Le Pays
lorrain
1934
Les guérisseurs et la médecine populaire en Lorraine (1)
Accablé de maux dès son expulsion du Paradis
terrestre, l'homme s'est appliqué immédiatement à y chercher des
remèdes. Certains plus malins, plus avisés, plus perspicaces,
plus observateurs firent rapidement métier de soulager leurs
semblables.
Telle est l'origine de la médecine. Dans la maladie, comme dans
bien d'autres choses, tout semblait mystérieux à ces hommes
primitifs. Les causes plus qu'à nous encore leur échappaient. Et
l'homme a toujours voulu découvrir une explication aux
phénomènes de la nature. Pour la maladie comme pour le reste, il
trouvait cette explication dans l'intervention de puissances
occultes : divinités bienfaisantes ou malfaisantes dont les
instruments sur cette terre étaient des individus privilégiés.
Dès le début des âges c'est l'action de ces causes mystérieuses
de la maladie que les hommes privilégiés, les devins, les
guérisseurs, sont appelés à déjouer.
Peu à peu cependant l'expérience montra que certaines
médications, certaines plantes employées dans des cas
déterminés, avaient un effet particulièrement salutaire.
Par l'observation la vraie médecine se forme. Laissons-la de
côté et examinons quelques pratiques de nos guérisseurs
populaires et quelques-uns de leurs remèdes, qui ne sont pas, au
surplus, très différents, de ceux dont usaient encore les
médecins diplômés il y a cent cinquante ans et même moins.
Les guérisseurs d'autrefois que, dans les anciens documents, on
qualifie de devins, ne doivent pas plus être confondus avec les
sorciers, car ils employaient leur pouvoir à faire le bien,
tandis que les sorciers l'employaient à faire le mal. C'étaient,
si je puis dire, des contre-sorciers. Néanmoins, comme les uns
et les autres usaient de privilèges mystérieux et qu'on pouvait
craindre qu'un jour les guérisseurs se servissent de leur
puissance pour faire le mal et qu'il y avait dans leur art
quelque chose de surnaturel, condamné par l'église, on avait
beaucoup de suspicion contre les devins. Il n'est pas rare de
voir ceux-ci poursuivis comme sorciers, mais ils n'étaient
condamnés comme tels que s'ils avouaient un commerce avec le
démon. Pour les condamnations, nos coutumes judiciaires
exigeaient, en effet, l'aveu; sans un aveu pas de coupables. Il
est vrai qu'on mettait tout en œuvre pour obtenir cet aveu :
question par les grésillons, l'estrapade, l'échelle, les
tortillons, et autres gentillesses.
Si on les poursuivait comme sorciers souvent on les acquittait
avec des attendus sévères contre leur science secrète et
diabolique, flétrissant l'usage qu'ils faisaient « de fausseté
et feinte religion pour couvrir leurs charmes et impostures ».
D'autres fois on les condamnait à la marque et à la fustigation,
suivie ou non de bannissement. Il est bon de mentionner que
c'était le peuple assemblé qui jugeait les sorciers et les
devins.
L'Eglise, par l'organe des conciles et des synodes diocésains,
réprouvait sévèrement la pratique des devins et, par exemple,
dans le serment que devaient prêter les matrones ou sages-femmes
élues par la communauté, l'Eglise avait inséré la promesse « de
ne pas user de superstition soit par parole, soit par signe ni
de quelque autre manière que ce soit et d'empêcher de tout leur
pouvoir qu'on en use ».
Que faut-il pour être un bon guérisseur ou devin ? Il ne suffit
pas toujours d'avoir recueilli fidèlement les secrets des
anciens, il faut avoir aussi une certaine prédisposition
naturelle. Celle-ci peut venir de la race. Il en est ainsi de
nos jours pour les anabaptistes. Cela peut venir aussi du métier
exercé.
Ainsi les gens maniant la hache, les bûcherons, les
charpentiers, les flotteurs peuvent seuls guérir de la façon
suivante un phlegmon douloureux de la main qu'on appelle
fouchotte ou fourchette. Ils font placer la main malade sous une
selle (escabeau) sur laquelle on a posé une croix formée de deux
brins de paille ou de deux bossotes, puis, levant leur hache,
ils coupent la croix en disant: « Qu'ost-ce que j'k eupe ? - Lè
fouchotte », répond le patient. On recommence trois fois
l'opération en récitant trois Pater et trois Ave et le mal
disparaît. Ceci est la recette de Raon. Il y a des variantes
selon les régions.
Cette prédestination, cette disposition à être guérisseur est
souvent héréditaire. Elle peut dépendre aussi des circonstances
de la naissance. C'est ainsi que des procès de sorcellerie de la
fin du XVIe siècle (Bruyères, 1601, Jarville, 1591) nous
apprennent qu'un bon guérisseur doit être né le Grand-Vendredi,
c'est-à-dire le Vendredi-Saint. Ce sera mieux encore s'il a été
baptisé ce jour-là, au moment où l'on récite la Passion.
