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Eugène Vallin et son oeuvre

Voir aussi Eugène Vallin (1856-1922)


La Lorraine artiste
1er et 15 septembre 1904

EUGÈNE VALLIN ET SON OEUVRE

En notre Lorraine où quelques individualités affirment hautement leur personnalité, les artistes occupent une place prépondérante dans le mouvement de renouveau qui tourmente, plus ou moins, notre génération, à la recherche d'un idéal. Cette prépondérance est logique, car si la science dans son universalité peut se développer intégralement sur tous les points du globe, l'art est impérieusement déterminé par le milieu. L'influence de celui-ci est variable selon la situation géographique qu'il occupe et la constitution géologique de ses diverses parties. Il ne faut pas non plus négliger l'apport historique ni la survivance traditionnaliste qui viennent s'ajouter aux assises naturelles de ce milieu, pour lui conférer un caractère particulier.
Tout artiste qui n'est pas pénétré de ces données, peut difficilement prétendre à l'originalité dans les oeuvres qu'il se propose de créer. De plus, il lui faut pour arriver à la parfaite connaissance de ce qui peut l'émouvoir dans l'univers, prendre directement contact avec les êtres et les hommes qui l'ont vu naître. Il lui faut encore déployer une incessante activité intellectuelle pour approfondir les causes de la vie.
L'une des erreurs les plus généralement répandues consiste à prétendre que nul ne peut être artiste sans avoir reçu l'enseignement officiel et avoir séjourné dans la Capitale où se trouve précisément l'école en dehors de laquelle il semble qu'il n'y ait pas de salut. Tout notre art lorrain contemporain s'élève pour détruire cette absurdité, mais, nous devons le constater, le prestige de tout ce qui porte la marque parisienne continue, malgré tout, à peser encore assez lourdement sur la vie provinciale.
Loin de nous de nier l'heureuse influence que peut exercer sur un esprit fortement éduqué les merveilles entassées dans les monuments et les musées de Paris, mais c'est parce que leur suggestion est trop forte que nous devons les éviter à tout prix à nos élèves. La gloire du passé fait trop souvent oublier l'avenir. A force de se complaire dans l'admiration, la faculté créatrice s'efface pour faire place au dilettantisme.

Il est bon que nous dégagions à l'heure convenable les personnalités de notre province, dont le talent et la valeur découlent entièrement du milieu où ils se sont développés. Tous nos artistes sont à signaler, mais il en est un parmi eux qui mérite de retenir particulièrement l'attention : nous avons nommé M. Eugène Vallin, l'un des maîtres incontestés de l'Ecole de Nancy.
M. Eugène Vallin est né à Herbéviller, commune du canton de Blâmont, dans ce coin où la terre fertile fait des hommes solidement charpentés et où les sens se développent avec une intense acuité. Tout jeune, le petit paysan fut amené à Nancy, et son enfance s'écoula tranquille près d'un oncle exerçant la profession de menuisier. Ce brave homme avait comme spécialité le mobilier religieux. Epris de son métier, désireux d'accroître ses connaissances, il avait eu l'idée de se procurer le Dictionnaire d'Architecture de Viollet-le-Duc. Ce fut dans ce livre admirable que son neveu fit ses premières lectures et qu'il essaya de dessiner. Viollet-le-Duc qui fit un si sublime effort pour réhabiliter l'art du moyen-âge, a écrit son ouvrage avec tant de ferveur, de conviction et de clarté, que l'apprenti sculpteur s'enthousiasma pour les églises et les cathédrales.

Eugène Vallin

Eugène Vallin

Lorsqu'il eut terminé ses études élémentaires, il fréquenta pendant un an le cours de modelage professé alors à l'école de dessin de Nancy. C'est avec ce modeste bagage qu'il entra clans la vie. Devenu ouvrier, il consacra tous ses moments de loisir à l'étude de l'art de nos ancêtres gothiques, cet art national par excellence, le seul que puisse revendiquer la pensée française dans son intégrité. Il faut bien le reconnaître et nous devons le proclamer, puisqu'on semble encore en douter en haut lieu, les édifices qui s'élevèrent sur notre terre en une sublime floraison, à partir du commencement du XIIIe siècle, manifestèrent, comme on ne l'a jamais revu depuis, le génie de notre race. Il est indispensable que nous l'affirmions et il est logique que nous nous inspirions sans honte des méthodes de ceux-là mêmes qui figèrent dans la matière le plus pur éclat de leur idéal de beauté et d'amour.

