Est-Républicain
8 juin 1931
LUNÉVILLE, VÉHO, EMBERMÉNIL
ONT CÉLÉBRÉ AVEC ECLAT LA MÉMOIRE DE L'ILLUSTRE CONVENTIONNEL
Les manifestations ont été présidées par M. Diagne, Sous -
Secrétaire d'Etat aux Colonies
Samedi soir, dans Lunéville en fête, les fanfares de cavalerie
et d'artillerie, les musiques du 26e régiment d'infanterie et
des dragons portés, la musique municipale, encadrées des sapeurs
portant des flambeaux et des torches, ont, en impressionnant
cortège, sillonné les artères pavoisées de la cité, suivies et
acclamées par plusieurs milliers de personnes.
Sur les arcs de triomphe, rajeunis de verdures fraîches, les
formules banales de bienvenue avaient fait place à des devises
rappelant, l'époque révolutionnaire « Vive la République ; A
tous les citoyens libres, salut et fraternité. »
Les cartouches exaltaient des bonnets phrygiens et des haches
surmontant les faisceaux de licteur.
La décoration de la place des Carmes était, particulièrement
réussie. La statue de l'illustre conventionnel se détachait d'un
portique de verdure, portant à son faîte une énorme cocarde aux
couleurs de la nation,
La manifestation solennelle du théâtre
A 9 heures, M. Diagne, sous-secrétaire d'Etat aux colonies,
accompagné de MM. Constantin-Mayard, ministre de la République
de Haïti; Lêmery, sénateur, ancien ministre; le doyen Brunot,
membre de l'Institut; le colonel Sadi-Carnot; Price-Mars,
sénateur de Haïti; Dreyfuss, président de la cour d'appel de
Paris; André Magre, préfet de Meurthe-et-Moselle; Louis Michel,
sénateur; Georges Mazerand, député ; Edouard Fenal, maire de
Lunéville; Jacques-Henry, sous-préfet; Gaspart, président du
comité; Paul Lang, secrétaire général; les généraux Mittelhauser,
de France et Bonnet et de nombreuses personnalités étrangères,
parisiennes et de la région, faisaient leur entrée au théâtre
municipal empli d'une foule enthousiaste, salués par les accents
de la « Marseillaise ».
Le ministre et sa suite, longuement acclamés, prirent place dans
les loges de face.
Sur la scène, les orateurs se groupèrent aux côtés de M. le
doyen Brunot.
En termes excellents, M. Paul Lang, secrétaire général, dont le
dévouement dans l'organisation des fêtes fut inégalable,
remercia au nom du comité du centenaire M. le ministre, les
représentants de la République d'Haïti, les hautes personnalités
parlementaires et universitaires, venues pour témoigner leur
admiration et rendre un solennel hommage à notre illustre
compatriote, Henri Grégoire.
Puis, tour à tour, M. le doyen Brunot, M. Lêmery, M. le colonel
Sadi-Carnot et. M. Constantin-Mayard célébrèrent la mémoire du
constitutionnel.
En des discours émouvants, ils exaltèrent, sous ses multiples
aspects, la personnalité formidable du petit curé d'Emberménil,
devenu par la vertu d'une volonté inflexible, d'un idéalisme
passionné, d'une droiture inattaquable, d'une immense bonté
rayonnante, la plus radieuse figure de la Révolution française.
Les orateurs furent applaudis, ovationnés.
A l'issue des panégyriques, un brillant, concert, donné par la
Société Symphonique de Lunéville et les artistes du
Conservatoire de Nancy, sous, la direction magistrale de M.
Alfred Bachelet, membre de l'Institut, obtint, un succès
éblouissant. On entendit de la musique d'époque, des chants
patriotiques, interprétés par Mme Malnory-Marsillac, des
Concerts Colonne ; Mlle Lise Daniels et M. Carbelly, de l'Opéra
; des pages choisies de l'abbé Grégoire et des poèmes, dits avec
une flamme enthousiaste par M. Roger Monteaux, de la
Comédie-Française.
Et puis, ce fut le « Chant du Depart » et l' « Hymne national
haïtien » et « La Marseillaise », chantés et joués dans un
mouvement magnifique, applaudis par une salle tout entière
debout, frémissante.
