Les préliminaires
de la révolution à Nancy. L'élection aux états généraux et le
cahier de la ville de Nancy
Christian Pfister
Ed. Nancy, 1910 Les
opérations pour la nomination des députés du baillage de Nancy
avaient traîné, surtout par la nécessité où l'on s'était trouvé
de convoquer à plusieurs fois l'assemblée de la ville de Nancy,
chargée d'approuver le cahier municipal. Les cinq autres
bailliages avaient été plus expéditifs. Dans celui de Lunéville,
l'assemblée des trois ordres et les assemblées spéciales à
chaque ordre se tinrent du lundi 23 au samedi 28 mars, sous la
présidence du lieutenant-général, Jean-Antoine Thiry, en
l'absence du bailli d'épée, le maréchal prince de Beauvau. Elles
se terminèrent par les élections de Grégoire, curé d'Emberménil,
et de Drouin, curé d'Haudonville, pour le clergé ; par celles de
Maximilien-Chrétien, comte de Fiquelmont de Parroy, et du
marquis Anne Bernard-Antoine de Raigecourt-Vitrimont pour la
noblesse; celles de Germain Bonneval, cultivateur à Ogéviller,
de Pierre-Nicolas Blampain, avocat à Rambervillers, Charles
Regneault, avocat du roi au bailliage royal de Lunéville,
Étienne Brunei, ancien négociant à Magnières (1). L'assemblée du
bailliage de Blâmont se tint dès le 16 mars et était close le
23; Louis Fromental, lieutenant général, présidait en l'absence
du bailli d'épée, le baron de Lubert. Les députés choisis furent
Ména, curé de Foulcrey, pour le clergé ; Marie-Joseph de Bussène
pour la noblesse ; Louis Fromental, lieutenant général, et
François Gérard, laboureur à Barbas, pour le tiers. (2).
[...]
Les 7 membres du clergé, les 7 de la noblesse et les 14 du
tiers, élus dans ces cinq bailliages, devaient se rendre à
Nancy, pour s'unir aux 3 membres du clergé 3 de la noblesse, 6
du tiers choisis par le bailliage de Nancy et ces électeurs
étaient tenus de choisir entre eux les députés définitifs de la
circonscription. L'assemblée de réduction avait été fixée
d'abord au 30 mars ; mais, comme les opérations des assemblées
préliminaires se prolongèrent à Nancy, elle fut renvoyée au
lundi 6 avril, à 4 heures de l'après- midi : le matin encore
siégeait l'assemblée du bailliage de Nancy, pour remplir les
dernières formalités. L'assemblée de réduction fut présidée par
le marquis de Boufflers en sa qualité de bailli d'épée du
bailliage de Nancy. On fit l'appel des députés électeurs qui
étaient tous présents ; le greffier du bailliage donna lecture
des articles du règlement du 7 février relatifs à la réduction ;
puis chaque ordre décida qu'il procéderait séparément à cette
réduction et remit au bailli les cinq cahiers, un par bailliage,
plus le cahier commun aux trois ordres du bailliage de Rosières.
Ces cahiers ne devaient pas être fondus en un seul ; ils étaient
réputés cahiers principaux et devaient être portés aux états
généraux par les deux députations, 2 ecclésiastiques, 2 nobles
et 4 du tiers qu'il restait à désigner. Le bailli remit au
lieutenant-général les cahiers du tiers et les députés des deux
premiers ordres quittèrent la salle où le tiers resta seul et se
retirèrent dans leurs chambres. Le tiers procéda à la
vérification des pouvoirs des 20 électeurs, les trouva en bonne
forme et passa à l'élection des députés définitifs. Regnier fut
choisi sans difficulté comme premier député par 19 voix contre 1
donnée à Prugnon, c'est-à-dire à l'unanimité. Pour la seconde
place, il fallut deux scrutins ; Salle passa au second tour à
une voix de majorité, soit par 11 voix. La troisième place fut
attribuée sans difficulté à Prugnon par 17 voix et la quatrième
ne fut distribuée qu'après un second tour de scrutin à Regneault,
de Lunéville, par 11 voix. Ainsi deux avocats de Nancy, un
médecin de Vézelise, un avocat de Lunéville étaient chargés de
représenter la circonscription. Il fallait choisir deux
suppléants. Au premier tour, Plassiart fut désigné à l'unanimité
de 19 voix sur 20 votants. La seconde place fut disputée avec
beaucoup d'acharnement ; Blampain, avocat à Rambervillers, ne
l'emporta que d'une voix (10) sur Fromental, lieutenant-général
du bailliage de Blâmont. La députation du tiers état se trouvait
de la sorte complète.
