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6 et 7 juin 1931 - Le centenaire de l'abbé Grégoire

 


Est-Républicain
8 juin 1931

LUNÉVILLE, VÉHO, EMBERMÉNIL ONT CÉLÉBRÉ AVEC ECLAT LA MÉMOIRE DE L'ILLUSTRE CONVENTIONNEL
Les manifestations ont été présidées par M. Diagne, Sous - Secrétaire d'Etat aux Colonies

Samedi soir, dans Lunéville en fête, les fanfares de cavalerie et d'artillerie, les musiques du 26e régiment d'infanterie et des dragons portés, la musique municipale, encadrées des sapeurs portant des flambeaux et des torches, ont, en impressionnant cortège, sillonné les artères pavoisées de la cité, suivies et acclamées par plusieurs milliers de personnes.
Sur les arcs de triomphe, rajeunis de verdures fraîches, les formules banales de bienvenue avaient fait place à des devises rappelant, l'époque révolutionnaire «  Vive la République ; A tous les citoyens libres, salut et fraternité. »
Les cartouches exaltaient des bonnets phrygiens et des haches surmontant les faisceaux de licteur.
La décoration de la place des Carmes était, particulièrement réussie. La statue de l'illustre conventionnel se détachait d'un portique de verdure, portant à son faîte une énorme cocarde aux couleurs de la nation,

La manifestation solennelle du théâtre
A 9 heures, M. Diagne, sous-secrétaire d'Etat aux colonies, accompagné de MM. Constantin-Mayard, ministre de la République de Haïti; Lêmery, sénateur, ancien ministre; le doyen Brunot, membre de l'Institut; le colonel Sadi-Carnot; Price-Mars, sénateur de Haïti; Dreyfuss, président de la cour d'appel de Paris; André Magre, préfet de Meurthe-et-Moselle; Louis Michel, sénateur; Georges Mazerand, député ; Edouard Fenal, maire de Lunéville; Jacques-Henry, sous-préfet; Gaspart, président du comité; Paul Lang, secrétaire général; les généraux Mittelhauser, de France et Bonnet et de nombreuses personnalités étrangères, parisiennes et de la région, faisaient leur entrée au théâtre municipal empli d'une foule enthousiaste, salués par les accents de la «  Marseillaise ».
Le ministre et sa suite, longuement acclamés, prirent place dans les loges de face.
Sur la scène, les orateurs se groupèrent aux côtés de M. le doyen Brunot.
En termes excellents, M. Paul Lang, secrétaire général, dont le dévouement dans l'organisation des fêtes fut inégalable, remercia au nom du comité du centenaire M. le ministre, les représentants de la République d'Haïti, les hautes personnalités parlementaires et universitaires, venues pour témoigner leur admiration et rendre un solennel hommage à notre illustre compatriote, Henri Grégoire.
Puis, tour à tour, M. le doyen Brunot, M. Lêmery, M. le colonel Sadi-Carnot et. M. Constantin-Mayard célébrèrent la mémoire du constitutionnel.
En des discours émouvants, ils exaltèrent, sous ses multiples aspects, la personnalité formidable du petit curé d'Emberménil, devenu par la vertu d'une volonté inflexible, d'un idéalisme passionné, d'une droiture inattaquable, d'une immense bonté rayonnante, la plus radieuse figure de la Révolution française.
Les orateurs furent applaudis, ovationnés.
A l'issue des panégyriques, un brillant, concert, donné par la Société Symphonique de Lunéville et les artistes du Conservatoire de Nancy, sous, la direction magistrale de M. Alfred Bachelet, membre de l'Institut, obtint, un succès éblouissant. On entendit de la musique d'époque, des chants patriotiques, interprétés par Mme Malnory-Marsillac, des Concerts Colonne ; Mlle Lise Daniels et M. Carbelly, de l'Opéra ; des pages choisies de l'abbé Grégoire et des poèmes, dits avec une flamme enthousiaste par M. Roger Monteaux, de la Comédie-Française.
Et puis, ce fut le «  Chant du Depart » et l' «  Hymne national haïtien » et «  La Marseillaise », chantés et joués dans un mouvement magnifique, applaudis par une salle tout entière debout, frémissante.