Eugène Vallin

Sur notre sol fécond, des artistes prestigieux ont fait jaillir des merveilles multiples, depuis l'humble église de Laître-sous-Amance avec son naïf portail, jusqu'aux incomparables cathédrales de Saint-Nicolas du-Port, de Toul et de Metz. C'est dans ces édifices que M. Vallin alla puiser l'enseignement qui devait un jour le conduire vers des brillantes destinées. Il y a tant de raison, de claire logique et d'honnêteté dans ces constructions, que celui qui veut les étudier avec patience et avec ardeur est lui-même forcé d'acquérir les maîtresses qualités de ceux qui les édifièrent. Nul mieux que M. Vallin ne connaît les procédés employés par les maîtres gothiques pour donner à un ensemble architectural l'impression de stabilité, d'équilibre et d'harmonie; nul mieux que lui n'a scruté en tous sens les décors, en vue de leur arracher le secret de leurs attraits indéfinissables pour le profane. Il ne fut satisfait que lorsqu'il eut enfin, à force de ténacité et de raisonnement, mis à jour les règles cachées que seuls les initiés connaissaient et qui disparurent devant l'invasion de l'art italien. Nous savons que ces artistes s'inspirèrent de la flore et de la faune locales pour sculpter les broderies et les dentelles de pierres qui s'inscrivent aux portails accueillants, qui ornent les chapiteaux des colonnes élégantes, qui se penchent au bord des corniches, qui s'élèvent vers le ciel au sommet des pinacles et qui se trouvent partout où l'oeil doit se reposer. Leur suggestion retint l'attention de M. Vallin et il sut tirer un sage profit.
Si l'artiste nancéien s'éprit de l'art du moyen-âge, il ne négligea pas non plus celui qui se développa dans les périodes suivantes. La Lorraine n'est pas restée en arrière et l'art des Boffrand, des Héré, des Jean Lamour, des Ligier-Richier et de tant d'autres peut être considéré comme une des manifestations les plus exquises de notre génie artistique.

Eugène Vallin

Nous possédons donc en notre province les éléments d'une éducation esthétique complète. Outre une terre innombrable en ses aspects, depuis l'âpre sommet vosgien jusqu'à la coquette vallée de nos petits cours d'eau, depuis la sombre forêt de pins jusqu'à la prairie émaillée de fleurs adorables, des cathédrales se dressent fièrement au dessus des cités, dans les plaines fertiles, pour chanter un hymne à la beauté, pour attester que des hommes émus et bons ont vécu dans la joie sur notre sol aimé ; des édifices et des demeures aux colonnades rythmiques, des arcs de triomphe, des portes imposantes, placent devant nous tous et sans cesse les principes de l'art. Quel magnifique voyage au pays de l'harmonie pourrions-nous faire en visitant une à une les merveilles jetées à profusion par la vie sur les montagnes, dans les bois, le long des rives et celles créées par les artistes de tous les temps !

Eugène Vallin

Si la théorie retint l'attention de M. Vallin, il étudia aussi la technique. Son métier de sculpteur avait fait naître en lui un amour ardent du travail manuel. Loin de mépriser l'effort qui triomphe de la matière, il l'aima passionnément, car il comprit qu'il est le seul moyen efficace d'affranchissement. Ayant été appelé un jour à construire un autel dans l'ornementation duquel devait entrer les émaux, il se fit émailleur. Il construisit le four indispensable, expérimenta les divers moyens préconisés par les spécialistes, et au bout de quelques semaines, il réalisait son oeuvre avec une sûreté étonnante. Plus tard, il eut à construire des portes d'église imitant le bronze massif. Il étudia alors la galvanoplastie et bientôt cette branche n'eut plus de secret pour lui.

