| En 1861, la presse nationale 
				se fait l'écho d'un crime particulièrement sanglant à Blâmont : 
					
						| La Presse 
						- 9 mai 1861 Le Journal de la Meurthe et des 
						Vosges rapporte qu'un crime a été commis dimanche 
						dernier, vers trois heures, à Blâmont.Un homme s'est introduit chez un propriétaire nommé Jean 
						Bernard, dit Evrard, pendant l'absence de celui-ci. 
						Lorsque Bernard rentra, il trouva le voleur qui essayait 
						d'ouvrir son armoire avec une hachette. Bernard engagea 
						une lutte avec le voleur, qui lui porta dix coups de 
						hachette sur la tête et s'enfuit. Le malheureux Bernard 
						fut retrouvé quelques instants après, ne donnant plus 
						signe de vie. Il mourut au bout de deux heures, sans 
						pouvoir donner aucun renseignement sur l'audacieux 
						meurtrier.
 Jusqu'à présent, les investigations de la justice ont 
						été infructueuses.
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						| Journal du 
						Loiret - 12 mai 1861 On écrit de Blâmont à l'Impartial 
						de la Meurthe et des Vosges :Un horrible assassinat vient de répandre la 
						consternation dans notre ville. Dimanche soir, à l'heure 
						des vêpres, un inconnu s'est introduit au domicile de M. 
						Evrard, rentier, pour le voler.
 La maison, qui est la dernière d'une petite rue donnant 
						sur la campagne, était vide. C'était le jour de la 
						première communion, et la mère ainsi que la belle-soeur 
						de M. Evrard, qui habitaient avec lui, étaient à 
						l'église. Au moment où le malfaiteur venait d'enfoncer, 
						avec une hachette, la porte d'une armoire qui contenait 
						de l'argent, M. Evrard rentra et se précipita sans 
						doute, malgré son grand âge (72 ans), vers l'audacieux 
						bandit. Celui-ci était encore armé de sa hachette : il 
						en asséna quatre coups terribles sur le front du 
						malheureux vieillard, qui tomba baigné dans son sang. M. 
						Evrard ne survécut à ses blessures qu'environ une heure 
						et demie, et ne reprit pas connaissance. L'assassin eut 
						le temps de s'enfuir. On retrouva dans l'armoire une 
						somme de 850 fr., à laquelle il n'avait pas touché. La 
						justice n'a pas tardé à se rendre sur le théâtre du 
						crime, et il faut espérer que ses actives recherches 
						seront bientôt couronnées de succès.
 |  Car la victime, Jean Bernard, 
				72 ans, est effectivement décédé le 5 mai 1861 à 5 h du soir à 
				Blâmont, selon la déclaration faite par son frère Joseph Bernard 
				(70 ans, cultivateur), et son fils Maurice Bernard (50 ans, 
				menuisier) à l'état-civil de la commune.
 Mais très vite, l'enquête va aboutir à démasquer les coupables :
 
					
						| La Presse 
						- 15 mai 1861 Le Moniteur de la Meurthe reçoit 
						de Blamont la lettre suivante, au sujet du crime qui a 
						eu lieu dans cette commune, et que nous ayons rapporté :«  La justice vient de procéder à l'arrestation des 
						auteurs présumés de l'assassinat du 5 mai Ce sont deux 
						jeunes gens, dont l'un, Paul Bernard âgé de dix-sept 
						ans, est le propre neveu de la victime ; l'autre, nommé 
						Colin, âge de dix-neuf ans, est un repris de justice et 
						a une très mauvaise réputation. Ils avaient fabriqué une 
						fausse clé pour ouvrir l'armoire de M. Jean Bernard dit 
						Evrard ; mais n'ont emporté qu'un porte-monnaie trouvé 
						dans la poche de cet infortuné vieillard, et qui 
						contenait la modique somme de 4 fr. Après le crime, ils 
						ont passé plusieurs heures dans les environs de Blamont, 
						puis sont rentrés chez eux
 On assure que Paul Bernard, pressé de questions, a déjà 
						fait des aveux. Son malheureux père qui est un ancien 
						soldat, s'est pendu de désespoir; mais on a pu venir à 
						son secours quand il respirait encore, et l'on espère 
						qu'il ne succombera pas.
 L'émotion est toujours grande dans notre petite ville. »
 |  Les criminels sont donc : 
					