Les cérémonies de Vého et d'Emberménil

Dimanche, à 9 heures, le cortège officiel était groupé devant la sous-préfecture de Lunéville. Le ministre arrive, entre à la sous-préfecture, entre une haie de tirailleurs sénégalais qui présentent les armes.
Le ministre est accompagné du préfet du général Mittelhausser, du ministre d'Haïti, de trois magnifiques chefs noirs au burnous blanc revêtus de manteaux-rouges, chamarrés d'or.
A 9 heures un quart très précisés, les voitures se mettent en marche, se dirigeant vers Vého.
Sur la route, à la traversée des villages de Marainviller, Thiébauménil, on remarque que des guirlandes et des drapeaux jonchent le sol. La tempête aurait-elle sévi cette nuit ? Mais non, à Vého, à Emberménil, on nous renseigne.
Dans ces deux, communes, aussi bien que sur la route, de nocturnes visiteurs sont, venus exercer des déprédations inqualifiables. Non contents de placarder des affiches ridicules, des énergumènes ont tenté de détruire les modestes témoignages de gratitude patiemment édifiés par nos gens. A la faveur de la nuit, propice aux pires lâchetés, ils ont lacéré les drapeaux, brise des emblèmes, saccagé des motifs ornementaux.
Pauvres exploits de polissons. Le matin venu, les habitants ont reparé au mieux les déprédations commises et fait disparaître les affiches, la trace même des salisseurs imbéciles.
Mais, cela est un détail. Dans le ciel nuageux, le soleil épand ses rayons sur le paysage printanier. Rien ne saurait amoindrir l'hommage grandiose qui va être rendu au grand Lorrain, qui proclama la République.
Le cortège, encadre par une escorte de dragons, arrive à Vého, où le ministre et sa suite sont accueillis par l'hymne national exécuté par «  I.a Céramique », des faïenceries de Badonviller.
Devant la maison neuve élevée à l'emplacement du «  cougnat » natal de l'abbé Grégoire, une estrade a été dressée.
Sur la muraille, cette inscription gravée dans le marbre :
«  Sur cet emplacement s'élevait la maison où est né, le 11 décembre 1750, l'abbé Grégoire, président de l'Assemblée nationale Constituante, président de la Convention nationale, l'un des fondateurs de l'Institut de France et du Conservatoire des Arts et Métiers, défenseur des droits de tous les opprimés. »
Devant la maison, on remarque une importante délégation et le drapeau de la Légion des volontaires juifs, venus de tous les pays d'Europe, combattre sur le front de France.
M. Picquart, maire de Vého, salue M. Diagne «  d'avoir bien voulu assister à la cérémonie, destinée à exalter la mémoire du grand Français qui symbolise toutes les vertus de notre pays ;
initiatives généreuses, défense des opprimés, amour de la liberté, fraternité humaine.
«  Devant les horizons, ajoute-t-il, où les jeunes yeux d'Henri Grégoire s'ouvrirent sur la vie, je pousserai un cri, le cri qui fut sa loi, respira son oeuvre sociale et politique, dirigea son génie : «  Vive la France ! Vive la République ! »
M Price-Mars, sénateur de la République d'Haïti, prononce ensuite un magnifique discours dans lequel, en une langue d'une pureté impeccable, il évoque une page d'histoire, à jamais fameuse, la révolte des nègres à Saint-Domingue en 1793 et de la mémorable intervention de l'abbé Grégoire pour les conquérir à la liberté.
A l'illustre conventionnel, M. Price-Mars apporte «  le témoignage de fidélité de Haïti, fille de son rêve ».
M. Price-Mars est longuement acclamé.
M. le doyen Ferdinand Brunot, dans une allocution que nous ne pouvons, hélas ! que résumer, évoque la jeunesse d'Henri Grégoire à Vého, dans la petite maison paysanne de son père, ses premiers jeux, ses : premières prières...
Grégoire était peuple. Il avait en lui les vertus profondes qui fleurissent au


