Sur le soubassement en granit, on a gravé les noms des officiers qui
commandaient, à ce combat de Lajus, les 1re et 3e compagnies des Mobiles de la
Meurthe.
1re Compagnie.
Capitaine, Goeury ; lieutenant, Villain ; sous-lieutenant, Parmentier.
3e Compagnie.
Capitaine, Mézière ; lieutenant, Protche ; sous-lieutenant, Genfeld.
Sur la face antérieure de la pyramide, faite d'une seule pièce et haute de
1m,39, on a gravé cette dédicace:
A la Mémoire des Officiers et Soldats
des 1re et 3e Compagnies des Mobiles
de l'arrondissement de Lunéville
qui ont reçu bravement ici
le baptême du feu, le 23 septembre 1870.
Sur la face postérieure est gravée une croix de Lorraine, et en dessous, les
noms des membres du comité du Souvenir français de Lunéville sur l'initiative et
la direction duquel a été édifié le monument.
Les Mobiles de la Meurthe .
Nous empruntons au Journal de Marche dé l'héroïque et regretté commandant Brisac,
le récit si pathétique et si émouvant de l'organisation du 2e bataillon des
Mobiles de la Meurthe et du combat dit de Pierre-Percée, à la scierie Lajus, aux
confins de la Meurthe et des Vosges, dans l'admirable vallée de la Plaine.
« Un décret impérial du 16 juillet 1870 avait mobilisé la garde nationale mobile
du 3e corps d'armée. Le 2e bataillon de la Meurthe, recruté dans
l'arrondissement de Lunéville, commandant Brisac, devait se réunir à la caserne
des Carmes de Lunéville (quartier de La Barollière actuel). Il demanda alors de
pouvoir y appeler ses cadres dès le 24 juillet, afin de commencer leur
instruction. Mais il fallut renoncer à cette faculté et attendre patiemment
jusqu'au 3 août.
3 août 1870.- A cette date, la situation des cadres est la suivante:
M. le commandant Brisac est nommé depuis le 29 octobre 1868 ; MM. Goeury, Gridel,
Mézière, Clément, Levasseur, Hypolite, Verdelet et Welche, sont pourvus des
commandements des compagnies depuis les mois d'avril et mai 1869.
Une grande partie des lieutenants et sous-lieutenants ont reçu des lettres de
service le 18 juillet et le 3 août 1870. Chaque compagnie compte un
sergent-major et un sergent instructeur nommés par le général Ladreit de La
Charrière, commandant la subdivision militaire. Enfin, le commandant a été
autorisé à nommer un adjudant, M. Clément.
Du 4 août au 9 août, le bataillon s'équipe et s'organise.
Le 10 août, il quitte la caserne des Carmes. Cet épisode historique a été
reproduit sur la toile par le peintre Gridel, de Baccarat, capitaine des
mobiles.
Ce tableau est précieusement conservé au Musée de Lunéville.
Départ de Lunéville.
10 août 1870. - Dès le matin, le quartier est consigné, et les officiers avertis
de s'y tenir à la disposition du commandant. Celui-ci, informé dès 4 heures que
les coureurs ennemis étaient signalés à Dieuze, venait de télégraphier à Nancy,
pour savoir si la direction du bataillon sur Marsal était maintenue.
Le général de La Charrière a répondu aussitot:
« Evitez bien vite Marsal, prenez ordres Mac-Mahon ! »
Le maréchal, en effet, était arrivé à 9 heures à Lunéville, précédant d'une
heure ou deux ses troupes; il était descendu avec son état-major à la
Sous-Préfecture.
La confusion la plus grande règne dans le cabinet du sous-préfet. Le maréchal et
ses officiers n'ont pas de cartes. On court pour s'en procurer, on mande
l'ingénieur des ponts et chaussées, les agents forestiers, pouvant donner des
renseignements utiles; enfin on a trouvé dans la ville quelques cartes du
département ou de l'arrondissement à l'usage des écoliers ou des
administrations.
Le maréchal, seul actif au milieu des officiers qui l'accompagnent, prend des
distances au compas. Il
veut, dit-il, éviter Nancy et rejoindre la route de Châlons, à Toul, a Bar,
enfin le plus loin possible (ce plus loin, hélas, c'était Sedan !)