Les cérémonies de Vého et d'Emberménil
Dimanche, à 9 heures, le cortège officiel était groupé devant la
sous-préfecture de Lunéville. Le ministre arrive, entre à la
sous-préfecture, entre une haie de tirailleurs sénégalais qui
présentent les armes.
Le ministre est accompagné du préfet du général Mittelhausser,
du ministre d'Haïti, de trois magnifiques chefs noirs au burnous
blanc revêtus de manteaux-rouges, chamarrés d'or.
A 9 heures un quart très précisés, les voitures se mettent en
marche, se dirigeant vers Vého.
Sur la route, à la traversée des villages de Marainviller,
Thiébauménil, on remarque que des guirlandes et des drapeaux
jonchent le sol. La tempête aurait-elle sévi cette nuit ? Mais
non, à Vého, à Emberménil, on nous renseigne.
Dans ces deux, communes, aussi bien que sur la route, de
nocturnes visiteurs sont, venus exercer des déprédations
inqualifiables. Non contents de placarder des affiches
ridicules, des énergumènes ont tenté de détruire les modestes
témoignages de gratitude patiemment édifiés par nos gens. A la
faveur de la nuit, propice aux pires lâchetés, ils ont lacéré
les drapeaux, brise des emblèmes, saccagé des motifs
ornementaux.
Pauvres exploits de polissons. Le matin venu, les habitants ont
reparé au mieux les déprédations commises et fait disparaître
les affiches, la trace même des salisseurs imbéciles.
Mais, cela est un détail. Dans le ciel nuageux, le soleil épand
ses rayons sur le paysage printanier. Rien ne saurait amoindrir
l'hommage grandiose qui va être rendu au grand Lorrain, qui
proclama la République.
Le cortège, encadre par une escorte de dragons, arrive à Vého,
où le ministre et sa suite sont accueillis par l'hymne national
exécuté par « I.a Céramique », des faïenceries de Badonviller.
Devant la maison neuve élevée à l'emplacement du « cougnat »
natal de l'abbé Grégoire, une estrade a été dressée.
Sur la muraille, cette inscription gravée dans le marbre :
« Sur cet emplacement s'élevait la maison où est né, le 11
décembre 1750, l'abbé Grégoire, président de l'Assemblée
nationale Constituante, président de la Convention nationale,
l'un des fondateurs de l'Institut de France et du Conservatoire
des Arts et Métiers, défenseur des droits de tous les opprimés.
»
Devant la maison, on remarque une importante délégation et le
drapeau de la Légion des volontaires juifs, venus de tous les
pays d'Europe, combattre sur le front de France.
M. Picquart, maire de Vého, salue M. Diagne « d'avoir bien voulu
assister à la cérémonie, destinée à exalter la mémoire du grand
Français qui symbolise toutes les vertus de notre pays ;
initiatives généreuses, défense des opprimés, amour de la
liberté, fraternité humaine.
« Devant les horizons, ajoute-t-il, où les jeunes yeux d'Henri
Grégoire s'ouvrirent sur la vie, je pousserai un cri, le cri qui
fut sa loi, respira son oeuvre sociale et politique, dirigea son
génie : « Vive la France ! Vive la République ! »
M Price-Mars, sénateur de la République d'Haïti, prononce
ensuite un magnifique discours dans lequel, en une langue d'une
pureté impeccable, il évoque une page d'histoire, à jamais
fameuse, la révolte des nègres à Saint-Domingue en 1793 et de la
mémorable intervention de l'abbé Grégoire pour les conquérir à
la liberté.
A l'illustre conventionnel, M. Price-Mars apporte « le
témoignage de fidélité de Haïti, fille de son rêve ».
M. Price-Mars est longuement acclamé.
M. le doyen Ferdinand Brunot, dans une allocution que nous ne
pouvons, hélas ! que résumer, évoque la jeunesse d'Henri
Grégoire à Vého, dans la petite maison paysanne de son père, ses
premiers jeux, ses : premières prières...