Eugène Vallin

Son idéal a toujours été de pouvoir réaliser par lui-même une oeuvre dans son entier, quoiqu'elle soit faite de matières très diverses exigeant la connaissance et la pratique de plusieurs métiers. M. Vallin professe, avec juste raison, que c'est à cette seule condition que l'ouvrier peut se libérer progressivement. Il s'emploie souvent à faire pénétrer cette vérité si simple et que trop peu comprennent.
Tel William Morris et tel Ruskin, notre concitoyen voudrait voir renaître la joie dans le travail manuel, conscient et raisonné. Les grands ateliers l'effrayent, parce qu'ils ne permettent pas à l'ouvrier de suivre jusqu'au bout la fabrication de l'objet, parce qu'ils obligent à la division du travail si funeste à l'éducation intégrale de l'artisan. Il ne rejette cependant pas l'emploi de la machine, mais il lui limite son intervention au dégrossissement de la matière, conservant ainsi à la main et à l'intelligence de l'ouvrier le seul effort utile dans lequel la pensée peut agir.

Eugène Vallin

M. Vallin acquit, en outre, à côté de son savoir professionnel, l'instruction générale en dehors de laquelle nul homme ne peut prétendre à l'élévation morale. Parti de l'éducation la plus élémentaire, il scruta avec ses propres ressources toutes les branches du savoir humain ; franchissant progressivement toutes les étapes de la connaissance, il est arrivé aux conceptions les plus rationnelles de la vie et de la sociologie. Il eut à souffrir de son émancipation et beaucoup ne lui pardonnent pas d'avoir affirmé sa foi en la vérité scientifique et son espérance en une société meilleure.
Un des traits essentiels du caractère de M. Vallin, est sa franchise qu'il manifeste avec vigueur et sans détour, tant dans ses pensées que dans ses oeuvres. Il ne connaît pas les demi-mesures ni les finesses dont se servent avec tant d'habileté trop de nos contemporains.

Eugène Vallin

Les oeuvres de M. Vallin dans leur ensemble accusent avec netteté la marche évolutive de leur auteur. Devenu propriétaire de l'atelier de son oncle, il travailla pour le compte de nombreuses églises, prodiguant dans ce genre l'expérience qu'il avait acquise. Justement apprécié, on lui confia la sculpture d'un confessionnal destiné à la chapelle de Bonsecours, cette merveille de l'art du XVIIIe siècle. Il s'agissait de faire un objet répondant à la richesse du milieu. Le jeune sculpteur - M. Vallin avait alors 27 ans - se surpassa dans la pureté du style et dans l'exécution. En 1887, la composition et l'exécution du grand orgue de l'église Saint-Léon à Nancy, furent laissées à son initiative et son expérience. Ici encore, il fit preuve d'une connaissance complète du style gothique et fit montre d'une sûreté de goût parfait. En un mot, il se révéla comme décorateur et architecte de valeur. C'est
alors qu'il composa l'autel de l'église Notre-Dame de Saint-Dié, pour lequel il se fit émailleur sur métaux ; ensuite, il exécuta les portes de l'église Saint-Léon en galvanoplastie, sur le modèle de la cathédrale de Cologne qui lui fut imposé, des autels pour les églises Saint-Sébastien, Saint-Joseph où il fit également une chaire à prêcher en pierre sculptée avec bronze et émaux. Enfin, en 1903, il composa et exécuta pour l'église Sainte-Ségolène de Metz, une porte en bronze de toute beauté. Nous devons faire remarquer que M. Vallin, dans sa profession de décorateur d'églises, fut toujours d'une rare probité au point de vue artistique, et que toujours ses productions sont dans les règles du style employé. Combien son influence eut été salutaire auprès des fournisseurs habituels du quartier Saint-Sulpice, s'il avait pu leur communiquer à tous son respect des principes des vieux maîtres du moyen-âge.

