Les comtes de Salm et
l'abbaye de Senones aux XIIe et XIIIe siècles
Louis Schaudel
Contribution à l'histoire de Senones, Pierre-Percée,
Badonviller, Blamont, Deneuvre
Berger-Levrault, Nancy-Paris-Strasbourg
1921
A MONSIEUR CHRISTIAN
PFISTER
PROFESSEUR A LA SORBONNE
JE DÉDIE CE TRAVAIL, POURSUIVI, DE 1915 A 1918 SOUS LES
BOMBARDEMENTS DE LA BELLE ET VAILLANTE VILLE DE NANCY DONT IL
EST L'HISTORIEN
INTRODUCTION
C'est en réunissant les matériaux pour une
monographie de Badonviller que je fus amené à entreprendre cette
étude, l'histoire de cette malheureuse petite ville martyre,
victime de la dernière irruption germanique, se confondant,
jusqu'au début du XVIIe siècle, avec celle du comté de Salm, qui
s'était formé, au XIIe siècle, sur les confins du duché de
Lorraine et de l'évêché de Metz. C'est donc l'histoire des
comtes de Salm de la première dynastie qui devait me fournir les
éléments de la monographie projetée. Malheureusement, cette
histoire restait encore à faire. Ce n'est, en effet,
qu'accessoirement et d'une manière assez confuse que nos grands
auteurs lorrains, Benoît Picart, Dom Calmet, se sont occupés des
comtes de Salm. Il en est de même de l'auteur luxembourgeois, le
P. Bertholet et des historiens messins, Meurisse et les
Bénédictins. Au XIXe siècle, Digot a souvent mentionné les
comtes de Salm; de même, Gravier, dans son Histoire de la ville
épiscopale de Saint-Dié, mais presque toujours sans indication
de sources. En 1866, A. Fahne, en publiant sa Geschichte der
Grafen jetzigen Fürsten zu Salm-Reifferscheid (1), a consacré
aux comtes de Salm-en-Ardenne et aux comtes de Salm-en-Vosge
deux tableaux généalogiques accompagnés de copies et d'analyses
de documents du XIIIe siècle, jusqu'alors inédits, puisés aux
archives de Coblence. Ces documents, émanant du règne du comte
Henri IV, m'ont permis de rectifier plusieurs erreurs
importantes relatives à ce comte et à son épouse Lorette de
Castres.
En 1895, sous le titre Comté de Salm-supérieur dans les Vosges,
M. Stieve, de Saverne, a fait paraître, dans le Jahrbuch des
Historisch-Litterarischen Zweigverein des Vogesen-Clubs, une
notice qui a été traduite par M. F. Baldensperger et publiée
dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne (2). Mais
cette notice, d'ailleurs très courte, n'a fait que reproduire
les données trop souvent erronées des publications antérieures.
Un ouvrage considérable, luxueusement édité et richement
illustré, a paru, en 1898, sous le titre Documents pour servir à
l'histoire de la principauté de Salm-en-Vosges et de la ville de
Senones, sa capitale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
(3). Dû à la plume et à la libéralité du baron F. Seillière, cet
ouvrage, comme son titre l'indique du reste, a trait surtout à
la principauté de Salm, bien distincte du comté originaire, dont
les domaines ont suivi de tout autres destinées, et sur lequel
il contient par suite fort peu de renseignements relatifs aux
XIIe et XIIIe siècles. Il nous a été cependant fort utile pour
reconstituer le plan des ruines du château de Salm-en-Vosge au
XVIIIe siècle et le dessin des pierres tombales du comte Henri
II et de Judith de Lorraine, son épouse, avec les sculptures
dues au ciseau du moine Richer de Senones; d'autre part, dans sa
collection des sceaux, nous avons eu la satisfaction de trouver
la reproduction des sceaux équestres des comtes Henri II et Jean
Ier.
Enfin, en 1908, M. Thouvenot a consacré sa thèse de doctorat en
droit à L'Avouerie de l'abbaye de Senones et la Principauté de
Salm. Dans un avant-propos, il déclare qu'il n'essaiera pas de
refaire l'histoire de l'abbaye de Senones ou celle de la maison
de Salm, et il ajoute : « Dom Calmet a fait l'histoire complète
du monastère dans l'Histoire de l'Abbaye de Senones et Gravier a
retracé les destinées de la maison de Salm dans l'Histoire de la
ville épiscopale et de l'arrondissement de Saint-Dié; je
renvoie, à ces auteurs, les lecteurs voulant combler les lacunes
relatives à l'histoire générale de ce pays (4). » Or, M.
Thouvenot a omis de faire cette remarque, très importante, que
l'histoire de l'abbaye de Senones a été laissée, par Dom Calmet,
à l'état de simple projet qui, d'après l'aspect même du
manuscrit, avec ses nombreuses ratures et ses notes volantes
annexes, attendait évidemment une rédaction définitive.
L'impression de ce manuscrit, tel quel, a eu lieu par les soins
des sociétés d'histoire d'Epinal (5) et de Saint-Dié (6).
II s'agit donc d'un ouvrage posthume qui n'engage ni la
responsabilité de Dom Calmet, ni celle des éditeurs. Et je
n'étonnerai certes pas les personnes au courant de la question,
en disant que l'histoire de l'abbaye de Senones reste encore à
faire; elle attend, pour cela, un historien comme celui qui a
écrit avec tant de compétence et d'autorité l'histoire de
l'abbaye toute voisine de Moyenmoutier (7).
En se contentant, d'autre part, quant à l'histoire des comtes de
Salm, de l'ouvrage de Gravier, qui ne n'occupe de ces comtes que
d'une manière incidente en reproduisant ou en résumant les
auteurs du XVIIIe siècle qu'il néglige d'ailleurs presque
toujours de citer, M. Thouvenot ne s'est pas montré difficile
sur le choix de ses sources. Les conséquences se font aussitôt
sentir d'une façon par trop éclatante dans ce passage de son
avant-propos : « Les comtes de Salm, limités dès l'origine,
alors qu'ils n'étaient que simples voués de l'abbaye, à leur
fief de Bayon, surent accroître leurs possessions d'une façon
imposante... » Ainsi, M. Thouvenot attribue à la maison de Salm,
au XIIIe siècle, un fief qu'elle n'a jamais possédé et il ignore
que le fondateur de cette maison n'est, ni plus ni moins, qu'un
cadet de la puissante dynastie des comtes de Luxembourg, élu roi
de Germanie contre l'empereur Henri IV et qui conserva le titre
de comte de Salm transmis à son fils Herman II avec tout son
héritage; que ce dernier agrandit ensuite considérablement ses
domaines patrimoniaux de ceux que lui apporta en mariage Agnès
de Montbéliard, veuve de Godefroy de Langenstein, et situés dans
le Saulnois et le Blâmontois, domaines qui formèrent plus tard
le comté de Salm-en-Saulnois ou en Vosge et celui de Blâmont!
Je n'insiste pas. M. Thouvenot, comme moi-même avec mon projet
de monographie de Badonviller, s'est trouvé dans une région très
imparfaitement explorée par des auteurs qui se sont contentés de
reproduire, sans les contrôler et les soumettre à une critique
vigilante, les données très abondantes de la chronique du moine
Richer, de Senones. Avant d'entreprendre un travail sur
l'avouerie de l'abbaye de Senones et la principauté de Salm, il
eût fallu posséder une véritable histoire de l'abbaye et une
histoire des comtes de Salm. Cette base fondamentale faisant
défaut, l'édifice à élever devait forcément manquer de solidité,
quelle que fût d'ailleurs la science du droit et des lois de
l'auteur de la thèse. Celle-ci contient certes des parties très
louables. Ainsi l'analyse de la charte de fondation de l'abbaye
de Senones aboutit à des déductions très judicieuses et
rationnelles. D'autre part, les extraits des archives des
Vosges, relatifs aux XIVe, XVe et XVIe siècles, constituent des
éléments utiles pour l'histoire de l'abbaye de Senones dans ses
relations avec les comtes de Salm durant cette période.
En somme, pour l'époque que nous étudions, c'est-à-dire les XIIe
et XIIIe siècles, ce sont surtout les Gesta Senoniensis
ecclesiae du moine Richer qui ont fourni à tous les auteurs de
notre région la plus grande partie des matériaux de leurs
travaux. Aussi, avant de puiser nous-même à cette source
abondante, nous semble-t-il indispensable d'examiner
attentivement si nous pouvons en toute sécurité nous appuyer sur
le témoignage de Richer et accepter en toute confiance ses
renseignements, ses appréciations et ses jugements. Cet examen
préalable s'impose d'autant plus que les erreurs déjà relevées
sont nombreuses et que certains chapitres font apparaître
l'écrivain sous un jour qui n'inspire pas une foi absolue dans
son impartialité et son esprit de justice.
Les Richeri Gesta Senoniensis ecclesiae ont été publiés pour la
première fois, en 1659, dans le Spicilegium de dom Luc d'Achery,
non d'après l'original déposé à la Bibliothèque nationale, mais
d'après une copie faite au début du XVIIe siècle par un moine de
Senones nommé Maire, et envoyée à d'Achery en 1658. Cette
publication fut d'ailleurs incomplète, l'éditeur ayant omis en
tout ou en partie vingt et un chapitres.
Le manuscrit original est contenu dans le Codex parisiensis Lat.
n° 10016 (suppl. lat. 554) en parchemin de 113 folios, écriture
du XIIIe siècle. Il a été certainement écrit sous les yeux de
l'auteur, mais présente des différences d'écritures et d'encre
témoignant de quelques modifications postérieures.
Une copie faite en 1536, d'après la suscription, sur un
exemplaire « périssant de vétusté », est conservée à la
bibliothèque municipale de Nancy. Son texte a été traduit en
français au XVIe siècle, comme en témoigne un manuscrit de 1599
appartenant à ladite bibliothèque. Cette traduction, imprimée
par J. Cayon en 1842 et tirée à 100 exemplaires, est fort
imparfaite et ne saurait évidemment remplacer l'original. Outre
les manuscrits cités plus haut, il existe encore plusieurs
copies de la chronique de Senones. Il y en a deux, du XVIe
siècle, à la bibliothèque de la ville d'Epinal et trois, du
XVIIe siècle, à la Bibliothèque nationale (Lat. 5206, S. Germ.
lat. 475).
Dom Calmet a inséré une partie de la chronique de Richer dans
son Histoire de Lorraine (lre édit., t. II, pr. col. 1); mais,
au lieu de se servir du manuscrit original qu'il avait entre les
mains, il n'a donné que quelques extraits d'après l'édition de
Luc d'Achery.
La publication intégrale des Richeri Gesta Senoniensis ecclesiae
a été enfin faite par G. Waitz, d'après l'original de la
Bibliothèque nationale, dans les Monumenta Germaniae historica,
Scriptores, t. XXV, p. 249 à 345. Elle est précédée d'une étude
critique très étendue, mais qui est loin d'avoir épuisé le
sujet; les appréciations de l'éditeur allemand ne diffèrent
d'ailleurs pas sensiblement de celles précédemment émises par
dom d'Achery et par la Société de l'Histoire de France
(Annuaire-Bulletin de 1864, p.40-43et 79-83).
D'après les propres déclarations de Richer, on sait qu'il fit
ses études à Strasbourg, mais on ignore le lieu de sa naissance.
Waitz le croit originaire de la Lorraine, « bien qu'il connût
aussi la langue tudesque ». Né vers la fin du XIIe siècle, il
commença à écrire ses Gesta un peu après 1254, et il continue
son récit jusqu'en 1264. Il semble avoir été quelque temps
prieur ou prévôt de Deneuvre.
Après dom Luc d'Achery, qui qualifie l'œuvre de Richer de «
bonne histoire monastique, mais mal écrite et confuse », G.