M. DIAGNE Photo Wide World.

coeur lorrain, une à une, droite, désintéressée, aussi inaccessible à la flatterie qu'à la menace, un coeur ne battant que pour le progrès éternel de l'humanité.
Avec une émotion qui étreint tous les coeurs, M. le doyen Brunot salue le drapeau des volontaires juifs, couvert de médailles et de citations, de ces hommes venus de toutes les pays d'Europe au secours de la France, qui, grâce a Grégoire, lui avait donné la liberté.
M. Georges Mazerand succède à M. le doyen Brunot. ,
«  S'il est, dit-il, un sentiment d orgueil légitime, c'est bien celui qui anime les cités ayant donné le jour a un fils glorieux.
En remontant aux âges de l'antiquité, un exemple probant nous est offert : sept villes de disputent en effet l'honneur d'avoir vu naître le poète grec Homère.
Plus près de nous, que d'humbles villages ont acquis une renommée universelle, parce qu'à leur nom demeure désormais attaché celui d'une âme d'élite, d'une intelligence exceptionnelle...
Domrémy évoque pour nous Jeanne d'Arc; La Haye, Descartes le philosophe ; Dôle, le grand Pasteur, bienfaiteur de l'humanité, etc.
Vého peut, à son tour, revendiquer comme l'un des siens un des hommes les plus éclairés, un des coeurs les plus nobles, avant existé au début du siècle dernier ; Henri Grégoire, le précurseur des réformes les plus fécondes, accomplies par la Révolution française. Il a vraiment fallu qu'une passion aveugle influençât longtemps les esprits pour que pleine justice ne lui fut pas rendue depuis plusieurs lustres.
«  Le temps apaise toutes les polémiques ; aujourd'hui, cent ans après sa mort, cent quatre-vingt-un ans après sa naissance, il n'y a guère que les adversaires de la République et de son oeuvre émancipatrice ou des sectaires se parant effrontément du nom de républicains, pour ne pas s'associer à l'hommage public rendu à votre illustre concitoyen, le 31 mai dernier, par .M. le président de la République à la Sorbonne. ».
M. Mazerand rappelle les phases de l'existence tourmentée, du conventionnel et conclut .
«  La République seule devait rendre à Henri Grégoire, la place qu'il occupe dans l'admiration universelle.
«  La commune de Vého a le droit de s'enorgueillir de ce clair génie Français, dont on ne peut dire s'il fut plus grand par le coeur que par le cerveau... Mais il est de ces hommes qui honorent à jamais leur grande et leur petite patrie. »
La foule applaudit chaleureusement. Un vin d'honneur est ensuite offert au ministre à la mairie, puis le cortège se reforme pour se rendre à Emberménil.
A Emberménil, le maire, M. Alison, entouré de son conseil municipal, reçoit le ministre devant la mairie, en face de la nouvelle église, dont on admire l'élégante sveltesse.
La musique l' «  Industrielle » des Etablissements Mazerand, exécute la «  Marseillaise ».

M. Alison prononce un fort beau discours.
Parlant de l'abbe Grégoire, il déclaré :
«  Curé d'Emberménil, c'est ici, avant la tourmente révolutionnaire, que les grandes idées de justice, d'égalité, de fraternité, bouillonnant dans son coeur, se précisèrent dans son esprit ; c'est ici qu'il mûrit, dans son modeste presbytère de campagne, les magnifique projets qui inspirèrent son oeuvre parlementaire et son action d'émancipation humaine.
«  Aussi nous, les descendants de ceux qu'il connut, auxquels il dispensa les paroles divines de l'entr'aide, de la paix entre les hommes et de la miséricorde, nous sommes très fiers que pleine justice soit enfin rendue à sa glorieuse, à son impérissable mémoire. »