Apercevant le commandant du 2e bataillon des mobiles, il l'interpelle
brusquement : « Que voulez-
vous ?... Cela ne me regarde pas, c'est l'affaire du commandant territorial... »
Enfin, il finit par s'écrier : « Mais que craignez-vous ? vous êtes sous la
protection de mon corps d'armée! »
Le commandant, voyant qu'il n'avait plus rien à attendre, quitta la
Sous-Préfecture et rejoignit le bataillon aux Carmes.
A ce moment, le 1er corps (ou plutôt ce qui restait du 1er corps d'armée),
commençait à défiler dans les rues de la ville qu'il traversait pour aller
prendre son bivouac à 4 kilomètres au-delà.
L'infanterie marchait en désordre, les régiments étaient mélangés ; des
traînards s'écartaient à droite et à gauche ; l'artillerie seule, quoique ayant
beaucoup souffert, faisait bonne contenance, les petits pelotons de servants
étaient à leur distance derrière les pièces. Quant à la cavalerie, ses escadrons
décimés quittaient le quartier au moment où le commandant y entra.
Le bataillon, massé dans la cour, l'attendait ; les fusils à tabatières, arrivés
pendant la nuit, avaient été distribués le matin ; les hommes, ayant mangé la
soupe, étaient à leurs rangs.
Le commandant appela les officiers autour de lui et en quelques mots les informa
de ce qui venait de se passer.
Renvoyé du général au maréchal, du maréchal au général, n'ayant pas grande
confiance dans la protection de ce Ier corps, de la désorganisation duquel il
avait été témoin, craignant bien plus encore pour ses jeunes soldats le
voisinage et le contact des troupes démoralisées qui le composaient, il avait
résolu de se diriger sur Langres et de faire étape à Charmes, après avoir
prévenu de son mouvement, le général de la subdivision, afin que, le cas
échéant, celui-ci pût lui faire tenir des ordres à Charmes même.
A onze heures, les portes du quartier s'ouvrirent et le bataillon s'ébranla au
milieu de la population serrée qui l'attendait et qui s'ouvrit avec émotion
devant lui. Bien des mouchoirs s'agitèrent sur son passage, des cris d'adieu
s'élevèrent de toutes parts; bien des pères serrèrent furtivement la main de
leur fils, bien des amis vinrent nous jeter ce voeu suprême: Que Dieu vous
protège.
Les rues étaient encombrées : d'une part, c'étaient des hommes qui venaient, par
bandes, du pays de
Dieuze, fuyant à l'approche des Prussiens qui menaçaient, disaient-ils, de les
faire marcher devant eux; plus loin, l'interminable défilé des troupes du Ier
corps.
Enfin, à une heure de l'après-midi, le bataillon sortit de la ville en entamant
sa marche d'un pas rapide, et Lunéville disparut bientôt à ses yeux. »
Le combat de Lajus.
« De Lunéville, le bataillon des Mobiles, fort de 750 hommes, se rendit à Bayon,
puis à Charmes, puis à Mirecourt, Vittel, Contrexéville et Langres, où il resta
cantonné jusqu'au 18 septembre.
Le 19 septembre, il revint à Epinal, puis le 21 à Saint-Dié.
Le commandant nous avait rejoint le 22 septembre au soir, dans notre camp de
Saint-Dié.
Là, il reçoit une dépêche annonçant qu'une colonne prussienne menace
Raon-l'Etape, il se décide à marcher dans cette direction le lendemain matin, et
à prendre position à Rouge-Vêtu, maison de garde dans la forêt, d'où, tout en
couvrant Raon, on peut surveiller à la fois, Baccarat, Badonviller et les
chemins intermédiaires.
23 septembre. - Nous partons de grand matin et nous arrivons à Raon pour
apprendre que les Prussiens sont à Celles, village situé a 10 kilomètres sur la
route de Schirmeck.
Cependant il faut accorder une heure de repos aux hommes.
Le café bu, on se remet en marche. La chaleur est accablante dans cette vallée,
les sacs sont lourds; mais tous savent que l'ennemi est proche et la colonne n'a
pas de traînards.
