Est-Républicain
3 juillet 1923
L'INAUGURATION
du monument de Reillon
Le 217e de ligne, formé à
Lyon, qui faisait partie de la 71e division, fut l'héroïque
régiment qui, dans les deux combats des 19 et 20 juin 1915,
s'illustra à Reillon.
Dans la nuit du 19 au 20 et dans la journée du 20, ce régiment
fit trois assauts à la baïonnette pour conquérir la fameuse cote
303 et s'y maintenir.
Ce fut la journée des « bras de chemises ». II faisait si chaud
et la lutte était si rude que les poilus du 217e jetèrent bas
capotes et vareuses ; ils chargèrent en bras de chemises.
Les anciens de ce régiment ont eu la touchante pensée d'ériger
par souscription un monument à leurs camarades morts dans ces
trois assauts, sur le lieu même de leur sacrifice. L'auteur est
un ancien du 217e.
Leur comité, que préside M. le commandant de réserve Clayette,
de Lyon, vient d'organiser un voyage collectif pour conduire les
anciens à Reillon, le jour de l'inauguration.
Le voyage aura lieu les 14, 15 et 16 juillet prochains.
Partis de Lyon-Perrache, les Lyonnais arriveront à Lunéville le
14, à 12 heures. Départ en autos cars à 14 h. 30 pour Einville,
Arracourt, Parroy, Mouacourt, forêt de Parroy, Sionviller,
Croismares, Lunéville.
Le 15 juillet, Lunéville, départ à 7 h. 30.
Emberménil, Vého-Reillon, Gondrexon-Chazelles, Blémerey.
inauguration du monument à 10 h. 15, banquet à 12 heures.
Départ de Blémerey à 15 heures, Saint-Martin, Domêvre, Montigny,
Bois-Banal, Bois-le-Comte, Merviller (départ facultatif, à pied,
pour Baccarat par Brouville-Gelacourt, arrivée à Baccarat à 17
h. 30.
Le 16 juillet, départ de Baccarat a 7 h. 30, Merviller,
Vacqueville, Badonvilier, Village-Nègre,
Rendez-vous-des-Chasseurs, Badonviller (déjeuner). Montigny,
Ogéviller, Fréménil, Domjevin, Bénaménil, Thiébauménil,
Lunéville (dîner et départ à 18 heures).
Ainsi, les anciens du 217e de ligne vont revoir tous les
villages où ils combattirent et cantonnèrent, les bois où ils
s'abritèrent, les coins familiers où ils vécurent l'âpre vie des
tranchées. Nous sommes persuadés que nos populations si
cordiales leur réserveront le meilleur accueil.
Est-Républicain
17 juillet 1923
Commémoration du combat des
« Bras de Chemises »
Pour commémorer le souvenir
des sanglants combats de Reillon, les 19 et 20 juin 1915, la
Société amicale des anciens combattants du 217e de Lyon est
venue assister, dimanche, à l'inuguration du monument élevé dans
ce secteur à la gloire de ses morts.
Arrivée le samedi à Lunéville, la délégation lyonnaise avait été
reçue avec la plus grande cordialité par des délégations des
anciens combattants et des anciens prisonniers de guerre. M.
Clayelle, président de l'Amicale des anciens combattants du
217e, très touché par cette amicale démarche, remercia
chaleureusement les camarades de Lunéville.
Le lendemain, dimanche, à 6 heures 1/2 du matin, les Lyonnais et
les délégations de l'A. M. C. et de l'A. P. G., avec leurs
drapeaux, se retrouvaient à la gare de Lunéville, d'où le départ
eut lieu pour Reillon, soit par le train, soit en autocar.
A REILLON
Le petit village de Reillon. complètement, détruit pendant la
guerre, se relève de ses ruines. Ses maisons, toutes neuves et
accueillantes, sont pavoisées aux couleurs nationales.
A côté de la chapelle provisoire, construite en bois, s'élève la
stèle en granit des Vosges, élevée à la mémoire des braves du
217e régiment d'infanterie.
A 9 heures et demie, une messe en plein air est célébrée par le
curé de Reillon.
