La Lorraine artiste
1er mars 1896
L'abbaye de Haute-Seille
Le promeneur qui sort de
Cirey par la route de Blâmont, dans la direction de l'ouest, ne
tarde pas à remarquer, sur les bords de la Vezouze, un grand
vieux mur gris tout décrépi, cependant encore bien conservé et
solide dans sa vétusté. Ce mur, de plus de trois mètres
d'élévation, forme une vaste enceinte polygone. Le lierre qui
l'escalade par endroits, loin d'égayer la surface, augmente au
contraire, comme feraient les pans d'un voile de deuil, la
sensation de mélancolie qu'en suggère l'aspect.
Involontairement on s'arrête devant ce morne témoin du passé
pour se demander s'il ne cache pas quelque vieille chartreuse,
dont les austères habitants uniquement occupés du salut de leurs
âmes, auraient négligé, depuis des siècles, d'entretenir la face
exposée aux regards des profanes.
Si, poussé par la curiosité, on pénètre dans cet enclos par la
porte qui y est pratiquée en brèche, on est tout étonné de se
trouver dans un simple jardin potager, dont l'entretien
méticuleux indique du premier coup d'oeil qu'un maraîcher de
profession cherche à en tirer le meilleur parti possible. Aussi,
l'impression romantique produite par l'extérieur serait-elle
vite effacée si au milieu de ce paradis de légumes ne se
dressait la ruine d'un vieux portail d'église,, dont quelques
treillages et des plantes sauvages poussant dans les lézardes ne
parviennent pas à dénaturer les lignes robustes et harmonieuses.
Ce vénérable monument, plus un grand bâtiment rectangulaire à un
étage avec cour intérieure, occupant la moitié du côté ouest de
l'enclos, ainsi que du côté opposé une vieille serre et des
remises, voilà tout ce qui reste aujourd'hui de la grande et
belle abbaye de Haute-Seille, qui eut le triste sort d'être
méthodiquement démolie après la Révolution par les acquéreurs de
biens nationaux.
Les religieux qui l'occupaient depuis le commencement du XIIe
siècle jusqu'à la fin du XVIIIe étaient non des chartreux, mais
des bénédictins de l'ordre de Citeaux, Il ne relevaient d'aucun
diocèse, car, suivant un titre du XVI e siècle, le monastère, «
assis au détroit du comté de Salm, a toujours été, après Dieu,
sous la garde de ces seigneurs. »
N'était le très remarquable portail de l'église, les vestiges de
l'abbaye n'offraient plus guère d'intérêt. Le grand bâtiment
rectangulaire avec cour intérieure, bien conservé, et dont les
constructions ont un développement de 125 mètres sur 83, servait
à l'exploitation des terres. Il est resté fidèle à sa
destination utilitaire. Sa façade extérieure, tournée à l'ouest,
est décorée d'une porte d'entrée monumentale construite au
XVIIee siècle. Cette façade était flanquée d'un moulin, alimenté
par un canal divisant en deux moitiés le jardin potager.
Aujourd'hui il est remplacé par un polissoir dépendant des
verreries de Cirey.
Bien autrement antique était l'église dont la nef a entièrement
disparu, ne laissant, presqu'au ras du sol, que la trace des
murs et des colonnes, juste ce qu'il faut pour donner encore une
idée de l'importance de son périmètre, les murs, les colonnes,
les voûtes qu'elles supportaient, tout a été soigneusement
démoli et emporté au loin, comme étant préjudiciable à la
culture intensive des oignons, dont les rangs bien réguliers se
pressent à l'endroit même où sur les dalles obscures de
l'antique sanctuaire les moines se jetaient à genoux.
On ne peut se défendre d'un sentiment de vif regret, en
parcourant les plates-bandes, qu'aucune trace, même graphique,
ne soit restée de cette église qui devait être très belle, à en
juger par le magnifique portail qui émerge si poétiquement de ce
milieu aujourd'hui si prosaïque.