Eugène Vallin

Peut-être aurions-nous pu nous abstenir de parler des oeuvres que nous venons de rappeler, si nous n'avions eu comme but de retracer dans son intégrité l'évolution d'un artiste qui doit son savoir et son talent à ses seuls efforts et aux seules suggestions du sol natal. Il en est qui rougiraient peut-être d'avoir sculpté du mobilier religieux, un peu périmé et généralement délaissé à des entrepreneurs plus ou moins routiniers. C'est cependant en étudiant les méthodes de ceux qui conférèrent aux pierres de nos coteaux le divin sourire de la beauté, qu'il doit d'avoir jeté, en ces dernières années, les bases d'un art architectural nouveau, venant ainsi compléter en Lorraine le mouvement de rénovation créé par d'autres artistes du décor.
Pendant que les novateurs de l'école lorraine, les Prouvé, les Camille Martin, les Majorelle, les Daum, les Hestaux, les Gruber, etc., essayaient, sous l'impulsion donnée par le maître Emile Gallé, d'abandonner les formules surannées et d'affirmer que l'art ne peut pas se figer en des règles immuable-, Eugène Vallin, lui aussi, cherchait sa voie dans ce sens. Il avait affirmé un des premiers la possibilité de quitter les sentiers battus, c'est pourquoi il fut toujours avec ceux qui estiment que les facultés créatrices de notre race peuvent et doivent encore se traduire en des productions artistiques originales.
Lors de l'Exposition d'art décoratif de 1894, M. E. Vallin exposa encore un meuble gothique fort bien compris, mais à cette époque, il avait jeté les bases de L'art qui fait aujourd'hui sa presque totale occupation. En 1896, il eut à se faire construire une maison et un atelier. C'était l'occasion pour lui de mettre en pratique les idées de réforme qu'il avait longuement méditées. Enthousiasmé par la diversité ornementale de nos plantes dont il avait étudié l'application chez les décorateurs du moyen-âge, il s'en servit pour orner toutes les parties de sa demeure, susceptibles de recevoir une décoration rationnelle. Les corbeaux, les consoles reçurent la parure végétale des espèces de nos bois et de nos champs ; sur certaines parties de la façade furent sculptées en bas-relief d'autres plantes, dont des philodendrons savoureux. La décoration intérieure fut l'objet des mêmes soins et des plafonds s'illustrèrent de frondaisons variées. La porte d'entrée de la demeure familiale reçut l'empreinte d'une ombellifère de nos forêts, admirablement interprétée et sainement appliquée à l'ornementation architecturale. Victor Prouvé a composé pour cette porte une entrée de boîte aux lettres qui est un chef d'oeuvre. Cette maison fit l'objet des commentaires les plus divers, les architectes vinrent nombreux pour l'examiner, les uns la critiquant parce qu'elle heurtait leur routine, les autres réservant leurs appréciations.
Ces derniers ne furent pas si intransigeants que leurs autres confrères et quelques années après on vit s'élever à Nancy des maisons aux façades neuves. C'est grâce à l'initiative de M. Vallin que nous devons ce mouvement qui s'accentue chaque jour et grâce auquel notre ville sera bientôt un objet de curiosité artistique pour les visiteurs.

Eugène Vallin

Parmi les maisons nouvelles, il est bon de retenir celle de M. Biet située rue de la Commanderie et celle de M. le docteur Aimé, située rue Saint-Dizier, dont la composition et l'ornementation de la façade sont dues à la collaboration de M. Biet, architecte distingué, et de M.E. Vallin. Là, ce dernier a mis en pratique dans la construction le procédé de moulurage qu'il a définitivement adopté. Reprenant le parti pris des artistes du moyen-âge, il fait partir de la base de l'édifice les lignes ornementales qui doivent circonscrire les espaces libres, portes et fenêtres, ou souligner les consoles et les divers points d'appui généralement usités. Au lieu de diviser les façades par des lignes droites, plus ou moins moulurées, et des corniches, il unit le tout intimement dans un ensemble qui apparaît comme un véritable organisme. On a la sensation à la vue de ces façades que les nervures élégantes et solides qui les sillonnent proviennent d'un être vivant. Elles sont en effet la synthèse de toutes les harmonies du végétal. Au lieu d'appliquer une tige munie de ses organes accessoires, l'artiste a dégagé les éléments essentiels de construction de la plante, n'en conservant que ce qui est précis, simple et facilement compréhensible à l'esprit de tous ; il a mis en valeur également l'heureuse disposition des attaches des feuilles sur les tiges de certaines espèces, notamment celles de la famille des synanthérées et de la famille des ombellifères dont il a profité pour donner à ses lignes des points solides, sorte de gaines renflées qui s'insèrent aux nervures avec une exquise souplesse.