Waitz dit qu'il usa du langage presque rustique, quelquefois
contre l'art de la grammaire, souvent contre les règles de
l'orthographe. Mais ce n'est pas par pure modestie que l'auteur
des Gesta déclare qu'il écrit à la manière des balbutiements
d'un enfant (more balbutientis infantis), en rustique et non en
philosophe (non « philosophando » sed « rusticando »). Il veut
sans doute dire par là qu'il écrit comme il parle, non dans le
langage des philosophes, mais dans celui des ruraux, des paysans
ou des campagnards comme nous dirions aujourd'hui. Son texte
nous donnerait ainsi une idée du latin en usage dans les
monastères vosgiens au XIIIe siècle, à une époque où déjà la
langue romano-française commençait à être usitée dans les actes.
G. Waitz, l'éditeur des Gesta Senoniensis ecclesiae, estime que
partout s'y révèle une véritable âme de moine : ubique animam
prodit vere monachicum. Cette appréciation ne saurait être
admise sans restrictions. Richer, écrivain médiocre, mais
tempérament d'artiste indépendant, se montre partout comme un
esprit frondeur, indiscipliné, ne rappelant nullement celui des
véritables moines du Moyen Age, volontairement soumis à la
règle, partageant leur existence entre le travail, la prière et
l'exercice de leurs devoirs de religieux strictement réglés.
Richer est un moine sans doute, mais un moine d'un type tout à
fait spécial.
Dans le tableau des origines, des fondations, des accroissements
et des vicissitudes diverses du monastère avant le XIIIe siècle,
Richer ne fait que reproduire les écrits antérieurs ou les faits
recueillis par la tradition. Son caractère personnel, son
véritable esprit se révèlent seulement dans ses appréciations et
ses jugements sur les personnes et les choses, dans le récit des
événements contemporains, contestations, querelles, luttes avec
les voués du monastère. Là, Richer apparaît comme un moine
intrigant, vindicatif et passionné, uniquement préoccupé des
intérêts matériels de la communauté.
Ses jugements sur les trois titulaires qui se sont succédé sur
le siège abbatial de Senones, de 1206 à 1270, et qui tous trois
furent ses supérieurs directs, suffiront peut-être à mettre en
lumière cette première appréciation.
Ni l'abbé Henri, qui mourut en 1225, ni l'abbé Baudouin qui
gouverna l'abbaye de 1238 à 1270, ne trouvèrent grâce devant sa
censure. A l'abbé Henri, un Messin, il reproche d'être trop
économe, de ne pas accorder aux religieux tout ce qu'ils étaient
accoutumés à recevoir et, par là, d'avoir mis la division entre
eux. Richer ajoute qu'il opprima fort l'église de Senones, qu'il
abolit entièrement la prévôté de cour (qui était dans l'enceinte
de l'abbaye), qu'il supprima l'office d'aumônier et se réserva
la chancellerie, ainsi que toutes les obédiences, de sorte
qu'aucun de ses moines ne connaissait l'état du monastère, pas
plus en dedans qu'en dehors (8).
Le successeur de l'abbé Antoine, l'abbé Wildéric (1224-1237),
mérita tout d'abord l'approbation de Richer pour son règlement
de l'office divin dans son monastère, mais surtout pour la lutte
violente qu'il entreprit contre le comte de Salm, coupable
d'avoir exigé l'accomplissement du devoir féodal de deux de ses
vassaux, frères de l'abbé (9). Aussi, quand l'abbé Wildéric
échangea son abbaye de Senones contre celle de Saint-Evre de
Toul, Richer ne trouva-t-il à lui reprocher que l'annexion à son
nouveau siège de plusieurs dépendances de l'abbaye de Senones
(10). La succession de cet abbé donna lieu à des compétitions
dont l'auteur des Gestes de l'église de Senones a complaisamment
noté toutes les particularités, d'ailleurs fort peu édifiantes.
Il résulte de son récit qu'il joua dans la circonstance un rôle
très actif et il fut certainement l'un des candidats que l'abbé
Wildéric aurait voulu avoir pour successeur à Senones (11). Son
échec explique peut-être la malveillance toute spéciale que
Richer manifeste à l'égard du nouvel abbé. Celui-ci, du nom de
Baudouin, était un religieux de l'abbaye de Gorze, devenu prieur
de Varangéville; il prit possession de l'abbaye de Senones en
1239 et mourut en 1270. C'est donc durant son abbatiat que le
moine Richer écrivit ses Gesta Senoniensis ecclesiae. Et voici
le portrait qu'il a laissé de l'abbé Baudouin:
II n'avait pas encore atteint la fleur de l'âge, il était prompt
en actions, peu disposé à écouter, véhément eu paroles, et se
mettait facilement en colère; usant surtout de son propre
conseil, n'ajoutant foi qu'à quelques adulateurs, flatteurs ou
médisants, il cherchait avant tout sa gloire personnelle...
Toutefois, il se distinguait par une certaine vertu
d'hospitalité, en logeant les personnages honorables, hommes
d'armes ou d'autres conditions; enfin, il attirait volontiers
des bouffons chargés de distraire ses hôtes et les rendre plus
joyeux.
Richer termine cette esquisse par ce dernier trait
caractéristique:
Si j'écrivais tous ses autres faits, on pourrait me reprocher
d'être injuste, d'agir par haine ou autrement.
C'est pourquoi, j'aime mieux m'en taire que d'en parler, selon
la parole de Moïse : « Tu ne découvriras pas la honte de ton
père. » Mais, s'il eût joint à ses bienfaits les façons de faire
de son Ordre ; s'il n'eût jamais diffamé ses moines, comme il le
fît; s'il eût assisté volontiers à l'office divin et eût plus
souvent célébré la messe; ou s'il eût été plus soigneux des
affaires du monastère et qu'il eût plus familièrement usé du
conseil du couvent, nous n'eussions désiré un autre prélat. Et
parce que beaucoup de choses sont arrivées contre les règles de
notre Ordre, il est nécessaire que nous remettions le récit pour
quelque temps, vu surtout que lorsque j'écrivais ces choses,
Baudouin vivait encore (12)...
La mort de Richer, survenue vers 1264, par conséquent avant
celle de l'abbé Baudouin, l'empêcha de retoucher ou de compléter
ce portrait, bien moins intéressant au point de vue de la
ressemblance que comme type de la manière de l'artiste.
En ce qui concerne les faits et les détails matériels dont
Richer a été le témoin oculaire, nous pouvons, je crois,
accepter son témoignage; mais il n'en est pas de même de ce qui
se passait en dehors et à une certaine distance du monastère.
Là, nous entrons dans le domaine de la légende, de la rumeur
publique où, selon cette pensée de La Bruyère, le contraire des
bruits qui courent est souvent la vérité. Sur ce terrain,
l'imagination de Richer peut se donner libre carrière. Nous n'en
voulons pour preuve que la singulière histoire de Sibille,
béguine de Marsal, qui, secrètement approvisionnée par un
complice, fit croire à la foule, accourue de toute part, qu'elle
pouvait jeûner indéfiniment. En rapportant longuement et
complaisamment cette mystification, Richer attribue à l'évêque
de Metz, seigneur temporel de l'abbaye de Senones, un rôle
tellement étrange qu'il est impossible de le prendre au sérieux
(13).
N'oublions pas que dans ces temps à peine dégagés des grossières
superstitions du paganisme local, le merveilleux jouait un rôle
très important; aussi n'est-il pas étonnant de voir toujours le
cas de mort violente ou subite d'un adversaire interprété comme
la manifestation d'un châtiment. Je n'en citerai, pour exemple,
que le récit du livre 1, chapitre 24, relatif à un vilain qui,
méritoirement, fut foudroyé par un orage en charroyant du foin
et dont voici la conclusion:
Cette infortune lui était arrivée pour ses démérites, notamment
parce qu'il n'avait pas gardé l'honneur et révérence à Dieu et à
saint Hydulphe, et qu'assurément son incrédulité lui avait valu
une si rude punition. D'où, évidemment, il apparaît comment
ledit saint châtie amèrement ceux qui l'ont pris en mépris et
défend ceux qui le révèrent et l'honorent. Ainsi, ajoute Richer:
j'aurai confiance, si le Tout-Puissant punit en ce monde présent
aussi rigoureusement les contempteurs de son nom et de sa
puissance et récompense ceux qui lui confèrent l'honneur qui lui
est dû (14).
On peut donc appliquer à l'auteur des Gestes de l'église de
Senones les réflexions que l'abbé Grandidier a faites au sujet
de Heymon, religieux de l'abbaye allemande de Hirsau à la fin du
XIe siècle:
...Accoutumés à exalter le patron de leur église, les moines ne
manquaient pas de prêter à celui-ci leurs craintes, leur
indignation, leur ressentiment. Jamais on ne pillait leurs
domaines que le Ciel ne punît le brigandage... (15).
Certes, nous croyons à cette forme de la justice divine appelée
la justice immanente, mais il faut que le châtiment s'applique à
des méfaits ou des crimes relevant de la vindicte publique et
qu'il ne puisse être invoqué dans un intérêt particulier ou pour
satisfaire des rancunes personnelles.
Les assertions de Richer, basées sur des faits remontant au
premier quart du XIIIe siècle, ou antérieurs, ne sauraient non
plus être admises sans de très sérieuses réserves; celles-ci
sont amplement justifiées par la méthode suivie dans la
rédaction de la chronique, l'auteur nous apprenant lui-même que
les faits dont il s'agit sont rapportés par lui d'après «
d'autres plus anciens monuments écrits en vers (16) ». Or, ces
chroniques rimées ne nous sont point parvenues.
D. Calmet, juge plutôt indulgent pour Richer, déclare que:
Cet écrivain lui est important surtout pour son temps et pour le
temps qui en est proche, dont il donne une connaissance très
curieuse et très exacte comme témoin; mais il faut avouer,
ajoute-t-il, que pour les temps plus reculés, il a omis quantité
de particularités importantes, pour n'avoir pas assez consulté
les titres originaux conservés dans l'abbaye.
Le savant bénédictin relève ensuite plusieurs assertions
manifestement erronées (17).
A côté de ces imperfections matérielles, il nous faut bien
maintenant signaler l'attitude systématiquement hostile de
Richer à l'égard de la maison de Salm. L'animosité, poussée
jusqu'à la malveillance non déguisée, qu'il montre à chaque page
consacrée aux membres de cette famille, démontre que nous sommes
en présence, non d'un juge impartial, équitable et juste, mais
d'un combattant dans la chaleur de l'action, et il n'est pas
étonnant, dès lors, de le voir faire flèche de tout bois. Les
éléments de ses imputations sont tellement emmêlés, enchevêtrés,
qu'il est parfois difficile de suivre l'enchaînement des faits.
C'est ainsi que des événements aboutissant à un accord
paraissent parfois lui être postérieurs, ce qui leur donne le
caractère aggravant, mais nullement justifié, de causes de
rupture d'une paix précédemment conclue (18). Cette
interversion, qui n'est peut-être due qu'à la méthode de
l'auteur écrivant ses mémoires par chapitres détachés, rend
difficile la tâche d'établir les motifs et la responsabilité de
luttes que les accords successifs avaient précisément pour effet
de terminer.
Les voués de l'abbaye de Senones n'étaient ni pires ni meilleurs
que ceux des églises et abbayes des régions voisines de la même
époque, et il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler les
agissements des ducs de Lorraine et des comtes de Bar envers les
églises et monastères sous leur protection. Les difficultés sans
cesse renaissantes entre l'abbaye de Senones et ses voués sont
dues, en dehors des causes générales inhérentes à l'institution
même, à une situation spéciale de cette abbaye, que nous aurons
à mettre en lumière.
En résumé, les Gesta Senoniensis ecclesiae de Richer se
composent d'une série de tableaux de valeur très inégale,
quelques-uns dus à l'imagination du moine artiste; mais
d'autres, peints d'après nature, présentent un intérêt
historique incontestable. Parmi ces derniers, figurent
heureusement ceux consacrés aux comtes de Salm dans leurs
rapports avec l'abbaye de Senones. Le peintre a reproduit les
traits de ses personnages tels qu'ils lui apparaissaient au
milieu des passions surexcitées, des préjugés, des rivalités,
des luttes qui régnaient alors, jetant le désordre dans tous les
rangs d'une société en formation et troublant profondément la
paix et la sécurité des malheureuses populations de cette région
âpre et inhospitalière.
