Est-Républicain
17 octobre 1927
HALLOVILLE A HONORÉ SES MORTS
Hier, le maire le Halloville,
notre sympathique ami Martin, nous remerciait de nous être
déplacés pour assister à l'inauguration du monument aux morts
d'une « toute petite commune » comme Halloville. Nous lui avons
répondu que nous suivions assidûment toutes les inaugurations et
qu'une raison majeure justifiait notre présence à celle-ci :
c'était justement parce que Halloville était une « toute petite
commune ».
Il n'y a pas de bâtards pour nous, au pays lorrain, surtout
quand il s'agit, comme dans la circonstance, d'un village
totalement, détruit par la guerre et reconstitué, avec un
courage et une foi incomparables, par ses 90 habitants.
Le centre du village a été déplacé, lors des travaux de
reconstitution, et l'on ne saurait que féliciter de cette
heureuse modification le distingué architecte, M. Le Bourgeois.
Eglise et bâtiments communaux constituent un ensemble harmonieux
et charmant, l'église avec ses grandes baies rappelant le style
des églises bretonnes et son délicieux auvent coiffé de tuiles
plates ; la -maison commune précédée d'un jardin dans lequel
s'élève le monument, précédé, lui-même, en bordure de la route,
par une belle fontaine.
LA CÉRÉMONIE RELIGIEUSE
A 10 heures, un service funèbre était célébré à l'église par M.
l'abbé Rouyer, curé de Nonhigny. M, le chanoine Fiel, qui fut
non seulement le grand reconstructeur d'Ancerviller, mais aussi
celui de Halloville, prononça une émouvante allocution dont ses
nombreux amis nous demandent de reproduire la péroraison ;
« Qu'est-ce que le patriotisme, sinon l'amour de notre pays,
éciairé, échauffé, exalté par tous les souvenirs de notre
histoire ! C'est la France avec sa couronne de gloire, sa parure
de saints, de grands hommes, de grands artistes, de grands
capitaines. C'est la France, défenseur de l'honneur et de la
justice des peuples. C'est la France, victime de la plus
inqualifiable des agressions. C'est la France, obligée, malgré
son grand désir et son amour de la paix, de prendre les armes.
C'est la France, sonnant le tocsin d'alarme et appelant ses
fils, sur les frontières.
C'est la France des jours sombres de 1914. C'est la France de
Verdun, C'est la France des joies et des gloires de l'armistice.
C'est la France relevée de ses ruines. C'est la France avec ses
sanctuaires reconstruite et. ses sillons fécondés par le travail
! C'est, en un mot, la patrie bien-aimée pour laquelle sont
tombés vos glorieux enfants. Avec leurs quinze cent mille
camarades, ils ont dissipé l'illusion trop répandue au delà de
nos frontières, et cultivée même par les pessimistes de
l'Intérieur, que nous étions un peuple fini, incapable de
souffrir, de lutter, de prier, et que, comme nation, il ne nous
restait plus qu'à plier le genou devant la force et à mordre la
poussière. Par la force d'âme de ses enfants, par leur
endurance, par leur calme en face du danger et de la mort, la
France a montré à l'univers qu'elle n'a jamais cessé, en dépit
de tous les prophètes de malheur, d'être la terre de la
générosité, de la vaillance, de la vertu, de la religion et du
sacrifice.
« La France est grande et belle ; vos glorieux morts ont été
dignes d'elle, Soyez dignes d'eux. Si « le réveil des morts »
cessait d'être un songe, il me semble que les vôtres,
viendraient vous dire qu'ils sont fiers de vous ; vous avez
reconstitué, embelli et enrichi le patrimoine de vos ancêtres ;
vous avez fidèlement conservé l'héritage de foi, l'honneur et de
travail qu'ils vous ont légué. Du ciel, vos morts vous sourient,
vous encouragent et vous bénissent. »
AU MONUMENT
La cérémonie terminée, l'assistance se rend au monument. Au
nombre des personnalités présentes, nous remarquons MM. Georges
Mazerand, député ; Martin, maire ; de Turckheim, conseiller
général ; le chanoine Fiel ; les membres du conseil municipal ;
Le Bourgeois, architecte ; Désiré Gérard, adjoint d'Halloville
et président du comité d'érection ; les abbés Rouyer et Gérardin
; Pierron, adjoint d'Ancerville ; Henri Marchal ; Didierlaurent
; Barbier, etc...
La jeune fanfare d'Ancerville, dirigée par M, Brichler, prête
son gracieux et dévoué concours à la cérémonie.
Le clergé bénit le monument, puis M. le maire prononce le
discours suivant :
M, LE MAIRE DE HALLOVILLE
L'hommage public que la commune de Halloville rend aujourd'hui à
ses enfants morts pour la France ne fait que consacrer le culte
intime et les sentiments de piété dont chacun de nous entoure
leur mémoire. Dans un instant, par un appel suprême, nous les
rendrons présents au milieu de nous, et nous revivrons avec eux
les jours douloureux en angoissés de 1914.