Toutes les personnes nées, d'ailleurs, un vendredi jouissent de
certains privilèges, à Raon on dit qu'ils voient les esprits.
C'est de très loin souvent qu'on venait consulter les
guérisseurs, il en était déjà ainsi il y a quelques siècles,
malgré les difficultés des voyages d'alors. De Raon on allait
surtout à Niderhof, à Haute-Seille, à Saint-Nicolas-de-Port. Nul
n'est prophète en son pays et il semble que le prestige du
guérisseur de secret s'accroît avec la distance. Et ce prestige,
il cherche à l'accroître par l'appareil extérieur : gestes
mystérieux, paroles incompréhensibles, signes cabalistiques,
Tout cela a, d'ailleurs, une grosse importance pour le succès de
la cure. C'est quelquefois là qu'elle puise toute son
efficacité.
Pour mieux frapper l'imagination le guérisseur s'embarrassera
d'un matériel spécial : instruments bizarres, reptiles
empaillés, ossements, crânes humains ou d'animaux. - Ainsi à
Leintrey, près Blâmont, en 1601, une certaine Janotte Toussaint
avait chez elle une tête de chien provenant, comme elle le
prétendait, des reîtres allemands qui avaient ravagé la Lorraine
en 1587. Il y a une vingtaine d'années j'ai retrouvé un fauteuil
de sorcier, dont s'était servi un devin guérisseur du Blanc Rupt,
non loin d'Abreschwiller au pied du Donon. Il est à la fois
effrayant et cocasse : deux bras humains, nus, étranglant des
serpents à la gueule béante et aux crocs redoutables, en forment
les appuis, les pieds sont des jambes de boucs. Le dossier est
orné de sculptures figurant des fleurs étranges et des lézards,
l'assise est entourée de devises magiques tirées de l'Écriture
Sainte. Le tout est enluminé de couleurs éclatantes, orné de
clinquant et de morceaux de glaces. Nul doute qu'en voyant ce
fauteuil le patient, fortement impressionné, n'ait été confiant
dans le pouvoir de celui qui s'y asseyait et qu'ensuite n'ait
été, avant les opérations magiques, presque guéri. Ce meuble fut
acquis par Maurice Barrès qui en avait orné son cabinet de
travail à Charmes où il se trouve encore.
Comment opérait le guérisseur ? Pour lui, comme pour le médecin,
l'important tout d'abord, c'est de découvrir la cause de la
maladie, d'établir son diagnostic. Les causes sont rarement
naturelles. Elles provenaient parfois de la punition céleste,
comme nous le verrons plus loin; mais le plus souvent les
maladies sont données. C'est-à-dire qu'elles sont l'œuvre d'un «
jeteur » de sorts, d'un sorcier.
Pour se garantir de leur malfaisance il y a des moyens
préventifs, une hygiène, pourrait-on dire. Le meilleur
préservatif est un bon baptême; si on est ensorcelé, c'est
souvent parce qu'on a été mal baptisé. Il arrivait donc qu'on
fît rebaptiser les gens, ce qui naturellement était condamné par
l'Eglise.
Plusieurs précautions valent mieux qu'une. On ne se fiait pas
toujours au bon baptême qui protégeait non seulement des sorts,
mais de la tentation du malin. Pour se garantir de l'un et de
l'autre il y avait divers procédés. En voici quelques-uns. Par
exemple, on plaçait dans le berceau du nouveau-né tout le temps
de la gésine un cierge bénit. Ou bien dans une incision faite au
bras on insérait en croix du buis bénit avec un morceau de
chandelle de cire et du charbon de la souche de Noël.
Voici un autre moyen encore que je relève dans un procès de 1593
: « faire un pont en quelque mauvais lieu où on ait peine de
passer et cela au nom de Dieu et de Monsieur saint Nicolas. On
est assuré que les mauvaises gens n'auront pouvoir de nuire aux
enfants ».
Plus tard, si on n'a pas été vacciné pour ainsi dire dès sa
naissance on se préservera des maléfices, en portant sur soi
certaines images ; celles de saint Benoît sont particulièrement
recommandées, d'où la quantité de médailles de saint Benoît même
assez récentes qu'on retrouve dans les familles. Il faut surtout
se signer le matin, et ne pas omettre de se laver les mains.
Certaines prières sont très efficaces comme celle-ci, relevée
dans un procès de Saint-Dié (1593) : « Je me lève le matin, mes
mains lavées, mes pieds déchaussant, je ne fais pas un pas que
Dieu ne me soit au devant. Au nom de Dieu, du Père et du Fils,
du Saint-Esprit et de la benoîte Croix du Ciel. Amen. »
Certains objets ou certaines plantes ont une vertu protectrice.