Trois compagnies de francs-tireurs : Neuilly, capitaine Sagaret ; Luxeuil,
capitaine de Perpignac; Colmar, capitaine Eudiline, s'adjoignent au batailIon ;
l'une d'elles est chargée d'éclairer la route en
fouillant les bois des deux côtés.
Le capitaine Mézière, ayant sous ses ordres la 1re et la 3e compagnies, est
détaché à gauche vers Pierre-Percée, ligne de retraite que doivent suivre les
Prussiens pour regagner Badonviller.
La petite vallée de Pierre-Percée débouche dans la vallée de Celles, que nous
suivons en remontant la rive gauche de la Plaine.
Pour rejoindre cette vallée, le capitaine Mézière traverse ce ruisseau, et,
côtoyant ensuite le pied des
montagnes de la rive droite, il marche parallèlement à nous avant de s'enfoncer
à gauche dans la vallée latérale.
A Celles, on nous dit qu'une douzaine de Prussiens sont venus dans le village,
ce matin même, mais qu'ils se sont retirés à l'arrivée des gardes nationaux des
communes voisines, avec lesquels ils avaient
échangé quelques coups de fusil.
Un exprès accourt à ce moment ; il vient nous prévenir qu'on se bat à la scierie
Lajus, située au point
de croisement des vallées de Celles et de Pierre-Percée.
Nous nous portons aussitôt sur ce dernier village, dans l'intention de prendre
l'ennemi à revers.
Mais il s'était déjà replié et nous n'atteignons que son arrière-garde, qui,
après quelques coups de feu, s'échappe dans les bois, laissant plusieurs morts.
Le véritable combat avait eu lieu, en effet, à la scierie Lajus. Le capitaine
Mézière, précédé par la
compagnie des francs-tireurs de Luxeuil, arrivait au croisement des deux
vallées, lorsqu'il aperçut une
colonne d'environ 500 hommes commandée par trois officiers montés.
Les éclaireurs des deux partis se rencontrèrent sous bois et engagèrent un
combat corps à corps.
Le feu devint bientôt très vif et dura de 2 h. 1/2 jusqu'à 4 heures.
Le capitaine Mézière, qui, malgré son infériorité numérique, n'avait cessé de
défendre le terrain pied à pied, s'aperçut alors que les Prussiens abandonnaient
la position en emportant leurs morts et leurs blessés.
Nos pertes furent, à Lajus, pour le bataillon, de 4 hommes tués et 3 blessés
grièvement.
Tués : Victor HISTRE, garde, de Baccarat; MENTREL, garde, de Baccarat ;
Jean-Baptiste-Victor BOUDOT, garde, de Pierre-Percée ; Théophile SAUZER, garde,
de Pexonne.
Blessés : Joseph-Emile BOUDOT, garde, de Vacqueville ; Hippolyte-Edmond ENEL, d'Ogéviller
; Henri
LION, caporal, de Blâmont.
L'un des blessés, Enel, fut victime d'un odieux attentat ; déjà atteint d'un
coup de feu à la jambe, il avait été transporté sur un lit à la Scierie, lorsque
les Prussiens, y pénétrant, l'en arrachent violemment, le jettent par la
fenêtre, la face dans la poussière et le fusillent à bout portant, en le
frappant à coups de pied, à coups de crosse.
Enel eut la présence d'esprit de simuler la mort, et il survécut à ses
nombreuses blessures. »
TABLEAU D'HONNEUR
des MORTS DU 2e BATAILLON DES MOBILES DE LA MEURTHE
Raon-l'Etape, 27 septembre.
MARTEL, d'Ogéviller; MUNIER, de Gerbécourt.
La Bourgonce (Vosges), 6 octobre.
MERCIER, de Baccarat ; COLIN, de Gerbéviller; LACROIX, de Lunéville ; THINCELIN,
de Crion ; PICARD,
d'Emberménil ; PETITJEAN, de Lunéville ; MASSON, de Laneuveville-aux-Bois;
PARISOT, de Thiaville; PARISOT, de Lunéville ; THIERRY, de Lunéville ; LIBRY, de
Neuviller ; MATISSEC, de ...; BRÉCEOT, de Fraimbois ; HOMAND, de Marainviller.
