Né le 20 septembre 1826 à
Harbouey, Charles-Jean-Baptiste Jacquemin est le fils de Jean-Baptiste Jacquemin, instituteur et
de Marie-Marguerite Rose Geoffroy
La biographie de ce prêtre missionnaire, décédé le 28 avril 1895
en Chine, est donnée en 1916 dans
le Mémorial de la Société des Missions-Étrangères :
Mémorial
de la Société des Missions-Étrangères
Adrien Launay
Séminaire des Missions-Étrangères, 1916
[608]. JACQUEMIN,
Charles-Jean-Baptiste, né le 20 septembre 1826 à
Harbouey (Meurthe), entra tonsuré au Séminaire des M.-E.
le 30 septembre 1847. Ordonné prêtre le 16 mars 1850, il
partit le 27 février 1851 pour la mission du Kouang-tong
et Kouang-si.
En 1852, il accepta d'aller au Kouang-si, où le préfet
apostolique, Libois, désirait l'envoyer. La révolte des
Taïpings l'empêcha de tenter cette expédition.
En 1853, il fut supérieur du séminaire
Saint-François-Xavier, que la mission du Kouang-tong
avait installé à Hong-kong. Il fut, en 1854, envoyé dans
le Lok-fung, et, l'année suivante, arrêté et retenu
prisonnier pendant cinq mois. Grâce à l'intervention
d'un païen, Wong A Tong, qui plus tard embrassa le
catholicisme, il ne fut pas massacré. Il retourna
ensuite dans son poste. De 1856 à 1860, nous le trouvons
fixé dans la chrétienté de Pe-né. Mgr Guillemin lui
ayant, en 1867, proposé d'aller au Kouang-si, il ne crut
pas pouvoir accepter ; de 1869 à 1871, il est encore à Pe-né.
Revenu malade en France, il repartit pour
l'Extrême-Orient en 1876, et resta jusqu'en 1879 en
Cochinchine occidentale, à Cho-lon, où l'on espérait
qu'il réussirait à fonder une sérieuse chrétienté
chinoise. Ces espérances ne se réalisèrent pas, et il
regagna le Kouang-tong.
De 1883 à 1893, il dirigea son ancien district de Pe-né.
Le Compte-rendu de 1888 raconte une de ses épreuves,
d'ailleurs ordinaire aux missionnaires de Chine : «
Dans son district, un village s'étant fait chrétien,
aussitôt les vexations commencèrent, si bien que les
nouveaux fidèles furent chassés et pillés. Le mandarin
ne s'en est pas préoccupé jusqu'ici, malgré les
instances du missionnaire.»
Il mourut le 28 avril 1895 au sanatorium de Béthanie, à
Hong-kong. Il laissa par écrit la recommandation de ne
publier sur lui aucune notice nécrologique.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R.,
1887, p. 118 ; 1888, p. 107 ; 1895, p. 171. - A. P.
F., xxviii, 1856, pp. 254, 272, 280, 285. - B. O. P.,
1892, p. 501.
L'Expéd. de Chine 1857-58, Tab. alph. - Souvenirs, iii,
pp. 108 et suiv., 169. - Hist. gén. Soc. M.-E., Tab.
alph. - Hist. miss. Kouang-si, Tab. alph. - La Rel. de
Jésus, i, p. 552. - Camp. du Cassini, p. 105. - Lett.
ch. du Bx Th. Vénard, p. 405. |
Sa nécrologie, bien qu'il ait
expressément demandé qu'il n'en soit pas rédigée, sera tout de
même publiée :
« Il y aurait beaucoup à dire sur
les 44 années que le vénéré défunt a passées au
Kouang-tong. À l'époque de son arrivée, les ouvriers
apostoliques rencontraient de grandes difficultés qui
entravaient l'exercice de leur zèle, la persécution
régnait dans toute l'étendue de la Province. Les
missionnaires, trop peu nombreux alors, devaient faire
de longs et pénibles voyages pour administrer leurs
chrétientés ; ils étaient sur pied le jour et la nuit,
exposés à tous les dangers que nous décrit l'Apôtre des
Gentils, et ils s'estimaient heureux lorsqu'ils
pouvaient, après ces courses fatigantes rencontrer un
confrère et se retremper avec lui, pendant quelques
jours, dans le silence et la prière. Les peines étaient
alors vite oubliées, et on retrouvait des forces pour de
nouveaux travaux.
La vie de M. Jacquemin a été vraiment belle, mais il
serait particulièrement édifiant d'interroger le sombre
cachot qui, pendant six mois, servit de prison au
vaillant confesseur de la foi.
Que de privations, que d'angoisses, que de souffrances
durant sa longue détention ! C'est là probablement que
notre cher confrère devint extraordinairement amoureux
de la pénitence et du renoncement, vertus dont il n'a
cessé de nous donner l'exemple jusqu'à sa mort.
Il ne nous est pas permis de pénétrer plus avant dans
une carrière si bien remplie. En effet, avant de mourir,
M. Jacquemin a laissé par écrit la recommandation
suivante : « Je ne veux pas qu'on parle de moi après ma
mort. » Nous ne saurions donc mieux faire que de
respecter ce suprême désir. Saluons l'humilité de notre
confrère, et, en nous retirant, disons seulement qu'il
était de ces hommes que leurs œuvres loueront toujours
assez, et qui n'ont besoin ni de la parole ni de la
plume pour vivre à jamais dans la mémoire des autres.
(Mgr Chausse.) » |
Charles-Jean-Baptiste
Jacquemin avait été une première fois pressenti en décembre 1851
pour une dangereuse mission dans la province troublée du Kouang-si : mais arrivé en Chine depuis février seulement, il
fut considéré comme trop inexpérimenté.
