Article complémentaire à Propagande destinée à la jeunesse -
Aimé Agelot - 1914.
Le nom de Aimé Joseph Agelot figure en premier sur le monument
aux morts de Domèvre sur Vezouze. |
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Il y est né le 28 mars 1897,
et bien qu'appartenant à la classe 1917, on le voit se battre
dès août 1914. Son histoire servira à de nombreux écrits de
propagande française sur les jeunes héros de la grande guerre,
et après l'article ci dessous du Petit Parisien en 1915,
il aura encore en janvier 1917 les honneurs de la presse (l'Excelsior,
le Gaulois, l'Echo d'Alger...) rappelant qu'à 16
ans il a été "cité à l'ordre du jour et décoré de la croix de
guerre pour avoir surpris les positions ennemies et avoir averti
sa compagnie au mépris des plus grands dangers" ; il figurera
même dans le célèbre almanach Vermot (26 février 1918)..
Hélas, Aimé Agelot ne survivra pas à la guerre, puisqu'incorporé au 64ème
bataillon de chasseurs à pieds, il est tué à l'ennemi sur le
champ de bataille de Vailly sur Aisne le 23 octobre 1917, sans
doute lors de l'attaque de la ferme du Panthéon.
Il repose aujourd'hui à la nécropole nationale de Vailly, dans
la tombe individuelle n° 799.
"Tableau spécial de la médaille militaire à titre posthume
AGELOT (Aimé-Joseph), mle 9375,. chasseur bon et brave chasseur.
Tombé glorieusement le 23 octobre 1917, à Pargny-Filain, en
faisant courageusement son devoir, Croix de guerre avec étoile
de bronze." (Journal officiel du 20 novembre
1920 - p. 18710)
Le Petit
Parisien
23 janvier 1915
TEL PÈRE, TEL FILS
Le papa se battait
le gamin l'imita
IL EST CITÉ A l'ORDRE DU JOUR DE L'ARMÉE
Amiens, janvier 1915.
Il est originaire de Domèvre-sur-Vezouse et prétend avoir ses
dix-sept ans. Il en paraît à peine quatorze. Blond, il a des
yeux étonnés et rieurs éclairant un visage de fillette. Il est
tout juste haut comme le sabre de son lieutenant. Qu'il ait
quatorze ou dix sept ans, il est de ceux qui prouvent que la
valeur n'attend pas le nombre des années. Au feu depuis les
premières semaines de la guerre, il a déjà, par sa vaillante
conduite, mérité une citation à l'ordre du jour de l'armée.
Orphelin de mère, il se nomme Aimé Agelot son père exerçait à
Lunéville les fonctions de contremaître à l'usine Diétrich,
quand éclata la guerre. Mobilisable le premier jour, M. Agelot
partit pour rejoindre, comme serpent, un bataillon de chasseurs
à pied. Vaillant soldat il ne devait pas tarder à le prouver il
se fût éloigné sans jeter un regard en arrière, s'il n'avait
abandonné ce fils unique qu'il chérissait et qui allait être
seul dans la vie. Et ce ne fut pas sans une profonde angoisse
qu'il s'éloigna, après avoir confié son enfant à une brave
cultivatrice, Mme Trévillot, qui habite le hameau voisin de
Déarville.
Son père parti, une indicible tristesse s'empara du jeune garçon
qu'on employait aux travaux des champs. Toujours sombre et
taciturne, Aimé Agelot finit par répondre à la fermière qui le
pressait de questions
- Je veux me battre comme mon père. Il est au front, pourquoi
pas moi ? Et comme on lui objectait son jeune âge, sa petite
taille « Je suis assez fort pour tirer des coups de fusil, qu'on
me mette à l'essai. Mais la fermière avait promis de veiller sur
lui, aussi se refusait-elle à le laisser partir.
Vers la fin de la première semaine, survint un régiment
d'artillerie qui traversa le village. Voilà le garçonnet
transfiguré ; il ne tenait plus en place. Les hommes lui
révélèrent que le régiment allait cantonner à Xirocourt « Je
vous y rejoindrai », leur dit-il.