A ce combat, furent blessés le capitaine VERDELET,de Lunéville, le lieutenant
RENAUX, de Baccarat, et le chirurgien CHARDIN, de Badonviller.
Beaune-la-Rolande (Loiret), 28 novembre.
THIRIET, de Paris, et Roy, de Croismare.
Furent blessés, Félix CASSAS, lieutenant, de Lunéville, et CHARPENTIER,
sous-lieutenant, de Nancy.
Montbarrois (Loiret), 30 novembre.
CLASQUIN, de ... et PERRIN, de Blainville.
Villersexel (Haute-Saône) 9 janvier 1871.
Blessé : Emile ANTOINE, capitaine, de Lunéville.
Héricourt (Haute-Saône), 18 janvier.
DOMBRAT, de Domjevin.
Morts dans les ambulances ou les prisons de l'ennemi:
DIVOUX, de Lachapelle; VESSE, hôpital de Nancy; BANIER, de Saint-Remy-aux-Bois ;
VANAT, de Fraimbois ; CHATON, de Fraimbois ; KILRIC, de Gerbéviller; PLAID, de
Gerbéviller ; BAIL, de Lunéville ; LHOMME, de Manonviller ; MARCHAL,
sergent-major, de Haroué, mort en Suisse ; QUQU, sergent-major, mort en Suisse.
En résumé, le 2e bataillon des Mobiles de la Meurthe eut 25 tués, 43 blessés et
11 morts dans les ambulances. Total : 79 hommes hors de combat.
LISTE DES
Anciens Combattants par Compagnies
ETAT-MAJOR
Commandant, Brisac ; chirurgien, Chardin ; adjudant, Clément.
1re Compagnie (Badonviller).
Capitaine, Goeury ; lieutenant, Villain ; sous-lieutenant, Parmentier; sergents
et caporaux, Urbain, Masson, Munier, Berte, Ferry, Biet, Siatte, Lamblé, Vouaux,
Baret, Verdenal, Vouaux, Villaume, Adam, Roymarinier, tambour.
2e Compagnie (Baccarat).
Capitaine, Gridel ; lieutenant, Renaux ; sous-lieutenant, Antoine ; sergents et
caporaux, Perrin, Alison, Engel, Robinet, Samboeuf, Godchaux, Phulpin, Henry,
Moinard, Maldidier, Grange, Lebay, Demetz, Blascheck (mort professeur à l'Ecole
professionnelle de l'Est), Gabriel, clairon.
3e Compagnie (Blâmont).
Capitaine, Mézière ; lieutenant, Protche ; sous-lieutenant, Genfeld; sergents et
caporaux, Hovasse, Trente, Chambrey, Chatton, Houillon, Rosaire, Rose, Simonin,
Lion, Godchot, Leclerc, Pierron, Idoux, Stourm, Robert, tambour.
4e Compagnie (Gerbéviller).
Capitaine, Clément ; lieutenant, Teste; sous-lieutenant, Aubry ; sergents et
caporaux, Collin, Xaillé, Benoist, Fray, Cropsal, Hérique, Nicolas, Poirine,
Beuvelot, Barbier, Brionval, Renard.
5e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Levasseur; lieutenant, Silvestre; sous-lieutenant, Grare; sergents et
caporaux, Deschap, Millaire, Goger, Boutreux, Liouville, Kaltenbacher, Krick,
Halimbourg, Lhuillier, Charpentier, Galland, Thouvenin, Quirin, Guittin.
6e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Hypolite; lieutenant, Cassas; sous-lieutenant, Vaincker; sergents et
caporaux, Demonchy, Jacquot, Hanotin, Leroy, Aubry, Charpentier, Géhin, Marlier,
Simonin, Peultier, Bertrand, Mathieu, Adrien.
7e Compagnie (Lunéville).
Capitaine, Léon Verdelet; lieutenant, Pierron; sous-lieutenant, René Verdelet ;
sergents et caporaux, Steinmetz, François, Cunin, Tavard, Parmentier, Thomas,
Brégeot, Marchal aîné, Masson, Alexis Masson, Piron, Petitjean, Desboeufs, Libry,
clairon.
8e Compagnie (Haroué).