Histoire
des missions de Chine : Mission du Kouang-si
Adrien Launay
Ed. Paris, 1903
Nouvelles des chrétiens du
Kouang-si. - La révolte des Taï-ping. - [...]
Tout en essayant l'évangélisation du Kouang-si par le
sud après avoir fait prendre des renseignements par
l'est, Libois s'était adressé aux missionnaires du Kouy-tcheou
et leur avait demandé s'ils ne connaîtraient pas de
catholiques dans la partie de la province limitrophe de
leurs stations. Au mois d'août 1851, il reçut une lettre
de M. Lions (1), lui disant qu'il avait entendu parler
d'une famille Ly habitant le nord-ouest, aux environs de
Se-tchen. Ayant en communication de cette nouvelle,
Renou, qui depuis son rapide voyage a Ta-ou, travaillait
dans le Kouang-tong, s'offrit pour cette nouvelle
expédition ; le préfet apostolique accepta. « Ce
missionnaire écrivait-il (2) au Séminaire, convient
mieux que tous les autres dans ce poste parce qu'il sait
mieux la langue. » Le départ fut décidé pour le mois de
septembre 1851 ; mais, quelques jours après cet
entretien, Renou apprenait qu'il était question de faire
de nouvelles tentatives d'apostolat au Thibet, et
préférant le chemin de Lhassa à celui du Kouang-si, il
quitta Hong-kong pour commencer cette série
d'expéditions, qui devaient aboutir à la fondation de la
chrétienté de Bonga.
Libois jeta alors les yeux sur un prêtre nouvellement
arrivé de France, Charles-Jean-Baptiste Jacquemin (3).
Mais à ce moment la révolte des Taï-ping mettait à feu
et à sang une partie du Kouang-si. Était-il bien
prudent, se demanda le supérieur, de lancer un jeune
missionnaire dans un pays aussi troublé (3) ? Il savait
déjà par l'exemple de M. Amat que la tentative pourrait
aisément se terminer par un échec, et qui sait, si celle
de M. Jacquemin n'aurait pas une issue plus fatale ?
Ces craintes n'étaient pas chimériques; [...]
Lorsque les Taï-ping se furent éloignés du Kouang-si et
eurent porté le gros de leurs forces dans la vallée du fleuve
Bleu, M. Libois songea de nouveau à envoyer M. Jacquemin
dans cette province; mais alors le missionnaire était
supérieur du petit séminaire du Kouang-tong installé à
Hong-kong (4), et pouvait difficilement être remplacé ;
le préfet apostolique crut préférable de prendre un
jeune prêtre nouvellement débarqué, Auguste Chapdelaine,
auquel le Souverain Pontife Léon Xlll devait, moins d'un
demi-siècle plus tard, décerner le glorieux titre de
Bienheureux.
(1) François-Eugène Lions né à Faucon
(Basses-Alpes), le 1er novembre 1820, parti pour le Kouy-tcheou
le 29 mars 1848, évêque de Basilinopolis et Vicaire
apostolique en 1872, mort à Kouy-yang, le 24 avril 1893.
(Notice nécrologique dans le Compte-rendu de la Société
des Missions-Étrangères, année 1893, p. 278.)
(2) A.M.-E., vol. 314. p. 828. Lettre du 12 août 1851.
(2) Né à Harboué (Meurthe), le 20 septembre 1826, parti
pour le Kouang-tong le 27 février 1851, mort au
Sanatorium des Missions-Étrangères à Hong-kong, le 28
avril 1895.
(3) A. M.-E., vol. 314, p. 903. M. Libois aux directeurs
du Séminaire, 29 décembre 1851.
(4) A. M.-E., Lettre de M. Jacquemin. Hong-kong, 15 mars
1880. |
En 1855 cependant,
Charles-Jean-Baptiste Jacquemin n'échappe pas aux persécutions :
L'expédition de Chine de 1857-58; histoire diplomatique
Cordier, Henri, 1849-1925.
PERSÉCUTIONS
A la même époque des persécutions éclataient contre les
Chrétiens dans le Tche-li, à l'Est de Pe-King, et dans
le Kiang-Sou, à Sou-tchcou. Le 10 juillet, notre chargé
d'affaires protestait par une lettre adressée à Yé
contre les mauvais traitements infligés aux indigènes
convertis et rappelait au vice-roi de Canton que le 3o
janvier dernier, celui-ci, répondant aux plaintes que
lui avait adressées M. de Courcy au sujet de
l'arrestation de M. Jacquemin (*) et des persécutions du
Yun-Nan, écrivait « qu'il venait de donner l'ordre aux
magistrats de tous les départements et de tous les
districts de prendre des mesures énergiques dans le but
d'éviter qu'on blâme la religion du noble Empire
français ».
(*) L'abbé Jacquemin avait été incarcéré
arbitrairement, à Kia-ing, par les Chinois pendant cinq
mois et il avait été remis en liberté au moment où M. de
Courcy prenait charge de la légation. -
Charles-Jean-Baptiste Jacquemin, du diocèse de Nancy,
appartenait aux Missions étrangères de Paris; il partit
le 27 fév. 1851 pour la mission du Kouang-Toung. |
Voici les détails complets
des six mois d'incarcération en 1855:
Annales de
la propagation de la foi : recueil périodique des
lettres des évêques et des missionnaires des missions
des deux mondes, et de tous les documents relatifs aux
missions et à l'Association de la propagation de la foi
1856
M. Guillemin,
missionnaire apostolique en Chine, écrit à MM. les
Directeurs du Séminaire des Missions-Etrangères :
Hong-Kong, séminaire de St-François, 11 novembre 1855.
