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1896 - La forge morte
 



On lit dans l'Est-Républicain du 23 avril 1894 : «  Il paraît que la taillanderie connue sous la raison sociale : Les fils de Mme Batelot, va cesser tout travail à brève échéance. Les propriétaires, dont M. d'Hausen, ont décidé qu'en l'état actuel, à moins de transformation de l'outillage, les bénéfices seraient trop minimes. Les ouvriers seront donc congédiés les uns après les autres. »

Mais l'article ci-dessous donne une toute autre version : car le 31 juillet 1892, Charles Barthélémy, maire de Blâmont et candidat républicain aux élections cantonales, devient conseiller général. Et son malheureux adversaire est Frédéric d'Hausen (1846-1928), qui avait d'ailleurs déjà échoué en 1880 et 1887 contre Hubert Brice.

On notera aussi que Frédéric d'Hausen est né à Hombourg-Haut, fils du maître des forges Pierre Alexandre d'Hausen (1785-1864) ; en 1850, le sarrois Alexandre Gouvy avait racheté les forges d'Hausen à Hombourg-Haut. Et on lit dans l'Est-Républicain du 2 juin 1894 : «  Dieulouard - On nous écrit : Les enfants de Mme Batelot, fabricants de taillanderie à Blâmont, viennent de céder à la maison Gouvy et Cie, à Dieulouard, la suite de leurs affaires. Outillage, matériel, approvisionnements seront, paraît-il, transportés à Dieulouard. Nous ne croyons pas que les propriétaires de la maison Batelot, dont la réputation est établie de longue date, aient pu placer en de meilleures mains la continuation de leur industrie. »

Pour avoir une idée plus précise des impressionnants bâtiments qui constituait la forge, voir le dessin de Victor Cloud (Histoire de Blâmont - Victor Cloud (5/7) ).


La Lorraine artiste
11 octobre 1896

A BLAMONT
(A Henri Guion).

