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Réforme administrative après la guerre - 1916
 


Dès 1916, une réflexion est menée sur une réforme administrative de la France (la transcription des débats ne sera publiée qu'en 1917 et 1918), envisageant «  demain, si nous rentrons en possession de la partie de la Lorraine qui nous a été arrachée ». Nous extrayons un passage des plus intéressants, où sont déjà évoquées des questions toujours d'actualité : le canton de Blâmont y est cité en exemple (en note 1) comme un composé des communes de trop petites tailles, tout en évoquant que les communes sont réfractaires à la fusion. C'est donc du côté de la réactivation de regroupements anciens, tel l'arrondissement instauré par la révolution, que l'orateur oriente ci-dessous ses préconisations.

Mais ses arguments ne sont pas sans rappeler
- les communautés de communes actuelles,
- avec l'extension de leurs compétences, la proposition de 1916 se rapprochant des choix modernes («  hygiène, voirie, remembrement des propriétés, eaux potables, drainage ou irrigation, etc. » ),
- comme remède aussi à la multiplication des syndicats (à l'époque notamment «  agricoles »).

Hormis le fait que la structure 2016 soit sous forme de «  communauté de communes » et non d' «  arrondissement », on constate cependant que les constats et conclusions actuelles, préexistaient il y a exactement un siècle.


Revue générale d'administration
Mars-avril 1918
Ed. Berger Levrault Paris

La réforme administrative après la guerre
[Séance du 11 novembre 1916 à l'Académie]