					Paul Francois Bernard, né 
					le 26 août 1843 à Blâmont, fils de François Bernard 
					(vigneron domicilié à Blâmont, qui survivra à sa tentative 
					de suicide) et de Marie Madeleine Schaeffer (demeurant 93 
					grande rue)
					Auguste Colin, né le 13 
					janvier 1842 à Rechicourt-le-Château, fils de Jean-Hubert 
					Colin et Marie-Rose Crouvezier. Le 14 août 1861, la cour 
				d'assises de Nancy condamne à mort les deux assassins. Mais leur 
				peine est commuée en peine de travaux forcés, et les deux 
				prisonniers sont transférés au bagne de Cayenne, où Paul Bernard 
				décède le 9 février 1892.
 Mais à cette date, Auguste Colin n'est plus au bagne depuis déjà 
				18 ans, comme on le voit dans l'article ci-dessous :
 
					
						| 
						Est-Républicain - 1er janvier 1900 Un ex-condamné à mortLe commissaire de police de Bar-le-Duc vient d'arrêter 
						pour infraction à un arrêté d'expulsion un nommé Auguste 
						Collin, âgé de cinquante-sept ans, né à Réchicourt-le-Château, 
						dans l'ancien département de la Meurthe, ferblantier, 
						sans domicile fixe, ancien condamné à mort dans les 
						circonstances suivantes : en 1861, de complicité avec un 
						sieur Bernard, il assassina l'oncle de ce dernier, nommé 
						également Bernard, dit Jean Evrard, à Blâmont (Meurthe). 
						Le 14 août de la même année, il était condamné à mort 
						par la cour d'assises de Nancy, puis sa peine fut 
						commuée en celle des travaux forcés. Après être resté 
						treize ans à Cayenne sous le numéro 9961, Colin opta 
						pour la nationalité allemande, continua sa peine à 
						Sisheim, et, depuis cette époque, subit cinq autres 
						condamnations. Il a été écroué à la prison de Bar-le-Duc
 |  Car après la guerre de 1871, 
				les Alsaciens-Lorrains domiciliés dans les territoires cédés 
				n'avaient aucune déclaration à faire auprès des autorités 
				françaises pour perdre leur nationalité française. Mais dans le 
				cas particuliers des bagnards alsaciens lorrains (qui ne sont 
				alors plus «  domiciliés dans les territoires cédés»), il faut 
				se référer à la convention additionnelle au traité de paix du 10 
				mai 1871, signée à Francfort le 11 décembre 1871, et notamment 
				à ses articles 1 et 4 :«  Article premier. - Pour les individus originaires des 
				territoires cédés qui résident hors d'Europe, le terme fixé par 
				l'article 2 du Traité de paix pour l'option entre la nationalité 
				française et la nationalité allemande, est étendu jusqu'au 1er 
				octobre 1873.
 L'option en faveur de la nationalité française résultera, pour 
				ceux de ces individus qui résident hors d'Allemagne, d'une 
				déclaration faite, soit aux mairies de leur domicile en France, 
				soit devant une Chancellerie diplomatique ou consulaire 
				française, ou de leur immatriculation dans une de ces 
				Chancelleries.
 Le Gouvernement français notifiera au Gouvernement allemand par 
				la voie diplomatique et par périodes trimestrielles, les listes 
				nominatives qu'il aura fait dresser d'après ces mêmes 
				déclarations. »
 «  Art. 4. - Les condamnés originaires des territoires cédés qui 
				sont actuellement détenus dans les prisons, maisons centrales et 
				établissements pénitentiaires de la France ou de ses colonies, 
				seront dirigés sur la ville la plus rapprochée de la nouvelle 
				frontière, pour y être remis aux agents de l'autorité allemande.
 Réciproquement, le Gouvernement allemand fera remettre aux 
				autorités françaises compétentes les condamnés français, non 
				originaires des territoires cédés, qui sont actuellement détenus 
				dans les prisons, maisons centrales et établissements 
				pénitentiaires des pays cédés.
 Il en sera respectivement de même des personnes recueillies dans 
				les maisons d'aliénés. »
 