C'est, en effet, un superbe spécimen d'architecture romane, que
ce portail avec ses cinq arcades, toutes de même hauteur, mais
de styles différents, montrant que la construction date de
l'époque où l'ogive faisait sa première et timide apparition. L'arcade du milieu, servant de porte, d'une ouverture dépassant
deux mètres, est à plein cintre. Ses côtés étaient flanqués de
huit petite, colonnettes, dont il ne reste que des chapiteaux
diversement sculptés, supportant une archivolte de trois tores
également variés: ruban en spirale, moulure en creux, et bande
unie. Sur les chapiteaux des deux colonnettes extérieures, les
seules dégagées de la façade, retombe un large bandeau à
chevrons en relief qui circonscrit l'archivolte et se répète sur
chacune des deux arcades voisines. Celles -ci décrivent la ligne
ogivale, confondant leur extrémité d'un cote avec celle du
bandeau de la porte, et reposant l'autre sur le chapiteau d'une
colonnette qui était logée dans un rentrant de la façade.
Deux autres arcades, aveugles comme les précédentes, terminent
de chaque côté la façade ; elles n'ont pas d'ornementation et
leur ligne est aussi, mais presque imperceptiblement ogivale.
La rangée des arcades, sur toute la largeur de la façade, est
surmontée d'une corniche unie qui souligne l'étage supérieur.
Celui -ci est percé de trois fenêtres correspondant aux trois
arcades du milieu, et de deux oculi surmontant les deux arcades
extrêmes. Ces grands oeils-de-boeuf avec leur profond ébrasement
et le tore uni qui les entoure devaient jeter dans l'ensemble
de la façade une note sobre d'une singulière distinction.
Les trois fenêtres du milieu, d'un style très élégant, sont en
plein cintre. D'égale grandeur, elles diffèrent entre elles par
l'ornementation. Leur ouverture est de 75 centimètres de
largeur sur 2 mètres de hauteur. Plus rapprochée l'une de l'autre que les arcades qu'elles surmontent, celle du milieu
seulement est exactement dans l'axe de l'arcade centrale, c'est-à dire la porte. Ces fenêtres, bien conservées, sont
formées chacune de quatre colonnettes supportant deux arcs
diversement ornés de rangées de billettes, d'anneaux, de
demi-lunes. Les petits chapiteaux sont remarquables par leurs
moulures variées, d'une exécution des plus artistiques.
Au-dessus des fenêtres, la façade, d'après la tradition, était
complétée par un pignon à rose centrale.
A l'intérieur, ou plutôt au revers du portail, on ne remarque
pour tout décor que deux colonnes plates surmontées de
chapiteaux à motifs très simples et qui s'élèvent de chaque côté
entre l'oculi et la fenêtre voisine.
Le mur, en pierre de taille, d'une maçonnerie très soignée, a
plus d'un mètre d'épaisseur.
(A suivre).
H. GANIER et I. FROELICH.
La Lorraine
artiste
8 mars 1896
L'abbaye de Haute-Seille
(SUITE)
La construction de l'église
remonte à la seconde moitié du XIIe siècle. Elle était orientée
et avait la forme d'une croix latine. La nef était profonde de
45 mètres, sur 15 de largeur; la longueur des transepts était de
11 mètres sur 4 mètres 80 de largeur. Trois pans coupés de 4
mètres chacun formaient l'abside. A ces dimensions se réduisent
les connaissances qui nous restent de l'antique et certainement
très belle église de Haute-Seille. Une petite sculpture
seulement, médaillon en demi-relief, subsiste à l'intérieur du
portail, pour nous montrer l'ancien sceau de la communauté : la
Vierge couronnée, assise et tenant sur ses genoux l'enfant Jésus
aujourd'hui décapité.
Les cercueils de pierre que recouvrait le pavé disparu, de même
que ceux du cimetière, ont été tous enlevés ou détruits.
Quelques-uns ont été convertis en auges par les habitants des
environs. On doit accorder qu'ils conviennent parfaitement à cet
usage étant taillés à angles vifs d'une seule pièce dans un bloc
épais de grès vosgien. Le corps y était couché de son long, la
tête enserrée dans une cavité circulaire prenant naissance à là
hauteur des épaules. Une rigole tracée au fond aboutit à un trou
percé aux trois quarts de la longueur. Dans le pré voisin de
l'église existe encore, de ces cercueils un spécimen d'environ
deux mètres de longueur et 45 centimètres de profondeur, sur une
largeur de 70 centimètres à la tête et 55 centimètres aux pieds.