M. Louis Michel, sénateur, révèle un aspect peu connu de la personnalité complexe que fut l'abbé Grégoire! Et c'est au nom de l'agriculture et des populations rurales qu'il représente que l'honorable sénateur vient apporter son tribut d'admiration à la mémoire du curé d'Emberménil.
M. Louis Michel cite des extraits du rapport et projet de décret de Grégoire à la Convention, sur les moyens d'améliorer l'agriculture en France par l'établissement d'une maison d'économie rurale dans chaque département. Les idées de Grégoire à ce sujet déconcertent par leur lucidité, leur prévision.
Rien ne lui est étranger. Il parle de la transformation des marais en plantations, des engrais et des irrigations dont l'emploi était alors à peine ébauché, de la greffe, de la taille des arbres, des soins a donner aux animaux, de l'exploitation des forêts. L'étendue de son intelligence, de sa sagesse dépassent les bornes de la vraisemblance. Et, cependant, les documents sont là, leur dans rigueur irréfutable.
La fin de son rapport à la Convention est un véritable monument.
«  Citoyens, écrit-il, en favorisant l'Agriculture, vous diminuerez, vous extiperez peut-être la lèpre de la mendicité qui fut toujours la satyre du gouvernement et dont la destruction est l'objet de votre sollicitude.
«  Une foule d'individus qui allaient dans le séjour des villes, acquérir des maniéres moins gauches et souvent perdre leurs moeurs, se fixeront dans les campagnes.
«  La dégradation physique et morale est malheureusement sensible, les travaux rustiques et l'aspect ravissant de la nature, rendront l'homme plus robuste et plus moral en le rapprochant de son auteur ; ils abrégeront la distance affligeante qui se trouve entre ce que l'homme est et ce qu'il pourrait être.
«  Nous ne présenterons pas un tableau fantastique en disant que, par là, vous ferez de la France un vaste jardin, que la liberté, l'abondance et vos fetes appelleront ici les étrangers : car, étant la première nation agricole, vous serez la plus puissante comme la plus libre de l'univers, et la postérité reconnaissante répétera que vous étiez dignes du peuple que vous représentez. »
L'abbé Grégoire s'est révélé hygiéniste, éducateur, cultivateur.
«  C'est un honneur pour la Lorraine, s'écrie en terminant M. le sénateur Michel, de compter ce prodigieux génie au nombre de ses enfants, un honneur pour la commune qui l'eut, comme curé, un honneur pour la France qui l'eut comme représentant.
«  Je m'incline profondément devant la mémoire de l'homme de bien que fut l'abbé Grégoire. » (Applaudissements.)

M. Ceorges Mazerand prononce encore un discours acclamé dont voici la conclusion :
«  Celui qui avait été le curé d'Emberménil a attaché son nom à la libération des esclaves, à l'émancipation des juifs, à la réhabilitation morale des protestants... Les actions de grâces de ces persécutés sont montées vers l'abbé Grégoire avant que ne vint le pardon de l'Eglise... Mais Grégoire l'avait mérité déjà, d'abord par son refus d'abjurer sa foi, sous les pires menaces.
«  Je suis catholique et personne n'a le droit de me ravir ce titre, disait-il. J'ai fait du bien à Blois comme à Emberménil : j'y reste pour en faire encore...
«  Ensuite son testament même est la plus belle réponse qu'un chrétien pourrait faire à ses ennemis : il laissait une somme de plusieurs milliers de francs affectée à la fondation d'une messe annuelle «  pour ses calomniateurs et ses ennemis, morts ou vivants »...
«  ...En célébrant, avec éclat le. centenaire de sa mort, la France entière rend justice à un grand homme qui fut aussi le meilleur des hommes. »
Après un vin d'honneur à la mairie, le cortège se reforme, non sans avoir salué respectivement le monument aux morts de la commune.
Une nouvelle escorte de dragons attend le ministre et l'encadre à son arrivée à Lunéville.
Avant de se rendre au salon des Halles, le cortège se rend par l'avenue Villebois-Mareuil et la route du Champ-de-Mars, au monument aux morts des Bosquets.
Sur le socle des pilastres qui portent les symboles de pierre de la cité cavalière, le ministre, les ministre et délégués haïtiens, les chefs noirs déposent de lourdes gerbes fleuries, ce pendant que les dragons portés présentent les armes.