Parmi l'assistance, nous remarquons MM. Paul Bouët, sous-préfet
de Lunéville ; Georges Mazerand, député de Meurthe-et-Moselle ;
le colonel Villemin, du 103e R. I., ex-commandant au 217e; de
Turckheim, conseiller général ; Rauch, de Baccarat ; docteur
Henriot, de Blâmont ; Ogé et Gilbert, architectes du monument ;
Alison, maire de Blémerey ; Jacquot, maire de Reillon ;
François, maire de Leintrey ; les curés de Bénaménil, Brouville
et Merviller.
Pendant la cérémonie, la fanfare des Gars de la Vezouze s'est
fait entendre.
L'INAUGURATION
Le curé de Reillon ayant béni, suivant le rite habituel, le
monument, M. Clayette, président de la Société des anciens
combattants du 217e R. I., prend la parole et évoque, dans un
langage émouvant et coloré, les tragiques journées où les braves
soldats du régiment lyonnais arrosèrent de leur sang la terre
lorraine bouleversée. M. Clayette conclut en ces termes :
Quand vous apercevrez cette pyramide projetant son humble
silhouette dans le bleu de votre ciel, vous songerez à tous ceux
qui, sous le même ciel un jour de l'été 1915, ont été couchés
glorieusement par un impitoyable trépas. Vous vous rappellerez
qu'ils sont tombés pour que vous puissiez respirer librement en
vos foyers reconstruits.
Rappelez-vous que ceux, qui ont vécu la grand et terrible
épopée, ont généreusement accepté tous tes sacrifices, en rêvant
que leurs enfants ignoreraient les horreurs d'une nouvelle
guerre. Puisse ce rêve être réalisé pour vous et par vous !
Quand, à votre tour, vous serez devenus vieux, très vieux, dites
à vos petits-enfants que la pyramide de Reillon a poussé sur le
champ du sacrifice et de l'honneur et qu'elle représente un
passé de douloureuse abnégation, de foi patriotique et de
généreux enthousiasme.
Au granit du monument, nous accrochons, avant de partir, quelque
chose de votre coeur...
Et nous emportons, dans nos contrée du Lyonnais, quelque chose
du souffle magique et généreux qui fait aujourd'hui, sur cette
colline, frissonner vos âmes lorraines.
M. le lieutenant-colonel Villemin, du 103e R. I., ancien
commandant au 217e, prend la parole à son tour-. Il rappelle les
phases des successifs combats livrés à l'ennemi dans ce secteur
de Reillon, combats motivés par un ordre du généra Humbert ainsi
conçu : « Améliorer le front définitif en le poussant en avant,
entre Arracourt et Badonviller, sa droite appuyée aux Vosges (la
Chapelotte).
Les pertes éprouvées, lors de ces combats, par le 217e R. I.,
furent sévères : 165 tués, 400 blessés.
Dans une belle envolée, le colonel Villemin s'écrie :
Habitants de Reillon, de Blémerey, de Vého, de Leintrey, de
Saint-Martin, de Chazelles et de Gondrexon.
Un pacte de solidarité morale vous relie au 217e R. I., car les
noms de vos cités meurtries sont des noms de victoires qui
brillent du plus pur éclat au livre d'or de notre fier régiment.
Car les sèves frémissantes de vos sillons sont teintées du sang
fécond de nos héros !
Car les croix penchées de vos clochers croulants se sont
inclinées, comme la croix de Jeanne d'Arc à Rouen, devant le
généreux holocauste de nos martyrs, ont illuminé leur sacrifice
d'un rayon d'espérance et d'immortalité !
Car enfin, les yeux fixés sur ces croix qui montent vers les
cieux, et qui protègent vos foyers et vos tombes ancestrales,
ces chers petits, avantde rendre leur belle âme à Dieu, ont eu
la suprême vision de leur village lointain, de l'humble maison
grise qui abrita leur enfance heureuse !
En murmurant le nom vénéré du berceau, le doux nom de « Maman »
qui est aussi, au seuil du trépas, l'adieu à la vie, ils ont
tendrement souri à ceux qu'ils avaient tant aimés...
