L'Automobile dans
l'industrie, les transports et l'agriculture
N° 10 - Juin 1914
Un ancêtre des transports
de voyageurs par autobus
La ligne de Saint-Dié (Vosges) à Sâales (Alsace)
Les transports automobiles
ont marché de pair avec les successifs progrès des « poids
lourds», progrès qui ont apporté avec eux des garanties de
sécurité, de résistance et d'économie inconnues aux débuts de
cette branche de l'industrie automobile.
En 1902, la Société De Dietrich fit une tentative tout à fait
réussie avec de petits omnibus montés sur des châssis construits
à Lunéville, actionnés par des moteurs A. Bollée; à titre de
documentation, cette Société organisa à la porte de ses
puissantes usines, un service régulier de transport de
voyageurs, de Lunéville à Blamont. Ce service, qui assurait le
transport des dépêches, fonctionna pendant de longs mois.
L'année suivante, en 1903, C. Lung, de Saint-Dié, s'associait
avec son cousin Henry Lung, ancien mécanicien de De Dietrich, et
créait les « Autos-Vosgiens », organisant le premier service
régulier qui ait fonctionné en France.
Ce service, qui relie Saint-Dié à Sâales (frontière allemande),
ne s'est pas arrêté depuis douze ans, et il permet au voyageur
qui vient d'Alsace, de se rendre facilement, soit à Nancy, soit
à Paris, et à celui qui quitte la France, de gagner aisément
l'Alsace. Strasbourg, Colmar, Mulhouse et la Suisse; les
voyageurs évitent, grâce à cette ligne automobile, un détour
énorme.
C'est la percée des Vosges, dont la chaîne de 200 kilomètres
n'est traversée par aucun chemin de fer entre Avricourt et
Belfort : les voyageurs désireux de se rendre en Alsace
économisent, par les cols de Saales, des kilomètres aussi
nombreux qu'inutiles.
Voici l'automobile une fois de plus précurseur du train, car en
attendant que la voie ferrée de Saales à Saint-Dié, depuis
longtemps projetée, soit chose réalisée. le public profitera du
service de C. Lung ; celui-ci m'apparaît comme offrant aux
voyageurs, sur toutes les lignes françaises que je connais, le
maximum d'intérêt.
Depuis douze ans, ce sont des Lorraine-Dietrich qui assurent, en
hiver, trois voyages dans chaque sens et, en été, cinq voyages
sur ce parcours de 20 kilomètres. Le voyageur paie 10 centimes
du kilomètre et 3 francs par 100 kilogrammes de bagages; la
commission se paie 50 centimes.
L'espace me fait défaut pour relater les difficultés sans nombre
que C. Lung a rencontrées pour mener à bien les « Autos-Vosgiens
»; les encouragements des administrations ne lui ont pas été
souvent prodigués, car il lui a fallu douze années de
demandes, de pétitions, de démarches pour obtenir, il y deux
mois, une subvention ! Il est à croire que si un étranger au
pays n'avait bénéficié d'une subvention de 12.000 francs pour la
ligne de Saint-Dié à Sainte-Marie-aux-Mines, jamais C. Lung
n'aurait vu les malheureux 2.000 francs que l'État, le
département et les communes traversées (auxquelles il vient en
aide depuis douze années), se sont décidés à lui octroyer.
Audaces fortuna juvat, dit le proverbe que les loustics au
collège traduisent par : les audacieux font fortune à Java...
pas à Saint-Dié...
Cette ligne de Saint-Dié à Sainte-Marie me remet en mémoire la
tentative de C. Lung, sur ce parcours, il y a huit années
environ; il dut l'abandonner pour divers motifs, notamment à
cause du refus de la douane française de visiter les voyageurs
au passage de l'omnibus automobile. Je vous donne en mille la
raison : parce que le passage dudit véhicule coïncidait avec
l'heure du déjeuner de Messieurs les douaniers; il fallait
attendre une heure et souvent davantage.
Les temps sont heureusement changés; ce détail fait ressortir
les difficultés qu'ont eu à surmonter les premiers
vulgarisateurs de l'autobus (puisque cette élision est
aujourd'hui consacrée par l'usage).
C'est dire combien C. Lung, propriétaire des « Autos-Vosgiens »,
qui paie de sa personne depuis douze ans, a eu d'obstacles à
surmonter : difficultés parfois graves avec les voituriers, les
diligences détrônées, le personnel à recruter et à initier, les
populations à familiariser avec le passage de l'autobus, les
relations avec les diverses administrations routinières et
fermées à l'initiative. Il était juste que nous réservions à C.
Lung, pionnier des transports automobiles, une mention spéciale
dans notre Revue.
G. LE GRAND.
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