Ainsi la bruyère blanche, le millepertuis, dit chasse-diable, le
fenouil (1596), la momie d'Egypte même signalée pour
Rambervillers. Ces objets quelquefois doivent subir une certaine
préparation. Ainsi, dans un procès de Jarville (1591), on vante
la vertu du sel et du levain, mis en sachet avec deux brins de
sauge en croix : « Porter ce sachet neuf jours sur la poitrine,
aller à la messe avec, puis le jeter dans un coffre. Maison et
gens seront protégés. »
On peut se garantir des sorts en plaçant, devant les pas de la
personne qu'on craint, une motte de terre sainte prise au
cimetière. Le sort se donnant par attouchement, il importe, si
le sorcier présumé vous touche, de le toucher plus haut. Devant
ce sorcier soupçonné il faut se signer discrètement, le mieux
est de faire le signe de croix avec la langue, la bouche fermée.
Du côté de Saint-Quirin-Lorquin, on croit que les prêtres ont le
pouvoir de savoir quels sont les sorciers de leur paroisse.
S'ils lèvent les yeux quand ils disent Deo gratias, alleluia,
ils voient tous les sorciers, qui sont à l'église, la tête
bizarrement couvertes de ruches et de cercles de fromages, alors
que ces accessoires échappent à la vue des autres personnes.
Dans le pays haut, si l'on a placé en croix, dans le bénitier de
l'église, des clous arrachés à un vieux cercueil, après l'Ite
missa qu'ils entendent le dos tourné, les sorciers ne pourront
sortir de l'église sans l'intervention du prêtre.
Lorsqu'on a des soupçons contre quelqu'un, il y a un moyen très
simple de les confirmer : il est indiqué dans de nombreux procès
de sorcellerie et il est encore pratiqué de nos jours. Quand on
reçoit la visite de la personne soupçonnée d'avoir donné le mal,
il suffit de retourner un balai « la cime en haut, à contre-mont
», il sera impossible au sorcier de sortir de la maison tant
qu'on n'aura pas replacé le ramon dans sa position normale.
Parfois, un pain d'un sol (où est ce temps ?) retourné peut
jouer le même rôle.
Lorsque, malgré toutes ces précautions, on n'a pu se protéger
contre le mal, il convient de découvrir le sorcier, le genot,
comme on disait autrefois, qui en est la cause et il faut
trouver le moyen de le contraindre à apporter le remède. C'est
alors qu'intervient le guérisseur, celui que les anciens procès
de sorcellerie appellent le devin qui, si on n'a pas de recette
à sa disposition, en donnera une.
Ces recettes pour découvrir le jettatore sont innombrables. En
voici quelques-unes puisées un peu au hasard dans les documents
que j'ai recueillis. Dans un procès de Saint-Nicolas-de-Port
(1576), on conseille de « prendre cinq vieux clous de rues, les
mettre en un mortier de cuivre et sur chacun des dicts clous
frapper cinq coups au nom des cinq apôtres ( ?) qu'aussitôt le
jeteur de sort se présente à la maison ».
Il est de nombreux procédés pour contraindre le sorcier à venir
sur le lieu de son crime.
Dans un procès de Sainte-Croix-aux-Mines alors Lorraine, en
1595, une femme Griffon conseille « de faire un ramont (balai)
le jeudi avant soleil levant et en panner sa maison neuf jours
durant et mettre ce qu'elle ramasserait en un pot de terre rouge
ayant un couvercle tout neuf, puis le mettre au feu et le faire
cuire, que si c'était mal donné par quelque sorcière qu'elle
viendrait au logis, pendant qu'il cuyrait ; autrement que s'il
ne s'y trouvait personne, que Dieu aurait envoyé le mal ».
Il est d'autres moyens encore plus compliqués, tels ceux
qu'employait une femme Prélat, de Raon-l'Etape, qui opérait en
l'an VII de la République du côté de Lorquin (2). Le tribunal de
Sarrebourg ne la fit pas brûler, ni fustiger, comme cela aurait
pu lui arriver cent cinquante ans auparavant, il se contenta de
la condamner à six mois de prison pour escroquerie, peine qui
fut élevée à un an par le tribunal criminel de la Meurthe.
Elle se livrait pour découvrir le « jeteur de sort » à des
pratiques singulières, cassait en trois, une plaquette,
c'est-à-dire une pièce de deux sous, sur laquelle il y avait une
croix, faisait jeter les morceaux dans un moulin après les avoir
placés dans une assiette sur laquelle, pendant qu'elle lisait
l'Evangile selon saint Jean et récitait certaines prières, le
patient laissait couler les larmes d'un cierge allumé qu'il
tenait à la main; elle jetait également du sel dans cette
assiette, puis soufflait le cierge, la direction de la fumée du
cierge qui s'éteignait indiquait la direction de la maison de la
sorcière. Pour dévoiler celle-ci tout à fait et la contraindre à
venir à la maison du malade, on jetait ce sel dans le feu. Pour
réussir, l'opération devait avoir lieu le mercredi ou le
vendredi, jours où les sorciers n'entendent pas ce qu'on
complote contre eux.
Au beau temps de la sorcellerie qui fut le XVIe et le XVIIe
siècle, lorsqu'on connaissait la sorcière, un grand pas était
fait. En obtenant quelque objet venant de chez elle, on avait
grande chance d'avoir le remède. C'était généralement du pain,
du sel et de la cendre, ou des herbes potagères de son meix ou
jardin, comme choux et poireaux.