« M. Jacquemin, missionnaire de la province de Quang
tong, incarcéré depuis plus de six mois dans la prison
deKya-yn, vient enfin d'être rendu à la liberté, et de
nous arriver sain et sauf à Hong-Kong. Je me hâte de
vous annoncer cette bonne nouvelle, afin que vous
preniez part à la joie qu'elle nous cause. Quant à ses
trois compagnons de captivité, au moment de la
délivrance du Père, ils ont reçu six cents à mille coups
de bâtons, comme la récompense de leur attachement à la
foi, avec la menace d'une flagellation nouvelle, dès
qu'ils seraient rétablis de leurs premières blessures.
On peut concevoir combien ces pauvres catéchistes ont
souffert, et combien l'avenir apparaît triste à leurs
yeux ; mais je laisse à M. Jacquemin le soin de vous
tracer en détail le tableau de leurs douleurs et des
siennes pendant sa longue captivité. C'est ce qu'il
fera, j'espère, par la prochaine malle, n'ayant pu,
jusqu'ici, écrire à cause delà fatigue où il se trouve,
et surtout à cause de la triste nouvelle qu'il a reçue,
en arrivant à Hong-Kong, de la mort de son père, comme
si Dieu avait voulu couronner ses longues souffrances
par une épreuve plus pénible que tout ce qu'il a dû
endurer jusqu'à ce jour.
Mais, quelles que soient les misères dont notre
pèlerinage est marqué sur la terre étrangère, nous
disons toujours et nous dirons jusqu'à la fin de notre
vie : Soit que nous vivions, soit que nous mourions,
nous sommes au Seigneur. Ce qui est bon à ses yeux,
qu'il le fasse !
GUILLEMIN, Préfet apostolique
du Quang-tong et du Quang-si. »
|
Lettre de M. Jacquemin,
missionnaire apostolique, à Messieurs les Directeurs du
Séminaire des Missions-Etrangères.
Hong-Kong, le 18 décembre 1855.
« MESSIEURS ET VÉNÉRABLES DIRECTEURS,
« M. Guillemin, notre préret apostolique, vous a fait
connaître mon emprisonnement et ma mise en liberté (1).
Pour moi, après m'être reposé quelques jours des
fatigues inséparables d'une si longue incarcération, je
suis heureux de vous donner sur cet épisode de ma vie
quelques détails que vous attendez sans doute, et que je
dois à votre pieux dévouaient pour l'oeuvre des
Missions.
« Après les bouleversements qui, l'année dernière,
avaient agité les montagnes de mon district, aussi bien
que tout le reste de la province, le calme renaissant
peu à peu était enfin devenu un état de sécurité aussi
parfait qu'on peut l'avoir dans ce pays. J'avais pu
célébrer, avec quelques-uns de mes chrétiens, la belle
fête de la Résurrection de Notre-Seigneur, et je me
félicitais de la tranquillité dont nous avions joui en
cette circonstance, me livrant pour l'avenir à des
espérances d'autant plus agréables que le passé avait
été plus menaçant.
« Les précautions extrêmes que je prenais pour que les
païens ne se doutassent point de ma présence parmi eux,
me semblaient produire leur effet, et aucun bruit ne
venait me faire craindre qu'il se tramât contre moi
quelque complot. Je pus voir combien mon illusion était
grande, lorsque, dans la nuit du 18 au 19 avril, la
porte de mon humble habitation vola subitement en
éclats.
« Avant que j'eusse eu le temps de me couvrir
entièrement de ma robe, une troupe d'individus dont je
ne pus d'abord distinguer l'habillement, se précipita
sur moi, et les pointes de sept ou huit sabres vinrent
immédiatement se fixer sur ma poitrine. Me rappelant la
tentative dont j'avais été l'objet, six mois auparavant,
de la part d'une douzaine de brigands, aux coups
desquels j'avais heureusement échappé, je crus dès
l'abord à une nouvelle expédition organisée par ces
bandits. « Dites-moi un peu combien vous êtes ? leur
demandai-je. - Il y en a cent à la porte, » me
répondirent-ils. En même temps les pointes de leurs
coutelas semblèrent devenir plus aiguës, et un-renfort
de quelques hommes, armés de lances et de piques, et
munis d'une lanterne, vint s'adjoindre aux premiers. Je
pus enfin reconnaître que j'avais affaire aux gens du
mandarin, et toute tentative de défense ou d'évasion
devenant impossible, je me laissai garrotter.
« Commença ensuite le pillage. Aucun coin n'échappa aux
investigations réitérées des satellites, et quand ils
n'eurent plus rien à prendre, leurs mains sacrilèges se
portèrent sur l'autel de ma petite chapelle; il fut
renversé aux acclamations de ces misérables, qui
finirent par l'incendie et la démolition complète de
tout ce qui pouvait donner prise au feu et à la pioche.
« Sur ces entrefaites, le jour était venu, et une foule
de païens, accourus de toutes parts, se repaissaient du
spectacle inattendu qui leur était présenté, tandis que
mes chrétiens consternés adressaient à Dieu, du fond de
leur coeur, une fervente prière, se préparant ainsi à
soutenir courageusement l'effort de la tempête qui se
déchaînait avec tant de fureur.
« Lorsque le moment de la marche vers la ville fut
arrivé, je gagnai la tète du détachement, et deux de
ceux qui le composaient, s'accrochant d'une main aux
cordes dont j'étais tout couvert, tandis que de l'autre
ils tenaient le sabre haut, je m'en allai au milieu
d'eux comme le plus grand scélérat qui fût jamais sorti
de ces montagnes.