La noblesse de son côté choisissait, sous la présidence de
Boufflers, ses députés; après avoir nommé comme secrétaire M.
Vaultrin, écuyer, trésorier du grand-duc de Toscane. MM. de
Ludres, Collenel et le baron de Châtillon furent choisis pour
scrutateurs. Comme premier député le comte de Ludres fut désigné
au premier tour à la majorité des suffrages; comme second
député, le chevalier de Boufflers, également au premier tour. Le
marquis de Raigecourt et le comte de Salm Salm furent élus par
deux nouveaux tour de scrutin, comme suppléants. Un exemplaire
des six cahiers fut remis aux mains des députés et un autre
déposé au greffe du bailliage.
Le clergé se réunit sous la présidence de l'évêque de Nancy et
renomma comme secrétaire M. Bourgeois. Les trois plus anciens
membres, Drouin, Houillon et Liébault, furent priés d'accepter
les fonctions de scrutateurs. M. Drouin, doyen d'âge, se leva
alors et se dit chargé par ses collègues d'exprimer leur désir
de nommer l'évêque de Nancy député par acclamation. Mais Mgr de
La Fare refusa, alléguant le règlement. On passa donc au vote et
il fut choisi à l'unanimité comme premier député. L'élection du
second député fut beaucoup plus laborieuse : trois tours de
scrutin furent nécessaires. Après le second, Grégoire, curé d'Emberménil,
et Houillon, curé de Crépey, restaient en présence. Le premier
fut élu par cinq suffrages contre trois donnés au second. M.
Houillon se vit aussitôt donner une compensation; on le choisit
comme député suppléant. Les cahiers du clergé des six bailliages
furent remis aux députés choisis ; un second exemplaire fut
déposé au greffe.
Ainsi se terminèrent les élections, et, quelques jours plus tard
(3), les huit députés de la circonscription partaient pour
Versailles. Mgr de La Fare fut chargé de prononcer le sermon le
jour de la procession des états généraux.
[...]
TIERS
1re place. - REGNIER. - Claude-Ambroise Regnier était né à
Blâmont, le 5 novembre 1746 (4), d'Ambroise Regnier, aubergiste,
et de Françoise Thiry. Son père était fils d'un procureur
général au bailliage de Saint-Dié et mourut à Blâmont à 87 ans,
le 28 décembre 1806.
Regnier fit ses études secondaires sous la direction d'un oncle,
curé de Saint-Dié, et suivit les cours de l'Université
catholique de Strasbourg, puis ceux de l'Université de Pont-à-
Mousson, où il prit le titre de licencié en droit. En juillet
1765, à 19 ans, il se fit inscrire comme avocat au barreau de
Lunéville. En 1769, il fut appelé par le prince régnant Louis de
Salm-Salm à Senones et, en qualité de procureur général, il
dirigea les affaires de la principauté. En 1773, il quitta
Senones pour s'installer à Nancy comme avocat au Parlement. et y
remporta de grands succès oratoires. Aussi fut-il, en 1789,
désigné par les avocats de la ville, comme l'un de leurs
représentants à l'assemblée de la ville; il fut l'un des
principaux rédacteurs du cahier de la cité, fut choisi comme
député électeur à l'assemblée du bailliage le 5 avril et élu
définitivement par l'assemblée de réduction le 6. Il prit, à
l'Assemblée nationale, une grande part à la discussion sur la
nouvelle organisation judiciaire, se prononça contre
l'institution du jury en matière civile. Il défendit la
municipalité de Nancy contre ceux qui incriminaient sa conduite
lors de l'insurrection du 31 août 1790 et approuva la conduite
du marquis de Bouillé. Il fut envoyé, après la fuite du roi,
comme commissaire dans le département des Vosges, du Haut-Rhin
et du Bas-Rhin. pour apaiser les troubles qui y avaient éclaté.