On cherchait aussi à découvrir le sorcier auteur du mal en
jetant les liards. Après une invocation on précipitait une de
ces petites pièces dans une terrine d'eau en prononçant le nom
d'une des personnes soupçonnées. Si la pièce tombait au fond de
la terrine, la personne nommée était hors de cause. Si, au
contraire, le liard se retournait dans le vase ou en était
rejeté, on tenait le coupable.
Cet ingénieux procédé, encore utilisé de nos jours, est ainsi
indiqué dans un procès de 1587 : « Elle prit une écuelle, y mit
de l'eau bénite, puis jeta un six deniers de Lorraine dedans et
dit : « Que par Dieu, la Vierge Marie, et tous les benoîts
saints de Paradis qu'ils lui fassent la grâce de connaître celui
qui avait donné la maladie. » Et le six deniers se tourne à la
nomination d'un voisin appelé Saulen.
A côté des jeteurs de liards, il y a les tireuses de serviette
ou de jarretière. C'est de ce procédé que se servait Catherine
femme Claude, brûlée en 1583. Elle mesurait une serviette
roulée, un couvre-chef, ou un linge quelconque sur son bras du
coude à l'extrémité des doigts, en nommant telle ou telle
personne, et cela par trois fois.
Si la serviette gardait sa longueur, on ne pouvait soupçonner la
personne nommée, mais si, à la désignation d'un nom, la
serviette se trouvait plus courte, on tenait le coupable.
D'autres se servaient d'une pierre qui suait dans la main,
d'autres d'herbes brûlées dans le foyer.
En contraignant la sorcière à venir sur le lieu du crime, on
espère que se voyant soupçonnée elle apportera d'elle-même le
remède. Le meilleur est cette poudre blanche que lui a remise le
diable Persin ou Navet, le jour où, pincée au front, elle
accepta de se mettre sous sa dépendance. Cette poudre lui a
servi à donner la maladie, elle peut servir à guérir.
Il est bon de ne pas se contenter de l'attirer, par une force
mystérieuse, mais aussi de la faire souffrir de telle façon que,
pour se délivrer de sa souffrance, elle lève d'elle-même le
sort. Le plus souvent on pratiquera une sorte d'envoûtement à
l'aide de cœurs d'animaux percés d'aiguilles que l'on faisait
sécher à la cheminée.
D'autres fois, comme dans ce procès des environs de Saint-Dié,
on prend le cœur d'une jument morte par maléfices et nuitamment
on le brûle. Un maréchal ferrant des environs de Tholey reçoit
en 1622, moyennant vingt-six gros, ce conseil d'un devin nommé
Peter : « Au retour prendre un couteau, le rendre chaud et le
mettre en la cuvette où il tireroit à la vache dont le lait
était oté par sort, que, sur ce, les mains de la femme
(sorcière) seraient brûlées en la sorte que le lait mènerait
bruit sur le chaud couteau ». Cela réussit.
Il se peut que le patient souffre d'un mal qui ne lui est pas
donné, mais qui est naturel ou le signe de la punition céleste.
Il est, d'ailleurs, fort rare qu'une maladie ait une cause
naturelle. En ce cas exceptionnel on emploie des herbes le plus
souvent. C'est déjà de la vraie médecine.
Mais il faut connaître ces herbes. En 1625, la femme Jean
Étienne, d'Amance, qui ne savait ni lire, ni écrire employait
pour découvrir l'herbe salutaire un moyen singulier. Comme elle
avait été servante chez un chirurgien pendant trois années,
celui-ci lui avait donné une feuille de papier « aussy long et
large qu'une pièce ou rain de toile où il y avoit toutes sortes
d'herbe dépeintes ». Quand on lui demandait un remède, elle s'en
allait aux champ avec sa feuille, disant, les mains jointes : «
Mon Dieu de Paradis et benoîte Vierge Marie, enseignez-moi
toutes ces herbes que je cherche » et, paraît-il, elle trouvait
incontinent ce qui lui était nécessaire.
Lorsqu'il y avait punition divine, il convenait de faire fléchir
l' « ire » céleste par l'intermédiaire d'un saint dont
l'intercession pouvait également être efficace lorsqu'il y avait
des maladies naturelles ou mal donné, le saint, dans ce dernier
cas, devant contrebalancer la puissance du démon ou de son
suppôt : le sorcier.
Toutes les maladies naturelles, données ou infligées par Dieu,
punitives pourrait-on dire, sont justiciables d'un bienheureux
dont elles portent le nom : il y a par exemple le mal
Saint-Antoine (de dents), le mal Saint-Marcel, le mal Saint-Jean
(caduc), le mal Saint-Éloi qui affecte le poitrail des chevaux.