 Ainsi, le fait d'opter pour la nationalité allemande permet à 
				Auguste Colin d'être transféré en 1874 du bagne français de 
				Cayenne à la prison allemande d'Ensisheim (on notera par 
				curiosité qu'à l'abolition des bagnes coloniaux en 1938 les 
				condamnés aux travaux forcés seront encore transférés à la 
				prison d'Ensisheim redevenue française).
 
 On ignore à quelle date Colin a été libéré par les autorités 
				allemandes, mais l'article ci-dessous évoque 20 ans de travaux 
				forcés, laissant penser à une libération en 1881 (ce n'est 
				certainement pas la peine prononcée à l'origine, puisque Bernard 
				étant décédé après 31 ans de bagne, il s'agissait sans doute de 
				travaux forcés à perpétuité) :
 
					
						| 
						Est-Républicain - 3 mai 1900 Cour d'appel de NancyAudience du mercredi 2 mai,
 Infraction à expulsion. - Le tribunal de Briey a 
						condamné à trois mois de prison le sieur Auguste Colin, 
						âgé de 58 ans, pour infraction à expulsion. Cet individu 
						a été condamné à mort avant la guerre, mais sa peine fut 
						commuée en celle de 20 ans de travaux forcés.
 Sur appel a minima du ministère public, la Cour élève la 
						peine à six mois de prison.
 |  Mais était-ce déjà lui, cité 
				dans : 
					
						| 
						Est-Républicain - 7 juillet 1899 BatillyUne voiture cellulaire de l'administration pénitentiaire 
						du ministère de l'intérieur a amené, de Paris, à la gare 
						frontière française de Batilly, les nommés Auguste 
						Collin, Eugène Keller, Diego Landauer. Nicolas Lang. 
						Pierre Schmitt, Guillaume Serface, sujets allemands, et 
						Samuel Dublovicz. sujet autrichien.
 Ces sept étrangers, qui sortent de prison à la suite de 
						condamnations diverses en France, sont expulsés de notre 
						territoire. M. Nay, commissaire spécial de police, les a 
						fait reconduire sous escorte à la frontière, près d'Amanvillers.
 |  Sans doute, puisqu'on nous 
				parle dans l'article de janvier 1900 de «  cinq autres 
				condamnations ». Ce qui est certain par contre, c'est que 
				Auguste Colin va continuer à errer en Lorraine française : 
					
						| 
						Est-Républicain - 7 juin 1902 Tribunal correctionnel de 
						LunévilleAudience du mercredi 4 juin
 Infraction à expulsion. - Auguste Colin,60 ans, 
						ferblantier, sans domicile fixe. 3 mois de prison
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						| 
						Est-Républicain - 11 juin 1907 Pagny-sur-MoselleLa gendarmerie a arrêté, pour infraction à un arrêté 
						d'expulsion. Auguste Colin, âgé de 65 ans, sujet 
						allemand, qui depuis huit jours était rentré en France, 
						vivant de la charité publique.
 |  Après cette date, on perd la 
				trace d'Auguste Colin, déjà repris de justice à 19 ans, assassin 
				à Blâmont en 1861, condamné à mort, bagnard à Cayenne durant 13 
				ans, prisonnier en Alsace pendant sans doute 7 ans, et expulsé 
				de France à au moins 9 reprises après des séjours en prisons 
				françaises.Voilà un mosellan qui a tiré un bien étrange 
				bénéfice de l'intégration de Réchicourt à l'Allemagne...
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