| La Lorraine 
				artiste15 septembre 1900
 F. SCHMITT L'Institut de France, en 
				cette année 1900, a décerné le grand prix de Rome, pour la 
				Musique, à Monsieur Florent Schmitt.La Lorraine revendique ce nouveau lauréat qui est né à Blâmont 
				le 28 septembre 1870. L'un des nôtres, Monsieur Henri Hess, 
				actuellement organiste de la cathédrale, fut son premier maître. 
				L'élève devait rapidement faire honneur à son professeur, 
				puisqu'entré au Conservatoire de Paris en octobre 1880, classe 
				Théodore Dubois, il remportait le second prix d'harmonie au bout 
				de sa première année scolaire.
 Ce succès est suivi d'un arrêt brutal. Le régiment réclame 
				Florent Schmitt. Par bonheur, on l'admet à faire ses trois 
				années de service obligatoire, à St-Cloud, dans la musique. Il 
				peut suivre manquait pour mettre immédiatement à profit les 
				leçons du subtil compositeur ; le jeune flûtiste militaire était 
				astreint à écrire pour son chef de musique force transcriptions 
				des oeuvres lyriques en vogue.
 L'époque de la libération arrive. Florent Schmitt dit adieu à la 
				flûte, à la musique militaire, à ses trompes et à ses oeuvres. 
				Il se bat avec le contrepoint, la fugue, et cela si 
				heureusement, qu'il est admis d'emblée à concourir pour le prix 
				de Rome. Nous sommes en 1896, la cantate imposée a pour titre 
				Mélusine; l'enchanteresse ne porte pas bonheur au jeune 
				concurrent qui n'obtient aucune récompense.
 A la rentrée, la classe dont il fait partie se désagrège ; 
				Monsieur Massenet a donné sa démission. Quelques-uns de ses 
				élèves vont renforcer la classe Lenepveu, ancienne classe Th. 
				Dubois, les autres passent sous l'aimable férule d'un nouveau 
				professeur : Monsieur Gabriel Fauré. Schmitt est de ceux-là.
 Au concours de 1897, Frédégonde se montre moins cruelle que 
				Mélusine : elle lui procure un second grand prix. Dans les deux 
				concours suivants, Radegonde et Callirhoé sont intraitables ; 
				notre musicien est bien près de perdre courage : il a vingt-neuf 
				ans, la limite d'âge va l'atteindre. Mais Sémiramis le prend en 
				pitié, sa toute puissante protection lui assure en juillet 
				dernier le grand prix de Rome, c'est-à-dire sept années de 
				liberté garanties et payées par le gouvernement. Un tel délai 
				suffit pour mûrir et pour écrire une oeuvre sincère, si l'on a 
				vraiment l'amour de son Art.
 Cet amour possède Florent Schmitt, ses rares oeuvres éditées le 
				prouvent. La légèreté de son bagage musical est due uniquement à 
				la privation de temps qu'impose aux artistes sans fortune la 
				recherche du pain quotidien. Les belles oeuvres et les beaux 
				enfants se font dans la joie, veulent naître dans le calme. On 
				travaille sans entrain si la terrible question d'argent se pose 
				à toute minute, si les yeux doivent à tout moment fixer la 
				pendule où va s'inscrire l'heure de la leçon à donner. 
				Bienheureux encore ceux pour qui cette heure néfaste revient 
				assez souvent. Il est des artistes, comme des ouvriers, sans 
				ouvrage.
 Les amis de Florent Schmitt, qui le virent lutter et vaincre, 
				espèrent beaucoup de son séjour à Rome. Il est de ceux à qui la 
				vie enseigna la valeur des minutes heureuses, et que le repos 
				n'endort pas. Il saura bien employer la trêve que son vouloir 
				énergique et tenace a su conquérir, et qui lui permettra 
				d'amasser les munitions et de forger les armes avec quoi il 
				devra lutter pour la vie artistique. En raison de son âge et de 
				ses efforts multipliés, il ne va pas en Italie pour achever son 
				éducation musicale, pour entrer en pleine possession de lui-même 
				; déjà il a cessé d'être un élève, et selon la parole du plus 
				autorisé de ses juges, Camille Saint-Saëns, il sait ce qu'il 
				veut.
 Sa personnalité existe : elle se dégage d'une double influence, 
				volontairement subie, et que lui-même est le premier à 
				confesser. L'influence de notre école française moderne résumée 
				en ces trois noms énonciateurs de talents vraiment originaux : 
				Chabrier, Fauré, Debussy L'influence de l'école russe moderne 
				créée par Balakirew et Moussorgsky, continuée par Rimsky-Korsakoff 
				et Glazonnow.
 Ces noms encore discutés, en tout cas peu scholastiques, ces 
				noms, qu'avec la belle audace de la jeunesse les oeuvres de 
				Schmitt criaient bien fort, sont d'étranges parrains pour un 
				catéchumène académique. Ils retardèrent et même compromirent la 
				victoire de leur admirateur Mais la musique est une enjôleuse 
				qui sait venir à bout des plus mauvaises volontés : elle a si 
				heureusement inspiré son jeune néophyte que le jury s'est 
				attendri. Il n'a pas craint de couronner une oeuvre où, 
				contrairement aux usages, il n'y avait que du métier ; où, chose 
				plus monstrueuse encore, le métier n'était pas positivement 
				celui qu'enseigne la Sainte Tradition conservée au 
				Conservatoire.
 Félicitons Florent Schmitt de ce remarquable succès. 
				Félicitons-nous de ce que ce jeune vainqueur soit des nôtres. 
				Nancy, qui a tant fait depuis quelques années pour la nouvelle 
				école, méritait d'être représentée dans la pléiade de jeunes, en 
				qui la Musique française ne doit pas espérer en vain
 Jean BÉNÉDICT
 
 
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