MEMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES, LETTRES ET ARTS DE NANCY.
1849.
RECHERCHE SUR L'INDUSTRIE EN LORRAINE
ET PRINCIPALEMENT DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MEURTHE,
par M. Henri LEPAGE.
CHAPITRE I. - DES VERRERIES
[...]
Les forêts du comté de Blâmont et de la châtellenie de Turquesteim, de même que celles de Darney, grâce aux avantages qu'elles offraient à ce genre d'industrie, avaient vu se créer, à une époque éloignée, des verreries qui semblent avoir eu pour spécialité, comme celle de Saint Quirin, la fabrication des miroirs. Un document bien antérieur à tous ceux que cite M. Beaupré, parait confirmer cette assertion et prouver que des verriers du comté de Blâmont s'étaient établis dans quelques localités de la Lorraine. En 1373, lorsque l'empereur Charles IV octroya à la ville de Pont-à-Mousson les chartes qui l'élevaient à la dignité de cité impériale et lui en accordaient les privilèges, les habitants de franche condition furent convoqués pour entendre la lecture de ces chartes ; parmi ces gens, appartenant à toutes sortes de métiers :
« tartiers, corvisiers, feivres (serruriers), drapiers, bourciers, armoiers, orfebvres, » etc., figurent Thiebaulz Ribaulz, miroiers, et Jehhans de Blammont, aussi miroiers (1). N'est-il pas permis de tirer, de ce passage, la conséquence qu'il existait déjà, dans ces temps reculés, des usines verrières ou du moins des fabriques de miroirs, soit à Blâmont même, soit dans le comté dont cette ville était la capitale ?
Il est vivement à regretter qu'aucun document postérieur ne vienne fortifier cette présomption : de la fin du XIV° jusqu'au commencement du XVIIe
siècle, je n'ai pas découvert la moindre trace de ces anciennes usines, et c'est seulement en 1600 que je les vois reparaître sous la direction de ce même Barthelémy Jacquemin dont j'ai précédemment parlé. Il est probable qu'il avait fait faire de grands progrès à son art, et que l'établissement que cet industriel possédait à Hattigny, près Blâmont, jouissait d'une certaine célébrité, puisque c'est lui et ses fils que Charles III choisit pour les envoyer à Florence propager les découvertes de leur industrie (2).
Durant l'absence de Jacquemin, des essais furent faits pour introduire en Lorraine la fabrication des verres de cristal, façon de Venise. Un nommé Pierre Mazzolao vint de cette ville à Nancy et y fit des expériences dont, malheureusement, on ignore les résultats (3).
A son retour d'Italie, Barthelémy Jacquemin, aidé des libéralités du duc de Lorraine Henri II, construisit une nouvelle usine dans les bois de Busson, gruerie de Blâmont, à charge de propager son art en formant des élèves (4). Cette verrerie, créée en 1617, fut presqu'aussitôt détruite par un incendie, puis rétablie en 1619, toujours par les bienfaits du prince (5).
La protection accordée par Charles III et son successeur à Barthelémy Jacquemin, témoigne de l'importance qu'ils attachaient aux développements de l'industrie verrière dans leurs états ; les forêts dont le sol de notre pays était alors couvert, en fournissant abondamment les matériaux nécessaires à la fabrication du verre, faisaient, en effet, de cette branche de commerce, une véritable richesse pour la province.
Outre les verreries de Saint-Quirin et de Hattigny et celle des bois de Busson, il paraît qu'il y eut encore à Borville, village situé dans les environs, une verrerie ou une cristallerie dirigée par un nommé Nicolas Thomas. Mais l'existence de cette dernière ne m'est révélée que par une seule mention (6) qui ne me permet d'entrer dans aucun détail à son égard.
(1) Cartulaire de Lorraine, registre intitulé -. Domaine de Pont-à-Mousson. (Archives du département.)
(2) A Bartholomé Jacquemin, faiseur de grands mirouers, résidant à Hattlgny, la somme de trois escus pistolletz valtans treize frans six gros que S. A. luy at donné et octroyé ceste fois.... Mandement donné à Nancy le 3e novembre 1600. - A Demange Coquart, bourgeois demeurant à Blamont, la somme de 150 frans savoir six vingtz frans que S. A. luy at accordé pour subvenir à la despense tant de luy que de Bart. Jacquemin et d'ung sien fils demeurans à Hattigny, en allant dudit Blamont à Florence où sadicte alteze les at envoyé pour servir Monseigneur le grand duc de Toscanne du mestier et art desdits Bart. et fils, ouvriers de miroirs ronds et en bosses, et trente frans à eulx accordés de plus tant pour les ayder à se mettre en quelque esquipage pour ledit voyage que pour fournir à autres menues nécessités qu'ils pourraient avoir pendant iceluy. Oultre ladite somme elle leur at encores accordé buict reseaulx de bled sur la recepte de Blamont pour ayder à vivre leur famille. Au contenu du mandement donné à Nancy le 7e apvril 1600. (Trésorier général pour l'an 1600.)
(3) A Pierre Mazzolao, vénitien, 30 fr. pour la dépense qu'il a faite à Nancy pendant quinze jours qu'il a séjourné du commandement de Son Altesse, attendant quelques poudres qu'icelle faisait venir de Paris pour faire la preuve des verres de cristal, façon dudit Venize, que ledit Mazzolao avait promis de faire. (Trésorier général pour l'année 1606.)
(4) Faict despence de la somme de 300 fr. que le comptable a paié et delivré en suitte des lettres patentes de S. A., à Claude Barthe. Jacquemin, Me faiseur de miroirs en bosse, demeurant à Hattigny, chatellainie de Turques tain, qu'il a pleu à S. A. luy donner pour une fois seulement, tant pour l'aider à construire ung lieu propre pour faire lesdits miroirs es bois de Busson, gruyerie de Blamont, que pour luy donner subject d'apprendre l'art à quelqu'un des subjectz de S. A. (Comptes du domaine de Blâmont pour l'an 1617, chapitre intitulé : Dépense extraordinaire.)
(5) 200 fr. que par ordonnance de S. A., le comptable a délivré des deniers de sa charge à Claude Jacquemin, Me faiseur de miroirs, demeurant à Hattigny, et ce pour aider à faire refectionner sa verrerie, qui auroit esté bruslée. (16. pour l'an 1619, ib.)
(6) A Nicolas Thomas, marchand verrier de Bourville, 18 frans pour douze vers de cristal prins et achaptés de luy. (Trésorier général pour l'an 1600.)
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