« Me voyant reconnu pour étranger, et faisant réflexion
que le mandarin, dont la méchanceté m'était connue
depuis longtemps, et s'était déclarée déjà dans
l'arrestation de M. Leturdu, pourrait fort bien se
mettre en tête de me faire passer pour un des chefs de
l'insurrection antérieure, afin de trouver là, pour
m'ôter la vie, un motif juste en apparence aux yeux du
monde, je me persuadai assez facilement que j'allais à
la mort. Tout en marchant à grands pas, je cherchai donc
à arranger de mon mieux mes affaires avec le bon Dieu.
« Arrivés presque aux portes de la ville, nous fîmes
halte. C'était le lieu des exécutions. Je recommandais
de nouveau mon âme au Seigneur, lorsqu'on me fit entrer
dans une grande caserne, et mes conducteurs
m'attachèrent à un des nombreux piliers qui en
soutiennent le toit. Quelques instants après, une foule
immense remplissait la cour du bâtiment, et mes
ornements sacerdotaux flottaient au haut de ses
galeries.
« Pendant que les curieux se pressaient à me considérer,
les quelques chrétiens de l'endroit parurent tout-à-coup
devant moi, et se jetèrent à mes pieds. Pauvres gens !
Cette manifestation si courageuse de leur dévoùment
n'était pas de nature à toucher leurs cruels
compatriotes, et maigre l'empressement que je mis à leur
dire de s'éloigner au plus vite, je vis bientôt deux
d'entre eux chargés de chaînes, et attachés comme moi à
des colonnes. Peu après un troisième, qu'on était allé
prendre chez lui, au village où s'était faite mon
arrestation, leur fut adjoint.
« Ce dernier était un bon vieillard qui, cinq ans
auparavant, lors de l'arrestation de M. Leturdu, avait
déjà porté les fers, passé six mois en prison, et
triomphé de toutes les tortures par lesquelles le
mandarin prétendait le faire renoncer à sa foi. Ce
vénérable confesseur, le plus ancien chrétien du
district, après avoir été le père de tous les néophytes
et le modèle vivant des vertus qu'ils devaient
pratiquer, rentrait pour la seconde fois dans l'arène,
bravant les combats auxquels il s'était préparé toute sa
vie, et d'une manière plus particulière, ce semble,
depuis ceux qui lui avaient valu ses premières
victoires. Les deux captifs au milieu desquels la
Providence l'envoya prendre place, étaient des jeunes
gens de vingt-neuf ans, baptisés, l'un depuis moins d'un
an, et l'autre seulement depuis dix jours. Le premier
réparait, par le spectacle des chaînes dont il venait
d'être chargé, les écarts d'une vie qui n'avait pas
toujours correspondu à sa foi ; et l'autre, dont la
préparation au baptême avait été si grande, dont les
larmes avaient été si abondantes, dont les soupirs
avaient été si brûlants, scellait avec ses fers, et à
peine sorti des fonts sacrés, les promesses qu'il y
avait faites à son Dieu. Le vieux soldat de Jésus-Christ
avait donc, lui sans peur et sans reproche, à diriger
ces deux jeunes athlètes, de condition si différente,
dans la lice où ils se trouvaient engagés.
« Il y avait plus de deux heures que nous étions en cet
état, lorsqu'on me sépara de mes chrétiens. Apercevant à
l'un des coins de la cour une espèce de corps-de-garde,
où je présumais devoir être plus tranquille qu'au pied
de mon pilier, je dis à mes gardiens que je désirais
aller là ; puis, voyant qu'ils ne tenaient aucun compte
de mon observation, je fis faire quelques demi-tours à
mes mains, liées derrière le dos et déjà tout enflées,
et me débarrassant de mes cordes, je gagnai cet asile
sans que personne osât s'y opposer; fermant ensuite la
porte après moi, je m'étendis sur une botte de paille à
demi-pourrie, et j'essayai de prendre quelques instants
de repos, en dépit des païens accrochés de toutes parts
aux barreaux, et continuant sur ma personne leur
inspection frénétique.
« J'avais sommé déjà plusieurs fois les satellites de me
conduire au mandarin, quand enfin ils vinrent me dire de
me lever et de les suivre. Après avoir traversé les
faubourgs et gagné la porte de la ville, mes gens
s'arrêtèrent un instant, échangerent quelques mots entre
eux, et m'annoncèrent qu'il fallait retourner à la
caserne. Je leur répondis qu'il n'en serait rien, et que
de ce pas j'irais chez leur magistrat. « Non, non,
crièrent-ils; impossible de voir maintenant le mandarin
: il prend son repas de midi, et nous ne saurions le
déranger. » Je dus m'exécuter et reprendre le chemin du
Champ de-Mars, où je regagnai mon corps-de-garde et ma
botte de paille.
« J'appris dans la suite que, pendant ma courte absence,
on avait délibéré à la caserne s'il était mieux de me
couper tout simplement la tête ou de me brûler vif; et
il parait que la question n'était pas encore tranchée,
quand arriva l'ordre de m'écrouer dans les prisons de la
ville. J'y fus conduit effectivement, au milieu d'un
concours prodigieux de Chinois, dont les uns semblaient
se réjouir à l'avance de ce qu'ils appelaient ma
démolition.