Pour que la médication soit efficace, il faut découvrir le saint
compétent. Mais il ne s'agit pas de se tromper et de faire comme
cette bonne femme du Ban-de-Sapt qui, envoyée par son mari pour
demander une messe qui devait être dite en l'honneur de saint
Blaise à l'intention d'une vache malade, oublia en route le nom
du saint, protecteur des bestiaux. Le curé, après lui avoir
énuméré de nombreux bienheureux, finit par lui proposer une
messe en l'honneur de tous les saints. Elle accepta avec
enthousiasme. Mais, au retour, elle ne fut pas félicitée par son
mari, qui lui fit observer sans douceur que sûrement on
n'obtiendrait aucun résultat. Il lui paraissait certain que les
saints invoqués en bloc se déchargeraient les uns sur les autres
de la besogne.
Il est quelquefois possible aux guérisseurs de trouver du
premier coup le nom du mal de saint. Son nom même l'a désigné
clairement pour être proposé à la guérison, si j'ose dire. Ainsi
sainte Claire pour les yeux, saint Firmin (Fremïn) pour les
fourmillements, saint Eutrope (Hydrope) pour l'hydropisie, saint
Aignan pour la teigne, saint Cloud pour les clous, saint Quentin
pour les quintes de toux, saint Vit, saint Maur et saint Languit
pour les maladies mal déterminées, et saint Languit, seul, pour
les maladies de langueur.
D'autres fois, c'est le genre de supplice du saint martyr qui le
désigne. Ainsi saint Florent, dont les entrailles furent
enroulées sur un dévidoir, est invoqué pour les coliques. Dans
la petite église de Saint-Dié se trouve une curieuse statue en
bois de saint Florent. Elle est entaillée en divers endroits. Ce
sont les braves femmes qui ont prélevé des parcelles de bois
pour en faire des infusions à l'usage de leurs enfants malades.
Jusque 1850 environ le saint était représenté tenant ses boyaux
dans ses mains. C'était sur cet « attribut » qu'était prélevé le
remède. Voulant mettre fin à ces pratiques superstitieuses, le
curé de l'époque fit, raboter ce qui restait des entrailles et
fit couvrir le ventre par une planche simulant un livre, on
continua néanmoins à faire des entailles ailleurs. A Longemer,
dans une chapelle, se trouve un dévidoir qu'on tourne dans un
certain sens pour obtenir guérison. Saint Laurent, supplicié sur
un gril, n'est pas seulement le patron des rôtisseurs, mais est
invoqué pour les brûlures.
D'autres fois ce sont les événements de la vie du thaumaturge ou
le genre des miracles opérés par lui qui le désignent.
Ainsi sainte Odile, qui retrouva la vue au baptême, guérit à
Étival les maux d'yeux. Saint Hubert, qu'on invoquait chez nous
à Autrey (près de Rambervillers), grand chasseur en son vivant
et, par conséquent, ami des chiens, guérissait leurs maladies et
surtout la rage. Son culte comme guérisseur miraculeux
demanderait une étude spéciale, où il serait parlé des montreurs
de saint Hubert, des privilèges qu'avaient ses descendants de
guérir à l'aide d'omelettes, d'échalotes, et d'autres moyens,
des « marqueurs de bestiaux » avec le cor ou la clé de saint
Hubert. Saint Roch et saint Sébastien guérissent la peste, saint
Blaise, saint Hydulphe-Idoux les fous, saint Valentin, saint
Goëry, saint Claude, saint Guérin le bétail, saint Christophe
les maladies des enfants (Vic et Deneuvre).
Pour les maladies à symptômes mal déterminés, les devins
recouraient à des pratiques variées pour découvrir le saint
compétent. Comme pour trouver le sorcier, on tirait la
serviette, ou bien on allumait des cierges aux quatre coins du
lit du malade en donnant à ces cierges un nom de saint, celui
qui s'éteignait le premier ou brulait le plus longtemps
désignait le saint qu'il fallait prier.
Pour se rendre le saint favorable, on usait d'oraisons
particulières, de neuvaines, qui étaient plus efficaces aux
lieux où ce saint avait une chapelle renommée. Cela donnait lieu
à des pèlerinages, parfois fort lointains. C'eût été parfait et
naturel, si l'on s'était borné à y aller prier. Mais, très
souvent, ce culte était entaché de pratiques superstitieuses.
Il fallait surtout apporter au saint des offrandes bizarres. En
1602, on fit forger un bras de fer à offrir à saint Liénard.
Les fusées de fil jouaient un grand rôle. Comme une bonne femme
de Clefey, on en entoure l'église du saint, ou, comme cette
femme de Saint-Dié (1603), on porte une fusée de filet « à
contremont » avec deux œufs à saint Maur pour demander la
guérison d'un enfant.
Pour Mengeotte Thiéry, de Saint-Dié (1593), il faut que le
pèlerinage soit fait par les femmes veuves qui ne doivent pas
parler pendant leur pèlerinage. De Moriville, village dépendant
du chapitre de Saint-Dié, un enfant va à Saint-Nicolas porter
une poignée de chanvre et tirer bien fort les cordes des
cloches. A Verdenal (près Blâmont), on offre à saint Langueur,
un œuf, un oignon, de la cire et du chènevis.