Sous la Législative, il revint à Nancy, reprit sa profession
d'avocat, fit partie, à la fin de 1791 du corps municipal, puis
fut nommé président du tribunal de district ; mais, destitué en
1793, il se retira en sa maison de campagne de Maxéville, songea
à émigrer et fut arrêté du 17 ventôse an II (7 mars 1794) au 9
thermidor. Le 20 vendémiaire an IV (13 octobre 1795), il fut élu
député de la Meurthe au Corps législatif - l'un des deux députés
du nouveau tiers - et le tirage au sort l'appela le 5 brumaire
au Conseil des anciens. Il fut réélu membre de ce Conseil aux
élections complémentaires de l'an VII ; il en devint secrétaire,
puis président. Il se prononça contre le retour des prêtres
exilés ou déportés. En 1799, il se rapprocha de Bonaparte,
trempa dans le coup d'état du 18 brumaire : c'est lui qui
présenta le décret transférant les deux Conseils à Saint- Cloud
; - ce fut l'origine de sa haute fortune. Il présida la
commission législative intermédiaire d'où sortit la constitution
de l'an VIII. Il entra au Conseil d'État et fut l'un des
principaux rédacteurs du Code civil. Le 14 septembre 1802, le
premier consul le nomma grand juge et ministre de la justice, et
il cumula pendant un certain temps avec ses fonctions celles de
ministre de la police, lors de la disgrâce de Fouché
(1802-1804). Grand officier de la Légion d'honneur le 14 juin
1804, grand cordon le 2 février 1805, il devint, le 24 avril
1808, comte de l'Empire, et, le 15 août 1809, par un décret
signé de Schoenbrunn, il reçut le titre de duc de Massa-di-Carrara.
En 1813, très fatigué, il donna sa démission de grand juge; mais
il fut nommé par Napoléon président du Corps législatif,
quoiqu'il n'appartînt pas à cette assemblée; aussi fut-il
accueilli très froidement. Le duc de Massa, comblé de bienfaits
par l'Empereur, fit adhésion au gouvernement des Bourbons ; il
ne tarda du reste pas à mourir en son hôtel de la rue de
Choiseul, le 25 juin 1814, en sa 68e année.
Il s'était marié à Lunéville le 5 avril 1769 avec Charlotte
Lejeune (5) ; il en eut 10 enfants. Un fils, le comte de Gronau,
et une fille, la baronne Thiry, seuls survécurent ; mais ils ont
laissé une nombreuse descendance.
Cf. L. ADAM, Étude sur trois gardes des sceaux de France, nés en
Lorraine (Regnier, comte de Serre, Henrion de Pansey, Discours
prononcé le 4 novembre 1872, à l'audience de rentrée de la Cour
d'appel, Nancy, 1871 ; ALEXANDRE, Notice sur Claude- Ambroise
Regnier, duc de Massa, Discours à l'audience solennelle de
rentrée du 3 novembre 1853 ; PAUL DELAVAL, Le grand-juge Regnier,
duc de Massa, dans le Pays lorrain, 1909, pp. 738-745 et tirage
et part.
[...]
