Voici quelques notes sur
François-Michel Lecreulx, dernier seigneur d'Igney, qui avait
acquis le fief en 1785. A sa mort en 1812, sa fille ainée
Marie-Louise cédera sa part du château à sa cadette Marguerite
Jeanne, qui avait épousé en 1794, François-Balthazard Lafrogne,
notaire à Blâmont.
Le Pays
Lorrain
1932
Un ingénieur-architecte du XVIIIe siècle : François-Michel
Lecreulx Dans la très
intéressante étude de M. le colonel de Conigliano sur le camp de
Lunéville, parue dans le premier numéro du nouveau Pays lorrain,
l'éminent conservateur du Musée du Château, attribue la
construction du manège, bâti en 1787, aux « architectes André et
Pierson».
Par une note au bas de la page, l'auteur ajoute que ce fut « sur
les plans de Lecreulx», auquel est ainsi reconnu l'honneur de la
création de ce local de dressage, qui passait pour le plus vaste
de l'Europe. Quant à MM. André et Pierson, ils n'étaient pas
architectes, mais entrepreneurs, ce qui ne leur enlève point la
part du mérite qui leur revient dans la remarquable
construction.
Pour justifier ma rectification, je me réfère au procès-verbal
de l'adjudication des travaux de reconstruction de l'église
Saint Martin de Badonviller, qui eut lieu le 1er juin 1784, à
Nancy, devant l'intendant Moulins de la Porte. On y voit figurer
comme soumissionnaires : « Etienne André, entrepreneur à
Lunéville, pour 36.000 livres, et Richard Pierson, entrepreneur
à Lunéville pour 37.000 livres ». Ce dernier fut définitivement
déclaré adjudicataire pour 29.600 livres. Ici, également, les
plans et devis furent établis par Lecreulx, inspecteur général
des bâtiments et usines du domaine royal des duchés de Lorraine
et de Barrois, chargé de la direction des travaux. Coïncidence
singulière, c'est qu'à Badonviller comme à Lunéville, le nom de
l'architecte est ignoré, alors que le nom de l'entrepreneur est
resté dans la mémoire populaire, sans doute à cause de la
légende qui s'est formée, attribuant à ce dernier la malchance
de s'être ruiné dans l'entreprise par suite d'une estimation
insuffisante des travaux. Et cependant, il s'agit d'un
architecte de grande valeur, émule des Boffrand, des Héré, que
leurs créations plus en vue ont sauvé de l'oubli en Lorraine.
A Nancy, le nom de Lecreulx est resté à la petite avenue, qui
forme le prolongement de la grande allée de la Pépinière depuis
la porte jusqu'au canal, en souvenir des services rendus, parmi
lesquels le rapport, présenté à l'Assemblée municipale en
décembre 1910, rappelle les plans dressés par lui en 1778 pour
les embellissements et agrandissements de Nancy, son projet de
prolongation de la Pépinière jusqu'à la Meurthe, et de création
d'un canal de Jarville à Malzéville pour prévenir les
inondations, « qui s'étendaient parfois jusqu'aux rues
Sainte-Catherine et Saint-Georges ». A ces titres, intéressant
spécialement la capitale lorraine, s'ajoutent ceux que le grand
ingénieur-architecte s'est acquis, par la construction du pont
de Frouard et du grand manège de Luné ville. Nous devons y
ajouter aujourd'hui le mérite de la construction de l'église de
Badonviller, dont le style pur Louis XVI fait l'admiration des
connaisseurs et a motivé son classement parmi les monuments
historiques.