Les portraits de Richer ne sont donc pas des photographies, mais
des dessins plus ou moins réussis, plus ou moins empreints de
cet esprit satirique et malicieux, qui a inspiré les figures
grotesques et même parfois indécentes dont les imagiers se
plaisaient à orner les frises et les chapiteaux de nos édifices
romans. C'est une œuvre qui a les défauts et quelques-unes des
qualités des productions du XIIe siècle, où les personnages sont
représentés sous des traits fortement accentués, avec des gestes
violents et souvent outrés.
Nous ne devons pas oublier que les récits de Richer, touchant
les comtes de Salm, sont ceux d'un témoin à charge, des
plaidoyers contre l'accusé, où l'on passe naturellement sous
silence tout ce qui est favorable à la défense. Pour émettre un
jugement équitable, il nous faudrait le plaidoyer de la partie
adverse; à son défaut s'imposent l'examen approfondi et raisonné
des faits de la cause, et le contrôle, quand c'est possible, au
moyen de documents authentiques contemporains.
Sous ces réserves, la chronique de Richer constitue une mine qui
renferme des éléments d'une grande valeur pour notre histoire
régionale.
Par une heureuse coïncidence, la première partie d'une étude,
ayant la plus grande analogie avec la nôtre, vient de paraître
dans les Annales de l'Institut archéologique du Luxembourg
(Arlon, 1920), sous le titre : Les Comtes de Salm-en-Ardenne.
L'auteur, M. Vannerus, a consacré cette première partie à
l'analyse des documents se rapportant à l'origine de cette
dynastie, et, bien que nos travaux respectifs aient été menés
parallèlement, mais à l'insu l'un de l'autre par suite de la
barrière de fer et de feu qui séparait alors Nancy de Bruxelles,
nous avons tous deux la satisfaction d'être arrivés aux mêmes
conclusions. Ce résultat est d'autant plus appréciable que la
question traitée, extrêmement confuse et embrouillée, offrait de
très sérieuses difficultés.
CHAPITRE I
Comté de Salm. - Comté de Luxembourg. - Évêché de Metz. -
Château de Langenstein. - Abbaye de Senones. - Avouerie de
l'abbaye de Senones.
Le comté originaire de Salm, celui dont la
dynastie des comtes de Salm tire son nom, était situé dans la
partie septentrionale du pagus moyen des Ardennes, aux confins
du pays de Liége, de la principauté abbatiale de Stavelot, de la
baronnie de Houffalize et du comté, puis duché de Luxembourg. Il
entra, en 1803, dans la formation du département français de
l'Ourthe, arrondissement de Malmédy, et passa, en 1814, au
royaume des Pays-Bas, puis à celui de Belgique. Le territoire de
ce comté primitif s'étendait sur un parcours de trois lieues et
demie en longueur et deux lieues en largeur; il est traversé par
une rivière fort encaissée, le Glain, qui prend le nom de Salm
avant de mêler ses eaux claires à celles de l'Amblève, petit
affluent de l'Ourthe qui elle-même se jette dans la Meuse.
La constitution géologique du sol n'offre aux habitants de cette
région qu'un terrain aride peu favorable à la culture; mais, en
revanche, le sous-sol est riche en ardoises, meules et fines
pierres à rasoirs, dont l'exploitation remonte à la plus haute
antiquité. D'anciennes carrières abandonnées témoignent de la
longue durée et de l'importance de cette industrie.
Salm-château est à l'entrée d'une gorge étroite et profonde dont
le fond est à 372 mètres d'altitude, tandis que les crêtes de la
montagne qu'elle coupe s'élèvent à 542 mètres. Cet emplacement a
été, de tous temps, choisi par les populations comme lieu de
refuge, témoin les retranchements d'un camp préhistorique
visibles au sommet de la montagne située sur la rive droite de
la Salm. En face, sur la rive gauche, se trouvent les ruines de
l'ancien château, dont il ne reste plus que quelques pans de
murs et une tour servant jadis de prison. A 1.500 mètres, au
sud-ouest, sur le territoire de la commune de Lierneux, à côté
de nombreuses, tombes gallo-romaines et de fondements
d'habitations détruites par l'incendie, on a trouvé quantité de
meules à tous les degrés de fabrication, en poudingue gédinnien;
les plus anciennes sont petites et ovales et servaient à broyer
le grain par un mouvement de va-et-vient, et les plus modernes
sont rondes et se rapprochent des meules actuellement en usage.
Vielsalm, actuellement chef-lieu du canton, est situé sur la
rive droite de la Salm, dans un paysage où la vue s'étend, d'un
côté, sur une importante colline criblée d'exploitations
minérales, de l'autre sur plusieurs villages groupés dans
l'enceinte d'autres collines, moins élevées, au delà desquelles
apparaissent des bruyères à perte de vue et des blocs de rochers
énormes couronnant les hauteurs.
Cette description m'a paru utile pour fixer nos idées sur la
valeur comparative des domaines constituant le comté de
Salm-en-Ardenne et ceux qui, par la suite, formèrent le comté de
Salm-en-Vosge ou en Saulnois, et la seigneurie de Blâmont.
L'origine de la maison de Salm, si l'on en croyait une chronique
de l'abbaye de Stavelot, remonterait aux temps antérieurs à
l'ère chrétienne. Le premier de la lignée, d'après un manuscrit
que le moine chroniqueur avait découvert, mais ne nous a pas
transmis, serait Salmo, frère de Colongus, roi de Tongres,
lequel aurait bâti le château de Salm. Après lui, seraient venus
Richarius, Martial, Mansuetus et Symetrius. Sous
l'administration de ce Symètre, sixième comte de Salm, du temps
du pape Clément Ier et de l'empereur Trajan, serait arrivé à
Tongres, Materne, un disciple de saint Pierre, pour évangéliser
la contrée. Ses prédications l'amenèrent aussi à Salm où il
opéra un miracle:
Au retour d'un voyage, Albana, une parente du comte Symètre,
apprit avec terreur la mort de son jeune fils.
Elle se rendit en toute hâte auprès de saint Materne qui venait
d'arriver à Salm, se jeta à ses pieds et l'implora, promettant
de se faire chrétienne s'il rendait la vie à son enfant. Materne
tomba à genoux, à côté du petit corps inanimé, et pria Dieu avec
ferveur; sa prière fut exaucée, et, l'enfant ayant été remis
vivant à sa mère, celle-ci se fit baptiser avec les siens. Le
comte Symètre tint le jeune ressuscité sur les fonts de baptême
et le nomma Symétrius. Materne fit promettre au comte de faire
instruire l'enfant, et, conformément à cette promesse, le jeune
Symétrius, une fois parvenu en âge, fut envoyé auprès de saint
Navit, le successeur de saint Materne à Tongres.
Saint Navit l'instruisit dans la religion, l'associa à ses
voyages évangéliques et plus tard à la prédication. A l'âge de
trente ans, Symétrius se rendit à Rome pour visiter les églises
des apôtres Pierre et Paul, et se perfectionner dans la pratique
de la vie chrétienne. Le pape Pie Ier le reçut honorablement, le
fit prêtre et le destina à l'enseignement. Symétrius travailla à
Rome avec tant de zèle qu'il finit par subir le martyre sous
l'empereur Antonin. Il fut inhumé au cimetière de
Sainte-Priscille, où ses ossements furent découverts, six cents
ans plus tard, par Babolenus, abbé de Stavelot, qui les fit
transporter dans l'église de Lierneux (19).
Fr. de Rosières (20), s'appuyant, dit-il, sur l'autorité du
Florentin L. Guichardin, donne une liste des comtes de Salm
beaucoup trop complète et trop précise pour inspirer la moindre
confiance. Aussi, je m'abstiendrai de la reproduire, même à
titre documentaire. J'en agis de même à l'égard de la liste
généalogique des comtes de Salm-en-Vosge, publiée au
commencement du XVIIIe siècle par Mussey (21), cette liste
n'étant que la transcription abrégée de celle de Fr. de
Rosières. Je passerai également sous silence l'invraisemblable
histoire, contée par Jean Tanner (22), d'après laquelle l'un des
premiers de la lignée de Salm aurait été, ni plus ni moins,
qu'un témoin de la mort de N.-S. Jésus-Christ.
Les auteurs sérieux du XVIIIe siècle, comme Benoît Picart, Dom
Calmet, Bertholet, tout en considérant comme chimérique la
généalogie des comtes de Salm antérieure au XIe siècle, ont
admis l'exactitude de la liste de Fr. de Rosières pour la
période postérieure et ils ne l'ont guère modifiée qu'en faisant
précéder Henri VII (37e comte), par Herman Ier et Herman II,
fils et petit-fils de Gislebert, comte de Luxembourg. Ils sont
ainsi d'accord avec Du Chesne (23) pour reconnaître l'origine
ardenno-luxembourgeoise de la dynastie de Salm-en-Vosge.
C'est là tout le mérite de leurs listes généalogiques qui,
incomplètes, contiennent en outre des inexactitudes dont le
généalogiste Fahne a depuis rectifié quelques-unes, tout en
commettant de son côté une erreur sur un point essentiel de
l'histoire des premiers comtes de Salm, celui relatif à l'auteur
de la branche restée fixée en Ardenne après que la tige
principale de cette maison se fut définitivement implantée dans
la région vosgienne. Nous examinerons plus loin cette importante
question jusqu'ici laissée dans l'ombre, sans doute à cause des
difficultés rencontrées pour trouver une solution satisfaisante.
Cherchons d'abord à établir, si possible, comment le comté de
Salm est entré en la possession des premiers comtes de
Luxembourg.
COMTÉ DE LUXEMBOURG. - Nous savons que le puissant Etat, d'abord
comté, puis duché de Luxembourg, se constitua sur la fin du Xe
siècle et au commencement du XIe, en faveur de Sigefroy que nous
considérons, avec notre savant confrère M. Robert Parisot (24),
comme le fils de Voiry (Wigéric), comte du pagus Bedensis, puis
comte du palais, marié à Cunégonde, fille d'Ermentrude, fille
elle-même de Louis le Bègue et mort entre 916 et 919. Cantonnés
d'abord dans le Sarregau et le Rizzigowe, Sigefroy et ses
enfants étendirent leurs possessions successivement sur les
contrées voisines de l'Ardenne, du Methingowe, du Bidgau (25).
Les titres qu'ils portaient et les situations acquises par les
enfants de Sigefroy II témoignent, en même temps que de leur
noble origine, de la puissance déjà atteinte par cette famille
au commencement du XIe siècle. Ces enfants, au nombre de neuf
connus, sont:
1° Henri Ier, comte de la Woëvre ardennaise, voué de
Saint-Maximin et d'Echternach, fut duc de Bavière et mourut en
1026;
2° Sigefroy mourut célibataire en 993;
3° Frédéric Ier, comte du pagus Mosellensis et seigneur de
Luxembourg, mourut en 1019;
4° Thierry fut évêque de Metz, de 1005 à 1046, sous le nom de
Thierry II;
5° Adalbéron, seigneur de Roussy, Sierck, Sarrebourg et
Berncastel, prévôt de Saint-Paulin de Trèves, fut archevêque
intrus de Trèves de 1008 A 1016, + 1055;
6° Gislebert, comte in comitatu Walderinga, in pago Mosellensi (Walderfangen,
arrondissement de Sarrebourg), fut tué, jeune encore, à Pavie,
en 1004, durant la campagne de l'empereur Henri II, son
beau-frère;
7° Cunégonde épousa l'empereur Henri II, dit le saint, et mourut
en 1040;
8° Eve épousa Gérard Ier, comte d'Alsace;
9° Abenze vivait en 1040; on ignore si elle fut mariée (26).