LE BANQUET
A midi, un banquet de 250 couverts, donné dans le grand salon des Halles, réunissait, autour de M. Diagne, les personnalités suivantes :
MM. Constantin-Mayard, ministre de la République d'Haïti ; Edouard Fenal; André Magre, préfet de Meurthe-et-Moselle ; Louis Michel ; Georges Mazerand ; Price-Mars, sénateur de Haïti : les généraux Mittelhauser, de France Bonnet ; Demain ; Liautaud ; Thibault; Condé ; Hanriot ; Dominique Audier ; Roger George ; Albert Tourtel, vice-president du Conseil général ; le doyen Ferdinand Brunot, membre de l'Institut ; Dreyfus, président de la cour d'appel de Paris ; le vice-président du Conseil colonial du Sénégal ; le colonel Sadi-Carnot ; le docteur Hanus, conseiller général ; Saron, attaché du cabinet du ministre ; Gaspard, président du Comité du centenaire ; Sully, chef de cabinet ; Fleurent ; Charlier ; Cordon ; Piffert, maire de Sarrebourg : Metz, adjoint de Sarrebourg ; Humbert, maire de Dieuze ; Cahen-Salomon. adjoint au maire de Metz ; Sénac-Tahény ; Jacques-Henry, sous-préfet : Antonio Vieux ; Fournier, Coilin, Adam, Valentin, Lienjey, conseillers d'arrondissement ; Paul Lang, secrétaire général du Comité lunévillois ; A Marie trésorier ; Paul Hellé ; le colonel de Bremoy ; Magnin-Filippi ; les chefs noirs ; Gain, directeur de l'Institut colonial de l'Université de Nancy ; Champagne, grand-rabbin de Belfort ; Lucien Dreyfus, de Belfort ; le lieutenant-colonel d'Arras ; Simon Behr, président de la communauté israélite de Nancy ; Eugène Weill, président de 13. communauté de Metz ; Lévy, représentant le consistoire de la Moseelle ; Olschausky ; Finot ; Charles. Villard : Saunier ; Max Hellendag ; N. Khan ; Betton ; Cathal père ; Cathal fils, attaché au cabinet du préfet ; Betton ; le président Tassard ; le juge Grillot,( etc... Nous nous excusons auprès des nombreux oubliés.
Le déjeuner était servi par Emile Godard. Ce fut un chef-d'oeuvre d'exécution, de qualité et de service.