En vain Mme Trévillot voulut-elle s'opposer à son départ ; rien
n'y fit. Comprenant que c'était chez son pupille une
détermination bien arrêtée, et que son opposition serait chose
vaine, la fermière céda et lui remettant vingt-cinq francs, le
laissa partir. Le lendemain matin le jeune garçon arrivait à
Xirocourt. Un lieutenant à qui il exposa délibérément sa
détermination de servir la France en dépit de toutes les
entraves possibles, et son désir d'être adopté par le régiment,
sourit et le conduisit devant le commandant de la batterie.
Je veux faire comme mon père, déclara le jeune Aimé. Il est
parti, il se bat, il s'expose pour la France. Qui sait si je le
reverrai ! Je veux me battre comme lui et s'il meurt, le venger
!
Le commandant Cappet fut séduit par l'allure crâne et décidée de
son petit interlocuteur mais avant de lui donner une réponse, il
écrivit au père. La réponse de l'adjudant fut digne des paroles
du garçonnet !
C'est une rude chose que la guerre, mais c'est une école où les
âmes se trempent. Je n'aurais pas pris la responsabilité de l'y
pousser, mais si d'ores et déjà il est dans les idées de mon
enfants de servir la France, je l'approuve pleinement ! Nous ne
serons pas trop de deux dans la famille... qu'il se batte !
La défense du canon
Dès la réception de cette lettre, le commandant n'hésite plus.
Il adopte le jeune Agelot, sachant qu'il aura un brave de plus
dans sa batterie. Et, bien vite, le garçonnet apprend le
maniement du 75. Il est la joie et l'enfant gâté du régiment.
Avec lui, il fait la campagne de Lorraine. Il se bat à
Sarrebourg, à Dieuze, à Avricourt. à Lorquin. Un lui confie
surtout le rôle de sentinelle auprès du canon. Et, à tout
instant, il utilise son mousqueton et s'en sert adroitement. A
Nomény, après un vif engagement, les deux pièces auprès
desquelles il combattait viennent d'être repérées par la grosse
artillerie ennemi. Déjà elles se mettent en route pour repartir
lorsqu'un gros parti de uhlans apparaît, qui fonce sur les
canons dont Agelot et ses camarades ont la garde. Caché entre
les roues de sa pièce, le gamin fait le coup de feu ; il a la
satisfaction de descendre trois cavaliers ennemis. Mais il est
blessé à la main d'un coup de sabre. Avec un peu de teinture
d'iode, il panse hâtivement sa blessure et continue. Auprès de
lui, cinq ou six artilleurs tombent, blessés ou morts. Mais la
poignée de braves dont il fait partie soutient sans faiblir
l'effort de l'assaillant jusqu'à l'arrivée d'un détachement
français. Les pièces sont sauvées.
A cette même époque, il prend part, avec son régiment, aux
combats de Blamont, de Cirey, de Badonvillers, de Charmes, de
Rambervillers. C'est la retraite, la période la plus douloureuse
de la campagne. Partout, le jeune artilleur paie de sa personne
avec une bravoure qui fait l'admiration de ses chefs.
Pourtant, les périls de chaque jour, la fièvre des combats,
l'ardeur de la bataille, les fatigues, les nuits dans les
tranchées, les exigences multiples du service et de la guerre
n'empêchent pas le jeune Agelot de penser à son père. Il
s'inquiète de son sort, il voudrait bien savoir où il est, et il
désirerait aussi que l'adjudant de chasseurs apprit que son
fils, le précoce artilleur, s'est bien conduit.
Le commandant Cappet, qui nourrit pour lui une sincère
affection, se charge de la chose. Il écrit, et, quelque temps
plus tard, reçoit la réponse. Si le fils s'est vaillamment
comporté, le père s'est conduit en héros. Il a été blessé deux
fois, à la poitrine, puis à la jambe, et ses actions d'éclat lui
ont valu tout d'abord d'être promu adjudant, puis, la médaille
militaire enfin, sur le champ de bataille même, les galons
d'officier....
Le père serait content.
Aimé Agelot est fier de son père, et brûle de se signaler comme
lui par sa valeur. Après la bataille de la Marne, il change de
régiment et est affecté à une batterie d artillerie lourde. Il
se bat dans l'Aisne, à Neuville-en-Rue, puis monte en Belgique,
où, près de Dixmude, il est blessé au mollet par un éclat
d'obus.
Il reprend son poste au moment où son régiment revient dans
l'Oise. Il est encore de la partie à Ille-sur-Noye, à
Saint-Léger, à Courcelles-aux-Bois où, pour la troisième fois,
il est blessé, à l'aine.