Malgré tous ces titres, la mémoire de Lecreulx eût fini par
s'effacer, si sa qualité de membre titulaire de l'Académie de
Stanislas, de 1776 à 1802, n'avait amené l'un de ses plus
distingués successeurs, M. E. Aubin, inspecteur général
honoraire des Ponts et Chaussées, à l'heureuse idée de lui
consacrer son discours de réception dans la séance publique de
notre Académie lorraine du 19 mai 1927. M. Aubin déclare tout
d'abord, « que l'importance de l'œuvre de Lecreulx ne doit pas
être estimée d'après celle de la voie qui maintenant porte son
nom et qu'ignorent certainement beaucoup de Nancéiens, car elle
sert presque exclusivement de rampe d'accès à une passerelle
pour piétons établie au-dessus du canal de la Marne au Rhin (1)
». Il nous apprend que, né à Orléans en 1734, où il débuta comme
sous-ingénieur en 1753, Lecreulx ne tarda pas à se distinguer,
puisqu'un an après, il fut appelé à remplacer, pendant plus de
deux mois sur les travaux, particulièrement difficiles des
fondations du pont de Saumur sur la Loire, l'ingénieur en chef
et l'ingénieur ordinaire malades tous deux en même temps. Ce
pont, qu'il avait vu ainsi commencer en 1756, n'était pas
terminé en 1767, quand il fut nommé ingénieur à Saumur; il fut
achevé par lui en 1770.
« Lecreulx passa huit années à Saumur où, un an après son
arrivée, il épousa Mlle de Cahouet, d'une ancienne famille
bretonne. En raison des capacités exceptionnelles dont il fit
preuve, il fut nommé ingénieur en chef à Nancy en 1775. Il
refusa, deux ans après le poste d'Orléans pour se fixer
définitivement dans la capitale lorraine, où il resta vingt-sept
ans. En 1780, il fut investi du titre d'inspecteur général des
bâtiments et usines du domaine royal des duchés de Lorraine et
de Barrois, tout en conservant ses fonctions d'ingénieur en chef
des Ponts et Chaussées. »
Des travaux exécutés en Lorraine par Lecreulx, dit M. Aubin, le
pont de Frouard et le manège de Lunéville sont les seuls
ouvrages qui rappellent son nom. « Qui parle encore,
ajoute-t-il, des constructions et des rectifications de routes
qu'il a faites, d'améliorations apportées aux rivières de
Lorraine, des études très poussées des canaux devant faire
communiquer la Saône et le Rhin, la Marne, la Moselle et la
Meuse? Et l'entretien d'un réseau de routes et de chemins d'un
développement de plus de 600 lieues? »
Nous avons vu Lecreulx, dès son arrivée en Lorraine, se mettre à
l'étude des embellissements et des plans d'extension de la ville
de Nancy. Ses travaux, relatifs à la reconstruction de l'église
de Badonviller, témoignent de l'application des mêmes principes
dans le choix de l'emplacement du nouvel édifice. Badonviller,
bien que délivré depuis plus d'un siècle de son ancienne
enceinte fortifiée, était resté, dans sa partie centrale,
enfermé entre ses deux portes constituant les seules issues de
l'unique voie de communication avec l'extérieur que formait la
grande rue d'environ 200 mètres de traversée. Et cette voie
unique était pour ainsi dire barrée au centre par l'ancienne
église qui ne laissait qu'un étroit passage à peine suffisant
pour le croisement des voitures. Or, il s'agissait de construire
une église de dimensions doubles de l'ancienne et dont
l'édification à cet endroit aurait obstrué davantage encore ce
point central de l'agglomération. L'idée essentielle qui a
préoccupé l'éminent architecte était de choisir l'emplacement de
la nouvelle église de manière à faciliter l'assainissement et
l'extension d'une ville dont les habitations au centre étaient
restées groupées dans des rues tortueuses et étroites, manquant
déjà d'air et de lumière.
Le choix du faubourg d'Alsace, que fit Lecreulx, témoigne que
l'avenir de Badonviller lui apparaissait au sud-est, vers les
combes de la Nablotte et de Nabeine, où déjà on avait construit
le couvent des Annonciades, la Blette régularisée permet tant
d'utiliser la force motrice des eaux abondantes de la forêt des
Eslieux, dont la proximité offrait, d'autre part, des facilités
pour l'exploitation des magnifiques hêtraies et sapinières qui
couronnent les hauteurs voisines.