LES DISCOURS
Le dévoué adjoint au maire de Lunéville, M. Gaspard, président du comité du Centenaire, salue M. le ministre Diagne et rend un juste hommage à tous les amis qui ont collaboré au succès de cette inoubliable manifestation.
M. le préfet adresse, à son tour, ses remerciements et ses félicitations à la municipalité de Lunéville et à M. Fenal, à M. Paul Lang, secrétaire général du comité qui, avec une foi, un zèle incomparables, fut l'animateur de ces belles journées.
De ces deux journées,. M. André Magre rappelle, les traits saillants et exprime l'émotion qu'il éprouva au gala du samedi, au théâtre, et aux deux pèlerinages de Vého et d'Emberménil.
Ayant souligné l'admirable unité de la vie de Grégoire, qui proclama l'égalité de toutes les races en face de l'humanité, il salue les soldats sénégalais, qui ont versé leur sang- sur le sol qui a vu naître leur libérateur,
II salue enfin M. le ministre Diagne.
«  Je suis, dit-il, l'interprète de tous les Lorrains en levant mon verre en l'honneur de ce fils d'Afrique, de l'Afrique si séduisante et mystérieuse, venu ici, vivant symbole de la reconnaissance de son pays. »
M. le préfet boit aux membres du gouvernement, aux présidents Gaston Doumergue et Paul Doumer. M, Edouard Fenal, au nom de la ville de Lunéville, remercie les hautes personnalités qui se sont associées au geste pieux des amis de l'abbé Grégoire.
«  De son oeuvre énorme, que des voix éloquentes ont célébrée ou célébreront, je ne veux retenir qu'un aspect : Si la France est aujourd'hui un immense empire de 100 millions d'habitants de toutes rases, librement fraternellement unis autour du même chapeau, c'est en partie aux courageuses interventions, aux nobles initiatives de l'abbé Grégoire que nous le devons. »
M. Cahen-Salomon, adjoint au maire de Metz, exprime les excuses de M. Vautrin et dit sa fierté d'avoir été convié à assister aux splendides fêtes de Lunéville.
M. Piffert, maire de Sarrebourg, rappelle les liens anciens d'étroite amitié qui unissent Sarrebourg et Lunéville.
S'adressant à M. Diagne, il déclare : «  Sans doute, les applaudissements qui souligneront vos paroles, iront plus loin que votre personne. En elle, Monsieur le Ministre, c'est au gouvernement que vous représentez si dignement que s'adressent ces manifestations de loyale confiance.
«  Persuadés, Monsieur le Ministre, que le gouvernement continuera la protection bienveillante à nos départements recouvrés, nous vous assurons de notre très sincère dévouement, à la patrie pour laquelle nous préparons des citoyens forts et vigoureux qui sauront la défendre, s'il le faut jusqu'à leur dernier souffle et qui donneront toujours l'exemple de l'amour de la France et du respect à ses institutions. »
M. Doulon, inspecteur de l'enseignement primaire, excuse M. le recteur et M. l'inspecteur d'Académie retenus par les cérémonies du cinquantenaire de l'école laïque.
Il prie le ministre de vouloir bien agréer l'hommage de l'Université, et plus particulièrement de l'Institut colonial de Nancy, dont il salue l'éminent directeur, M. Gain.
Parlant de l'abbé Grégoire, qui a jeté les bases de l'école, M. Coulon déclare :
«  S'il n'y a pas eu à Lunéville de manifestation en l'honneur de l'Ecole publique, en célébrant solennellement le centenaire de l'abbé Grégoire, nous avons conscience de célébrer, et superbement, le cinquantenaire de l'Ecole laïque. »
M. Georges Mazerand, s'adressant aux hôtes de Lunéville, déclare :
«  Tous les Lorrains qui ont compris la grandeur de l'oeuvre de l'abbé Grégoire vous ont vus, messieurs, avec joie, vous associer à ces manifestations.
Pourtant, si je vous remercie de ce concours, j'aurais mauvaise grâce à trop insister sur ce point et surtout à, en manifester le moindre étonnement.
«  Ce serait en effet ignorer la reconnaissance que la race noire, comme les Israélites et les protestants, d'ailleurs, n'ont cessé de témoigner à l'abbé Grégoire, leur bienfaiteur, à l'heure où il était de bon ton en France de le calomnier, de l'insulter sa vie durant et même au delà du tombeau...
«  A ce moment, vous étiez seuls à magnifier sa sublime mémoire, montrant ainsi, combien vous aviez mérité l'intérêt et la confiance que votre émancipateur avait placés en vous...
«  Aujourd'hui, la République a remis à son rang, le premier, celui qui fut l'honneur de la Révolution française. »
M. la sénateur Michel conte une anecdote charmante que l'importance de ce compte rendu nous empêche, hélas, de reproduire.
Il exprime au ministre les sentiments de reconnaissance de nos populations pour son geste de reconnaissance et de solidarité»
«  Les gens de chez nous, qui ont tant souffert, vous considéreront toujours les meilleurs des frères. »
Le dévoué sénateur lève son verre à l'arrondissement de Lunéville et à ses hôtes.
M. Price-Mars, sénateur de Haïti, souhaite que se réalise la grande pensée de Grégoire touchant la fraternité des peuples. Cette pensée, seule, la France généreuse est capable de la réaliser. Il boit à la France immortelle, conductrice des peuples, flambeau des nations.
M. le doyen Brunet reportera à Paris un sentiment profond. On saura dans la capitale tout ce que Lunéville a fait. II remercie tous ceux qui, à des titres divers, ont donné à ces fêtes leur valeur et leur immense portée.
Dans un langage d'une élévation souveraine, il dit ses impressions en revenant en Lorraine pour cette solennité si chargée d'émotion : «  J'ai retrouvé ici l'âme de mon pays, de mes Vosges natales ».
D'une façon saisissante, il résume en un bouquet au parfum puissant tous les éloges qui ont été faits de Grégoire.
«  Ne parlons pas de tolérance, dit-il. Grégoire a voulu la justice, le droit égal pour tous. Mettons en pratique ses admirables maximes. Le saint de la Révolution a mérité d'exercer une action éternelle. »
Une vibrante ovation salue les dernières paroles de l'éminent orateur.
M. Constantin-Mayard, ministre de Haïti, a vibré aujourd'hui d'érudition patriotique, en entendant la musique municipale de Sarrebourg jouer la «  Marseillaise » devant le monument aux morts de 70.
«  En Haïti, dit-il, nous avons toujours vibré des douleurs et aussi des gloires de la France. »
Il donne un respectueux souvenir à Mme Edouard Fenal, qui l'a reçu avec une bonne grâce exquise. Samedi, dans l'ancien château du prince Charles, il a eu l'impression d'être reçu par la France tout entière.