Capitaine, Welche; lieutenant, Sémellé; sous-lieutenant, Févotte ; sergents et
caporaux, Grandjean, Bajolet, Richard, Jacquemin, Hocquard, Morel, Ququ,
Lesperlette, Glez, Grandjean, Florentin, Marchal, Georges.
Ont été promus officiers pendant le cours de la campagne: Maldidier, Trente,
Barbier, Deschap, Millaire, Charpentier, Jacquot, Henri Parmentier, Tavard,
Teyand, Bajolet.
Le mobile Énel.
Il était parti d'Ogéviller, son pays natal, un matin du mois d'août 1870. Et,
bravement, sur la route
poudreuse, il était venu à Lunéville, rejoindre au quartier des Carmes, son
vaillant bataillon des Mobiles de la Meurthe.
Comme les autres, sans plus, mais tout autant, il fit noblement son devoir,
souffrant de la faim, de la soif, de la chaleur, souffrant encore plus
moralement à la vue des désastres et de l'effrayante impéritie du haut
commandement impérial.
Et ce lui fut une joie, comme à ses compagnons d'armes des 1re et 3e compagnies,
de revenir dans les Vosges, en septembre 1870, dans ces vallées qu'il
connaissait bien, à travers ces forets de sapins et de vertes bruyères, près des
rivières aimées du pays natal, la Blette, la Vezouse et la Verdurette.
Un matin - c'était le 23 septembre - il fut désigné pour la reconnaissance de la
Scierie Lajus, dans ce vallon charmeur de la Plaine, face aux ruines
gigantesques de Pierre-Percée et d'Agnès de Langstein.
Et là, dans les bois, Enel, qui combattait en héros, et qui, par trois fois,
avait abattu son Prussien, Enel tomba soudain dans un éblouissement.
Une balle ennemie avait traversé sa jambe, et le sang coulait, clair et vermeil,
sur la terre de Lorraine.
De coeur hardi, dans une accalmie de la fusillade, il marcha vers la scierie,
soutenu par deux amis, et là, il retomba épuisé sur un lit, attendant la mort.
C'étaient les Prussiens qui allaient venir! Venir, non pour veiller sur cette
chose sacrée qu'on appelle un blessé, un moribond, mais pour le mutiler, essayer
de le tuer odieusement avec des raffinements de cruelle barbarie.
Pâle, exténué sur l'humble lit de la scierie, Enel voit entrer les ennemis. Ce
sont des cris de rage, des clameurs horribles, à la vue du pauvre mobile
français. Et comme à Fontenoy, comme à Bazeilles, comme à Rambervillers, les
lâches se précipitent sur Enel ; ils l'arrachent violemment du lit, le jettent
par la fenêtre, la tête meurtrie, la jambe saignante, le corps en lambeaux, et
là. sur la terre rougie de son sang, ils tirent dessus, sur ce malheureux
agonisant qui n'est plus qu'une plaie.
Les Prussiens, à bout portant, fusillent Enel blessé ; et puis, quand ils le
croient mort - leurs
balles n'avaient pas porté - ils meurtrissent ce cadavre à grands coups de
crosse, à grands coups de sabre, à grands coups de pied.
Et, fiers de leur exploit, les Allemands s'en vont, laissant là, sur le sol,
tout près de la scierie, le mobile Enel, mort glorieusement pour la France.
Trente ans après, le 8 juillet 1900, un homme, décoré de la médaille militaire,
le corps couvert de glorieuses cicatrices, se trouvait au premier rang des
anciens Mobiles de la scierie Lajus.
Cet homme, c'est Enel, c'est le mort du 23 septembre 1870.
Enel n'est pas mort ! il a survécu à ses affreuses blessures. Les Prussiens ne
l'ont pas tué, et des milliers de Lorrains ont salué bien haut ce héros modeste,
ce Mobile de 1870; et en le montrant à leurs enfants étonnés, les pères tout
émus pouvaient bien dire:
« Celui-là, ce fut un brave... il était au combat de la scierie Lajus... et il a
versé son sang pour la patrie !
Honneur à vous, garde mobile Enel, enfant d'Ogéviller, tombé au champ d'honneur
(1). »
(1) Le brave Enel est mort en 1906.
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