L'épaisseur des parois est de 10 centimètres. Tous ces cercueils
étant d'une sculpture très fruste, sans aucune inscription, on
peut admettre que les marques commémoratives étaient uniquement
réservées aux couvercles, dont aucun n'a été retrouvé.
Telles étaient les sépultures des premiers temps de l'abbaye.
Ces sortes de tombes se rencontrent d'ailleurs aussi dans maints
autres monastères de la région.
Le bâtiment d'habitation des abbés était accolé au nord de
l'église, du côté où se trouve la brèche actuelle du mur
d'enceinte. La petite porte en plein cintre qui le mettait en
communication avec l'église existe encore. Le cloître, parallèle
à l'église du côté méridional, avait 47 mètres de longueur sur
26 de façade; au-dessus étaient, les cellules des religieux, qui
pouvaient également se rendre à l'église par une petite porte
pareille à celle de l'abbé.
Comme l'abbaye fut presque entièrement reconstruite au siècle
dernier, elle était presque neuve à l'époque de sa démolition.
La tradition fait remonter à saint Bernard même la fondation de
l'abbaye de Haute-Seille. Ce saint est encore aujourd'hui en
grande vénération dans la contrée. Il n'y a pas bien longtemps
qu'on observait encore à Cirey une pratique superstitieuse, qui
consistait en une promenade à reculons autour de la statue de
saint Bernard. Tout en marchant, on caressait, avec un balai
neuf, alternativement la tête du saint et des pommes de terre
dont on lui faisait présent.
Le territoire de Haute-Seille appartenait à la puissante maison
de Salm, par suite de l'alliance de Hermann, comte de Salm, avec
la comtesse de Langstein ou Pierre- Percée. Le pays, vaste
solitude, était alors en partie couvert de ronces et de
broussailles et environné d'épaisses forêts; quelques
parcelles de terre seulement étaient cultivées par les serfs,
quand une sainte corporation vint y fixer sa résidence.
La première mention s'en trouve dans une charte d'Etienne,
évêque de Metz, de l'an 1140, qui confirme les donations faites
à l'ordre de Citeaux par la comtesse Agnès, veuve alors du comte
de Salm, et par ses enfants, pour la fondation, à Haute-Seille,
d'un monastère sous l'indication Sancta Marioe de Alte Sylva.
Nous voyons que le nom de Seille dérive de Sylva et signifie par
conséquent Forêt.
Au bout de quelques années déjà, grâce à l'appui de la comtesse
Agnès, l'abbaye était dans une situation florissante. Mais après
la mort de la comtesse, ses héritiers montrèrent tant
d'exigence, et exercèrent d'une manière tellement dure leur
souveraineté à l'égard des religieux, que ceux ci furent sur le
point d'abandonner leur établissement. L'évêque de Metz,
cependant, leur accorda sa protection et transporta à l'abbaye,
en 1147, les droits que les seigneurs de Salm et de
Pierre-Percée, ainsi que leurs parents, prétendaient avoir sur
Haute Seille.
Cet acte d'énergie ne mit pas un terme absolu aux vexations des
comtes de Salm, qui continuèrent, dans la suite, en leur qualité
de voués, à se mêler des affaires de Haute-Seille chaque fois
qu'ils y trouvaient leur avantage. Cet état de choses devint si
intolérable, qu'en 1267, l'abbaye dut recourir à la protection
du duc de Lorraine, ce qui ramena le calme pour un certain
temps.
Une épreuve d'une nature plus cruelle fut réservée à l'abbaye
pendant les troubles qui régnaient dans tout le pays à la fin du
XIVe siècle. A la suite d'un combat livré près de Cirey, où
Henri III de Blâmont fut battu par les Messins, ceux-ci
ravagèrent l'abbaye au point d'en rendre nécessaire l'entière
restauration.