Grégoire était peuple. Il avait en lui les vertus profondes qui
fleurissent au
M. DIAGNE Photo Wide World.
coeur lorrain, une à une,
droite, désintéressée, aussi inaccessible à la flatterie qu'à la
menace, un coeur ne battant que pour le progrès éternel de
l'humanité.
Avec une émotion qui étreint tous les coeurs, M. le doyen Brunot
salue le drapeau des volontaires juifs, couvert de médailles et
de citations, de ces hommes venus de toutes les pays d'Europe au
secours de la France, qui, grâce a Grégoire, lui avait donné la
liberté.
M. Georges Mazerand succède à M. le doyen Brunot. ,
« S'il est, dit-il, un sentiment d orgueil légitime, c'est bien
celui qui anime les cités ayant donné le jour a un fils
glorieux.
En remontant aux âges de l'antiquité, un exemple probant nous
est offert : sept villes de disputent en effet l'honneur d'avoir
vu naître le poète grec Homère.
Plus près de nous, que d'humbles villages ont acquis une
renommée universelle, parce qu'à leur nom demeure désormais
attaché celui d'une âme d'élite, d'une intelligence
exceptionnelle...
Domrémy évoque pour nous Jeanne d'Arc; La Haye, Descartes le
philosophe ; Dôle, le grand Pasteur, bienfaiteur de l'humanité,
etc.
Vého peut, à son tour, revendiquer comme l'un des siens un des
hommes les plus éclairés, un des coeurs les plus nobles, avant
existé au début du siècle dernier ; Henri Grégoire, le
précurseur des réformes les plus fécondes, accomplies par la
Révolution française. Il a vraiment fallu qu'une passion aveugle
influençât longtemps les esprits pour que pleine justice ne lui
fut pas rendue depuis plusieurs lustres.
« Le temps apaise toutes les polémiques ; aujourd'hui, cent ans
après sa mort, cent quatre-vingt-un ans après sa naissance, il
n'y a guère que les adversaires de la République et de son
oeuvre émancipatrice ou des sectaires se parant effrontément du
nom de républicains, pour ne pas s'associer à l'hommage public
rendu à votre illustre concitoyen, le 31 mai dernier, par .M. le
président de la République à la Sorbonne. ».
M. Mazerand rappelle les phases de l'existence tourmentée, du
conventionnel et conclut .
« La République seule devait rendre à Henri Grégoire, la place
qu'il occupe dans l'admiration universelle.
« La commune de Vého a le droit de s'enorgueillir de ce clair
génie Français, dont on ne peut dire s'il fut plus grand par le
coeur que par le cerveau... Mais il est de ces hommes qui
honorent à jamais leur grande et leur petite patrie. »
La foule applaudit chaleureusement. Un vin d'honneur est ensuite
offert au ministre à la mairie, puis le cortège se reforme pour
se rendre à Emberménil.
A Emberménil, le maire, M. Alison, entouré de son conseil
municipal, reçoit le ministre devant la mairie, en face de la
nouvelle église, dont on admire l'élégante sveltesse.
La musique l' « Industrielle » des Etablissements Mazerand,
exécute la « Marseillaise ».
M. Alison prononce un fort beau discours.
Parlant de l'abbe Grégoire, il déclaré :
« Curé d'Emberménil, c'est ici, avant la tourmente
révolutionnaire, que les grandes idées de justice, d'égalité, de
fraternité, bouillonnant dans son coeur, se précisèrent dans son
esprit ; c'est ici qu'il mûrit, dans son modeste presbytère de
campagne, les magnifique projets qui inspirèrent son oeuvre
parlementaire et son action d'émancipation humaine.
« Aussi nous, les descendants de ceux qu'il connut, auxquels il
dispensa les paroles divines de l'entr'aide, de la paix entre
les hommes et de la miséricorde, nous sommes très fiers que
pleine justice soit enfin rendue à sa glorieuse, à son
impérissable mémoire. »
M. Louis Michel, sénateur, révèle un aspect peu connu de la
personnalité complexe que fut l'abbé Grégoire! Et c'est au nom
de l'agriculture et des populations rurales qu'il représente que
l'honorable sénateur vient apporter son tribut d'admiration à la
mémoire du curé d'Emberménil.
