La petite commune d'Amenoncourt
a inauguré, dimanche, un monument à la mémoire de ses glorieux
enfants morts pour la patrie. Le comité d'érection avait
strictement limité le nombre de ses invitations.
A cette inauguration, notre ami Georges Mazerand, député de
Meurthe-et-Moselle, a prononcé le beau discours suivant :
Discours de M. Mazerand
« Votre commune, comme la plupart des villages du canton de
Blâmont, a subi une destruction à peu près complète au cours de
la guerre; comme toutes les localités de Lorraine elle eut non
seulement à déplorer le sacrifice d'un grand nombre de ses
enfants mais encore de dures pertes matérielles. Il est juste de
fixer à jamais par un monument durable le souvenir de ces
douloureuses épreuves...
Ainsi l'ont compris les patriotiques populations du département,
qui n'ont cessé, depuis l'armistice, de commémorer dignement la
mémoire des victimes de la guerre ; Amenoncourt vient à son tour
célébrer ce culte pieux au cours des diverses cérémonies
auxquelles vous avez bien voulu me convier. Il m'aurait été
pénible de ne pouvoir au moins y assister partiellement car si
j'attache du prix à un tel tribut de reconnaissance, je vous
avoue qu'une manifestation semblable me parait plus touchante
encore lorsqu'elle émane d'une petite agglomération ne disposant
que de moyens limités. Tel est bien votre cas, puisque
Amenoncourt est réduit à une population de 150 habitants.
...Votre geste a une pleine signification aujourd'hui : il se
produit à l'heure où votre village est reconstitué et vous avez
pensé que cette rénovation ne serait pas complète si elle
n'était accompagnée de l'inauguration du cénotaphe devenu
traditionnel dans toutes les cités de nos régions dévastées.
Rappellerai-je les événements tragiques qui marquèrent le début
des hostilités dans votre paisible village ? Ils sont encore
dans la mémoire de tous ceux qui en furent les témoins
oculaires.
Ce fut, dès le 4 août 1914, la ruée brutale, irrésistible, des
hordes germaniques que le recul de nos troupes à dix kilomètres
de la frontière laissait libres d'agir comme en pays conquis.
Les Allemands n'eurent garde de manquer à leur réputation de
barbares laissée par les précédentes invasions.
Le 14 août, sans provocation, ils incendient trois maisons : M.
Thouvenin est trouvé carbonisé dans sa grange.
Vous avez éprouvé toutes les misères réservées aux villages qui
devaient rester pendant toute la durée des hostilités sur la
ligne de feu !
Comble d'infortune, vous êtes placés, à partir de 1915, sous le
bombardement de notre artillerie. Ce fut une lente destruction,
presque pierre à pierre, la disparition de quarante-quatre
maisons, détruites, de vingt et une gravement endommagées, ainsi
que les édifices publics.
Votre foi dans le triomphe de nos armes vous aida à passer
toutes ces années terribles. La citation décernée à Amenoncourt,
en même temps qu'à Autrepierre, Gondrexon, Repaix, Herbéviller,
Remoncourt, ses camarades de misère dès le 10 août 1922, est le
témoignage durable de votre belle conduite civique. Laissez-moi
en rappeler les termes élogieux ;
« Occupée par les Allemands dès le début des hostilités, a
supporté avec une patriotique fermeté le joug d'un ennemi brutal
qui lui fit subir de douloureuses vexations. A ainsi prouvé, par
la belle énergie de ses habitants, sa confiance inaltérable dans
la victoire finale. »
Ce que ne dit pas le texte officiel, c'est que cette énergie
vous fut inspirée surtout par l'exemple magnifique d'abnégation
et de courage qui vous était donné pas vos mobilisés.
En rappelant votre noble attitude, c'est un premier hommage que
j'adresse à ceux dont nous glorifions ensemble le long martyr.
Ils étaient partis pour la plupart dès avant la mobilisation,
afin d'éviter de ne pouvoir rejoindre leurs unités.
N'appartenaient-ils pas à ces admirables régiments du 20e corps
qui soutinrent tant de fois le choc des ennemis, partout où le
danger pressait, partout, où il y avait de la gloire à cueillir
? Gloire cruelle car elle fut payée du prix inestimable de ces
jeunes vies sacrifiées ! C'est ainsi que le sang de vos
compatriotes a coulé en Alsace, sur la. Marne, dans la Somme, en
Artois, en Champagne, et au cours des combats de 1918, avant la
conclusion du victorieux armistice... Et c'est pourquoi, sur une
population de deux cent vingt-cinq âmes, vous avez eu à déplorer
la mort, sur le champ de bataille ou des suites de maladies ou
de privations, de neuf d'entre vos mobilisés. Cette proportion
est déjà considérable. A cette funèbre liste, deux noms ont été
ajoutés ; ceux des civils que la guerre a couchés prématurément
au tombeau. Confondons-les tous dans un même regret !
Honneur à eux ! Honneur à leurs familles qui sentent aujourd'hui
se renouveler tout leur chagrin et auxquelles j'adresse en même
temps que mes condoléances sincères l'expression de mon
affectueux dévouement !
Que désormais ces noms gravés sur cette pierre soient un exemple
vivant dont puissent s'inspirer les générations futures, si
jamais la patrie était à nouveau menacée. Le ciel nous préserve
d'une telle catastrophe ! Nous avons supporté tout le poids de
cette terrible guerre, que dis-je, nous le supportons encore, et
les difficultés financières nées de la désaffection de nos
alliés, au milieu desquelles nous nous débattons nous réservent
encore des jours pénibles à traverser. Mais, c'est le cas de le
répéter : « Plaie d'argent n'est pas mortelle », et à ceux qui,
comme nous, ont eu des déchirements irrémédiables, il n'est pas
de sacrifices pécuniaires qui puissent sembler comparables.
Toute la nation est prête à faire son devoir pour la sauvegarde
des intérêts matériels... Mais ce pays serait plus disposé à
accepter les sacrifices d'un coeur serein si le gouvernement de
demain assurait, comme il faut fermement l'espérer, plus que le
rétablissement financier, la restauration de l'ordre...
Il faut redonner au pays la confiance en lui, ébranlée, et seul
peut la lui rendre un gouvernement sachant ce qu'il veut et
mettant au-dessus de tout la notion d' « Etat », de « salut
public », en un mot d' « autorité » qui n'est pas incompatible
avec l'esprit républicain. Au contraire, si nous devions voir
l'esprit de parti régir les destinées de la nation, il faudrait
craindre que la situation n'empirât et que nous eussions à
choisir entre deux dilemmes aussi fâcheux : « Anarchie ou
dictature. »
Déjà, certains voient dans le despotisme d'un seul l'unique
remède aux abus de pouvoir de quelques-uns. Si tous les Français
étaient imbus des idées réalistes et saines de nos compatriotes,
la solution serait facile et prochaine et nous éviterait de
pareilles aventures.
Parce que vous avez été de tous temps à l'école terrible de la
guerre et de ses conséquences, vous vous gardez des dangereuses
utopies, de quelque côté qu'elles viennent, et considérez
d'instinct comme seules admissibles les solutions rationnelles
qui concilient les intérêts de tous, sur le terrain du
patriotisme vigilant et du progrès constant des institutions
républicaines.
C'est la leçon que tireraient des événements actuels nos grands
morts, inspirateurs de notre tâche et dont nous devons défendre
l'oeuvre sacrée. |