Frédéric Ier laissa, de son côté, neuf enfants connus, parmi
lesquels nous citerons:
1° Henri II, voué de Saint-Maximin et d'Echternach, duc de
Bavière (après son oncle), mort en 1046;
2° Frédéric II, comte en Ardenne, puis duc de Basse-Lorraine;
mort, le 18 mai 1065, sans laisser d'héritier mâle. Il eut de
son épouse Gerberge une fille, Jutte, mariée au comte Waleran
d'Arlon; sa veuve en secondes noces, Raelande, se remaria au
comte Albert Ier de Namur;
3° Gislebert, comte de Salm et seigneur de Luxembourg (27), de
1047 à 1059. Mort le 14 août 1059;
4° Adalbéron, évêque de Metz de 1047 à 1072, sous le nom
d'Adalbéron III;
5° Herman, comte palatin de Lorraine, + 1086, époux d'Adelaïde,
veuve d'Adalbert de Ballenstedt (28).
Le comte Gislebert laissa deux fils:
1° Conrad Ier qui lui succéda et fut le premier appelé comte de
Luxembourg (1086);
2° Herman Ier, comte de Salm (29).
Comme on le voit, le comte Gislebert portait déjà le titre de
comte de Salm et cela du vivant de son père Frédéric Ier; il
figure, en effet, avec la qualification Comes de Salmo, dans un
acte d'échange conclu, vers 1035, entre les abbayes de Stavelot
et de Saint-Maximin (30).
La maison de Luxembourg a dû entrer en possession du comté de
Salm, soit par le mariage du comte Frédéric Ier, qui l'aurait
donné en apanage à son troisième fils, soit par le mariage de
Gislebert lui-même.
D'après Bertholet, Frédéric Ier aurait épousé Berthe comtesse de
Gueldre (31). Quant au comte Gislebert, le nom de sa femme est
inconnu (32), et il est dès lors permis de supposer que c'est
elle qui lui aura apporté le comté de Salm, passé ensuite, comme
il était d'usage, à leur fils puîné Herman Ier. Quoi qu'il en
soit, c'est ce dernier que nous considérons comme la tige des
comtes de Salm.
EVECHÉ DE METZ. - Pour expliquer l'extension vers le sud, sur
les régions formant le temporel de l'évêché de Metz, des
domaines de cette branche de la maison de Luxembourg, celle des
comtes de Salm, il convient de jeter un coup d'œil sur les
principaux événements qui ont marqué la constitution de cet
évêché et son administration au XIe siècle.
Les évêques de Metz avaient obtenu des derniers rois
mérovingiens des privilèges d'exemption qui sont rappelés et
confirmés par le praeceptum ou diplôme de Charlemagne accordé à
l'évêque Angelram, en 775. Ce diplôme d'immunité restreinte
s'étendait à toutes les possessions de l'église de Metz, situées
dans le pays messin et dans les pagi voisins. L'église de Metz
avait alors des domaines considérables sur les bords de la
Sarre, au pied des Vosges et jusqu'en Alsace. Charlemagne
agrandit encore ces possessions en donnant à Angelram la régale
de l'abbaye de Senones, qui de monastère royal devint ainsi
abbaye épiscopale et vint augmenter le domaine temporel de
l'évêché.
Une fois en possession du privilège d'immunité restreinte sur
les hommes et les domaines de leur église, les évêques de Metz
ne tardèrent pas à rendre cette immunité complète par
l'acquisition de la juridiction civile et criminelle et par
l'abolition des exceptions stipulées dans le praeceptum royal et
qui avaient laissé les hommes libres de l'évêché justiciables du
comte et du juge public pour l'hériban ou service militaire,
pour le service de garde et pour l'entretien et la construction
des ponts. Cette transformation paraît accomplie avant la fin du
IXe siècle.
L'autorité militaire des comtes sur les hommes libres de
l'Eglise était ainsi passée aux mains de l'évêque, auquel il
appartint désormais de proclamer l'hériban sur les terres de
l'immunité, de lever les contributions pour la guerre, de
demander des subsides et des contingents aux abbayes
épiscopales, d'appeler les hommes libres sous les armes et
d'organiser des milices pour la défense de l'évêché.
Par sa situation géographique, l'évêché de Metz formait comme le
prolongement du comté de Luxembourg; il limitait, d'autre part,
à l'est, les domaines des comtes de Bar et des ducs de Lorraine.
Aussi, pendant des siècles, chacun de ces trois puissants
voisins s'efforcera de placer un des siens sur le siège
épiscopal.
Au début du XIe siècle, la succession d'Adalbéron II (984-1005),
fils de Frédéric, duc de Haute-Lorraine, va mettre au jour une
rivalité qui se manifestera bien souvent au cours des siècles
postérieurs. A la mort de ce prélat, son frère, le duc Thierry,
fils et successeur de Frédéric, chercha aussitôt à ménager
l'évêché de Metz à Adalbéron, son fils encore en bas âge. A cet
effet, il décida le roi Henri II à y nommer, pour administrateur
pendant sa minorité, Thierry, fils de Sigefroy II de Luxembourg.
Mais Thierry, sollicité plus tard, dit-on, par le clergé et par
le peuple de Metz de conserver pour lui-même le trône épiscopal,
se laissa facilement persuader et n'attendit qu'une occasion
favorable pour se déclarer. Elle ne tarda pas à se présenter.
Henri II, en 1007, ayant assigné, à la mense épiscopale de
l'évêché de Bamberg nouvellement créé, les principales terres
qu'il avait données pour douaire à la reine Cunégonde son
épouse, les quatre frères de celle-ci, Frédéric, Henri, Thierry
et Adalbéron, héritiers éventuels de ces terres, se liguèrent
ensemble contre le roi leur beau-frère (33).
Adalbéron, prévôt de Saint-Paulin, à Trèves, profita de cette
circonstance pour s'emparer du siège épiscopal de cette ville, à
la mort de Ludolphe, arrivée sur la fin de 1007. Thierry
l'imita, se fit déclarer évêque de Metz et chassa de la ville le
jeune Adalbéron, fils du duc Thierry de Haute-Lorraine, qui lui
avait été confié (34).
Henri II, informé de cette usurpation, s'avança vers Metz dans
le dessein d'en former le siège. Thierry, de son côté, se
disposa à la résistance et, pour se procurer du secours, engagea
diverses terres de son évêché. Le siège fut long et meurtrier.
Enfin, la ville se trouvant réduite aux dernières extrémités, et
le jeune Adalbéron étant venu à mourir dans l'intervalle, on fit
un accommodement en vertu duquel Thierry demeura en possession
de l'évêché de Metz (35).
Mais cet accord ne mit pas fin aux hostilités. La lutte
continuait pour la possession de l'archevêché de Trèves, où
Henri II avait fait nommer Megingaud, prévôt de l'église de
Mayence. Trèves connut à son tour les horreurs d'un siège qui
dura trois mois. Une capitulation, qui permit aux partisans
d'Adalbéron de se retirer et confirma Megingaud sur le siège
archiépiscopal, ne termina toutefois pas la lutte. Adalbéron
continua à porter le titre d'archevêque et empêcha Megingaud
d'en exercer les fonctions (36).
Les hostilités se poursuivirent entre l'armée de l'empereur
Henri II et celle des quatre frères de la maison de Luxembourg,
commandée par Gérard Ier d'Alsace, comte de Metz, leur
beau-frère, qui s'était joint à eux et qui, dans une bataille
livrée en 1017, perdit son fils unique (37).
Cette guerre, après une durée de douze années, ne se termina
qu'en 1019. A cette date, Henri, duc de Bavière, fit la paix
avec l'empereur, qui lui rendit son duché. Adalbéron, sur les
prières de l'archevêque Poppon, fut renvoyé à la prévôté de
Saint-Paulin où il vécut en paix et s'y comporta avec sagesse
jusqu'à sa mort. Quant à Thierry, évêque de Metz, son biographe
déclare « qu'il gouverna désormais avec gloire et remplit si
bien les fonctions de sa charge qu'on peut dire qu'il était
encore plus grand prélat que brave capitaine et plus capable de
conduire des âmes à Dieu que des soldats à la guerre ». Il
signala son épiscopat par la construction de la cathédrale de
Metz dont il jeta, dès l'an 1014, les premiers fondements; la
mort le surprit, en 1046, dans l'exécution de ce projet qui ne
fut entièrement réalisé qu'en 1381 (38).
Nous avons vu qu'outre Cunégonde, qui épousa l'empereur Henri
II, le comte Sigefroy II avait une fille du nom d'Eve, mariée au
comte Gérard Ier, de la famille d'Alsace. Celui-ci, en l'an
1000, est qualifié voué de l'abbaye de Senones et il habitait
alors le château de Turquestein. En 1005, il apparaît
soudainement comme comte de Metz, nommé sans nul doute à cette
charge par son beau-frère Thierry qui, précisément en cette
année, prenait, comme administrateur, possession de l'évêché de
Metz. Suivant le témoignage du chroniqueur, Herman Contract,
II se joignit avec Henri, duc de Bavière, Thierry, évêque de
Metz, et Frédéric, comte, en la rébellion qu'ils firent contre
l'empereur Henri, pour la cause d'Adalbéron de Luxembourg, leur
frère (39).
L'appui que Gérard Ier pouvait prêter à ses beaux-frères était
d'autant plus efficace que lui et son frère Adalbert, qui lui
succéda en 1020 dans le comté ou haute vouerie de l'évêché de
Metz, dominaient dans la plupart des pays voisins. On peut se
faire une idée de la puissance de cette famille dans ces
contrées en songeant que ses vastes possessions ne suffirent pas
seulement à fonder la maison ducale de Lorraine, mais qu'il en
resta suffisamment pour former plus tard la seigneurie de Bitche
et le comté de Vaudémont.
Nous avons vu que le comte Gérard Ier, qui dans la bataille
livrée en 1017 commandait les troupes alliées contre Godefroy
II, duc de Basse-Lorraine, perdit son fils unique Sigefroy.
Aussi, lorsqu'il mourut, en 1020, le comté de Metz passa à son
frère Adalbert Ier, le fondateur, avec sa femme Judith, de
l'abbaye de Bouzonville (40). Adalbert Ier et Judith laissèrent
deux fils : Gérard II, qui épousa Gisèle, fille de Gérard Ier,
sa cousine germaine, et Adalbert II, le premier duc de Lorraine
de la maison d'Alsace (41).
Rappelons encore que l'évêque Thierry II eut pour successeur
immédiat sur le siège de Metz son neveu Adalbéron, fils de son
frère Frédéric Ier de Luxembourg. Il avait étudié avec son
cousin Brunon, fils de Hugues, comte de Dagsbourg, devenu évêque
de Toul, puis pape sous le nom de Léon IX. Adalbéron III occupa
le siège épiscopal de Metz de 1046 à 1072. Frère de Gislebert,
comte de Salm et de Luxembourg, il était donc l'oncle de Hermann
Ier, fondateur de la maison de Salm.
CHATEAU DE LANGENSTEIN. - Le titre de comte de Langenstein (42),
que nous rencontrons au début de l'histoire des comtes de Salm,
présentant un intérêt exceptionnel, j'ai dû me livrer à son
sujet à des recherches que je vais essayer de résumer
brièvement.
Comme le château de Turquestein, situé à proximité de celui de
Langenstein, était, au début du XIe siècle, en la possession de
la maison d'Alsace, j'ai été amené à me demander si le nom
Adelbertus de Longuicastro, donné à Adalbert nommé duc de
Haute-Lorraine, en 1047, et assassiné en 1048, ne se
rapporterait pas au château de Langenstein. Les auteurs n'étant
pas tous d'accord sur l'origine d'Adalbert, j'ai dû tout d'abord
étudier cette question.
Je ne mentionnerai que pour mémoire l'opinion de Louis de
Chantereau Le Febvre (43), qui incline à voir, dans Adalbert, le
fils d'Albert Ier de Namur. Cet auteur du XVIIe siècle, qui
exprime le regret que les chroniqueurs contemporains n'aient pas
désigné plus clairement le nouveau duc, n'aurait certainement
pas admis cette origine s'il avait connu le passage de
l'Histoire des évêques de Verdun (44), où Laurent de Liége
appelle Adalbert : nobilissimum Albertum de Longuicastro.