Presque toujours il y avait à côté du pèlerinage une fontaine,
vieux reste d'un culte païen. Parfois on y trempait la chemise
du malade, si elle surnageait c'était bon signe, si elle
s'enfonçait, c'était la mort, si elle restait entre deux eaux,
on demeurait dans l'incertitude. C'est de cette façon que l'on
interroge encore les trois saints inconnus des hagiographes
orthodoxes, saint Vit, saint Maur et saint Languit.
L'Eglise naturellement condamnait non seulement ces pratiques
superstitieuses, qu'elle qualifiait de diaboliques, mais encore
elle interdisait le culte rendu à certains saints qu'elle ne
reconnaissait pas (Statuts synodaux de Toul, 1712).
L'Eglise condamnait également les oraisons superstitieuses,
formules pseudo-religieuses, où étaient invoqués, de façon
étrange, Dieu et les saints. Dans les procès de sorcellerie j'ai
retrouvé une vingtaine de ces curieuses prières. Elles sont
toujours en usage, mais ceux qui les savent les livrent
difficilement, soit par respect humain, soit pour garder un
secret qu'ils croient précieux.
En voici une pour le mal d'yeux : « Peut œil, puisses tu devenir
aussi limpide que le lait de la très douce Vierge dans la bouche
du petit saint Jean ». En voici une autre en patois messin :
Lo jo don grand vanr'di béni,
Note Sègneur à la croix fut mis.
La çu qu' l'y mateut, trambient.
Non fât, dit note Sègneur.
Lés çus qu'diront mon oraison
Treus fivès d'vant lo d'junon,
Ji mas freide ni fum'ron n'eront (ensuite 3 Pater).
En 1603, Colin Michel, de Wisembach, près Saint-Dié, guérissait
les bêtes malades en les tenant par l'oreille droite de sa main
gauche pendant qu'il récitait l'oraison suivante : « Il est
aussi vray que Dieu est, pain n'a faim, feu n'a froid, l'eau n'a
pas soif, les voyens (regains) sont chers, cheval sans bride,
colieuve sans poil, colombe sans fiel. Ainsi soit guérie (Rougeatte,
grebatte) de toute langueur et de tous maux qui soient. Au nom
de Dieu et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. Jésus ». (Répéter 5
fois avec 5 Pater et 5 Ave).
Certaines de ces oraisons sont fort longues, d'autres
incompréhensibles, à dessein ou parce qu'elles ont été altérées
par la transmission orale. Certaines renferment des récits naïfs
qu'on dirait tirés des évangiles apocryphes, comme celle-ci
transcrite sur la feuille de garde d'un livre de la Bibliothèque
d'Épinal par un ancien maître de Fremifontaine contre le mal de
dent :
« Sainte Apolline, assise sur une pierre de marbre, Notre
Seigneur passait par là, lui dit : Apolline, que fais-tu là ? -
Je suis ici de mon chef pour mon sang et pour le mal de dents. -
Apolline, retourne-toi, si c'est une goutte de sang elle
tombera, si c'est un ver il mourra. » (Quinze Pater, quinze Ave.
On disait entre cinq de ces prières : Voilà « cinq Pater, cinq
Ave en l'honneur de Notre Seigneur et de sa Passion »). A ces
prières on ajoutait des signes de croix tracés sur le malade
quelque fois avec le pied déchaussé, d'où l'expression signer un
malade.
Il était important pour le guérisseur de ne pas se tromper en
récitant ses formules. S'il oubliait un mot, il risquait de
prendre le mal dont il délivrait son client. Ce mal, il ne
fallait pas non plus risquer, en le faisant sortir, de le
laisser aller chez un familier du malade ou un voisin, il
fallait lui assigner un endroit où il deviendrait inoffensif.
Généralement on envoyait ce mal au fond de la mer : c'était plus
sûr.
On croyait très communément que le corps humain était habité par
des bêtes envoyées par des gens malintentionnés. Ainsi en 1593,
Mengeatte Thiery du vieux Marché de Saint-Dié, - faubourg
Saint-Martin, - soigna Fleurent Bazelaire qui avait une bête en
l'estomac « qui crioit et rongeoit comme si eut été des os ».
Claudette Clanchepied, de Bruyères, nous raconte, en 1603,
l'horrifique aventure d'une jeune fille qui avait avalé en
buvant dans une fontaine un crin de jument. Ce crin, dans ses
entrailles, était devenu un serpent.
La renommée de la mère Clanchepied, spécialiste de l'expulsion
hors du corps des serpents et sauriens, s'était répandu fort
loin à ce qu'elle prétendait. Elle raconte en effet qu'elle fut
mandée par le comte de Montbéliard, auquel, après qu'elle eut
fait un pèlerinage à Beau-Bernard-le-Vic, elle fit rendre « une
lézarde », dont il avait été gratifié par un sorcier de ses
sujets, lequel, ayant confessé son crime, l'expia sur le bûcher.
D'autres fois ce sont des grenouilles, crapauds ou autres
animaux amphibies ou aquatiques qui s'introduisent dans
l'estomac.
