Est-Républicain
2 novembre 1921
La cérémonie d'Halloville
Il est trois heures lorsque, par un vent
froid, sous un ciel en grisaille de Toussaint, nous arrivons à
Halloville, délicieusement parée et pimpante. Ici, la
reconstitution a été plus lente qu'à Ancerviller.
Les tas de moellons sont encore nombreux qui attendent le coup
de baguette du magicien Vercelli.
C'est qu'à Halloville, - M. Désiré Monzein, son sympathique
maire, nous le dira tout à l'heure, - une très lourde tâche a
été entreprise. Le village, bâti avant la guerre sur un coteau
escarpé et privé d'eau, a été descendu dans la plaine. Cette
modification de l'emplacement primitif ne s'est pas faite sans
discussions ni sans un long travail préparatoire.
Aujourd'hui, le miracle de la résurrection commence à
s'affirmer, mais il a fallu - comme pour beaucoup d'autres
miracles, - que les hommes donnent à la Providence un rude coup
d'épaule...
L'infatigable fanfare des Etablissements Mazerand est arrivée
depuis longtemps déjà. Du terre-plein qui domine le panorama de
la plaine lorraine, dont les douces ondulations se succèdent
jusqu'à la gaze bleue des monts vosgiens, elle accueille par la
Marseillaise l'arrivée des personnalités officielles.
Devant le cube de pierre d'une immaculée blancheur qui attend la
bénédiction, la foule a pris place. Mgr de la Celle revêt les
ornements pontificaux et les chants liturgiques s'élèvent dans
un impressionnant silence. Puis, M. la maire s'avance et
prononce le discours suivant :
Les discours
M. LE MAIRE
Le sentiment qu'il est de mon devoir et que j'ai l'agréable
honneur d'exprimer en cette fête de la reconstitution, est
exactement le même que celui de la population d'Ancerviller.
Comme elle, nous savons ce que nous devons à M. l'abbé Fiel ; en
le remerciant publiquement, je suis heureux de le proclamer un
bienfaiteur de notre région.
Nous avons suivi la même voie, employé les mêmes méthodes,
recouru au même architecte et au même entrepreneur.
Si nos résultats sont moins complets, c'est que nous avons
entrepris la lourde tâche de descendre dans la plaine notre
village escarpé, grâce au bienveillant appui que nous avons
trouvé dans votre administration, Monsieur le préfet.
Notre projet a pu se réaliser et nous ne connaîtrons plus le
grave danger d'être privé d'eau. Vous avez sous les yeux les 11
maisons que nous avons réparées, les 11 bâtiments agricoles et
les 2 maisons d'habitation qui constituent la nouvelle
agglomération.
Nous terminerons notre reconstitution l'an prochain si l'Etat
nous alloue. 1.100.000 francs dans le programme des
coopératives.
La reconstruction de l'église est assurée par la Coopérative
diocésaire ; permettez, Monseigneur, qu'en mon nom et en celui
de la municipalité de Halloville, je souscrive aux paroles
délicates que vous exprimait ce matin M. l'abbé Fiel, et je vous
prie de partager avec M. le chanoine Thouvenin, la gratitude que
nous inspire votre patriotique et religieuse initiative.
Nous applaudissons également, Monsieur le préfet, à la
constitution de la Coopérative des écoles, à laquelle nous avons
adhéré avec l'empressement le plus reconnaissant et nous aurons,
grâce à votre haute intervention, la crédit nécessaire pour
faire bientôt le groupe de nos bâtiments communaux. Dès lors que
la Coopérative des écoles est placée sous la direction de M.
l'inspecteur Coulon, elle est assurée des brillants succès de sa
soeur aînée, la Coopérative des églises.
En relevant nos foyers et en rendant nos sillons productifs, en
manifestant notre gratitude envers les autorités civiles,
religieuses et parlementaires, noue ne perdons pas de vue la
dette sacrée que nous avons contractée envers ceux des nôtres
qui ont pénétré dans l'éternité par la porte empourprée du
sacrifice.