Voici tout d'abord comment Wassebourg (45), au XVIe siècle,
interprète les textes des ouvrages manuscrits et imprimés
rapportés par lui et relatifs à ce duc de Haute-Lorraine:
... Toutesfois l'empereur ne voulut accorder la demande dudit
Godefroy (le Breux) ains la refusa et bailla dès l'heure à un
sien neveu, homme noble nommé Albertas d'Alsatie, autrement
Adalbertus, qui estoit duc de Longui-castro, alias de
Long-Castre, frère germain de Gerardus d'Alsatie, comte de
Castinach, deuxième du nom. Ce que confirme Laurentius Leodien.,
vers l'addition qu'il a fait en l'histoire de Bertharius.
Et l'auteur de La Véritable origine des très illustres maisons
d'Alsace, etc. (46) ajoute:
Ce sera donc ce Albert, mary de Jutte qui l'an 1048 fut tué par
Godefroy le Bossu (sic) et qui le premier de la maison d'Alsace,
porta le tiltre de duc de Lorraine.
En effet, Adalbert, nommé duc de Haute-Lorraine en 1047 et tué
par Godefroy le Barbu en 1048, est bien le frère puîné de Gérard
II, comte de Metz, mort en 1046, tous deux fils d'Adalbert Ier,
comte de Metz, et de Judith, les fondateurs de l'abbaye de
Bouzonville (47). Il était, non pas neveu, mais cousin du roi
Henri III, le terme nepos dans les documents latins de l'époque
étant d'ailleurs employé indifféremment pour l'un et l'autre de
ces degrés de parenté. L'auteur de la Véritable origine, etc.
(48), nomme son épouse Jutte, sans autre indication, et il leur
attribue un fils, Gérard, mort sans postérité, et une fille,
Mathilde, héritière de son frère, laquelle épousa Folmar et lui
apporta le comté de Metz et Homberg.
En faisant suivre le nom d'Adalbert de celui de Longuicastro,
Laurent de Liége a posé un problème qui n'a pas encore reçu une
solution satisfaisante.
M. Vandenkindere (49), s'appuyant sur le texte de cet auteur,
attribue à Adalbert la possession du comté de Longwy, faisant
ainsi de lui un héritier de Liétard qui est appelé comte de
Longwy, de Mercy et de Cutry (Letardus comes de Langui (50), de
Marceis in pago Waprensi in comitatu de Custerei predium
Bailodiwa) (51). Cette maison s'éteignit vers 1040 par la mort
de Manegaud, fils dudit comte Liétard. Le comté de Longwy, dit
M. Vandenkindere, passa alors à une branche collatérale qu'il
suppose être celle des comtes de Metz. Et cette supposition,
remarquons-le, repose sur l'unique passage du texte de Laurent
de Liége désignant le nouveau duc de Haute-Lorraine sous le nom
d'Adalbert de Longuicastro.
Pour justifier son système, M. Vandenkindere est obligé
d'admettre tout d'abord l'opinion fort problématique, émise sans
preuve par Albéric, que la femme de Conrad Ier, comte de
Luxembourg, était Ermesinde, comtesse de Longwy et de Castres,
puis de considérer celle-ci comme fille et héritière du duc
Adalbert. Or, deux chartes, datées l'une de l'an 1080, et
l'autre de 1083, de même que l'épitaphe de Conrad Ier donnent à
ce dernier pour épouse Clémence, qu'un acte de l'archevêque
Meginard, de Trèves, dénomme plus explicitement Clémence de
Gleiberg (52). M. Vandenkindere est ainsi amené à une nouvelle
hypothèse d'après laquelle Conrad Ier se serait marié deux fois
et que d'une première épouse, Ermesinde, fille du duc Adalbert,
il n'aurait pas eu de fils, ce qui expliquerait que « le comté
de Longwy revint à Mathilde, l'une des filles de Conrad Ier, qui
épousa le comte Godefroy II de Castres et lui apporta Je comté
de Longwy ».
On estimera que ce sont là beaucoup d'hypothèses pour un terme
dont l'interprétation est d'ailleurs bien incertaine. Il est bon
d'observer que la dénomination Longuicastro ne figure que dans
l'histoire en langue latine de Laurent de Liége; on peut dès
lors admettre qu'il s'agit de la latinisation d'un nom de
localité qui, suivant les règles étymologiques, devrait se
traduire par Long ou Langcastre, Longchâtel ou Longchâteau, et
non par Longwy dont l'étymologie bien connue est Longus vicus.
Nous venons d'ailleurs de voir le chroniqueur Albéric employer à
cette époque les termes Comes de Langui.
Or, nous ne connaissons dans la région aucune localité répondant
à la dénomination Longuicastro; mais nous y trouvons le nom de
Langenstein appliqué à un château qui, au commencement du XIIe
siècle, est entre les mains d'Agnès de Montbéliard et de l'un de
ses fils, Conrad, comte de Langenstein. Laurent de Liége a-t-il
traduit ce nom de Langenstein par Longuiccatro ? Ce n'est pas
plus extraordinaire que d'y voir la latinisation de Longwy.
L'historien roman, au lieu de traduire stein par petra, a pu
remplacer ce suffixe par le terme castro qui donne mieux l'idée
d'une résidence de puissant seigneur féodal. C'est d'autant plus
admissible que ce nom de Langenstein, évidemment opposé aux
tendances de plus en plus romanes de la maison d'Alsace, ne
tardera pas à disparaître sous la dénomination de Pierre-Percée.
Ce changement eut lieu entre l'année 1124, où nous rencontrons
pour la première fois le comte Conrad de Langenstein, et le 6
janvier 1127 (v. st.), où le même seigneur est qualifié comes de
Petra-Perceia (53).
En proposant enfin de traduire Longuicastro par Langenstein et
non par Longwy, nous éviterons l'échafaudage bien fragile
construit par M. Vanderkindere. De plus, et cette considération
a sa valeur, nous sommes au château de Langenstein, au centre
d'influence de la maison d'Alsace qui, au XIe siècle, possédait
sûrement le château de Turquestein, situé seulement à 16
kilomètres, à vol d'oiseau, du château de Langenstein.
Un passage de Wassebourg, que je n'ai découvert qu'après la
rédaction de ce qui précède, est d'ailleurs absolument favorable
à ma thèse. Le voici:
Cestuy Albert estait duc de Longcastre deuxième, qui est un
duché situé en Alsace tirant vers Strasbourg assez près d'une
comté appellé Castinach (54).
Si le titre de duc se justifie à l'égard d'Albert, nommé au
gouvernement de la Haute-Lorraine, celui de duché attribué à
Longcastre est évidemment impropre, même en l'appliquant à
Langenstein, qualifié seulement de comté au siècle suivant. Mais
il est remarquable que, d'après Wassebourg, ce duché ou comté de
Longcastre est situé en Alsace, entre Strasbourg et le comté de
Castinach, autrement dit Châtenois, un autre des domaines de la
famille d'Alsace. N'est-ce pas là précisément la situation de
Langenstein ou Pierre-Percée ?
ABBAYE DE SENONES.- La fondation de l'abbaye de Senones, par
saint Gondebert, est généralement fixée vers le milieu du VIIe
siècle; le premier document qui en fait mention est un diplôme
d'immunité du roi Childéric II, non daté, mais attribué à l'an
661. Il n'est malheureusement connu que par une copie insérée
dans le cartulaire de Senones déposé aux Archives des Vosges. M.
Thouvenot, qui a étudié cette question d'une manière très
approfondie, déclare qu'il convient de faire toutes réserves sur
l'authenticité de ce diplôme, dont on n'a pu retrouver
l'original; il estime qu'il est écrit dans un trop bon latin
pour appartenir au VIIe siècle. Le texte se trouve, dans la
suite, reproduit ou simplement cité dans les bulles et dans les
confirmations servant de base aux privilèges reconnus à l'abbaye
par les papes et les empereurs. M. Thouvenot arrive à cette
conclusion que le diplôme a été fait de toutes pièces bien après
661, peut-être même quelques années seulement avant 949, pour
permettre à l'abbaye d'obtenir d'Othon Ier le titre, qui porte
cette date, toujours qualifié par elle de confirmation, tandis
qu'il aurait été le premier acte authentique consacrant ses
droits (55).
Le texte de la charte d'immunité ayant été donné par M.
Thouvenot (56), je me contenterai d'y renvoyer le lecteur. Je
rappellerai seulement que ce diplôme de Childéric II, acte très
ordinaire de l'administration mérovingienne (57), fixe les
limites du territoire auquel s'appliquait l'immunité; mais il
serait inutile, dit l'auteur précité, de rechercher sur les
cartes les noms de lieux cités. Il faut recourir, pour en
découvrir le sens, à une charte, datée du 22 décembre 1328, où
figurent les limites du ban de l'abbaye de Senones, d'après un
titre publié « à une époque plus reculée », par conséquent
antérieur au XIVe siècle. M. Jouve (58), qui a étudié la
question d'une manière approfondie, a trouvé, au moyen de»
lieuxdits, que le ban de Senones avait, dès 661, des limites
sensiblement analogues à celles de la principauté de Salm en
1793. Seule la frontière du nord-ouest différait : au lieu
d'être la Plaine, c'était une ligne longeant le ruisseau de
Ravines et gagnant le Donon par la ligne de partage des eaux du
Rabodeau et de la Plaine (59).
L'immunité, accordée à Gondebert pour le monastère construit par
lui (quod a novo sedificavit), devait s'appliquer tant aux
possessions présentes que futures : in presente possidere vel
poterit adquirere, et il devait en jouir en toute liberté et
dans toute leur intégrité, liberrima sibi illibataque permaneant.
M. Thouvenot s'est demandé s'il fallait conclure de ces termes
liberrima illibataque que l'abbaye de Senones était une abbaye
libre et pouvait être classée parmi les monastères de cette
sorte qui, d'après Dom Calmet, dépendaient immédiatement du
Saint-Siège (60). Il admet cependant qu'elle était abbaye royale
avant la donation de Charlemagne à l'évêque de Metz, vers 770
(61). Le texte même du diplôme d'immunité, analogue à celui de
tous les documents de l'espèce émanant des rois mérovingiens, no
laisse aucun doute à cet égard.
Childéric II fait défense de soumettre le monastère à une
juridiction extérieure : ut nullus penitus judicium,
prsesumptione sua vel cujuslibet hominis licentia, praefatum
monasterium absque voluntate ipsorum servorum Dei, in alterius
hominis jus vel dominium audeat vertere, vel sibimet usurpare.
Il l'affranchit de la juridiction des tribunaux ordinaires et
interdit l'accès du territoire de l'immunité à tout juge public
pour y tenir des plaids : nulla unquam judiciaria potestas, in
pressens, nec succidua, ad causas audiendum aut aliquid
exigendum prsesumat ingredi, sed sub immunitatis privilegio.
Enfin, le roi fait remise et abandon au monastère de tout ce que
le fisc avait coutume ou pouvait espérer de lever sur leurs
hommes, serviteurs et habitants ruraux ou de quelque part que ce
soit : hoc ipsum monasterium vel congregatio sua sibimet et
extra omnes fiscos debeant possidere, et quidquid inde fiscus
noster forsitan, aut ex eorum hominibus, aut ex illorum
servitoribus, vel in eorum agris manentibus, vel undecumque
poterat sperare, aut solebat suscipere, ex indulgentia nostra,
penitus ipsi sancto loco ad stipendia Deo ibidem servientium
remittimus et in Dei nomine concedimus.
La concession de cette immunité, faite en faveur de l'abbé, ne
dispensait les hommes du domaine de l'abbaye ni d'être jugés, ni
de payer des impôts, ni de servir comme soldats ; toutes les
charges de la population subsistaient. Le seul changement est
que le droit de justice, la perception des impôts, la levée des
soldats, au lieu d'appartenir aux agents du roi, appartenaient
au propriétaire; autrement dit, ce que les classes inférieures
avaient d'obligations envers l'agent royal était transporté au
propriétaire, qui était l'abbé. Dès lors, l'abbé avait ses
indices, qu'il choisissait lui-même et à qui il déléguait son
autorité judiciaire.