On aidait ou suppléait au pouvoir des saints par des remèdes
tirés de la nature: plantes, comme je l'ai dit, matières
organiques diverses, plus rarement minéraux. Les pierres
précieuses avaient des qualités de protection selon leur essence
pour Certaines maladies. L'agathe, l'émeraude protégeaient
contre les venins. L'ambre jaune dont ont fait toujours des
colliers pour les enfants empêchait les maux de gorge et le
goître.
On attribuait un pouvoir surnaturel aux haches taillées dans la
pierre par nos ancêtres préhistoriques. Selon la croyance
populaire, ces haches étaient formées par la foudre à l'aide de
la poussière de l'air. Elles tombaient avec le tonnerre qui les
enfonçait à 7 pieds sous terre, elles remontaient d'un pied par
an et venaient ainsi à la surface de la terre au bout de sept
ans. Elles constituaient un préservatif excellent contre la
foudre. On les faisait aussi chauffer et on les plaçait sous le
pis enflammé des vaches. On tirait quelques gouttes de lait pour
les faire évaporer sur la pierre chauffée; ainsi on guérissait
l'enflure.
Ces haches portées sur les reins guérissaient aussi la gravelle.
Il existe au Musée lorrain une hache qui fut donnée vers 1600 à
un duc de Lorraine par un ambassadeur de France à Constantinople
pour le guérir de cette maladie.
Les cendres étaient réputées avoir une grande vertu, il semblait
que toute l'efficacité d'une chose se concentrait dans ses
résidus purifiés par le feu. On utilisait ainsi les cendres de
cheveux, de plantes, de divers bois, celles de la souche de Noël
ayant une particulière efficacité. La rosée, recueillie de
préférence en mai, l'eau bénite, et même la simple eau de
rivière, pourvu qu'elle ait été puisée à contremont, avaient
aussi des vertus. Jouaient aussi un grand rôle les objets bénis
comme les cierges, les pamprés, c'est-à-dire bénis aux Rameaux.
Je n'insisterai pas sur les plantes, car beaucoup avaient et ont
toujours de notables vertus, encore reconnues par la médecine
qui en tire les principes actifs. Ces plantes portaient souvent
le nom de la maladie qu'elles guérissaient ou du saint patron de
cette maladie. On peut avoir moins de confiance en la vertu des
plantes quand on se contente de les porter en sachet sur le
corps ou dans sa poche, comme les marrons d'Inde contre la
goutte ou le sceau de Salomon contre les corps aux pieds.
Ma mère me racontait qu'à Saint-Dié, vers 1850, une vieille
bonne, pour lui guérir des écorchures dans la bouche, lui
suspendit au cou un sachet d'herbes et accrocha à la cheminée un
sachet semblable. J'ai su depuis par le Dr Raoult, qui avait vu
employer le même remède, que cette herbe était de la rue des
murailles, dont la plus efficace croît entre les pierres de la
vieille église abbatiale d'Étival.
Les herbes, quel que soit leur emploi, interne ou externe,
devaient souvent être cueillies avec un certain cérémonial. La
nuit de la Saint-Jean était particulièrement propice pour la
récolte.
Les animaux ou les produits des animaux fournissent de nombreux
médicaments : les fourmis sont fréquemment utilisées surtout
pour des fomentations. De même la graisse de chien, d'ailleurs
vendue par les apothicaires, le lait, surtout celui de femme,
les œufs pondus le Vendredi-Saint (le lait et les œufs ne devant
pas être achetés mais demandés pour l'amour de Dieu).
De nombreux remèdes tirés des animaux je citerai celui-ci,
destiné à faciliter la dentition chez les enfants. Je l'ai
recueilli à Raon il y a 25 ans. Prendre un fouillant
c'est-à-dire une taupe, lui couper alors qu'elle est vivante les
quatre pattes, en placer deux dans un sachet au cou de l'enfant,
les deux autres également dans un sachet, seront suspendues à la
cheminée. Dans d'autres cas, on ajoute le museau aux quatre
pattes et on suspend le tout au cou de l'enfant, moyennant quoi
il ne se sentira pas ses dents pousser.
Pour les dents également, on préconise un collier de dents de
loups. C'est un très vieux remède et peut-être trouverait-on des
colliers enfilés pour cet objet, dans les tombes préhistoriques
ou franques. En tout cas, les comptes ducaux mentionnent, en
1574, une dépense pour l'achat de dents de loups destinées à
faciliter les dentitions de deux petites filles jumelles du duc
Charles III.
Pour le mal de dent je ne citerai pas le remède facétieux
prétendu infaillible qui consiste à se remplir la bouche d'eau,
à se mettre sur un poêle et attendre que l'eau bout. A Charmes,
on emploie un autre moyen, moins efficace, en se mettant dans
l'oreille, du côté du mal, des poils arrachés aux pattes de
derrière d'un bouc.