« Le cachot où l'on m'introduisit est un réduit de six à
sept pieds de profondeur sur autant de largeur. J'y
trouvai une société de huit individus, entassés déjà les
uns sur les autres. L'un d'eux m'accueillit en me disant
: Tu as des yeux de chat. Un autre éclata en invectives
contre notre sainte religion. « La connais-tu ? lui
demandai-je. - Non. - As-tu appris à construire des
bateaux à vapeur ? - Non. - Tu ne sais donc pas comment
on s'y prend? - Non, pas du tout. - Eh bien ! si tu te
mêlais de discuter ce genre de construction, dont tu
n'as pas la moindre idée, que serait-on en droit de te
dire ? Es-tu plus sage, quand tu blâmes une religion
dont m ne sais pas le premier mot ? - Après tout,
riposta-t-il, si tu as tant à coeur tes bateaux à
vapeur, certainement que je sais en construire ! La
chose est bien simple : on n'a qu'à mettre des roues les
unes à côté des autres, et puis ça va tout seul ! » Un
troisième prit la parole : « Comment veux-tu, me dit-il,
que nous croyions à votre Maître du ciel, quand nous ne
l'avons jamais vu ? » Je lui demandai s'il y a un
empereur en Chine. « Et un grand, reprit-il. - Tu es
donc allé à Péking ? poursuivis-je. - Jamais, c'est trop
loin. - En ce cas, tu n'as pas vu l'empereur; car il ne
sort pas de là ; comment peux-tu croire alors qu'il y en
ait un ? - Assieds-toi, assieds-toi, me dit l'assemblée
; tu dois avoir plus besoin de repos que nous de sermon.
» Mais la difficulté fut de trouver où m'asseoir.
« Ainsi que je viens de le dire, ces malheureux
n'avaient déjà pas où s'installer eux-mêmes; car, sur
les quelques pieds de terrain à se partager, il fallait
aussi trouver un endroit pour faire cuire le riz. Je
pris alors la position d'inamovibilité que je dus garder
pendant les six mois de mon séjour dans ce cachot. Une
fois dans mon coin, je m'étendis à terre. Mes compagnons
m'avaient donné l'exemple, et je les vis bientôt,
quoique nous fussions serrés à ne pouvoir respirer,
s'endormir tous d'un sommeil qu'on eût pris pour celui
des justes.
« Pour moi, qui n'étais pas encore fait au bruit des
chaînes, ni aux invasions simultanées des rats, des
punaises, des cancrelas et des cent-pieds, je fus moins
prompt à m'endormir. J'entendais, d'ailleurs, les gens
du dehors entamer et poursuivre sur mon compte des
conversations assez de nature à me tenir éveillé. « Va-t
on lui couper la tète ou l'éventrer ? se demandait-on.
Quand se fera cette exécution-là ? » Et d'autres
gentillesses de ce genre. Je continuai donc ce que
j'avais commencé le long de la route, c'est-à-dire, à me
préparer à la contenance d'un soldat de Jésus-Christ,
lorsqu'il s'agirait de tendre le cou.
« Quand le jour fut venu, on fit dans la cour des
prisons quelque chose qui avait tout l'air des apprêts
ordinaires d'une exécution, et tous les habitants de la
ville, je crois, vinrent se presser à mes barreaux.
Etait-ce moi que leurs regards.et leurs chuchotements
désignaient comme victime ? Je fus bientôt tiré de cette
incertitude : un insurgé de l'année dernière fut choisi
à ma place. Presque tous les matins, la fatale
corbeille, dans laquelle deux bourreaux emportaient au
lieu du supplice les condamnés à mort, venait se fixer
devant la geôle, et toujours un autre que moi s'y
plaçait.
« D'activés démarches étaient pourtant faites
journellement auprès du mandarin, dans le but de
déterminer et d'accélérer le moment de mon exécution. De
pareilles sollicitations entraient complètement dans ses
goûts, et il eût voulu pouvoir leur donner une
satisfaction immédiate; mais, se souvenant qu'il y a des
Français et des navires de guerre à Hong-Kong, il
n'osait trop prendre du coup une détermination de ce
genre. La prudence lui suggéra un autre parti: ce fut de
me laisser me consumer petit à petit dans la fosse où
ses gens m'avaient jeté. Non seulement il ne voulut ni
m'interroger, ni même me voir, mais encore il ne songea
nullement à m'empêcher de mourir de faim; et si, après
les quarante-huit heures que je restai sans nourriture,
mes pauvres néophytes ne m'avaient tendu une poignée de
riz deux fois le jour, à travers les barreaux de mon
cachot, j'aurais effectivement succombé, dès les
premiers jours de mon emprisonnement. Les trois
chrétiens qui partageaient ma captivité, et qu'on avait
enfermés dans des prisons séparées, se trouvaient tout
naturellement dans des conditions analogues.
« Bientôt nous n'eûmes plus même la liberté de recevoir
du dehors notre chétive nourriture ; et pour que le
faible soutien d'une vie qui s'en allait visiblement ne
nous fût point refusé, je dus, à plusieurs reprises,
faire donner de l'argent aux officiers du mandarinat et
aux plus anciens habitants de nos cachots respectifs,
que ces officiers n'avaient point honte de prendre pour
complices de leur criminelle industrie. Tout cela sans
préjudice des scènes que nous faisaient nos compagnons
de captivité à l'intérieur de la prison, et dont mes
chrétiens avaient sut tout à souffrir.
« En joignant à ce que je viens de dire la presque
impossibilité de faire un seul pas et un simple
mouvement dans notre réduit, la suffocation causée par
l'épaisse fumée de la cuisine, qui le remplissait le
matin et le soir ; la puanteur de ces corps tout
couverts d'une gale hideuse ou de larges blessures
reçues à l'interrogatoire du mandarin ; l'intolérable
chaleur qui, sous un ciel des tropiques, se faisait
sentir dans le coeur de l'été; les attaques incessantes
d'une vermine de six ou sept genres différents, et qui
renchérissent d'activité les uns sur les autres, on
comprendra que cet ensemble de privations et de tortures
servait merveilleusement le mandarin dans son système
d'en finir au plus vite et sans bruit.
« J'étais en cet état depuis quinze jours, lorsque ce
magistrat, élevé en grade par le gouverneur de la
province, se rendit à son poste. Il eut un successeur
qui adopta le même procédé. Celui-ci administrait le
pays depuis deux mois, lorsqu'un de mes néophytes ne
pouvant tenir au régime de son cachot, tomba malade au
point d'être prêt à rendre le dernier soupir. En pareil
cas, on voit parfois des criminels obtenir, pour de
l'argent, la faveur d'aller mourir dans leur famille.