Quand cette place sera, digne d'eux, nous graverons leur nom sur
le marbre et autour de ce mausolée, les générations, à commencer
par la nôtre, viendront se recueillir et prendre de salutaires
leçons. (Applaudissements.)
L'appel des morts
M. Louis, instituteur de Halloville, fait alors l'appel des
morts glorieux de la petite commune :
Victimes civiles fusillées par les Allemands : Emile Carpentier
et Joséphine Duhaut,
Morts au champ d'honneur : Arsène Gérard, 17e B.C.P. ; Paul
Jollain, 17e B.C.P. ; Léon Baudot, 156e R.I. ; Georges Baudot,
27e B.C.P. ; Adrien Noël, 26e R.I. ; Paul Monzein, 27e R.A.C.;
Georges Monzein, 134e R.I. ; Edouard Jollain, prisonnier civil.
M. GEORGES MAZERAND
Si Halloville a partagé la mauvaise fortune d'Ancerviller, il a
été justement associé à sa gloire, Une même et brillante
citation a été décernée le 7 octobre aux deux par communes M. le
ministre de la guerre.
Un destin pareil a permis que grâce aux efforts de la
Coopérative de reconstitution, sur l'initiative dévouée de M.
l'abbé Fiel, Halloville comme Ancerviller précède de loin, bien
des malheureux villages du front dans la voie de la
réédification. Et c'est avec un sentiment d'allégresse véritable
que nos yeux voient s'élever des bâtiments neufs et superbes, là
où ils s'étaient accoutumés à ne contempler que des ruines
poussiéreuses.
Je puis donc aujourd'hui féliciter à la lois les habitants de la
croix de guerre qui vient d'être remise solennellement à la
municipalité à Ancerviller, et de la résurrection de leur chère
commune : Rien, j'en suis sûr, ne peut leur causer plus de joie.
Ils ont prouvé dans l'exil à quel point ils étaient fidèles à
leur petit village, quand au mépris de toute prudence
d'ailleurs, certains d'entre eux revinrent se fixer en Lorraine,
en pleine guerre, dans l'espoir d'un retour toujours espéré au
village abandonné : Ce retour fut retardé jusqu'à l'armistice,
hélas ! Mais à ce moment des familles donnèrent le plus touchant
exemple d'attachement au sol natal, en occupent plusieurs mois
durant, des abris allemands dans un village bouleversé par les
tranchées, les blockaus, les réseaux de fil de fer, tout un
système formidable de défenses.
Et peu à peu, avec l'aide des jeunes soldats permissionnaires,
le sol est défriché péniblement, la vie renaît, l'entreprise de
reconstruction s'établit, des baraquements s'érigent qui font
place maintenant, après deux années d'efforts à. ces belles
maisons. La commune voit s'effacer peu à peu les traces
horribles de la guerre. Mais il est des pertes que rien ne peut
réparer. Et ces pertes-là, Halloville les a subies avec une
résignation patriotique que nous saluons ici. Je veux parler de
ceux de ses enfants morts au champ d'honneur, dont personne
n'oubliera les noms respectés, et auxquels il convient d'ajouter
dans un même regret des victimes civiles de l'effroyable
tourmente, et je suis sûr de répondre à vos sentiments de piété
filiale, en tournant enfin nos souvenirs vers ceux de vos
compatriotes morts en exil et qui n'ont pas vu luire ni le jour
de la victoire, ni celui de votre résurrection.
Des applaudissements chaleureux saluent cette péroraison et,
avec le même cérémonial qu'à Ancerviller, l'évêque de Nancy et
M. le préfet de Meurthe-et-Moselle procèdent à la pose de la
première pierre de l'église.
Un vin d'honneur, servi sous un auvent, réunit ensuite la
municipalité de Halloville et les personnages officiels, pendant
que l'Industrielle donne un concert applaudi.
Mais, il est quatre heures et demie, l'heure du retour. A
l'horizon, le brouillard commence à dérouler sas écharpes. La
nuit va tomber sur les villages qui ont vécu aujourd'hui de
grandes heures et reçu des pouvoirs publics l'hommage de
reconnaissance dû à leur vaillance, à leur noble et magnifique
effort.
Fernand ROUSSELOT. |