4e Place. - REGNEAULT. - Charles Regneault, né à Blâmont le 15
février 1755, fils de Hyacinthe Regneault, avocat en Parlement,
exerçant au bailliage royal de Blâmont, et de Françoise-Théodore
Paquet, devint lui-même conseiller du roi et son avocat au
bailliage de Lunéville; il se maria dans cette ville, le 9 mai
1785, avec Thérèse-Charlotte Chippel (CH. DENIS, Registres de
l'état civil de Lunéville, p. 231). Il fut député électeur du
bailliage de Lunéville, élu député définitif par l'assemblée de
réduction de Nancy le 6 avril. Il siégea à Versailles où il
habitait boulevard de la Reine, n° 20, puis à Paris en 1790 et
1791, rue de Gaillon, 2, hôtel d'Antin. Après l'Assemblée
constituante il revint en Lorraine, fut pendant un certain temps
administrateur du département de la Meurthe et choisi ,le 24
août 1793, comme juge de paix du territoire du midi de la ville
de Nancy. D'opinion modérée, il déplora le régime de la Terreur,
devint suspect et n'échappa à l'échafaud que par la chute de
Robespierre. Après le 18 brumaire, il fut appelé à présider le
tribunal civil de Nancy. Il fut choisi comme électeur
départemental en l'an XI. Il avait alors 48 ans, était marié,
père de quatre enfants. Son revenu était estimé 50.000 francs.
Il obtint 112 suffrages sur 186 dans le canton de Nancy-Ouest.
Il demeura à Nancy, rue de la Poissonnerie (n° 366) jusqu'en
l'année 1811. Son ancien collègue Regnier, dont nous avons dit
la haute fortune, l'appela dans ses bureaux. Il mourut sans
doute à Paris. Sur son frère Jean-Baptiste Regneault, voir PAUL
DENIS, Les municipalités de Nancy, p. 153.
(1) Cf. Liste des députés des bailliages de la
province de Lorraine et de Bar aux états généraux avant leur
réduction aux quatre chefs-lieux d'arrondissement, Nancy,
Bar-le-Duc, Mirecourt et Sarreguemines. A Nancy, chez H. Haener,
17 pages in-8. Le cahier du clergé pour le bailliage de
Lunéville a été publié par l'abbé JÉRÔME, o. c., pp. 97-105.
Celui de la noblesse a été imprimé dès 1789, 12 pages in-4, avec
certaines fautes d'impression qui, sur beaucoup d'exemplaires,
sont corrigées à la plume ; le cahier avec les corrections a été
réimprimé dans MAVIDAL et LAURENT, Archives parlementaires, t.
IV, pp. 84-86. Le cahier du tiers n'a pas encore été retrouvé Le
cahier particulier de la ville de Lunéville a été publié par H.
BAUMONT, Histoire de Lunéville, pp. 217-246. M. EMILE DUVERNOY a
donné les cahiers primaires d'Emberménil et de Sommerviller
(Annales de l'Est, 1898, p. 577, et 1900, p. 86).
(2) Le cahier du clergé a été publié par l'abbé JÉROME, o. c.,
pp. 114- 119. Les cahiers de la noblesse et du tiers n'ont pas
encore été retrouvés à notre connaissance.
(3) Les états généraux devaient, d'après la lettre du 24 janvier
1789, se réunir le 27 avril. Mais, le 26 avril, un ordre du roi
en différa jusqu'au 4 mai l'ouverture, beaucoup de députés ne se
trouvant pas encore à Versailles et quelques élections,
notamment celles de Paris, n'étant pas encore achevées.
(4) Registres de l'état civil de Blâmont. Cf. J. S. A. L., 1888,
p. 134 (DE MARTIMPREY), et 1898, p. 12 (ÉMILE DUVERNOY.)
(5) Il avait alors 23 ans et était encore mineur. Charlotte
Lejeune était fille mineure de Nicolas-François Lejeune,
conseiller du roi, greffier en chef du bailliage, et de Claude
Persil. CH. DENIS, Inventaire des registres de l'état civil de
Lunéville, p. 209. |