Il eut désormais son judex privatus, qui remplaça le judex
publicus. Au fonctionnaire du roi se substitua le fonctionnaire
ou l'agent de l'abbé. Celui-ci était devenu ainsi un maître
absolu sur ses domaines. Vis-à-vis des hommes libres ou serfs «
qui sont manants sur ses terres », il n'est plus seulement un
propriétaire, il est le seul chef et le seul juge, comme le seul
protecteur. Il est vrai qu'à l'égard du roi, il restait un sujet
ou plus exactement un fidèle (62).
Voilà la situation de l'abbé jusque vers 775, époque de la
donation de Charlemagne, qui fit de l'abbaye de Senones une
annexe du temporel de l'évêché de Metz.
Sous le nouveau régime, le privilège d'immunité subsista;
toutefois, le véritable propriétaire, le maître absolu, n'est
plus l'abbé de Senones, mais l'évêque de Metz. L'abbé devint le
feudataire qui, à chaque changement de titulaire, recevait la
partie des domaines de l'abbaye situés en pays messin et confiée
à son administration, comme un fief pour lequel il devait foi et
hommage à l'évêque suzerain. Cette donation entraîna donc un
changement profond dans la situation du monastère qui, d'abbaye
royale jouissant de l'immunité, devint abbaye épiscopale.
Aussi voyons-nous Richer se faire l'écho des regrets et des
résistances manifestés par les moines, tout en avouant que la
privation de ce qu'ils considéraient comme un honneur n'allait
pas sans quelques avantages matériels très appréciables. Voici
comment s'exprime l'auteur de la chronique de Senones:
Les moines, fort dépités d'être privés d'un tel honneur, ou
fardeau pour mieux dire, ne considéraient point que les autres
églises voisines étaient journellement foulées, notamment par
l'obligation de fournir à l'empire des hommes d'armes à leurs
frais, ou accablées d'autres charges plus ruineuses encore de la
part des ennemis qui les ravageaient, sans que les empereurs,
souvent éloignés, fussent en état de les secourir; car, si les
monastères de ces quartiers étaient demeurés royaux, il n'y
serait pas resté pierre sur pierre, par suite de la difficulté
d'aller demander le secours des empereurs, qui ne pouvaient par
eux-mêmes défendre leurs vassaux; les évêques, au contraire,
étant plus à portée, pouvaient, en moins de deux ou trois jours,
recevoir les plaintes des religieux et porter remède à leurs
maux (63).
AVOUERIE DE L'ABBAYE DE SENONES. - L'inconvénient le plus grave
peut-être de ce nouveau régime, ce fut l'institution du voué
désormais relevant directement de l'évêque de Metz.
L'advocatus, ou voué comme on l'appela plus tard, n'apparaît,
sous les Mérovingiens, que comme le représentant en justice de
l'évêque ou de l'abbé dans une affaire déterminée. La
législation carolingienne élargit considérablement son rôle. Le
voué est alors considéré surtout comme l'officier de l'immunité
ecclésiastique. Il conserva sans doute son caractère de
représentant judiciaire de l'évêque ou de l'abbé; mais il y
joindra d'autres qualités, notamment il exercera la police sur
le territoire dont l'accès est interdit au juge public, et même
les droits de juridiction. Ces droits appartenaient
exclusivement au propriétaire du domaine; aussi, dans l'exercice
de la justice au dedans de l'immunité, le voué n'est-il que le
représentant de l'évêque ou de l'abbé immuniste.
Plus tard, à l'époque féodale, le besoin de protection, qui se
faisait partout sentir, fit dévier l'institution de l'avouerie
mérovingienne et carolingienne. La mission du voué consiste
surtout à assurer une protection efficace à l'établissement
ecclésiastique. Aussi choisit-on alors de préférence des
personnages influents et l'on vit des ducs, des comtes et des
seigneurs puissants devenir les voués des évêchés ou des
abbayes.
A cette fonction essentielle de protecteur du monastère, le voué
joint parfois quelques autres attributions, seules survivances
des fonctions remplies jadis par l'avoué carolingien. Il rend la
justice, dans certains cas soigneusement déterminés à l'avance
par les chartes. Il exerce la police sur le territoire
monastique, mais seulement, semble-t-il, lorsqu'il s'agit de
police générale. Mais ces deux fonctions, qui embrassaient à peu
près toute l'activité de l'avoué carolingien, ne sont plus
considérées par le voué féodal que comme lui fournissant des
droits à la perception d'amendes et de revenus élevés. Le voué
est en outre chargé de l'exécution des sentences entraînant
effusion du sang (64).
Ainsi, rendre la justice, ou plutôt y présider, est devenu pour
le voué le moyen d'arriver à la perception des droits, et il ne
cherchera même plus à exercer effectivement la juridiction, dès
que ces droits lui seront en tout cas assurés (65).
Dès le XIe siècle, les voués deviennent les pires ennemis des
monastères qu'ils étaient chargés de défendre. Leur principale
tentative consista à étendre abusivement les droits mêmes qui
leur étaient reconnus. D'élective et révocable qu'était leur
charge, les voués la rendirent irrévocable et héréditaire, en
procédant, à l'instar des fonctionnaires royaux, à un
empiétement constant malgré la résistance des abbés et des
moines (66). Dès le XIIe siècle, l'hérédité de l'avouerie est,
sauf de rares exceptions, presque partout reconnue.
L'auteur des Gesta Senoniensis ecclesisae fait remonter
l'institution d'un advocatus à l'époque de la donation de
l'abbaye de Senones à l'évêque Angelram. Mais il est probable
que des advocati, dont les noms ne nous sont point parvenus, ont
été investis de cette fonction plus anciennement, soit par les
rois mérovingiens eux-mêmes, soit par les abbés placés à la tête
de l'abbaye alors royale.
La transformation de l'abbaye royale de Senones en abbaye
épiscopale résulte du célèbre praeceptum de Charlemagne, daté de
l'an 775 (67), obtenu par Angelram, évêque de Metz et chancelier
du roi, lequel, vers 768, l'avait nommé abbé de ce monastère. Un
diplôme rendu le 8 décembre 825 par Louis le Pieux et Lothaire
Ier, en faveur de l'abbé Ricbodon, dit formellement que le
monastère de Senones dépendait de l'évêché de Metz. M. R.
Parisot (68), qui a fait connaître ce diplôme, dit qu'il est
possible que le passage où cette dépendance est affirmée soit
une interpolation postérieure; il se base, pour émettre cette
idée, sur le fait que Senones figure, dans le traité de Meersen
(870), parmi les abbayes attribuées à Charles le Chauve, ce qui
semble indiquer, ajoute-t-il, qu'à ce moment elle n'était plus
soumise à l'évêque de Metz. En admettant que seules les abbayes
royales soient mentionnées dans le traité de partage, on peut
supposer aussi que l'abbaye épiscopale de Senones y figure soit
pour un motif ignoré, soit par erreur. Autrement, il faudrait
admettre une nouvelle donation royale, puisque l'incorporation
de l'abbaye de Senones dans le temporel de l'évêché de Metz est
un fait indéniable dès le début du XIe siècle.
Les premiers renseignements sur les voués de l'abbaye de Senones
nous sont fournis par le moine Richer, qui s'exprime ainsi:
Angelram, trop absorbé par ses grands travaux, ne pouvant
défendre lui-même le monastère, le pourvut d'un advocatus. Cet
advocatus, dont l'institution appartient à l'évêque de Metz,
recevait le tiers des amendes adjugées aux plaids où il serait
appelé par l'abbé, et ne devait exiger davantage. Il fut
conféré, audit advocatus, une partie de la terre, vulgairement
appelée apud Abaium, encore possédée de son temps, dit Richer,
par les héritiers de Salm. Et, ajoute-t-il, l'advocatus devait
se contenter de cette terre, sans prétendre aucun droit sur les
hommes, les terres, ban, eaux, forêts, plaids, justices et
dépendances du monastère (69).
Il s'agit évidemment ici de ce que l'on appelle un fief
d'avouerie constitué, en faveur du voué en récompense de ses
services.
Il n'est pas trace, dit M. F. Senn, que l'avouerie ait jamais
été gratuite. L'advocatus carolingien recevait probablement
certaines terres de l'immunité ecclésiastique, soit en
propriété, soit bien plutôt en précaire.
On rencontre même, dans les sources carolingiennes (70), le mot
beneficium qui, dans un sens restreint, s'appliquant sans doute
à notre hypothèse, désigne, sous les Carolingiens, une terre
concédée gratuitement et à titre viager. Dans les chartes de
l'époque féodale, le terme beneficium, bientôt supplanté par
celui de feudum, se trouve pour désigner la terre concédée par
le monastère à l'avoué en rémunération de ses services (71).
Comme tout fief, le fief d'avouerie fut, à l'origine, dans sa
forme première, une tenure strictement attachée à la personne de
l'avoué, c'est-à-dire viagère et inaliénable. Mais, comme tous
les autres fiefs dans les temps postérieurs, le fief d'avouerie
devint promptement héréditaire et librement aliénable (72).
En attribuant la possession de ce fief d'avouerie aux héritiers
de Salm, Richer donne une première preuve de son hostilité à
l'égard de la maison de Salm. Il n'ignorait pas que la vouerie
de Senones, au XIe siècle, était entre les mains des seigneurs
de Turquestein, de la maison d'Alsace, et que les comtes de Salm
n'étaient investis de cette charge que depuis le début du XIIe
siècle. Ils ne pouvaient donc pas avoir reçu de l'évêque
Angelram, ou de ses successeurs, la terre apud Abaium.
Devant l'impossibilité d'en attribuer la possession aux comtes
de Salm, l'auteur de la chronique de Senones voit dans les
possesseurs contemporains tout simplement des héritiers : « Si
ce n'est toi, c'est donc quelqu'un des tiens. »
Dom Calmet a émis l'idée que la dénomination Abaium pourrait
s'appliquer à Bayon. Ce n'était, de sa part, qu'une hypothèse,
que les auteurs postérieurs et, en dernier lieu, M. Thouvenot,
ont eu tort d'admettre, sans hésitation, comme un fait démontré.
La seigneurie de Bayon, du temps de Richer, paraît avoir été en
possession de Henri le Lombard, un des fils de Ferry de Bitche,
père du duc de Lorraine Ferry II. S'il en était réellement
ainsi, l'hypothèse de Dom Calmet trouverait un appui dans ce
fait que les ducs de Lorraine auront hérité cette seigneurie de
leur ancêtre Gérard Ier, dit d'Alsace, qui lui-même était
l'héritier des seigneurs de Turquestein, premiers voués de
l'abbaye de Senones.
Il ressortirait de cette constatation que, si un fief d'avouerie
dénommé apud Abaium a été constitué dans le principe en faveur
du voué de l'abbaye de Senones, ce n'est pas la maison de Salm
qui en a profité. Richer lui-même aura peut-être fini par s'en
apercevoir, car plus tard, dans un autre chapitre, il fait état
d'un autre grief qui ne paraît pas mieux fondé. Il prétend que
l'abbaye de Senones donna au voué de la maison de Salm le haut
château de Deneuvre, avec les familles de serfs et les maisons
et dépendances, qui furent distraits de la mense des religieux
de Senones et cédés au seigneur avoué afin qu'il n'étendît ses
mains à autres choses (73). Cette fois, c'est Dom Calmet
lui-même qui déclare:
Cela ne me paraît pas fort probable, surtout pour le château de
Deneuvre, qui a toujours dépendu de l'évêque de Metz. Il est
certain, ajoute-t-il, que les anciens titres de l'abbaye parlent
toujours du fixe accordé à l'avoué pour son honoraire, mais ils
ne spécifient pas quel il était (74).
Influencé par ces diverses affirmations de Richer, M. Thouvenot
en est venu jusqu'à imputer aux comtes de Salm de s'être
attribué, au détriment de l'abbaye de Senones, leur propre alleu
de Pierre-Percée. Dom Calmet, invoqué dans la circonstance,
était trop au courant des anciens droits de son abbaye, pour
avoir jamais émis pareille idée (75).
Comment les difficultés, les contestations, les conflits
auraient-ils pu être évités en présence d'une situation aussi
compliquée que celle résultant de t'administration d'un grand
domaine par un abbé vassal du temporel de l'évêché de Metz et un
voué héréditaire représentant direct de l'évêque suzerain et du
roi ?