Quel sinistre souvenir que le tocsin d'alarme parvenant aux
moissonneurs au milieu de la campagne ! Les hommes s'en vont,
suivis du regard par les êtres tendrement aimés qu'ils
laissaient au foyer, et que huit ne devaient plus revoir.
Courageusement, les femmes, les vieillards et les enfants
refoulent des larmes qui pourraient décourager ceux qui partent,
on se recueille, on souffre en silence et pendant que les bras
continuent la moisson, le coeur est avec les absents que l'on
sait au danger. Même quand l'épreuve et l'insécurité furent
aussi grandes pour la population restée au village, c'est encore
la pensée des mobilisés qui domina tous les soucis ; on était
fier de leurs exploits, on était heureux des bonnes nouvelles,
on tremblait quand le communiqué citait leur secteur; avec eux
on espérait; d'après eux on fixait la fin de la tourmente.
Hélas, le jour où le clairon de l'armistice fit taire le
sinistre grondement du canon, le jour où, pauvres réfugiés
dépouillés de tout, nous sommes venus, au milieu de nos ruines,
huit d'entre eux nous manquaient à l'appel, et pas une seule
famille du village qui ne fut atteinte. A l'honneur de nos
compatriotes, je tiens à rappeler de quels soins attentifs, de
quelle affectueuse compassion, de quelle précieuse sympathie ont
été entourés les veuves, les orphelins, les parents dont le
foyer restait vide ; au nom de la commune, je m'incline devant
leur douleur et je fais un serment de fidélité à nos glorieux
morts.
C'est leur oeuvre que noue avons continué en reconstituant le
village; c'est leur pensée que nous avons suivie en adoptant
tous les progrès du confort et de l'hygiène; c'est leur
sentiment d'attachement au devoir sous toutes les formes qui
nous a guidés dans la fidélité aux belles traditions d'honneur,
de travail, de religion et de patriotisme de nos ancêtres. Nous
sommes fiers de nos morts, et s'ils revenaient, je crois qu'ils
ne rougiraient pas de nous.
Jeunes gens, sur qui repose l'avenir de la commune, ne passez
pas devant ce monument sans adresser une pensée à vos ainés.
Dieu seul connaît l'avenir. J'ignore si des peuples avides
viendront encore provoquer la France pacifique, mais ce que je
sais, c'est que vous serez dignes d'elle si vous vous inspirez
des exemples de vos glorieux aînés.
L'APPEL DES MORTS
Le clairon sonne M Henri Marchal s'avance pour faire l'appel des
morts, dont les noms sont inscrits sur le monument, élégante
stèle de granit poli portant croix de guerre et croix de
Lorraine :
Gérard Adrien, Barbier Ferdinand, Jollain Paul, Boudot Léon,
Boudot Georges, Noël Adrien, Monzein Georges, Monzein Paul.
Victimes civiles : Duhaut Joséphine, Jollain Edmond.
On ferme le ban et la fanfare exécute la marche funèbre de
Chopin.
M. DE TURCKHEIM
Le conseiller général de Blâmont montre la nécessité morale des
fêtes du souvenir. En pensant au sacrifice accompli par tant des
nôtres, nous hausserons nos coeurs. Rappelons-nous et veillons.
L'ennemi abattu étouffe dans les limites qui lui ont été
imposées par la force ; il se redresse. Veillons sans cesse sur
la sécurité de la France, si pelle et si convoitée.
M. GEORGES MAZERAND
« Halloville compte parmi les villages du canton de Blâmont qui
ont subi les pires misères pendant la guerre.
Plus qu'Ancerviller peut-être, avec lequel il a partagé les
honneurs d'une citation élogieuse à l'ordre de l'armée dès le 13
octobre 1921, il a souffert des atteintes de l'ennemi, en raison
de sa situation géographique et c'est à une destruction à peu
près complète de leurs foyers qu'assistèrent, impuissants, les
survivants de la tourmente...
Aujourd'hui, Halloville s'est relevé et présente un aspect plus
riant que naguère; la prospérité y est revenue, grâce au courage
de la population agricole qui s'est remise au travail dans des
conditions désastreuses, dès l'armistice. Cependant vous
n'auriez pas considéré comme achevée l'oeuvre de reconstitution
si vous n'aviez consacré à vos morts, le monument dû à leur
héroïsme et à leur malheur...
A l'occasion de cette cérémonie, il nous faut tourner nos
regards vers le passé, témoin des événements suivants dont
Halloville a été le théâtre, unissant ainsi le souvenir des
victimes civiles et militaires que vous avez eues à déplorer.