Il faut, en quittant Blâmont, remonter cette Vezouze qui est une exquise rivière. Elle se tapit, se dérobe, se perd parmi des roseaux ou sous des aulnées. De loin en loin, elle forme de pures flaques légèrement ardoisées où on distingue le corps svelte des chevesnes, et parfois un rameau noir, immobile, qui est un brochet prompt à se réveiller, disparu.
Que l'on ne s'attarde pas trop aux poissons, lesquels pourtant forment l'alléchante bohème du mystère aquatique, ni aux horizons élégants que hérissent des silhouettes d'arbres fins, ni aux nuances humides de ce ciel lorrain qui est un des ciels les plus tendres du monde, ni même à la charmante ville aux pignons aigus, pressés, serrés, compactés pour ainsi dire, au pied de la colline où s'érigent, comme un merveilleux décor, un peu théâtral, les vestiges du château : deux tours rondes et une courtine ébréché.
Après quelque vingt minutes de marche, on arrive à une forge déserte, forge morte, forge fantôme.
Ce groupe d'ateliers et de logements disposés sur les deux rives de la Vezouze, est présentement fermé, abandonné, encombré de poussières, de mousses et d'orties.
La cause ? Ce n'est pas cela qui intéresse. On la dit pourtant et on la note pour une étude de psychologie sociale : le propriétaire de la forge qui habite encore au sommet de la colline, dans ce château blanc d'un assez pauvre style ambitieux, donnait de l'ouvrage à deux ou trois cents ouvriers ; il se porta candidat à quelque élection de conseil général ou autre; non élu, il s'en prit au pays, aux ouvriers, à la forge ; mais il ne pouvait pas faire battre de verges tout cela ; il étendit la main et, de cette forge où hier, dans l'entrain et le tapage du travail, on transformait des blocs d'acier en instruments de toute sorte, de cette forge ardente, haletante et vivante, il a fait forge morte. Sacrifice de vengeance, holocauste de dépit ! Les machines coûtant des centaines de mille francs qu'il venait d'installer en des pavillons modernes, sont tuées du coup. Oui, boulons vierges ou soudures antiques, volants juvéniles et bielles fourbues, panneau de fonte où le minium est encore visible, pont d'écluse modestement rapiécé, tout l'humble traditionnel et tout le battant neuf demeurent frappés d'inertie, transformés en vanité, rendus à la nature.
Jamais la nature n'avait eu à reprendre un butin si artificiel, mais cela n'était pas pour l'arrêter.
Ce qu'on lui jette, elle le saisit, le touche, l'imbibe, se l'assimile. Laissez, pour voir, un livre finement relié sur l'herbe d'une clairière, un manteau de satin à une branche de sapin, une épée ou un fusil au milieu d'un champ !
Au premier moment, le contraste sera saisissant entre l'oeuvre luisante, nette, calculée de l'homme et la vaste négligence des choses. Revenez dans huit jours. La rouille, la mousse, l'humidité, la terre pétrie par les vers, et aussi le monde d'insectes sans nombre, presque sans nom, qui sentent le mystère et qui en sont comme les mystérieux ouvriers, se sont introduits partout ; et tout, recroquevillé, grouillant, déteint, est par là redevenu naturel.
Pour une forge, cela n'est pas plus difficile !
Les logements humains ont été accaparés d'abord. Sur la rive gauche de la rivière, le logis de quelque directeur étale ses volets clos et cloués, son perron peint en vert par la mousse, son jardin ou les haies se brisent, où les quenouilles s'effilochent, où pendent les espaliers, son aspect inhabité, c'est-à-dire inhabitable. Peut-être, sur l'autre rive, les cités ouvrières ont-elles mieux résisté : leur simplicité de pauvresses les rapprochait déjà de l'inconscience universelle. Mais quel calme dans. ces bâtisses composées d'une masse aux portes numérotées et de petites baraques toutes pareilles, au bout d'un indigent courtil. Plus de haillons séchant, plus de femmes caquetant, plus d'enfants criaillant. La cité est veuve de bruit.
C'est surtout clans l'usine même que le silence parait bizarre, poignant, absurde. C'était, ici, le domaine consacré au tapage. Tout grinçait, sifflait, roulait et résonnait à l'envi. Maintenant, plus de mouvement, plus de souffle.
Avec une surprise grandissante, les yeux vont à ces fenêtres où l'on entrevoit des roues dentelées et fixes, à ces tuyaux gigantesques qui se replient comme des instruments de musique infernalement savante, à ces cheminées de briques rouges qui s'élèvent jusqu'au ciel et qui n'ont plus de fumée.
Le dernier habitant de Forge-morte a été un noyé. Voici la note qui complète et conclut l'inoubliable ensemble. Un brave homme, ouvrier de son état mais sans métier présent, tomba, ou se jeta, ou fut poussé clans l'eau de la Vezouze, laquelle, malgré l'infinie douceur de son nom, fut mortelle cette nuit-là. On retrouva le noyé près de l'écluse et, comme on ne pouvait décemment l'étendre ainsi, sur le chemin noir, on arracha les planches qui masquaient une porte, on força la serrure, et Forge-morte fut élevée à la dignité de morgue provisoire. Cela lui rendit toujours un peu de vie !
André Marsy, en passant, respira, par une vitre brisée, l'odeur froide et sombre qui s'exhale du pavillon mortuaire. Il allait partir plein de la tristesse des choses interrompues en leur fonction, quand il se trouva réveillé et guéri par un immense pépiement d'oiseaux. C'était une bande de moineaux qui, depuis deux ans, aux trous, aux poutres, aux tuiles, aux fissures de l'édifice, avaient élu leur domicile impudent, jovial, et prolifique. De ci, de là, ils cherchaient leur vie, ils poursuivaient leurs ébats, ils affectaient de bruyantes terreurs, eux, les effrontés de l'air, et toujours ils faisaient miroiter toutes les nuances du gris, depuis le gris tendu du moinillon à bec jaune jusqu'au gris blanchâtre du vieux moine à rabat et à capuchon noirs.
Des machines arrêtées, de l'eau inutile, de la roue paralytique, de la cheminée sans panache, ils n'avaient cure ! Ils se livraient tout entiers à l'ardeur de vivre, de vivre dans l'effort, dans la quête, dans la fuite, dans l'amour, dans l'hiver, dans la nuit, dans la mort, mais de vivre ! Or, c'était merveille de voir à quel point ils avaient peu souci de ce qui trouble et occupe l'âme curieuse d'André Marsy. Hélas ! ils ont peut-être raison ! vivre c'est peut-être le seul devoir du vivant. Forge morte est devenue forge aux moineaux : que la volonté de Dieu soit faite !
Emile HINZELIN.


NDLR : «  André Marsy » est un personnage créé par Emile Hinzelin, qui donne le titre à un recueil de trois douzaines de nouvelles publié en 1890 aux éditions Académiques Perrin. Ce personnage de peintre, repris dans de nombreuses nouvelles ultérieures, permet notamment à Emille Hinzelin de romancer ses descriptions de commune (Colmar, Moret, Porrentruy, Dormans, Châlons-sur-Marne...) souvent en Lorraine et Vosges, et le court format des récits d'en assurer la reprise par partie dans de nombreux journaux (Le Monde illustré, Le magasin pittoresque, Le courrier français, Journal des voyages et des aventures de terre et de mer, La Lorraine artiste, La Lanterne, La Justice, La revue hebdomadaire, l'Observateur européen, La nouvelle revue, Gil Blas, Le Journal pour tous...)

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