La thèse de M. Thouvenot est loin d'avoir éclairci cette
question. En déclarant d'abord que les premiers voués de Senones
ont été nommés par les évoques de Metz (76), il ne tient pas
compte de la première période, celle où le monastère était
abbaye royale et où la nomination du voué appartenait au roi ou
à l'abbé.
Après cette première inexactitude, l'auteur émet l'idée
singulière qu'Angelram pourrait être considéré comme ayant été
le premier avoué de l'abbaye: Charlemagne, dit-il, voyant le
monastère de Senones sans défense, aurait songé à lui trouver un
protecteur, et il aurait choisi le puissant évêque de Metz, dont
la situation ecclésiastique lui permettait en même temps d'en
être l'abbé. Et ce ne serait que lorsque de nouvelles fonctions
éloignèrent Angelram des Vosges qu'il se serait vu dans
l'obligation de trouver un seigneur assez fort pour défendre les
intérêts de son ancienne abbaye. De ces prémisses, M. Thouvenot
tire ensuite cette conclusion, qu'il ne peut voir dans le voué
Qu'un officier de l'abbaye, chargé de fonctions spéciales, et
n'ayant aucune suprématie et aucune influence sur les autres
officiera de l'abbé. Il n'est pas un rouage du pouvoir central,
il est particulièrement chargé de rendre la justice sur le
territoire de l'immunité au nom de l'abbé (77).
Ce n'est pas seulement le voué dont le rôle est rabaissé à celui
de simple officier de l'abbaye, sans autorité, mais celui de
l'évêque de Metz lui-même est singulièrement amoindri, puisqu'il
lui
Semble n'avoir conservé que le droit de nomination des avoués et
que les abbés ne lui devaient que les foi et hommage comme à
tout seigneur suzerain.
On est surpris, après cela, de trouver cette constatation:
Cependant, ils (les évêques de Metz) continuaient à s'intéresser
aux destinées de l'abbaye (78).
M. Thouvenot a été évidemment influencé par le plaidoyer de
Richer s'efforçant de contester les droits du voué, de réduire
ceux de l'évêque de Metz à une autorité purement nominale et,
par contre, d'exagérer les attributions de l'abbé. Ces tendances
se manifestent clairement dans les passages suivants de la
chronique de Senones: Quiconque est abbé de ce lieu de Senones a
puissance et autorité d'établir des fermiers, doyens,
forestiers, échevins, et tous ces officiers, tant dudit
monastère que des églises de Saint-Maurice, de
Saint-Jean-de-Palme, .de Vipodicelle, il les peut instituer et
destituer sans y appeler l'advocatus.
Les autorités, tant spirituelles que temporelles, invoquées dans
cet autre passage, relèguent au dernier plan le véritable maître
ou seigneur temporel de l'abbaye qu'est l'évêque de Metz:
... Lesquels privilèges et autorités ont été accordés par les
apôtres, empereurs, évêques, ducs, comtes et autres grands et
puissants seigneurs, qui ont mis la main à fonder et doter ce
monastère. De façon que ceux qui se trouvent avoir enfreint ces
privilèges, ont été jugés dignes de punition divine, excommuniés
par l'archevêque et déclarés tels par quatre évêques
apostoliques.
Richer se garde bien de faire remarquer que ces privilèges
accordés par le roi Childéric II, c'est l'évêque de Metz qui en
est bénéficiaire en sa qualité de seigneur suzerain de l'abbaye,
non plus royale, mais épiscopale. Il avoue cependant,
incidemment, que l'abbé de Senones a perdu la jouissance de ces
privilèges par la faute d'un abbé qui sans doute n'avait pas
voulu revendiquer pour lui des droits qui, en réalité,
appartenaient à l'évêché de Metz:
... Laquelle église (de Senones) a joui de tels privilèges
jusqu'au temps où fut abbé un certain Adelard (79), aussi peu
docte que prudent et discret, mais plutôt dissipateur du bien de
l'abbaye (80).
Ainsi Richer revendique, pour l'abbé seul, le bénéfice du
privilège d'immunité, sans tenir compte de ce fait capital
qu'après la donation de Charlemagne c'est l'évêque et non plus
l'abbé qui en était investi et pouvait le faire valoir sur la
partie du territoire de l'abbaye relevant du temporel de
l'évêché de Metz.
Pour les domaines de l'abbaye situés en dehors de ce territoire,
c'est l'abbé et les religieux qui nommaient les voués et c'est
ainsi que, en 1105, apparaît, comme voué de Senones, Gobert de
Tincry, très probablement préposé à la défense d'un domaine
extérieur de l'abbaye.
Pour rémunération de ses services, le voué de l'abbaye de
Senones n'aurait eu droit, si l'on en croyait Richer, qu'au
tiers des amendes adjugées dans les plaids où il serait appelé
par l'abbé, et il devait, ajoute-t-il, se contenter de la terre
apud Abaium, conférée à l'advocatus primitif et dont les voués
des XIIe et XIIIe siècles n'ont jamais été en possession.
Ceux-ci, dans ces conditions, auraient donc été réduits à
exercer leur charge d'une manière à peu près gratuite! Or, nous
savons que les émoluments des voués d'abbayes de nos régions
étaient généralement fixés comme suit : le tiers de toutes les
amendes imposées dans le ressort de la vouerie, une redevance
annuelle sur toutes les manses, des droits de gîte chez les
sujets et d'aubaine sur les étrangers (81).
Quelques documents relatifs à l'abbaye de Senones nous
permettent heureusement de nous faire une idée, plus
vraisemblable que celle émise systématiquement par Richer, sur
les droits attribués au voué de cette abbaye au XIIe siècle.
C'est ainsi qu'un acte de l'an 1123, portant confirmation des
biens de l'abbaye de Senones par le pape Calixte II, rappelle
que l'advocatus établi par l'évêque de Metz doit se contenter du
bénéfice dont il jouit; il ne lui est pas permis d'extorquer aux
ruraux du monastère ce qui n'était pas dû; l'abbé est invité à
ne pas surcharger le monastère lui-même, ou ses ruraux, de
droits de gîte et, à cet effet, à ne pas multiplier les plaids
et les vacations judiciaires (82). A côté du bénéfice, dont il
jouit comme vassal de l'évêque, le voué possédait donc aussi le
droit de gîte.
Cette bulle du pape Calixte II est suivie, deux ans après, en
1125, d'une charte par laquelle l'évêque Etienne, de Metz, à la
demande de l'abbé Antoine, décharge le monastère de certains
services ou certaines redevances et reconnaît que ce n'est pas
l'abbaye, mais le ban de Senones pour les deux tiers et les bans
de Vipucelle et de Plaine, pour l'autre tiers, qui avaient la
charge de ces servitudes (83).
Un fait se dégage de ces différentes constatations: c'est la
distinction établie par l'évêque suzerain entre le monastère
proprement dit et les bans des localités formant avec lui
l'ensemble de l'abbaye de Senones.
Le monastère, dans un circuit déterminé, avec ses officiers, ses
ouvriers et ses ruraux, aura joui d'une certaine immunité ou
exemption, alors que le reste du territoire formait le
beneficium constitué par l'évêque au profit du voué. C'est dans
ce sens qu'il faut, croyons-nous, interpréter la lettre
d'Adalbéron II, datée de l'an 1000, et déclarant que les
évêques, ses prédécesseurs, avaient autrefois distrait de la
prébende des religieux la plus grande partie des biens de
l'abbaye :
...considerans majorem illius abbatis e portionem a decessoribus
suis co-episcopis olim a praebenda fratrum obscissam... (84).
De même, on ne s'expliquerait pas ce passage important de la
chronique de Richer, où celui-ci déclare que, sur l'ordre du
seigneur de Salm (85), son bailli Renaud se présenta au
monastère de Senones où, ayant fait assembler tous les
religieux, il leur dit:
Monseigneur m'a envoyé pour vous faire connaître que, si vous le
désirez, il vous prendra sous sa protection contre tous autres,
et il vous invite à donner là-dessus votre avis.
Le chroniqueur ajoute que les religieux entrèrent en chapitre et
délibération; qu'en l'absence de l'abbé, ils ne purent se mettre
d'accord; qu'ils rejetèrent la proposition et, suivant
l'expression même de Richer, ils refusèrent ainsi leur bonheur,
comme la suite le leur a suffisamment prouvé (86).
Il est bien évident que, si le monastère avait fait partie du
fief d'avouerie, le comte de Salm n'aurait pas eu besoin de
demander le consentement des religieux pour étendre son droit de
voué protecteur sur le couvent.
Dans un autre passage de sa chronique, Richer rappelle un accord
intervenu, entre l'abbé Baudouin et Frédéric de Salm, d'où il
ressort que l'église de Senones devait avoir:
Deux charpentiers, un cuisinier, un acranteur (87), un
lavandier, un cordonnier, deux pêcheurs.
Ce sont les huit bons-hommes, affranchis de la juridiction du
voué, et dont il est souvent question par la suite.
Richer blâme fort cette transaction destinée à fixer les droits
du monastère. Il déclare qu'elle a été faite hors sa présence et
qu'il n'aurait voulu y assister. Il est étonnant, ajoute-t-il,
que l'abbé et le couvent n'aient pas réfléchi que l'église de
Senones appartenait à l'évêché de Metz, que l'abbé était
feudataire du temporel de cet évêché, et qu'il n'aurait pas dû
conclure cet accord sans l'intervention de l'évêque (88).
Ce blâme, à l'adresse de l'abbé Baudouin, pourrait se justifier
s'il s'était agi d'autre chose que d'une transaction entre deux
feudataires du même suzerain. Or, il ne s'agissait, en somme,
que de terminer une contestation, par la fixation ou la
reconnaissance de droits antérieurs.
J'estime donc qu'au XIIe et au XIIIe siècle, la juridiction du
voué, représentant et feudataire de l'évêque de Metz, s'étendait
seulement sur le territoire de l'abbaye situé en dehors des
limites d'une portion centrale englobant les édifices du
monastère avec ses religieux, ses officiers et ses huit
bons-hommes soumis à l'autorité directe de l'abbé, autre
feudataire du temporel de l'évêché de Metz.
(à suivre)
(1) Cologne, 1866.
(2) 1895-1896, p. 281-297.
(3) Paris, 1898.
(4) M. THOUVENOT, L'Avouerie de l'Abbaye de Senones et la
principauté de Salm (661 [ ?] 1793). Thèse de doctorat en droit,
Bordeaux, 1898, p. 5-6.
(5) Documents inédits de l'Histoire des Vosges.
(6) Bulletin de la Soc. philom. vosgienne.
(7) L. JÉRÔME. L'Abbaye de Moyenmoutier. Paris, 1902.
(8) RICHER, 1. 4, ch. 22. M. G. H. ss. XXV, p. 311.
(9) Ibid., 1. 4, ch. 25; M. G. H. XXV, p. 313.
(10) Ibid., 1. 4, ch. 26; Ibid., p. 314.
(11) Ibid., 1. 4. ch. 26, p. 314.
(12) Richer. 1. 4, ch. 27, p. 315-316.
(13) Richer 1. 4, ch. 19. M. G. H. XXV, p. 308-310. L'évêque
dont il s'agit est Jacques de Lorraine.
(14) RICHER, 1. 1; ch. 24. Ibid.,p. 268.
(15) Ph. A. GRANDIDIER, OEuvres histor. inéd., Il, p. 120.
Colmar, 1865.
(16) D. CALMET, Hist. de l'Ab. de Senones, éd. Dinago, p. 11.
(17) Ibid., p. 12, 40.
(18) Ibid., p. 137, 140 et suiv.
(19) Ce récit du moine de Stavelot a été publié par J.
CHAPEAUVILLE, In gestis pontif. Tongr.; HERNINGES, Theat. geneal.