D'après mon conseil, quelque chose de semblable fut
sollicité pour mon pauvre chrétien. « S'il est malade,
qu'il se guérisse, » répondit le magistrat. Il guérit
effectivement, et celui qui avait fait cette cruelle
réponse s'en alla, deux jours après, apprendre au
tribunal de Dieu ce qu'il en est enfin de ceux qui
persécutent ses serviteurs.
« Arriva enfin du chef-lieu de la province un quatrième
mandarin. Il était à son poste depuis un mois, et le
système d'extinction à petit feu, si exactement suivi
envers moi depuis une demi-année, ne me promettait aucun
adoucissement, puisque les réclamations adressées par M.
de Bourboulon, ministre plénipotentiaire français en
Chine, n'avaient abouti à rien. Mais là divine
Providence suscita, pour ma délivrance, un de ces moyens
inattendus qu'elle a toujours à sa disposition, et
qu'elle sait produire lorsque ses moments sont venus.
« Il y avait à Kya-yn un jeune lettré dont le père, mort
depuis trois ans, avait autrefois été fonctionnaire en
ce pays. Une dizaine d'années auparavant, ce jeune homme
avait connu des Européens aux factoreries anglaises, et
gardé de ses rapports avec eux un excellent souvenir.
Ayant à venir à Canton pour solliciter un mandarinat
auprès du vice-roi, et sachant que j'étais depuis six
mois dans un infect cachot, il alla trouver le
gouverneur. Après avoir osé lui dire qu'il était peu
courtois de retenir si longtemps dans les fers un
étranger que chacun savait être un homme de bien, il lui
proposa de me laisser profiter de sa barque pour gagner
les factoreries des Européens. Le mandarin, ayant
réfléchi un instant, finit par consentir à mon départ,
et un de ses huissiers vint m'annoncer qu'à telle heure
de l'après-midi, je comparaîtrais avec mes chrétiens au
tribunal de son maître. Quoiqu'il n'y eut qu'une
quarantaine de pas à faire, c'est à peine si je pus m'y
rendre, ayant comme perdu l'usage de mes jambes par un
accroupissement de six mois. J'arrivai donc en me
trainant jusqu'au prétoire. Le juge était entouré de
tous ses gens. « A genoux me dit l'un d'eux. - Je ne le
puis. - A genoux reprit le mandarin. - J'ai dit que je
ne le pouvais pas. - Est-ce chose résolue ? - Bien
résolue. - Vous ne savez donc pas que tous ceux qui
viennent ici, s'agenouillent pour répondre à mes
interrogations? - Bien pour des Chinois, ils suivent les
usages delà Chine; pour moi, qui suis Français, je ne
saurais y être astreint. Je répète donc que je resterai
debout. - Si vous ne vous mettez pas à genoux, je ne me
mêle pas de votre élargissement. - Libre à vous, mais,
alors, que deviennent les traités entre la France et la
Chine ? » Là-dessus, je fus reconduit en prison et le
fier Chinois, n'ayant pas voulu en faire plus pour mes
chrétiens que pour moi, ils regagnèrent aussi leur
cachot.
« Il y avait à peine deux minutes que la porte du mien
s'était fermée sur moi, quand l'huissier qui m'avait
annoncé mon interrogatoire, revint m'apprendre que des
observations ayant été faites au mandarin celui-ci
consentait, malgré ce qui venait d'avoir lieu, à me
laisser partir. Il m'avertit en même temps d'avoir à me
procurer les choses nécessaires pour le voyage, et à me
tenir tout préparé ; d'autres ajoutèrent que sous peu
mes chrétiens seraient aussi mis en liberté. Quelques
instants après, une demi-douzaine de soldats vinrent me
prendre et me conduire, malgré une pluie battante et
l'obscurité de la nuit, à l'un des bateaux au service de
mon lettré. Ce bon jeune homme fut rempli pour moi des
attentions les plus délicates. « Tu es bien sot, lui
disaient quelques mandarins, de te charger de ce diable
d'Europe. - Je m'en fais gloire, leur répondait-il, et
ce que je fais, c'est avec connaissance de cause. »
« Il m'en avait bien coûté, à mon départ, de ne pouvoir
dire un mot à mes pauvres chrétiens que je laissais en
prison, où ils avaient déjà passé six mois à cause du
dévoûment qu'ils m'avaient témoigné. Cette privation
était toutefois adoucie par l'assurance qu'on m'avait
donnée de leur prochain élargissement, et par
l'espérance que je conservais de les revoir clans la
suite. Au sortir de la prison, j'avais donc chargé mon
catéchiste de me dépêcher un courrier, au cas où leur
délivrance suivrait d'assez près mon propre départ, pour
qu'on pût encore m'atteindre et m'en informer en route.
Je souhaitais emporter avec moi cette heureuse nouvelle.
« Après quatre ou cinq jours de marche, je vis
effectivement un de mes chrétiens accourir. Je
tressaillis de joie, ne doutant pas qu'il ne vînt
m'annoncer que mes compagnons de captivité étaient
devenus libres. Hélas! mon erreur était grande ! Il
venait m'apprendre que le deuxième jour après mon
départ, le mandarin avait de nouveau appelé les
prisonniers à son tribunal.
« Reniez votre Dieu, leur dit il, et vous êtes libres. -
Nous ne le renierons jamais, répondirent ces trois
généreux athlètes. - Qu'on leur décharge à chacun six
cents coups de rotin, s'écria le juge furieux.» Les
confesseurs de la foi se couchèrent, et reçurent les six
cents coups sans proférer une plainte. « A présent,
abjurez-vous ? cria leur persécuteur. - Jamais,
reprirent-ils - Qu'on leur en donne encore trois cents !