Entre temps, un cheval allemand sans cavalier erre à proximité
des tranchées allemandes. C'est une belle bête ! « Si on pouvait
l'avoir », dit un officier; mais aller le chercher là ! Agelot,
qui a entendu, ne dit mot, part en rampant, atteint l'animal à
50 mètres à peine des lignes prussiennes, saute brusquement en
selle, et, au galop, au milieu du crépitement des balles, ramène
le cheval vers les nôtres.
Une autre fois sa batterie cantonne près de Bus. C'est le soir,
et les hommes ont soif. Agelot est chargé d'aller au hameau
voisin de Boulaincourt chercher le nécessaire. Il part, fait
environ trois ou quatre kilomètres, arrive au village, ouvre la
porte d'un cabaret, et tombe sur une vingtaine de soldats
allemands. A sa vue, ceux-ci bondissent et crient :̃ « Aux armes
! »
Le jeune artilleur bat prudemment en retraite. On le poursuit.
En s'éloignant, il réfléchit que là-bas les nôtres ignorent la
présence de l'ennemi dans cette région, si près d'eux. A tout
prix, il faut les prévenir. Il importe donc de ne se faire ni
prendre, ni tuer. Profitant de l'obscurité, favorisé par sa
taille minuscule, il décide de s'éloigner sans bruit. Il a son
mousqueton, il ne s'en servira qu'à la dernière extrémité.
Derrière lui, il entend les Boches qui s'organisent et qui le
cherchent. Il prend de l'avance, rampant dans le fossé, évitant
de se montrer. Enfin, il est à proximité des nôtres, il file à
toutes jambes, accourt vers son colonel, et crie « Bombardez
là-bas le hameau, il y a des Boches. » Quelques minutes plus
tard, d'importantes forces ennemies étaient mises en déroute,
N'est-ce pas qu'Agelot, par ses blessures, par sa jeune
vaillance, par sa présence d'esprit, a bien mérité la citation à
l'ordre du jour de l'année dont il est si fier!
« Le père sera content ! » disait-il alors. Serait content...
faudrait-il dire. Car depuis les lettres de l'entant sont
demeurées sans réponse et les recherches des officiers sans
résultat !
Aussi le visage rieur du gamin s'assombrit, son clair regard se
voile d'une tristesse infinie quand il parle de celui dont la
vaillance a inspiré la sienne.
On va parfaire son éducation
Je l'ai vu hier. Quand vint l'hiver, le généralissime, toujours
très paternel, ne voulut point que les tout jeunes gens
restassent dans les tranchées. Il les fit tous ramener à
l'arrière. En vain Agelot protesta. L'ordre ne pouvait concerner
son cas il était soldat, il s'était battu partout, avait une
citation à l'ordre du jour et voulait rester. Trop jeune, il dut
quitter le front. Mais il est tombé sur un chef. le général L...
qui se connaît en hommes, aime les jeunes, et sait deviner
l'homme que sera l'adolescent. Tout de suite, le grand chef a
apprécié les sentiments dont est animé le jeune artilleur
éloigné de sa pièce. « Tu es un brave, lui a-t-il dit en lui
donnant une belle montre, nous ferons quelqu'un de toi. Quand
reviendront les beaux jours, tu reprendras ta place parmi les
combattants. En attendant, comme tu n'as, pour faire ton chemin,
que ta belle vaillance, on va te donner les connaissances qui te
seront utiles dans la carrière que tu choisis. »
Et le général a confié Aimé Agelot au lieutenant Boubée, un
parfait éducateur qui a pris le jeune artilleur en profonde
affection et consacre trois heures par jour à son instruction
générale.
Je l'ai vu hier. Ce courageux combattant, qui s'enorgueillit de
trois blessures, est encore un entant aux réflexions naïves et
charmantes. qui jouerait volontiers avec des soldats de plomb.
Son rêve est de suivre auprès la guerre le lieutenant Boubée au
Maroc.
- Certes, je l'y emmènerai. me dit l'officier. C'est une nature
d'élite. Je n'ai pas d'enfant. S'il est vrai que son père soit
tombé là-bas, Aimé sera mon fils. D'ici là, je le prépare
théoriquement à faire, selon les règles ce que son amour pour la
France lui a permis jusqu'à présent de faire d'instinct.
Raoul MONTEL.
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