Le colonel termine son beau discours par ce double cri : « Vive
la France ! Vive la République ! »
M. Georges Mazerand, député de Meurthe-et-Moselle, lui succède.
Dans un excellent langage, le sympathique député rappelle les
belles pages d'héroïsme inscrites dans l'histoire par les
victorieux poilus qui combattirent en Lorraine. Il est fier
d'avoir appartenu à la 2e division de cavalerie, en qualité de
capitaine, à cette division qui, aux débuts de la guerre,
défendit pied à pied le pays lorrain.
M. Mazerand rappelle les hauts faits du 217e, abordant l'ennemi
à l'arme blanche et s'emparant, de haute et magnifique lutte, de
la côte 303.
« Non, s'écrie-t-il, ce n'est pas là un épisode infime de la
grande guerre. Ce monument, que l'on qualifiait tout à l'heure
de modeste, est l'égal des plus beaux. Il consacre les épisodes
d'un éclatant héroïsme. »
Le dévoué député, parlant avec une franchise, une émotion qui va
droit au coeur des assistants, fait un vibrant appel en faveur
de la fidélité au souvenir de nos grands morts et termine en
applaudissant aux paroles du président de la Répubique à
Clermont-Ferrand et en revendiquant notre droit imprescriptible
aux réparations qui nous sont dues.
Le succès de M. Georges Mazerand est très vif.
Après quelques paroles de M. de Turckheim, conseiller général,
M. le sous-préfet de Lunéville monte sur l'estrade :
Lorsque, dit-il, après les angoissantes batailles d'août 1914,
la victoire reparut sur nos drapeaux, le général en chef adressa
à la nation un ordre du jour qui se terminait ainsi : « Le
gouvernement de la République peut être fier des armées qu'il a
préparées. »
C'étaient bien, en effet, les armées républicaines de la France
qui avaient triomphé ; c'était la cohésion, de tous les soldats,
conscients de leurs devoirs, venus de toutes les provinces qui
avait triomphé.
Monument aux morts, certes, que ce granit qui symbolise
l'héroïsme des soldats du 217e ; mais aussi, monument aux
vivants, car il faut que ces trop nombreux mausolées qui se
dressent sur -les champs de baitaille de la grande guerre soient
pour tous ceux qui les verrront à travers les générations une
impérissable leçon de choses. »
S'adressant alors aux anciens militaires du 217e qui sont
présents, avec leurs familles, M. le sous-préfet s'exprime ainsi
:
Rappelez-vous l'état de désolation dans lequel vous avez laissé
le pays et voyez maintenant, contemplez tous ces villages
ressuscités et l'espérance de toutes ces moissons, et dites aux
populations de Lorraine qu'elles ont bten mérité du sacrifice
que vous leur avez fait, c'est que, voyez-vous, les Lorrains,
depuis des siècles, connaissent ce pénible labeur qui consiste,
périodiquement, à redresser leurs maisons. Cette fois encore,
ils n'ont pas failli â leur tâche.
Souhaitons, messieurs, et nous ne pouvons pas affirmer que cette
guerre sera la dernière, que les inévitables catastrophes qui
heurtent les peuples soient pour nous reculées dans la nuit des
temps.
Je suis heureux ici de joindre au double cri, poussé d'ans toute
l'ardeur de sa conviction par M. le colonel Villemin, le double
cri de : « Vive la France ! Vive te République ! »
Après M. le sous-préfet, dont le discours a produit une grosse
impression, c'est au tour de M. Jacquot ; maire de Reillon.
S'adressant au président des anciens combattants du 217e, il
s'exprime ainsi :
Vous venez, monsieur le président, de faire la commune de
Reillon gardienne d'une chose sacrée entre toutes : ce monument
élevé à la mémoire des combattants du 217e régiment,
d'infanterie. Nous acceptons cette garde, et je suis chargé, au
nom de la municipalité, et de toute la commune, de vous dire que
ce ne sera pas une charge pénible.
Dès que nous avons connu votre projet de marquer en ce coin de
terre lorraine le glorieux sacrifice de vos camarades de combat,
nous vous avons approuvés et nous vous félicitons de tous coeur.
Alors que peu à peu disparaissent les traces visibles d'âpres
combats grâce à la collaboration de tous les habitants des
régions dévastées par un peuple qui se refuse à réparer, avec le
autorités départementales, auxquelles nous sommes heureux de
rendre hommage.