» Ils les reçurent sans trahir la moindre faiblesse. «
Malheureux ! hurla le farouche mandarin, à quoi vous
sert l'espérance que vous mettez en votre Jésus ?
Vient-il vous sauver de mes mains ? vient-il vous guérir
de vos plaies ? reniez-le donc ! » Après avoir reçu neuf
cents coups, les généreux soldats du Christ ne pouvaient
plus faire aucun mouvement, mais ils eurent encore la
force de répondre : « Nous sommes chrétiens ! » Et cent
nouveaux coups furent déchargés sur leurs membres
déchirés et sanglants. « Qu'on les emporte, s'écria de
nouveau le mandarin, plus rempli de fureur que jamais ;
qu'on les rejette en prison, et quand leurs plaies
seront cicatrisées, ils reviendront ici en recevoir de
nouvelles et de plus terribles. » Les bourreaux
emportèrent en effet leurs victimes, et il est
grandement à croire que maintenant elles ont consommé
leur martyre dans de nouvelles tortures.
« Je ne saurais me dispenser de signaler ici le rôle que
la divine Providence leur attribua pour le salut des
autres captifs, que, dans ses impénétrables desseins,
elle avait choisis pour être les privilégiés de ses
miséricordes. Leur résignation et la joie qui rayonnait
constamment sur leur visage, dans un séjour où les
autres ne trouvaient que des motifs d'un sombre
désespoir, l'explication donnée par eux du secret de
cette inaltérable sérénité, allèrent enfin au coeur de
ces misérables, qui semblaient ne plus en avoir. Les
imprécations dont ce lieu retentissait incessamment
diminuèrent peu à peu, et les bouches qui les
vomissaient nuit et jour essayèrent enfin d'articuler un
mot de prière. Un changement si merveilleux ne pouvait
échapper aux gens du dehors, et le bruit se répandit
bientôt dans toute la ville que la prison se remplissait
de chrétiens. Les confesseurs de la foi administrèrent
le baptême à seize de ces pauvres condamnés, devenus
ainsi d'innocents agneaux après avoir été si longtemps
des loups ravissants; et je pus, à travers les barreaux
de mon cachot, où mes exhortations avaient toujours
échoué avec les détenus qui formaient mon auditoire,
bénir leurs cadavres au fur et à mesure qu'on les
emportait, tandis que leurs âmes s'en allaient au ciel
préparer une couronne à ceux auxquels ils devaient,
après Dieu, le bienfait de leur salut éternel.
« Ayant entendu le rapport de mon chrétien, je continuai
ma route, en proie à une amère tristesse. Tout en
retournant à la liberté, je restais en esprit au milieu
de mes chers néophytes, et j'assistais à leurs douleurs
par la pensée et la vue de leurs plaies. Tous les moyens
dont peut disposer la charité fraternelle et sacerdotale
furent, à mon arrivée à Canton, largement dépensés vis
à-vis de moi par mon confrère, M. Lalanne, alors à ce
poste; mais comment lui donner l'entière satisfaction de
les voir couronnés de succès ? Le souvenir de mes chers
chrétiens dévoués à la mort, la dilapidation de tous mes
effets et la profanation surtout de mes ornements
sacrés, cette chapelle où tant de fois j'avais offert le
saint sacrifice au milieu de mon petit troupeau, et qui
tant de fois avait retenti du chant de ses prières ;
cette chapelle devenue un monceau de ruines et l'objet
de la risée des ennemis du nom chrétien, n'en est-ce pas
trop pour ne donner qu'un faible prix à la liberté qui
m'a été rendue ?
« Dans cette grande douleur, j'ai la confiance toutefois
que les défenseurs envoyés par la France dans ces pays
lointains, sauront tirer de l'état actuel des choses
tout le parti que la religion attend d'eux. C'est dans
la consolation de cette espérance que je me remets en
route pour le nouveau district que m'a assigné mon
vénérable Supérieur, en attendant que s'ouvrent de
nouveau les portes de celui que je viens de quitter,
heureux d'ailleurs de pouvoir me dévouer, comme
auparavant, au service de chrétiens, qui ont dans leur
sein des modèles si capables d'exciter l'intérêt et
l'admiration de leurs frères d'Europe et du monde
entier.
« Agréez, Messieurs et vénérables Directeurs,
l'expression du profond respect avec lequel j'ai
l'honneur d'être,
Votre bien humble et tout dévoué serviteur,
CH.-H. JACQUEMIN,
missionnaire apostolique. »
(1) La lettre de M. Guillemin a été
publiée dans le dernier numéro. |
Lorsqu'il écrit dans cette
lettre de décembre 1855, concernant les victimes chinoises
chrétiennes restées prisonnières, « il est grandement à croire
que maintenant elles ont consommé leur martyre dans de nouvelles
tortures », Charles-Jean-Baptiste Jacquemin ignore que le
calvaire de ses compagnons va durer trois ans :
Annales de
la propagation de la foi : recueil périodique des
lettres des évêques et des missionnaires des missions
des deux mondes, et de tous les documents relatifs aux
missions et à l'Association de la propagation de la foi
1858
Lettre de M. Le Turdu,
de la Société des Missions étrangères, à MM. les
Directeurs des Conseils centraux de la Propagation de la
Foi, à Lyon et à paris
Canton, 18 juin 1858
« Messieurs,
« Deux des chrétiens qui, depuis plus de trois ans
confessaient notre foi sainte dans les prisons de Kia-yn-tcheou,
viennent d'y rendre à Dieu leur âme précieuse. Quelques
details sur ces généreux néophytes ne peuvent manquer de
plaire aux pieux Associés de l'OEuvre; je vous les
offre, Messieurs, et à eux aussi, comme un faible
témoignage des sentiments de reconnaissance qui
remplissent nos coeurs : les missionnaires de la
province savent la bienveillance vraiment cordiale que
vous avez montrée à notre vénère vicaire apostolique,
Mgr Guillemin.
