ; lieutenant, Villain ; sous-lieutenant, Parmentier; sergents et caporaux, Urbain, Masson, Munier, Berte, Ferry, Biet, Siatte, Lamblé, Vouaux, Baret, Verdenal, Vouaux, Villaume, Adam, Roymarinier, tambour.

2e Compagnie (Baccarat).
Capitaine, Gridel ; lieutenant, Renaux ; sous-lieutenant, Antoine ; sergents et caporaux, Perrin, Alison, Engel, Robinet, Samboeuf, Godchaux, Phulpin, Henry, Moinard, Maldidier, Grange, Lebay, Demetz, Blascheck (mort professeur à l'Ecole professionnelle de l'Est), Gabriel, clairon.

3e Compagnie (Blâmont).
Capitaine, Mézière ; lieutenant, Protche ; sous-lieutenant, Genfeld; sergents et caporaux, Hovasse, Trente, Chambrey, Chatton, Houillon, Rosaire, Rose, Simonin, Lion, Godchot, Leclerc, Pierron, Idoux, Stourm, Robert, tambour.

4e Compagnie (Gerbéviller).
Capitaine, Clément ; lieutenant, Teste; sous-lieutenant, Aubry ; sergents et caporaux, Collin, Xaillé, Benoist, Fray, Cropsal, Hérique, Nicolas, Poirine, Beuvelot, Barbier, Brionval, Renard.

5e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Levasseur; lieutenant, Silvestre; sous-lieutenant, Grare; sergents et caporaux, Deschap, Millaire, Goger, Boutreux, Liouville, Kaltenbacher, Krick, Halimbourg, Lhuillier, Charpentier, Galland, Thouvenin, Quirin, Guittin.

6e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Hypolite; lieutenant, Cassas; sous-lieutenant, Vaincker; sergents et caporaux, Demonchy, Jacquot, Hanotin, Leroy, Aubry, Charpentier, Géhin, Marlier, Simonin, Peultier, Bertrand, Mathieu, Adrien.

7e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Léon Verdelet; lieutenant, Pierron; sous-lieutenant, René Verdelet ; sergents et caporaux, Steinmetz, François, Cunin, Tavard, Parmentier, Thomas, Brégeot, Marchal aîné, Masson, Alexis Masson, Piron, Petitjean, Desboeufs, Libry, clairon.

8e Compagnie (Haroué).
Capitaine, Welche; lieutenant, Sémellé; sous-lieutenant, Févotte ; sergents et caporaux, Grandjean, Bajolet, Richard, Jacquemin, Hocquard, Morel, Ququ, Lesperlette, Glez, Grandjean, Florentin, Marchal, Georges.

Ont été promus officiers pendant le cours de la campagne: Maldidier, Trente, Barbier, Deschap, Millaire, Charpentier, Jacquot, Henri Parmentier, Tavard, Teyand, Bajolet.

Le mobile Énel.

Il était parti d'Ogéviller, son pays natal, un matin du mois d'août 1870. Et, bravement, sur la route
poudreuse, il était venu à Lunéville, rejoindre au quartier des Carmes, son vaillant bataillon des Mobiles de la Meurthe.
Comme les autres, sans plus, mais tout autant, il fit noblement son devoir, souffrant de la faim, de la soif, de la chaleur, souffrant encore plus moralement à la vue des désastres et de l'effrayante impéritie du haut commandement impérial.
Et ce lui fut une joie, comme à ses compagnons d'armes des 1re et 3e compagnies, de revenir dans les Vosges, en septembre 1870, dans ces vallées qu'il connaissait bien, à travers ces forets de sapins et de vertes bruyères, près des rivières aimées du pays natal, la Blette, la Vezouse et la Verdurette.
Un matin - c'était le 23 septembre - il fut désigné pour la reconnaissance de la Scierie Lajus, dans ce vallon charmeur de la Plaine, face aux ruines gigantesques de Pierre-Percée et d'Agnès de Langstein.
Et là, dans les bois, Enel, qui combattait en héros, et qui, par trois fois, avait abattu son Prussien, Enel tomba soudain dans un éblouissement.
Une balle ennemie avait traversé sa jambe, et le sang coulait, clair et vermeil, sur la terre de Lorraine.
De coeur hardi, dans une accalmie de la fusillade, il marcha vers la scierie, soutenu par deux amis, et là, il retomba épuisé sur un lit, attendant la mort.
C'étaient les Prussiens qui allaient venir! Venir, non pour veiller sur cette chose sacrée qu'on appelle un blessé, un moribond, mais pour le mutiler, essayer de le tuer odieusement avec des raffinements de cruelle barbarie.
Pâle, exténué sur l'humble lit de la scierie, Enel voit entrer les ennemis. Ce sont des cris de rage, des clameurs horribles, à la vue du pauvre mobile français. Et comme à Fontenoy, comme à Bazeilles, comme à Rambervillers, les lâches se précipitent sur Enel ; ils l'arrachent violemment du lit, le jettent par la fenêtre, la tête meurtrie, la jambe saignante, le corps en lambeaux, et là. sur la terre rougie de son sang, ils tirent dessus, sur ce malheureux agonisant qui n'est plus qu'une plaie.
Les Prussiens, à bout portant, fusillent Enel blessé ; et puis, quand ils le croient mort - leurs balles n'avaient pas porté - ils meurtrissent ce cadavre à grands coups de crosse, à grands coups de sabre, à grands coups de pied.
Et, fiers de leur exploit, les Allemands s'en vont, laissant là, sur le sol, tout près de la scierie, le mobile Enel, mort glorieusement pour la France.
Trente ans après, le 8 juillet 1900, un homme, décoré de la médaille militaire, le corps couvert de glorieuses cicatrices, se trouvait au premier rang des anciens Mobiles de la scierie Lajus.
Cet homme, c'est Enel, c'est le mort du 23 septembre 1870.
Enel n'est pas mort ! il a survécu à ses affreuses blessures. Les Prussiens ne l'ont pas tué, et des milliers de Lorrains ont salué bien haut ce héros modeste, ce Mobile de 1870; et en le montrant à leurs enfants étonnés, les pères tout émus pouvaient bien dire:
«  Celui-là, ce fut un brave... il était au combat de la scierie Lajus... et il a versé son sang pour la patrie !
Honneur à vous, garde mobile Enel, enfant d'Ogéviller, tombé au champ d'honneur (1). »

(1) Le brave Enel est mort en 1906.

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