Gelen. pretiosa Hierotheca, p. 20 ej. de mir. ma;., col. 34;
BARONIUS DE MARTY, 26 maji Christ. DE GERNICHAMPS, Déclaration
chronologique concernant la vertueuse et mémorable vie de sainct
Symètre, prestre et martyr, imprimé à Liège par Léonard Streel,
imprimeur juré; A. FAHNE, Geschichte der Grafen jetzigen Fürsten
zu Salm-Reifferscheid. Cologne, 1866, 1re partie, p. 81-82.
(20) Francisco DE ROSIÈRES, Stemmatum Lotharingisc ac Barri
ducum. Tome VII, Paris, 1580.
(21) D. CALMET, Hist. de Lorraine, t. I, col. CCVII, 1re édit.,
Généalogie des comtes de Salm de Vosge selon M. Mussey, dans sa
Lorraine ancienne et nouvelle, Nancy, 1712.
(22) Jean TANNER, Histoire des héros de Sternen, imprimé à
Prague, en 1732. Cf. Gravier, Hist. de la ville épisc. de
Saint-Dié; Epinal, 1836, p. 93.
(23) Du CHESNE, Preuves de la Maison de Luxembourg. Cf. D.
Calmet, I, col. CCVIII, 1re edit.
(24) R. PARISOT, Les Origines de la Haute-Lorraine, p. 414,
Paris, 1909. Sigefroy était comte du pagus Mosellensis (in pago
Mosalgowe, in comitatu Sigilridi comitis, dans une charte de l'emp.
Otton II). Il mourut le 15 août 998.
(25) L. VANDENKINDERE, La Formation territoriale des
principautés belges au Moyen Age, t. II, p. 467. Bruxelles,
1902.
(26) J. BERTHOLET, Hist. du duché de Luxembourg et comté de
Chiny, III, p. iv.
(27) Après la mort du duc Henri II et l'élévation de Frédéric II
au duché de Basse-Lorraine, la possession principale de la
famille dans la Moselle, avec Luxembourg, revint à Gislebert. De
son frère Henri, il avait hérité les voueries de Saint-Maximin
et d'Echternach.
(28) Gerold MEYER VON KNONAU, Jahrb. des Deutschen Reiches unter
Heinrich IV, de Leipzig, 1900, I, p. 372, n. 141, p. 566, n. 32;
III, p. 44 et 419, n. 127.
(29) BERTHOLET, III, p. 35. KREUER, Geschichte des ardennisehen
Geschlechts, p. 76.
(30) Urkundenbueh de Beyer, Eltester et Goerz, I, n° 306. Cf.
Vandenkindere, II, p. 233.
(31) BERTHOLET, III, p. v.
(32) Ibid.: A. NEYEN, Biographie luxembourgeoise, II, p. 103,
Luxembourg, 1861.
(33) Chron. Carionis; Cf. BERTHOLET, III, p. 59.
(34) Ibid., p. 59.
(35) Hist. Gén. de Metz, par les Bénédictins, II, p. 113-114.
Ditmarus chron., cf. BERTHOLET, III, p. 60.
(36) Chron. vêtus. Cf. BERTHOLET, III, p. 64.
(37) BERTHOLET, III, p. 67-69. Sur cette période, consulter le
savant ouvrage de M. Rob. PARISOT, Les Origines de la
Haute-Lorraine, Paris, 1909.
(38) Bénédictins, Hist. de Metz, II, p. 113-118. La cathédrale
fut achevée en 1381, sous la direction de Pierre Pierrat, mort
le 25 juillet 1400 et enterré sous un autel au-dessous de la
sacristie, dans le collatéral du côté de la place de Chambre.
(39) Chronic. Hermanni Contracti quod edidit Canisius. Cf. Du
CHESHE, Hist. de Luxembourg, chap. 1 sur la fin.
(40) Voir la charte, datée de février 1033, dans La Véritable
origine des très illustres maisons d'Alsace, etc. Preuves, p.
97-110.
(41) Nommé duc de Haute-Lorraine en 1047, il fut tué par
Godefroy le Barbu, en 1048, et remplacé par son neveu Gérard
III, fils de Gérard II et de Gisèle. C'est Gérard III, devenu
Gérard Ier, qui est généralement considéré comme le premier duc
de Lorraine de la maison d'Alsace. En réalité il est le
deuxième.
(42) Langenstein est le nom primitif du château de
Pierre-Percée, à 5 kilomètres S.-E. de Badonviller.
(43) Considérations hist. sur la généal. de la Maison de Lorr.,
1re partie des Mémoires, p. 154 et 155. Paris, 1642.
(44) G. WAITZ, Mon. Germ., Hist. Scriptores. T. X., p. 492.
(45) WASSEBOURG, Antiquités de la Gaule Belgique, etc., Verdun,
1549.
(46) Preuves, p. 103.
(47) HERMAN-CONTRACT, Ad an. 1048: SIGEBERT DE GEMBLOURS, Et ad
an. 1048. Grande Chronique de Flandres, p. 110-111; A. WITTE, «
Genealogische Untersuchungen zur Gesch. Lothr. ». Jahrbuch,
1893, 2e partie, p. 67-69. Gérard d'HANNONCELLES, Metz ancien,
t. I.
(48) Tables généal., p. 3 et 4.
(49) La Form. terr., etc., II, p. 357-362.
(50) ALBÉRIC, Scriptores, XXIII, 782. Mercy-le-Haut, canton
d'Audun-le-Roman, arr. de Briey; Cutry, canton de Longwy, arr.
de Briey.
(51) Ibid., III, 434. Baslieux, canton de Longwy, arr. de Briey.
(52) La puissance territoriale de la maison des comtes de
Gleiberg s'étendait sur les deux rives du Rhin.
(53) D. CALMET, IV, 1recol. CCLXXXV. Je me suis servi d'une
première édition de Dom Calmet, dont les preuves ont été reliées
en un 4e volume. C'est à cette édition, sauf avis contraire, que
renvoient toutes mes notes.
(54) WASSEBOURG, Antiquités de la Gaule Belgique, etc., livre
III, p. CCXXXIII. Le terme deuxième s'explique par ce fait
qu'Adalbert était le deuxième de ce nom, étant fils d'Adalbert
et de Judith, les fondateurs de l'abbaye de Bouzonville. En
situant le duché (sic) de Longcastre en Alsace, Wassebourg n'a
fait qu'exprimer l'origine alsacienne d'Adalbert. Langenstein,
au XIe siècle, n'appartenait pas plus à la Lorraine qu'à
l'Alsace, sa domination s'étendant sur les hautes vallées de la
Plaine et de la Vezouse qui, à partir du XIIIe siècle, tombèrent
sous la suzeraineté de l'évêque de Metz.
(55) M. Thouvenot cite en note 2, p. 10, ce passage de M. Prost,
au sujet de l'authenticité des chartes d'immunité: « Quant à la
considération des grâces analogues antérieurement obtenues, elle
est souvent justifiée par la présentation, est-il dit, des
diplômes délivrés alors pour cet objet. Quelquefois ces
diplômes, simplement rappelés, sont dits perdus, être tombés de
vétusté ou bien avoir péri dans des accidents de guerre, dans
des incendies, etc. D'autres fois, il est simplement fait
mention de la libéralité des princes qui sont déclarés s'être
signalés ainsi par leur haute bienveillance et par leur piété.
Ce qu'on sait des pratiques habituelles du Moyen Age, en
pareille matière, permet de penser que les diplômes antérieurs,
quand on les montrait, n'étaient pas toujours très authentiques
et que ceux qu'on se bornait à citer étaient, dans bien des cas,
purement imaginaires. »; Âug. PROST, L'Immunité. Étude sur
l'origine et le développement de cette institution, p. 19.
Paris, 1882.
(56) L'Avouerie de l'Abb. de Senones et la princip. de Salm, p.
11-30.
(57) FUSTEL DE COULANGES, Hist. des Inst. pol. de l'âne France.
Les Origines du syst. féodal, t. V, p. 345, Paris, 1890.
(58) L. JOUVE, Étude géogr. sur le ban et les possessions de
Senones jusqu'au milieu du XIIIe siècle, p. 130 et suiv. Voir
aussi sur la même question, A. FOURNIER, Topogr. anc. du dép.
des Vosges, II, p. 73 et suiv.
(59) M. THOUVEHOT, ibid., p. 21
(60) M. TBOUVENOT, ibid., p. 20.
(61) Ibid., p. 21.
(62) Aug. PROST, L'Immunité. Paris, 1882; FUSTEL DE COULANGES,
ibid., p. 336-425.
(63) RICHER, l. II, ch. 1. M. G. H. ss. XXV, p. 270.
(64) Félix SENN, L'Institution des avoueries ecclésiastiques en
France. Paris, 1903, p. 93. Cet ouvrage, auquel j'ai emprunté
différents passages, est l'un des meilleurs qui aient paru sur
la question.
(65) BONVALOT, Hist. du droit et des inst. de la Lorraine, p.
378.
(66) Ibid., p. 140.
(67) V. CHATELAIN, « Le Comté de Metz et la vouerie épisc. du
VIIe au XIIIe siècle ». Jahrbuch, ann. 1898, p. 34.
(68) R. PARISOT, Le Royaume de Lorraine sous les Carolingiens,
p. 708.
(69) RICHER, l. II, ch. 5, M. G. H. ss. XXV, p. 271.
(70) Capitulaire de 809. Diplôme de Charles le Chauve de 876.
Cf. F. SENN, L'Instit. des avoueries eccl., p. 40-41.
(71) Ibid., p. 132-133.
(72) Ibid., p. 134-135.
(73) RICHER, l. IV, ch. 28. M. G. H. ss. XXV, p. 316.
(74) D. CALMET, Hist. de l'abb. de Senones, édit. Dinago, p. 40.
Le château de Deneuvre et dépendances étaient du patrimoine de
l'évêque de Metz, Etienne, de la famille de
Montbéliard-Mousson-Bar, héritière du duc Frédéric II de
Haute-Lorraine.
(75) M. THOUVENOT, ibid., p. 42.
(76) Ibid., p. 35.
(77) M. THOUVENOT, ibid., p. 36.
(78) M. THOUVENOT, ibid., p. 37.
(79) Adelard est compté par Richer comme le 14e abbé de Senones.
Il conjecture qu'il a vécu vers 835 ou 840.
(80) RICHER, l. II, ch. 5. M. G. H. ss XXV, p. 272.
(81) V. CHATELAIN. Le comté de Metz et la vouerie épiscopale du
septième au treizième siècle, Jahrbuch, 1898, p. 95.
(82) Archives des Vosges, cartul. de Senones, p. 21. Cf.
THOUVENOT, p. 40.
(83) Ibid., p. 28. Cette franchise de l'Abbaye était de nouveau
reconnue, en 1210, par Bertrand, évêque de Metz, Arch. des
Vosges. Cartul. Senones, p. 65.
(84) Arch. des Vosges. Cartul. de Senones, p. 6. Cf. THOUVENOT,
p. 37.
(85) RICHER, l. V, ch. 10. Le chroniqueur ne donne presque
jamais aux comtes de Salm le titre de comte, qui pourtant leur
était régulièrement dû.
(86) RICHER, l. V, ch. 10, M. G. H. ss XXV, p. 336.
(87) L'accranteur était le greffier, le notaire, le garde-notes
(D. CALMET, édit. Dinago, p. 133).
(88) .... Litteras super hoc conscripserunt continentes quod
ecclesia senoniensis duos carpentarios haberet, unum coquum,
adcrantatorem unum, lavandarium unum, sutorem unum, piscatores
duos, caeteri vero omnes in valle senoniensi ei pro voluntate
servirent. Et ita abbas et conventus pusillanimes et effeminati
tam citi victi, voluntati advocati se miserabiliter subdederunt.
Ego vero non eram praesens nee vellem adhuc interfuisse. Mirum,
quod in tali actu non consideraverunt abbas et conventus, quod
ecclesia senoniensis episcopi esset metensis cum appenditiis
suis et quicumque sit abbas senoniensis ab ipso episcopo
temporalia recipere tenetur, et ob hommagium illi facit ergo non
licuit eis tam miserrimam transactionem de jeudo episcopi sine
ipso episcopo facere. RICHER, 1. IV, c. 3l. M. G. H., p. 318. |