Halloville a été envahi le 8 août 1914 et grâce au sang-froid de
M. Monzain, alors maire, les exactions ont été évitées à ce
premier contact; les 15 et 16 août, les Allemands étaient
refoulés, pas pour longtemps, hélas, puisque le 20, ils
reparaissaient et ne devaient plus guère s'éloigner. Comme les
nôtres tenaient les abords du villages, les rares habitants
demeurés à leurs foyers se trouvaient entre deux feux. Le
ravitaillement était difficile; aucunes nouvelles ne parvenaient
plus et à ces souffrances physiques et morales allaient
s'ajouter les affres des bombardements de jour et de nuit.
Enfin, le 1er mars 1915, après avoir enfermé tes vieillards, les
femmes, les enfants dans l'église déjà à moitié ruinée, les
Allemands pillaient ce qui restait encore dans le village et
emmenaient prisonnière ia population valide tandis que les
femmes, les enfants, les malades étaient acheminés lentement
vers la France par la Suisse, payant aussi leur tribut à la
mort.
Jusqu'au 11 novembre 1918, les Allemands restèrent sur le
territoire de la commune,
Sur tes 120 habitants que comptait Halloville en 1914, vous avez
eu onze victimes, trois civils, huit militaires dont sept
agriculteurs. C'est une proportion assez élevée pour que nous
nous inclinions avec émotion devant cet holocauste fourni à la
défense du pays, l'âme sereine, par vos concitoyens.
Aujourd'hui je ne veux pas renouveler le chagrin ressenti par
les familles éprouvées, en leur remémorant des deuils si cruels.
Qu'il me soit permis de leur exprimer mes vives sympathies et
toute ma commisération.
Les parents, épouses, enfants, frères et soeurs de ceux dont
nous lisons les noms, vénérés ont le droit d'être fiers de leur
sacrifice.
Et sans distinguer entre tous ceux qu'ont atteint les coups du
sort, nous les saluons avec respect; mobilisés de la première
heure repartis dans nos glorieuses unités du 20e corps, soldats
des réserves aussi téméraires que leurs cadets, civils que leur
infortune devait conduire à la mort.
C'est sans appréhension que nous pouvons léguer à nos
successeurs le soin pieux de veiller sur ce cénotaphe.
Le culte du Souvenir est profondément ancré au coeur des
Lorrains, nous le savons.
Le culte de la gloire ne saurait jamais les trouver indifférents
et ces deux sentiments nous sont le garant d'un avenir plein
d'honneur.
En hommage suprême aux morts que nous voulons honorer, relisons
ensemble la belle citation de leur village natal :
« Halloville, a vaillamment supporté à deux reprises en 1914 les
souffrances de l'occupation allemande, A payé de sa destruction
l'honneur d'avoir été pendant quatre années sur la ligne de feu.
Par les deuils et les dommages qu'il subis, a droit à la
reconnaissance du pays, »
Et maintenant, reportons une dernière fois nos pensées ferventes
sur les victimes de ces années douloureuses, en nous recueillant
devant ce monument comme devant un tombeau.
Honneur à vos héros et vive la France ! »
LE BANQUET
La cérémonie officielle terminée, les invités de la municipalité
visitent le village, coquet, pavoisé et paré. L'heure est
exquise, sous le soleil d'automne qui verse sur les coteaux et
les arbres tachés de rouille sa lumière apaisée.
A midi, un banquet réunit tout le monde à la salle de mairie. M,
Cuny, l'hôtelier de Blâmont, mérite, pour la chère qu'il nous
dispensa, des compliments exceptionnels.
Au champagne, M. le maire présenta un certain nombre d'excuses,
notamment celles de l'abbé Fiel, profondément atteint dans ses
affections par la mort si soudaine de M. Pierre Colin, maire d'Ancerviller.
Il rendit hommage à tous les collaborateurs dans l'oeuvre de la
reconstitution d'Halloville, et remercia avec une chaleureuse
effusion M, Georges Mazerand, dont le dévouement à la commune
fut inégalable.
M- Martin salua enfin, avec émotion, la mémoire de son ancien
collègue d'Ancerviller, le regretté M. Colin, dont la place est
vide, hélas ! à cette table fraternelle.
M. de Turckheim prononça ensuite quelques paroles et M. Mazerand,
salué par une ovation, termina la série des toasts en résumant
excellemment l'impression de patriotique réconfort produite par
l'émouvante cérémonie du matin et en félicitant les habitants d'Halloville
des liens de solidarité qui les unissent. « C'est grâce à une
union étroite que vous avez pu reconstituer votre village ;
conservez précieusement cette union, qui sera le gage de votre
prospérité dans l'avenir. »
Nous avons quitté Halloville tandis que la fanfare donnait un
concert devant la maison commune, ravis d'avoir assisté à une
manifestation aussi parfaitement ordonnée et qui fait le plus
grand honneur à Halloville, « commune petite » certes, par le
nombre de ses habitants, mais grande par son sacrifice, la grâce
de son accueil et la qualité de son labeur. - F R. |