[...]
« L'autre confesseur, qui est allé recevoir au ciel la
récompense de sa persévérance, est un jeune homme qui
sortait à peine des fonts sacrés, lorsqu'il fut choisi
pour paraître sur l'arène et montrer aux païens étonnés
la force héroïque du disciple de Jésus-Christ. Il
apprenait depuis quelque temps la doctrine lorsque,
ayant ouï dire qu'on tramait quelque chose contre les
chrétiens, il s'empressa d'aller demander le baptême,
afin de ne pas perdre l'occasion de souffrir. Une foi si
généreuse, avant même d'avoir reçu la grâce de la
régénération, ne pouvait se démentir au jour de
l'épreuve. Le missionnaire, M. Jacquemin, venait d'être
arrêté; Jean Ye - car tel est le nom de notre néophyte -
apprend qu'en attendant l'audience du mandarin les
satellites l'ont renfermé dans une bonzerie, où il est
resté tout un jour sans recevoir aucune nourriture. A
cette nouvelle, son cœur est pénétré de douleur, et,
quoiqu'il sache le danger auquel il s'expose, il prend
la résolutionde pénétrer jusqu'au Père de son âme, et de
lui offrir l'aumône de quelques aliments. Une telle
action, que des barbares mêmes eussent trouvée digne
d'éloges, parut un crime aux farouches gardiens de
l'apôtre de Jésus-Christ ; ils chargèrent de chaînes le
chrétien courageux, et ils le livrèrent au juge en même
temps que le missionnaire.
« On vous a dit, Messieurs, les tourments divers
auxquels ces bons chrétiens ont été soumis durant leur
long emprisonnement. Le mandarin n'a rien épargné pour
vaincre leur constance, et leur arracher quelque signe
d'apostasie; mais ni le chevalet ni le rotin, dont ils
ont reçu un jour jusqu'à mille coups ni toutes les
tortures du plus affreux cachot, n'ont pu arracher de
leurs lèvres un mot contraire à la foi qui reposait au
fond de leur âme. En vain le mandarin, honteux de se
laisser vaincre par des gens si vulgaires, se bornait-il
à n'exiger qu'un simple acte extérieur d'apostasie, «
qu'il considérerait, disait-il comme une marque de
déférence à sa volonté, mais qui, du reste, les
laisserait libres de suivre la religion qu'ils avaient
choisie ; » nos généreux athlètes sont restés
inébranlables; leur foi a triomphé de la ruse comme de
la violence du persécuteur. Grâces en soient rendues au
Dieu très-bon et très-puissant, qui sait tirer une
louange parfaite de la bouche des petits enfants, et la
confession glorieuse de sa vérité sainte d'hommes
naturellement lâches et pusillanimes Ce n'est pas que
tous les païens aient compris le motif sublime qui
portait nos fervents-chrétiens à subir toutes sortes de
tourments, plutôt que de donner au, mandarin une marque
de complaisance que leur conscience condamnait. Non, en
général, les païens, et surtout les Chinois, ne sont
capables d'aucun sacrifice pour leur religion, par la
raison qu'ils adorent leurs faux dieux, non pas pour ces
dieux eux-mêmes, mais à cause des avantages temporels
qu'ils croient en retirer d'où il suit qu'ils rejettent
et doivent rejeter ces vaines idoles, quand leur culte,
au lieu d'être pour eux une source de bonheur, devient
pour eux une cause de malheur et de souffrances. Aussi,
bien des païens blâmaient-t-ils à haute voix la
constance de ces chrétiens, et la traitaient-ils
d'obstination insensée. D'autres croyaient en trouver le
secret dans certaines pilules que les chefs de religion
distribuent aux fidèles dans les assemblées religieuses
; mais plusieurs cependant y voyaient une cause plus
relevée : ils avouaient qu'une religion qui donne à des
cœurs faibles une constance si héroïque, doit contenir
quelque chose de divin, et comme, communément, on rend
hommage à la sainteté de la doctrine et à la conduite
exemplaire de ceux qui l'ont embrassée, ils ne
craignaient pas de la proclamer supérieure à toutes les
sectes du pays.
« Un troisième prisonnier, Michel Lao ne tardera pas
probablement à aller partager les couronnes des deux
autres. Pris dans le même moment et dans les mêmes
circonstances que Jean Ye, il a subi les mêmes tortures.
Maintenant, malade, épuisé, il n'attend plus que la voix
de son Sauveur, qui l'appellera à la participation de
son royaume. Nous avons cependant quelque espoir que
l'influence française brisera ses fers et le rendra à sa
famille dont il est le soutien. Si Dieu en dispose
autrement, nous nous consolerons, du moins, dans
l'espoir d'avoir au ciel trois nouveaux intercesseurs,
qui feront descendre sur leur pays et sur les pieux
Associés de la Propagation de la Foi une nouvelle
abondance des bénédictions célestes. [...] |
En 1875,
Charles-Jean-Baptiste Jacquemin tombe malade, revient en France,
puis repart pour la Chine.
Les
missions catholiques
janvier-décembre 1876
M. Charles-Jean-Baptiste
Jacquemin, du diocèse de Nancy, missionnaire au
Kouang-tong, qui était revenu en France pour cause de
maladie, est reparti pour la Chine, en passant par Rome,
et s'est embarqué à Naples le 7 décembre [1875]. |
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