Eugène Vallin

M. Vallin a appliqué cette manière de procéder à toutes les constructions architecturales auxquelles il a pris part. Dans la superbe devanture de magasin de M. François Vaxelaire qui est l'oeuvre de M. Charles André et de l'artiste qui nous occupe, nous trouvons les mêmes principes ; les lignes s'élançant du ras du sol vont s'infléchir gracieusement en des combinaisons du plus heureux effet. Nous retrouvons à l'intérieur de ce magasin les boiseries du salon d'essayage travaillées dans un sens analogue.
M. Vallin s'est voué avec succès à la construction des devantures de magasins. La première en date qu'il exécuta est celle de la chapellerie Delchard, oeuvre à la fois simple et de bon goût. Il eut à construire récemment un ouvrage de même nature pour un négociant de Metz où il put mettre à contribution toute la virtuosité dont il est capable. Il fit aussi pour M. Emile Gallé une porte de chêne destinée à clore le lieu où il serre ses trésors et sur laquelle le Maître nancéien a inscrit une devise qui doit être chère à tous les artistes du décor. M. Emile Gallé a voulu faire connaître à tous l'humble origine de son art. «  Ma racine est au fond des bois », a-t-il écrit sur sa porte. Nous tous, nous pourrions revendiquer cette commune origine. Mais s'il en est un qui doit s'en réclamer, c'est bien M. E. Vallin. N'est-ce pas dans les magnifiques synthèses de nos forêts mystiques que sont les églises du moyen-âge qu'il a puisé l'inspiration de son art ? Oui, les artistes gothiques ont reflété dans leurs oeuvres avec une conscience plus ou moins confuse la complexe beauté de nos forêts mystérieuses.

Eugène Vallin

Dans les troncs élancés, dans les ramures puissantes ils ont trouvé le secret de leurs colonnes hardies, de leurs ogives légères ; dans les frondaisons épaisses, refuge d'animaux divers, ils ont pris les motifs de leurs décors ; dans les éclaircies des branches se profilant sur le ciel profond, ils ont découvert le secret de leurs féeriques vitraux ; dans le murmure du vent qui passe, agitant les lyres éoliennes, ils ont puisé l'inspiration des hymnes que redisaient solennellement leurs orgues en des jours de fêtes, devant le peuple ému.
Et lorsqu'après avoir pénétré les ultimes secrets de l'art gothique, M. Vallin étudia la nature de notre pays, il se mit à vibrer à l'unisson de nos maîtres vénérés et de la splendeur vivante des êtres. Il avait acquis la presque totalité des connaissances - nul ne pouvant prétendre à l'absolu - pour faire des oeuvres originales et rationnelles.
Comme on le voit, quoique différents dans leurs résultats, MM. Emile Gallé et Vallin partent de la même source. Mais l'un a commencé par la science et l'étude directe de la nature, se laissant émouvoir par toutes les suggestions que lui révélaient l'observation et l'expérimentation, tandis que le second est parti des inconnues de l'art pour arriver aux certitudes de la science.
M. E. Vallin, en homme logique, considère que l'ornementation des intérieurs, boiseries, escaliers, plafonds, ameublements, doit suivre les principes de l'architecture.

Eugène Vallin

Cette vérité qui fit la force des artistes du moyen-âge, de la Renaissance et des époques qui suivirent jusqu'à la Révolution, fut trop méconnue au cours du XIXe siècle. C'est peut-être pour cela qu'aucun style véritablement typique ne vit le jour durant une période de plus de quatre-vingts ans, ce qui peut être considéré comme un des phénomènes les plus curieux dans l'histoire de l'art.
L'évolution suivie par M. Vallin se manifeste également dans la construction de ses meubles. Dans une salle à manger qu'il exécuta pour M. Biet et dans l'ameublement du bureau de la Compagnie électrique, on remarque déjà une orientation très sûre, mais encore avec des décors végétaux bien spécifiés.