Des dissensions surgissent aussi parfois entre l'abbaye et les
habitants du pays, soit que l'orgueil d'une situation
florissante fît commettre de injustices aux religieux, soit que
cette même situation inspirât des sentiments de jalousie aux
populations rurales, qui, là comme ailleurs en France,
s'exaspéraient en comparant leur misère à l'opulence d'une caste
volontiers traitée de fainéante.
Au commencement du XVIe siècle, certaines difficultés s'étant
élevée entre les religieux de Haute-Seille et les habitants du
village voisins de Frémonville, ces derniers se laissèrent aller
à des « baitures, outrages, forces et violences, contre les gens
de l'abbaye et contre la personne de l'abbé ; ils enlevèrent des
troupeaux et commirent des dégâts considérables. Les moines se
plaignirent au duc Antoine, qui chargea les officiels de Blâmont
d'informer. Mais ce prince étant sur les entrefaites parti pour
la France, les habitants de Frémonville recommencèrent à vexer
les religieux, venant les insulter jusques aux portes même du
monastère. » De nouveau, les officiers de Blâmont intervinrent,
mais on ignore ce qui s'en suivit et si les coupables subirent
un châtiment
C'est qu'à cette époque le souffle de la Réformation faisait
fermenter l'esprit de révolte même dans les contrées restées
catholiques. On n'alla pas jusqu'à secouer le joug de la
religion traditionnelle, à s'affranchir des antiques liens
spirituels, mais du moins trouvait-on opportun de profiter de
l'occasion pour essayer de se débarrasser autant que possible de
ce qui était considéré comme insuffisamment immatériel dans la
domination du clergé
(A suivre).
H. GANIER et I. FROELICH.
La Lorraine
artiste
15 mars 1896
L'abbaye de Haute-Seille
(SUITE)
A partir de cette période
critique, jusqu'à la révolution, qui mit fin à l'existence du
monastère, il n'y surgit aucun fait saillant qu'il y ait intérêt
à signaler. Avec les bâtiments démolis s'éteignirent dans le
pays à peu près toutes les traditions qui pouvaient s'y
rattacher, et aujourd'hui les habitants des bords de la Vesouze,
ne se rendent plus compte que bien vaguement, des splendeurs du
passé qu'évoque aux yeux de l'archéologue l'élégant vestige
architectural qui projette son ombre ajourée sur les
plates-bandes du potager de Haute-Seille. Ce précieux vestige de
notre art national, le croirait-on ? n'est pas classé parmi les
monuments historiques ! Il est temps: jamais les vandales n'ont
dit leur dernier mot.
Le pays environnant de l'antique abbaye est certainement un des
plus anciennement peuplés de toute la Lorraine, et si les
modestes villages dont il est parsemé pouvaient mettre au jour
leurs parchemins, ils produiraient des titres de noblesse
autrement éblouissants que ceux de maintes familles dont
l'orgueil se borne à ne remonter que jusqu'aux Croisades. Les
chroniques mérovingiennes en font foi, les vestiges
gallo-romains le proclament, les débris de la civilisation
préhistorique l'attestent.
Des menhirs se cachent encore dans les forêts qui couvrent une
grande partie du sol, notamment dans le bois des Trois-Pierres.
Sur le chemin du Turkestein, de nombreuses fouilles
d'habitations préhistoriques connues sous le nom de mares ou
mardelles, tachent de leur cuvette énigmatique les bois et les
plateaux. Depuis le village de Frémonville, où du temps de la
domination romaine s'exploitaient de nombreux filons de minerai,
en passant par les hauteurs derrière Tanconville, pour aboutir à
Bertrambois, s'étendent, à droite et à gauche de l'ancienne voie
romaine, de nombreux vestiges de ces habitations. Cette voie
romaine, qui venait de Blâmont, se dirigeait vers le Donon, où
elle franchissait la montagne pour descendre en Alsace, non pas,
comme aujourd'hui, par le col du Donon. mais par le seul passage
alois pratiqué, la dépression qui existe entre le grand et le
petit Donon. Elle porte aujourd'hui le nom de chemin
d'Allemagne, et montre encore en de nombreuses places le solide
appareil dont elle était construite.