L'irréductible opposition d'une population, restée attachée à
ses vieilles habitudes, ou guidée par des intérêts particuliers,
fit échouer le choix du savant et judicieux architecte qui, tout
en maintenant énergiquement son refus de reconstruire l'église
sur son ancien emplacement, dut finalement se résoudre à
accepter le choix transactionnel de l'emplacement actuel, qui
offrait du moins la possibilité du développement de la ville en
tous sens.
Lecreulx, grand admirateur des Vosges, s'était particulièrement
attaché à notre région en faisant, en 1785, l'acquisition du
fief d'Igney. Dans une notice nécrologique, consacrée à
François-Michel Lecreulx, mort en 1812, et parue dans les
Annales des Ponts et Chaussées en 1910, M. de Dartein,
inspecteur général des Ponts et Chaussées, rappelle, qu'il avait
fondé en Lorraine une famille, presque une dynastie qui, de 1791
à 1909, figure dans l'Annuaire des Ponts et Chaussées. Et son
biographe ajoute que « depuis 1812, l'Annuaire de l'Ecole
polytechnique a sans interruption compté deux et même trois
membres de cette famille. De ses deux filles, l'une épousa M.
Lafrogne, notaire à Blâmont, qui fut député de la Meurthe sous
la Restauration, et l'autre fut unie à M. Mengin, ingénieur à
Nancy où il mourut le 27 octobre 1842. L'aîné des quatre fils de
ce dernier, François- Joseph-Marie-Gabriel Mengin demanda et
obtint, par jugement du 8 mai 1882, l'autorisation de s'appeler
Mengin-Lecreulx. Général de division du génie, directeur au
Ministère de la Guerre et grand officier de la Légion d'honneur,
il mourut à Paris le 10 janvier 1892 et se fit, inhumer à Nancy
au cimetière de Préville, où trois de ses fils sont aussi
enterrés. Comme Mme Mengin, sa sœur Mme Lafrogne, qui survécut à
son mari, laissa une nombreuse postérité, parmi laquelle on
distingue l'amiral Lafrogne qui, il y a quelques années, prit sa
retraite à Blâmont. »
L'église de Badonviller est une des rares églises construites à
la veille même de la Révolution de 1789. Incendiée par les
Allemands le 12 août 1914, elle a été restaurée d'une façon
parfaite par M. Guët, ingénieur en chef, et M. P. Charbonnier,
architecte des monuments historiques, qui ont su garder à
l'édifice, dans toutes ses parties, l'élégant et pur style Louis
XVI, dont s'était inspiré son éminent ingénieur-architecte.
L'aspect un peu massif de la façade (qui a pu ainsi résister aux
bombardements) se ressent malheureusement de l'absence des
motifs d'ornementation prévue par Lecreulx, mais qui, faute de
ressources, au moment où déjà le vent révolutionnaire se faisait
sentir, n'ont pas été exécutés. Ils consistaient, suivant le
plan, en statues dans les deux niches latérales et au-dessus du
péristyle, et en une Gloire dominant l'ensemble dans la patrie
supérieure du pignon. Ainsi complétée, la façade pouvait
rivaliser avec les plus beaux édifices de cette période
précédant immédiatement celle du style Empire.
Pour les services rendus, tant par le choix de l'emplacement que
par la construction d'une église admirable à l'intérieur comme à
l'extérieur, le nom de Lecreulx doit figurer en bon rang au
Livre d'Or de Badonviller. Aussi, le nom de Lecreulx a-il-été
donné récemment au square qui prolonge la place du monument aux
Morts, tout à côté et à l'ombre même de l'église (2).
Louis SCHAUDEL.
(1) E. AUBIN, Etude sur la vie et les œuvres de
François-Michel Lecreulx, dans Mémoires de l'Académie de
Stanislas, année 1926-27.
(2) M. Louis Schaudel vient de consacrer à l'ancienne et à la
nouvelle église de Badonviller, un travail des plus intéressants
sur lequel nous reviendrons. N. D. L. R.. |