Certains remèdes sont répugnants. Sous respect, comme disent nos
vieux paysans, en voici quelques-uns. L'urine est considérée
comme ayant une grande efficacité. Dans ma petite enfance, un
vieux Roannais, le père Diado, disait à mon père : « Si l'homme
savait qu'il porte sa médecine avec lui » et il lui recommandait
pour se prémunir de tous les maux de faire comme lui, de boire
chaque matin un verre de sa propre urine. Chose curieuse, j'ai
retrouvé le même apophtegme en termes presque identiques dans un
procès de sorcellerie de 1597 : « Si l'homme se cognoissoit
qu'il porte sa médecine avec lui ». Ne vous récriez pas ! Mme de
Sévigné, la divine marquise, ne parle-t-elle pas, dans une de
ses lettres avec une reconnaissance émue des bons effets qu'elle
a retirés pour ses vapeurs de l'esprit ou essence d'urine
qu'elle employait en usage interne ? Dans d'autres cas - pour
les engelures par exemple - on se servait de l'urine par usage
externe.
A Saint-Dié on guérissait la fièvre par l'absorption de trois
araignées dans de la confiture de groseille. A Raon il y a
soixante ans on préférait pour le même cas les poux vivants dans
du beurre frais. A Portieux, quatre poux pris sur la tête d'un
enfant blond, avalés avec la première cuillerée de soupe,
guérissent les maladies de foie à condition de faire dire en
même temps par cinq personnes différentes habitant à cinq lieues
de distance de la demeure du malade, cinq Pater, cinq Ave et
Gloria. A Celles sans autres cérémonies il faut pour la même
maladie neuf poux divisés par trois. A Sarrebourg il en faut
vingt.
Le crottin de cheval, dans du vin blanc, guérit la pleurésie. Si
on l'employait ainsi, notamment à Baccarat et à Raon, c'est
comme souvent, dans la médecine populaire, par survivance des
vieux Codex. On administra ce remède, nous dit Guy Patin qui
trouve cela naturel, au cardinal de Richelieu quand il fut
atteint de la pleuro-pneumonie dont il mourut. En Allemagne
cette liqueur portait le nom d'élixir de saint Luther.
Dans un vieux recueil de 1761, je trouve encore ce remède pour
la jaunisse: le poids d'un écu d'or de fiente de poule dans du
vin blanc, pour les brûlures de la fiente de porc, des crottes
de souris pour les coliques, on s'applique sur le ventre un
petit chien qui tette; pour la folie la cervelle de chien.
Nul n'ignore que la fricassée de souris empêche les enfants de
faire pipi au lit et que les limaces, à cause sans doute de leur
aspect glaireux, sont excellentes pour les rhumes rebelles et
les catarrhes pulmonaires. Quelques vieux Nancéiens se
souviennent encore d'un vieil antiquaire qui, assis dans son
arrière-boutique, avait à côté de lui un pot de limaces. Quand
un accès de toux le secouait, il prenait une de ces bestioles et
l'avalait après l'avoir roulée dans du sucre en poudre. Un
pharmacien de Lorraine fit fortune en vendant il y a une
centaine d'années de la pâte d'escargot.
Faut-il tirer une morale et une conclusion de tout ce que je
viens de conter un peu au hasard ? Tout d'abord il convient
d'observer que les guérisseurs de secret n'ont pas disparu pas
plus que les remèdes dits de bonnes femmes.
Le guérisseur de secret arrive parfois à guérir. Dans le fatras
baroque des remèdes qu'il prescrit il en est qui ont une action
efficace et dont même la science extrait les principes
salutaires. Mais, en attendant une explication qui ne viendra
peut-être pas, on peut dire que l'action efficace du guérisseur
s'exerce surtout par la persuasion, qu'on a de leur pouvoir, par
la suggestion sur le malade. Comme l'a dit un médecin, « l'étude
sérieuse des guérisons merveilleuses obtenues par les artifices
les plus étranges, depuis Esculape jusqu'à nos modernes
guérisseurs, ne permet pas la négation pure et simple de toutes
ces guérisons, mais nous amène infailliblement à en chercher la
véritable cause dans la puissance physiologique de la suggestion
».
Et c'est pourquoi les cérémonies et les procédés bizarres, les
remèdes singuliers que j'ai énumérés ont leur utilité : ils
frappent fortement les esprits, ils provoquent un reflexe
nerveux salutaire qui peut aller jusqu'à arrêter une hémorragie,
empêcher la propagation d'une infection.
Tous les médecins reconnaissent la très grande influence du
moral sur la guérison et ils s'emploient, tout comme les
guérisseurs, à « remonter » ce moral en donnant confiance dans
la drogue prescrite, fût-elle composée de pilules de mie de pain
ou de sirop de gomme.
La confiance n'est-elle pas nécessaire et chacun ne sait-il pas
que, si un médicament agit souvent par lui-même, il agit aussi
par la confiance qu'on lui accorde et qu'on accorde à celui qui
le prescrit ?
Charles SADOUL.
(1) Cette étude de Charles Sadoul a fait l'objet
de plusieurs conférences. C'est ce qui explique son tour
familier.
(2) Renseignement communiqué par M. Albert Troux. |