[...] M. Vidal de la Blache regrette de n'avoir pu assister aux séances précédentes et demande à l'Académie la permission de remonter au point de départ de la discussion, c'est-à-dire à la question de l'arrondissement. A l'idée d'arrondissement s'associe un mode de scrutin contre lequel des objections très fortes ont été élevées. Mais c'est là une question indépendante de celle qui est en discussion; la raison d'être de l'arrondissement est de constituer un intermédiaire nécessaire entre les communes et le pouvoir central.
Le sol de la France est couvert d'une foule de petites unités très anciennes, très tenaces, par lesquelles il a été mis en valeur. On évalue à plus de trente mille le nombre des communes. Ces petites cellules, malgré ce nombre considérable, ne paraissaient pas offrir d'inconvénients quand elles étaient en état de se suffire à peu près à elles-mêmes. La Révolution voulut les associer à la vie nationale en les chargeant de divers services, et alors se posa le problème de l'organisation de ces petits groupes. A diverses reprises on a essayé d'en réduire le nombre, notamment sous le Consulat et dans les premières années de l'Empire. Mais les communes se sont toujours montrées réfractaires à une fusion; et on est d'accord pour reconnaître que, dans cette voie, on ne peut dépasser certaines limites.
L'arrondissement a été créé par la loi du 22 frimaire an VIII sous le nom d'arrondissement communal, montrant bien par là que le but poursuivi était le groupement des communes en un faisceau pour les mettre en contact avec les autorités administratives. L'arrondissement remplaçait l'institution des municipalités cantonales créée par la Constitution de l'an III, toujours en vue du groupement des communes. On n'est guère en état de juger cette tentative née en des circonstances difficiles et qui dura trop peu. Rœderer, dans son rapport du 13 décembre 1799, justifie la création de l'arrondissement en alléguant que les municipalités cantonales constituent un cadre trop étroit pour recruter les administrateurs instruits et capables dont on avait besoin pour faire l'éducation des maires et exercer sur eux une salutaire tutelle.
L'expérience fut tentée. En Alsace, notamment, les préfets se servirent des listes de confiance, puis des conseils d'arrondissement pour choisir les hommes capables de remplir une telle mission. C'est surtout parmi les notaires ou gens de loi, mais aussi parmi les propriétaires, acquéreurs de biens nationaux, que furent recrutés des commissaires chargés de pourvoir à l'inexpérience des petites municipalités. Mais ce système ne tarda pas à être frappé de stérilité par l'élimination de toute participation directe et continue des intéressés. Les conseils d'arrondissement cessèrent, sous le premier Empire, d'être convoqués; et quand ils réapparurent, ce fut, faute d'attributions effectives, pour tomber dans l'insignifiance. L'absence d'une véritable organisation de vie municipale fit que tout ce qu'il y avait d'actif, tout ce qui se sentait quelque ambition, toutes les forces vives, s'échappèrent à l'appel de la capitale. L'arrondissement n'a pris de vigueur que dans les localités où s'est fait sentir une forte poussée économique: mais là il est devenu une réalité vivante qu'il ne serait pas aisé de supprimer.
Les conditions dans lesquelles cette institution s'est formée existent encore, et ce n'est pas à sa suppression, mais à sa régénération que nous devons songer. Il faut aussi tenir compte des modifications opérées, depuis le Consulat, par le développement de la vie économique et des conséquences qui en résultent. A l'époque du Consulat il n'y avait pas entre les diverses communes, au point de vue de la population, un écart tel qu'un même système administratif ne pût s'y appliquer. Il en est tout autrement aujourd'hui : la population de certaines communes, dont le nombre s'accroît à chaque recensement, s'affaiblit de plus en plus pour tomber à moins de 200 habitants, ou même à 100 et parfois jusqu'au-dessous de 50. Dans nos départements de l'Est, notamment, la moitié ou les deux tiers des communes rurales sont réduites à moins de 200 habitants (1). Demain, si nous rentrons en possession de la partie de la Lorraine qui nous a été arrachée, nous trouverons dans cette catégorie près des deux tiers des communes des cantons ruraux. - Mais à côté de ces communes rurales qui s'étiolent et se racornissent, on voit des communes industrielles se changer en bourgs et petites villes (2). Il n'est pas possible que les unes et les autres restent soumises à un régime uniforme. Cette situation nouvelle des petites communes rurales exige que le groupement, l'association interviennent pour donner aux divers services l'impulsion, l'unité de vues indispensables.
Remarquons d'ailleurs que ces services deviennent chaque jour plus nombreux et plus compliqués (hygiène, voirie, remembrement des propriétés, eaux potables, drainage ou irrigation, introduction de machines agricoles, etc.) - La multiplication des syndicats agricoles formés à la suite de la loi de mars 1884 est l'expression de ces besoins. On ne conçoit guère qu'on puisse en charger le pouvoir central à cause des formalités et des lenteurs qu'entraînerait son intervention. Il faut donc en revenir à l'une ou l'autre des institutions créées soit par la Constituante en 1790, soit par la Constitution de l'an III, ou par celle de l'an VIII : le district, la municipalité cantonale ou l'arrondissement communal.
L'objection de Rœderer contre le canton subsiste tout entière. On pourrait se demander si le district, moins étendu que le département, n'eût pas été un cadre meilleur que celui-ci (1). Il est possible qu'il en soit ainsi; mais l'arrondissement a pour lui possession d'état, et sans doute vaut-il mieux conserver, autant que possible, les groupements avec lesquels nous sommes familiarisés. En tout cas, il est nécessaire de donner à l'arrondissement plus d'initiative, d'indépendance et de pouvoir si l'on veut qu'il réponde au but poursuivi. Il faut assouplir l'institution pour que l'initiative des citoyens s'ajuste à la collaboration et au contrôle de l'État. Qu'il me soit permis de citer l'exemple de ce qui se passe en Alsace-Lorraine. Le cercle ayant remplacé l'arrondissement, il y a une diète de cercle nommée par le suffrage universel pour six ans, se réunissant plusieurs fois par an, avec une commission permanente élue par la diète, pourvue de pouvoirs très étendus, et collaborant avec le directeur du cercle. Au témoignage de personnes dont le patriotisme ne saurait être suspect, l'institution fonctionne à la satisfaction des intéressés. C'est, en somme, le retour à la conception de nos anciennes assemblées, particulièrement de la Constituante.
Les raisons qui militent eu faveur de l'organisation de l'arrondissement sont les mêmes qui conseillent une organisation de la région : il s'agit de grouper ici les intérêts communaux, là les intérêts régionaux dans une collaboration plus effective. Je suis porté à penser que le département constitue un cadre insuffisant en présence des graves problèmes qui se posent dès à présent pour raviver la vitalité de la France. On a objecté que la création de régions pourvues d'assez large autonomie risquerait de porter atteinte à l'unité morale de la France. L'objection serait grave, mais il ne me semble pas qu'elle soit fondée. On oublie que les intérêts économiques préoccupent de plus en plus les esprits et que les questions de cette nature, surtout quand on peut en voir directement les effets, sont assez vastes et assez complexes pour donner satisfaction à l'activité et à l'ambition des assemblées régionales. Leur étude sera le meilleur préservatif contre les abus de la politique.
La guerre a montré que nous avions beaucoup à travailler pour mettre plus complètement en valeur le sol, le sous-sol de la France et de ses colonies : ne craignons pas de faire appel à toutes les initiatives et à l'esprit d'association. [...]

(1) Par exemple, le nombre de communes comptant moins de 200 habitants d'après le dernier recensement est de 13 sur 33 dans le canton de Blâmont (Meurthe-et-Moselle); 17 sur 29 dans le canton de Dompaire (Vosges); 17sur 34 dans celui de Villersexel (Haute-Saône), etc.
(2) Exemple : pas une commune de moins de 200 habitants dans le canton de Longwy ; une seule dans celui de Briey, très peu dans celui de Baccarat (Meurthe-et-Moselle). Je cite ce département comme un de ceux où s'accuse le plus vivement le contraste entre la vie rurale et la vie industrielle; mais le fait est général.
(3) Ainsi le département de la Moselle était divisé en 9 districts, au lieu de 4 arrondissements. Celui de l'Ille-et-Vilaine comptait 9 districts au lieu de 6 arrondissements. - Le cercle (Kreis) de l'Alsace-Lorraine, qui a été substitué à l'arrondissement, se rapproche, par l'étendue, du district : 6 cercles dans la Haute-Alsace (Haut-Rhin) au lieu de 3 arrondissements; 8 dans la Basse-Alsace (Bas-Rhin) au lieu de 4 arrondissements.

 

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