Il était nécessaire, malgré le voisinage du cimetière national
où dorment tant des vôtres, de rappeler ce qu'ils firent ici,
les 19 et 20 juin 1915, et n'est-ce pas la place arrosée de leur
sang qui devait recevoir le témoignage immortel de leur
héroïsme. Sur cette cote 303, observatoire précieux, se
mesurèrent, les 19 et 20 juin 1915, les volontés d'une fraction
de l'armée française et d'une fraction de l'armée allemande.
Cette pyramide atteste que vos Poilus eurent raison des Boches.
Installés là après trois assauts à la baïonnette, les « bras de
chemise » ne purent être délogés. La cote 303 nous resta jusqu'à
la fin. C'est de là que partirent les libérateurs de nos frères
de Lorraine et d'Alsace vers qui, de ce point, les regards
furent tendus pendant les années 1915 à 1916.
Nous nous inclinons devant les défenseurs de notre sol et de nos
libertés.
Nous nous souviendrons. Vous vous souviendrez, enfants de nos
écoles, et lorsque vous passerez devant cette modeste pierre,
découvrez-vous. Pensez aux soldats du 217e, à tous ceux qui ont
fait ici le sacrifice de leur vie, sacrifice qui nous vaut
d'être restés Lorrains et, Français.
Quand viendra l'anniversaire, vous pouvez être assurés que la
population de Reillon et celle des communes voisines, unies dans
une même pensée, se feront un devoir de fleurir ce monument,
fleurs du souvenir, fleurs de reconnaissance, fleurs des
sentiments d'admiration sublime que nous inspirent les « braves
du 217e » tombés au champ d'honneur.
LE DEJEUNER
A l'issue de cette solennité, un déjeuner offert par les anciens
combattants du 217e R. I.. a eu lieu à Blémerey, dans la maison
d'école, déjeuner plein de cordialité et de camaraderie.
Au champagne, des toasts éloquents furent prononcés par MM. le
colonel Villemin, Georges Mazerand, Clayette, de Turckeim,
Jacquot, maire de Reillon, et Alison, maire de Blémerey, ce
dernier extrêmement touchant dans sa simplicité et sa concision.
M. le sous-préfet de Lunéville fut également très applaudi. Il
rappela, tout d'abord qu'en 1918, à l'hôpital de
Saint-Nicolas-de-Port, il eut la vie sauvée par le médecin-major
Rebattut, qui fut un des vaillants du 217e, M. Paul Bouët
demande aux Lyonnais qui l'écoutent de transmettre au docteur
Rebattut son salut d'affectueuse reconnaissance.
Avec émotion, il rappelle ses premières visites à Blémerey, où
M. Alison. maire depuis 43 ans, était rentré dès la première
heure. Il rappelé aussi qu'il est allé chercher à Saint-Clément
où il s'était réfugié, le maire de Reillon, M. Jacquot.
« Je t'ai supplié de rentrer, dit-il, et de grouper autour de
toi, dans le désert, quelques-uns de tes concitoyens pour
empêcher que Reillon ne fut rayé de la carte des communes. Et
aujourd'hui, Reillon est bien près d'être complètement restauré.
Vous qui êtes venus en pèlerinage dans cette Lorraine blessée,
qui vous êtes réunis dans cette maison commune toute neuve, vous
direz chez vous quelle fut la ténacité et la vaillant dans les
travaux de la paix de ce paysan lorrain dont vous avez défendu
le sol.
Et maintenant, je me retourne vers le colonel Villemin. Il n'a
pas fallu que vous en disiez beaucoup, mon colonel, pour que je
reconnaisse en vous un de ces soldats de la Révolution, animé
d'une ardente foi républicaine. Il y a de ces sympathies qui
naissent de l'échange du premier regard et où des hommes qui ont
sur la France et sur la République des sentiments identiques, se
reconnaissent.
Il faut le dire, notre victoire est venue parce que de tels
soldats ont été conduits par de tels chefs. C'est grâce à eux,
grâce aussi, Mesdames, au réconfort permanent qui leur parvenait
du contact spirituel de l'âme de la femme française que la
barbarie a été refoulée de la plus adorable partie qui ait
jamais brillé sous le ciel. »
Les anciens du 217e et nos compatriotes qui les accompagnaient
se sont retirés très émus de cette émouvante cérémonie. |