Eugène Vallin

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Il en est de même pour les différents objets du cabinet de travail de M, Kroriberg, où les ombelles sont largement usitées. Le bureau qui s'écarte franchement des formes classiques fut édité une seconde fois sans sculpture et il acquit par ce fait une grande souplesse dans ses lignes.
On peut dire sans exagération que l'ordonnance des moulurations dans les meubles de M. Vallin supplée à toute autre ornementation. Ici encore, il sait faire vibrer la matière sous son burin vainqueur. Par des accidents savamment combinés, la lumière se joue sur les surfaces planes où s'atténue à l'ombre des gorges fouillées avec rythme, faisant éprouver à l'oeil la sensation d'une exquise caresse. Son chef d'oeuvre en ce genre est l'ameublement qu'il vient de terminer pour M. Masson. Il nous est impossible d'en décrire les charmes, la sérénité et l'imposante beauté. Ici il est arrivé à l'apogée de son talent. Victor Prouvé collabora à la décoration sculpturale de cet ensemble incomparable qui intéresse également les boiseries et la cheminée.
Ce qui caractérise les meubles de M. Vallin c'est leur grande unité de composition et la probité avec laquelle ils sont exécutés. Cet artiste ne peut se résoudre à dissimuler les tares ou les imperfections de la matière. Une pièce de bois presque ouvragée est impitoyablement sacrifiée si elle révèle tout à coup un vice dans sa texture. Ses ouvriers ignorent les collages habiles, s'il faut un arbre entier pour édifier une membrure, on le prend. Dans la fièvre de l'atelier, on peut voir certains jours des colosses étendus sur le sol entourés d'une montagne de copeaux. C'est que le créateur infatigable pense que pour conférer de la beauté à la matière il faut employer la franchise et l'honnêteté.
Et pendant que l'acier dévore le flanc des troncs puissants qui supportèrent jadis des ramures bourdonnantes sous les cieux lointains, on est ému en songeant que l'oeuvre de l'artiste va leur donner une forme nouvelle avec une poésie nouvelle qui parlera doucement dans les demeures humaines.

Eugène Vallin

N'oublions pas non plus que M. Vallin prit une part prépondérante dans l'exécution de la partie ornementale du monument Carnot et qu'il concourut avec succès aux projets du monument de la Croixde Bourgogne et du monument aux soldats érigé à Remiremont. Enfin rappelons qu'il collabora avec M. P. Charbonnier à la décoration de la Maison du Peuple de Nancy.
Notre concitoyen durant sa carrière si remplie a éprouvé bien des amertumes et des déceptions, surtout en ce qui concerne ses recherches. Seul, avant le farouche orgueil de celui qui tire tout de lui-même, il lui fallut souvent se raidir pour franchir une nouvelle étape. Aussi, en souvenir de tout cela il fut toujours accueillant à tous ceux qui vinrent le consulter. Quand les autres maîtres de l'Ecole de Nancy proposèrent de fonder une Société en vue de répandre l'éducation artistique il fut l'homme le plus heureux.
Pour lui, son plus grand bonheur serait de pouvoir, si les moyens de vivre n'étaient si impérieux, réunir autour de lui ses ouvriers pour leur parler de beauté et de fraternité. Il se contente de prodiguer ses conseils aux architectes, aux sculpteurs, aux ébénistes et il le fait avec tant de modestie que souvent ceux qui profitent de son. expérience oublient la cause de leur progrès et affirment qu'ils ont puisé en eux l'inspiration qu'ils ne font que traduire.

A l'heure où notre école lorraine d'arts décoratifs va se manifester en un ensemble imposant il est bon d'exposer la vie d'un de ses représentants les plus dignes de retenir l'attention. Il est agréable de retracer les origines d'un art aussi sain et aussi local que celui de M. Vallin, il est plus doux encore de rendre hommage à un homme modeste dont le talent dépend de ses seuls efforts.
Un tel exemple est réconfortant, car il vient faire naître en nous l'espérance de voir jaillir encore des couches profondes de notre race des esprits vibrant à la beauté du monde, épris d'amour pour la nature et pour l'humanité. A cette dernière, pour accomplir le cycle de ses destinées, il faut des hommes sachant éprouver et recueillir tous les frissons, depuis les légères palpitations de la fleur sous les caresses des rayons lunaires jusqu'aux tressaillements qui secouent les races en des jours d'espérance, afin de les synthétiser et de les offrir à tous en d'impérissables oeuvres d'art.
EMILE NICOLAS

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