Le discours de M. Diagne

«  Messieurs,
«  Je suis aujourd'hui parmi vous pour saluer et honorer devant tous, au nom du gouvernement, la noble figure de Grégoire qui fut prêtre, homme politique, grand savant, mais qui fut avant tout, et toujours, le fervent apôtre de la fraternité humaine.
C'est à ce dernier titre que je veux vous parler de lui, moi, homme d'une race qui a pleinement conscience de ce qu'elle doit à l'esprit philosophique français, luttant contre les préjugés et les bas intérêts, pour nous frayer un chemin vers des destinées meilleures et plus nobles.
On s'est étonné parfois que Grégoire, ce Lorrain, ce terrien, qui n'avait jamais eu de contact direct avec les pays lointains, qui n'avait pas vu l'atroce misère de ce peuple africain succombant sous le joug abominable de tous les esclavages, eût compris cette immense détresse et qu'il ait voulu effacer cette honte.
L'explication n'en est-elle pas ici, sous le ciel de notre France, toujours servante de l'idéal, et dans vos campagnes lorraines qui savent si bien forger les esprits et doucement modeler les âmes.
Une haie, un pré, quelques arbres, et ! c'est le cadre où Jeanne d'Arc s'émeut de la grande pitié du royaume de France.
Une modeste cure, un village groupé autour d'un clocher lorrain, et c'est Grégoire, curé d'Emberménil qui, lisant Montesquieu, refuse d'accepter la prétendue inégalité des races, se passionne pour la cause des opprimés et des esclaves et pour l'oeuvre de civilisation des peuples attardés.
L'esclavage ! Le droit français ne le reconnaissait pas, mais aux pays d'outre-mer, le code noir restait en vigueur, et malgré les appels de Montesquieu, de Raynal, de Turgot, du pasteur Schwartz, la traite poursuivait ses ravages.
Ardent adhérent de cette «  Société des Amis des Noirs », fondée par Brissot et Condorcet, l'abbé Grégoire entreprend une lutte que son entrée dans la vie politique allait lui permettre de poursuivre d'une façon plus efficace, plus sûre.
Son robuste bon sens lui fait comprendre la valeur du programme «  Rationnel » d'hommes comme Lavoisier, Lacépède, Mirabeau qui, pour obtenir des réalisations durables, préconisent, le recours à des mesures de libération progressives.
Membre de la Constituante, il expose à l'assemblée qu'avant de s'occuper de la constitution réservée aux colonies, elle avait l'impérieux devoir de régler le droit des gens de couleur.
Après une âpre et longue lutte, il brise l'hostilité des grands planteurs et obtient enfin, de l'Assemblée législative de 1792, la reconnaissance des droits civils des sangs mêlés. Premier succès, première étape sur une route dont le terme ne pouvait encore être aperçu.
Conventionnel Grégoire reprend le combat. Manoeuvrier habile il s'attaque aux moyens financiers qui permettent à la traite des noirs de subsister en prospérant. Le 27 juillet 1793, l'Assemblée vote sur sa proposition la suppression des crédits représentant les primes accordées par l'Etat aux armateurs négriers.
S'il lui est arrivé par la suite de ne pas s'associer aux gestes généreux de certains de ses collègues, c'est que conscient des difficultés d'une tâche à laquelle il s'était voué sans réserve, il mesurait le danger que présentait une hâte capable de compromettre le succès.
L'histoire devait lui donner raison sans réussir du reste à triompher de sa ténacité. Laissant les régimes politiques se succéder autour de lui. Grégoire est toujours à son banc pour se dresser au Sénat, en 1802, contre la politique de Bonaparte, qui, abattant la puissance de Toussaint-Louverture, rétablit l'esclavage au mépris des principes de la Déclaration des Droits de l'Homme.
Il noue des relations avec l'école libérale anglaise, écrit maints articles, maintes brochures, et parvient à créer un véritable courant d'opinion mondiale.