Toute cette région paraît avoir été très peuplée et prospère
jusque vers la fin de l'époque mérovingienne. Le soc de la
charrue a mis au jour à peu près partout des monnaies
gallo-romaines, mérovingiennes et même barbares, des armes, des
vases de ces mêmes époques. Dans les mares et les mardelles ont
été trouvées des poteries en terre noire d'un travail très
fruste, semblables à celles que les archéologues d'Alsace et de
Suisse ont découvertes dans les stations préhistoriques de l'âge
du bronze et même de la période lacustre. Recueillies autrefois
par des amateurs sans prétentions de Blâmont et de Sarrebourg,
elles se dispersèrent sans trouver de collectionneurs éclairés
pour les mettre définitivement à l'abri de la destruction.
On peut dire qu'il n'y en avait qu'un seul dans la région, le
regretté docteur Marchal de Lorquin, pour collectionner avec
méthode, à l'époque où la chasse en était facile, de nombreux
spécimens de ces âges disparus, l'excellent docteur était un
savant passionné pour ces recherches, rappelant sous beaucoup de
faces le type de l'antiquaire de Walter Scott. Ce modeste érudit
laisse un nom vénéré dans tout le pays ; c'est lui qui a servi
de modèle à Erckmann-Chatrian pour le personnage du docteur
Lorquin dans le Fou Yegoff; ce roman épique de l'Invasion, et du
bon docteur dans Mlle Thérèse. Il est mort récemment, à Lorquin
même, à un âge très avancé. Souhaitons qu'un amateur non moins
éclairé que lui ait hérité des véritables trésors de sa
collection, et que celle-ci vive, soignée entre de bonnes mains,
aussi longtemps que durera, chez tous ceux qui l'ont connu, la
mémoire de cet excellent homme.
(A suivre.)
H. GANIER et I. FROELICH.
La Lorraine
artiste
22 mars 1896
L'abbaye de Haute-Seille
(FIN)
Entre les villages de
Frémonville et de Tanconville, à la lisière des bois, s'élève
une ligne de petits sommets qui font face à la grande chaîne des
Vosges. Jadis on y voyait, à la cote 350, non loin des
ouvertures d'antiques mines de fer abandonnées, un édicule
romain, chapelle dédiée au Mercure gaulois, dont deux fragments,
entr'autres un ex-voto du dieu, ont été trouvés dans une fouille
de défrichement vers 1840 On ignore ce que sont devenus ces
curieux débris. L'emplacement de cet édicule n'offre plus rien
de remarquable que le nom : Haut des Sorciers, ou Arbre des
Sorciers.
La légende qui s'y rattache est une variante des nombreuses
scènes de sabbat de sorcières qui ont pour théâtre tant de
points culminants de la grande chaîne des Vosges. Les êtres
mystérieux qui s'y réunissaient chaque nuit de pleine lune
étaient des nécromants qui avaient fait voeu de chasteté à leur
manière : ils n'évoquaient que des ombres mâles, par lesquelles
il se faisait enseigner les secrets les plus redoutables de
l'art de la divination, constituant ainsi, bien avant le sârisme
moderne, une véritable académie de sciences occultes.
De ce point, on jouit d'une vue admirable sur toute la partie
des Vosges moyennes, depuis la montagne de Repy, les sommets
boisés de la vallée de Celles, les Donons, le Heryst, le
Grossmann, le Schneeberg, jusqu'au-delà de la massive roche de
Dabo, qui surgit de l'horizon comme un monolythe géant.
Quand à l'automne le brouillard étend sur la plaine son manteau
gris, on voit souvent encore le lointain rocher de Dabo, pareil
à une gigantesque île madréporique émergeant d'une mer polaire.
Ce pays perdu, d'une beauté si sauvage, réservera sans doute
pendant longtemps encore, un attrait particulier à une très
vaste catégorie de bons Lorrains : les amateurs de terres
inconnues. Quand de temps en temps l'un d'entre eux s'est égaré
par un prodigieux hasard dans ces parages ignorés, il revient en
proclamant avec enthousiasme qu'il a fait une merveilleuse
découverte !
H. GANIER et I. FROELICH. |