II devait mourir sans avoir vu réalisé son rêve d'affranchissement, mais le 18 mai 1831, des noirs étaient groupés autour de sa tombe pour y prononcer des paroles de reconnaissance et dans la République haïtienne, lorsque ce décès fut connu, le canon tonna de quart d'heure en quart d'heure pendant tout un jour, pour annoncer la fin de celui qui avait voulu s'appeler l'ami des hommes de toutes les couleurs.
Messieurs, il y aura demain cent-quarante ans le 8 juin 1791 Grégoire, député à l'Assemblée nationale, évêque du département du Loir-et-Cher, signait à l'adresse des citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue, une lettre dont certains passages hantent aujourd'hui mon esprit.
«  Amis, disait-il, vous étiez des hommes, vous êtes citoyens et réintégrés dans la plénitude de vos droits, vous participerez désormais à la souveraineté du peuple...
«  En vous assurant l'exercice des droits politiques, nous avons acquitté une dette ; y manquer eut été un crime de notre part et une tache à la Constitution...
«  Un jour, des députés de couleur franchiront l'océan pour venir siéger dans la diète nationale et jurer avec nous de vivre et de mourir sous nos lois. »
Comment, messieurs, le député originaire du Sénégal, sous-secrétaire d'Etat des colonies et représentant ici le gouvernement français, pourrait-il vous lire ces lignes autrement qu'avec un sentiment de gratitude pour le noble prophète qui les dicta !
Comment l'ancien haut commissaire aux troupes noires pendant la guerre pourrait-il ne pas songer, en ce moment, à tous ses frères de race et de couleur qui, sur les champs de bataille de cette terre lorraine, ont vaillamment payé de leur vie cette dette de reconnaissance et d'amour !
Fils de la France intégrale, de ce grand pays qui s'étend sur les cinq parties du monde, nous le sommes en vérité et sans distinction de race ou d'épiderme, nous sommes fiers de l'être et entendons le rester.
J'en prends à témoin mes amis du Sénégal, présents Ici, dans les veines desquels coule le sang de vieilles familles spécifiquement françaises ; j'en prends à témoin ces soldats indigènes cantonnés pour quelques heures dans votre ville, prêts, comme leurs aînés, s'il le fallait, à la défense de cette patrie qui est réellement pour nous dans toute la force du terme la mère patrie, parce qu'elle est digne d'être notre mère, comme nous nous croyons dignes d'être ses fils.
Messieurs, nous sommes réunis pour : honorer la mémoire de celui qui fut un grand citoyen de l'humanité ; c'est bien l'honorer que prétendre, et j'estime être qualifié pour cela, que si son oeuvre fut belle, elle est aussi et demeure fécondé.
Que les contempteurs de notre oeuvre coloniale, que les semeurs intéressés de tant de ferments de haine et de discorde se retirent ; en dépit de certains faits, de certains incidents, leur effort sera vain ; la belle moisson de Grégoire lève aux champs de toutes les terres. Le grand courant d'humanité, de civilisation, de fraternité se répand et s'étale ; à nous de la guider et de seconder son effort.
De tout notre coeur, nous le voulons et nous y parviendrons avec votre aide a tous et pour la gloire de la plus grande France une et indivisible.
Toute la salle, debout, acclame le ministre, interminablement.

A la statue de l'abbé Grégoire

A trois heures, accompagné d'une foule énorme, le ministre et sa suite s'est rendu place des Carmes, s'incliner devant l'effigie de bronze du Conventionnel.
Toutes les sociétés de Lunéville étaient là et les petites filles des écoles avaient les bras chargés de fleurs, hommage de la jeunesse au grand citoyen qui lui prépara les voies radieuses de l'avenir....
Fernand ROUSSELOT.

 

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