M. Louis Michel cite des extraits du rapport et projet de décret
de Grégoire à la Convention, sur les moyens d'améliorer
l'agriculture en France par l'établissement d'une maison
d'économie rurale dans chaque département. Les idées de Grégoire
à ce sujet déconcertent par leur lucidité, leur prévision.
Rien ne lui est étranger. Il parle de la transformation des
marais en plantations, des engrais et des irrigations dont
l'emploi était alors à peine ébauché, de la greffe, de la taille
des arbres, des soins a donner aux animaux, de l'exploitation
des forêts. L'étendue de son intelligence, de sa sagesse
dépassent les bornes de la vraisemblance. Et, cependant, les
documents sont là, leur dans rigueur irréfutable.
La fin de son rapport à la Convention est un véritable monument.
« Citoyens, écrit-il, en favorisant l'Agriculture, vous
diminuerez, vous extiperez peut-être la lèpre de la mendicité
qui fut toujours la satyre du gouvernement et dont la
destruction est l'objet de votre sollicitude.
« Une foule d'individus qui allaient dans le séjour des villes,
acquérir des maniéres moins gauches et souvent perdre leurs
moeurs, se fixeront dans les campagnes.
« La dégradation physique et morale est malheureusement
sensible, les travaux rustiques et l'aspect ravissant de la
nature, rendront l'homme plus robuste et plus moral en le
rapprochant de son auteur ; ils abrégeront la distance
affligeante qui se trouve entre ce que l'homme est et ce qu'il
pourrait être.
« Nous ne présenterons pas un tableau fantastique en disant que,
par là, vous ferez de la France un vaste jardin, que la liberté,
l'abondance et vos fetes appelleront ici les étrangers : car,
étant la première nation agricole, vous serez la plus puissante
comme la plus libre de l'univers, et la postérité reconnaissante
répétera que vous étiez dignes du peuple que vous représentez. »
L'abbé Grégoire s'est révélé hygiéniste, éducateur, cultivateur.
« C'est un honneur pour la Lorraine, s'écrie en terminant M. le
sénateur Michel, de compter ce prodigieux génie au nombre de ses
enfants, un honneur pour la commune qui l'eut, comme curé, un
honneur pour la France qui l'eut comme représentant.
« Je m'incline profondément devant la mémoire de l'homme de bien
que fut l'abbé Grégoire. » (Applaudissements.)
M. Ceorges Mazerand prononce encore un discours acclamé dont
voici la conclusion :
« Celui qui avait été le curé d'Emberménil a attaché son nom à
la libération des esclaves, à l'émancipation des juifs, à la
réhabilitation morale des protestants... Les actions de grâces
de ces persécutés sont montées vers l'abbé Grégoire avant que ne
vint le pardon de l'Eglise... Mais Grégoire l'avait mérité déjà,
d'abord par son refus d'abjurer sa foi, sous les pires menaces.
« Je suis catholique et personne n'a le droit de me ravir ce
titre, disait-il. J'ai fait du bien à Blois comme à Emberménil :
j'y reste pour en faire encore...
« Ensuite son testament même est la plus belle réponse qu'un
chrétien pourrait faire à ses ennemis : il laissait une somme de
plusieurs milliers de francs affectée à la fondation d'une messe
annuelle « pour ses calomniateurs et ses ennemis, morts ou
vivants »...
« ...En célébrant, avec éclat le. centenaire de sa mort, la
France entière rend justice à un grand homme qui fut aussi le
meilleur des hommes. »
Après un vin d'honneur à la mairie, le cortège se reforme, non
sans avoir salué respectivement le monument aux morts de la
commune.
Une nouvelle escorte de dragons attend le ministre et l'encadre
à son arrivée à Lunéville.
Avant de se rendre au salon des Halles, le cortège se rend par
l'avenue Villebois-Mareuil et la route du Champ-de-Mars, au
monument aux morts des Bosquets.
Sur le socle des pilastres qui portent les symboles de pierre de
la cité cavalière, le ministre, les ministre et délégués
haïtiens, les chefs noirs déposent de lourdes gerbes fleuries,
ce pendant que les dragons portés présentent les armes.
LE BANQUET
A midi, un banquet de 250 couverts, donné dans le grand salon
des Halles, réunissait, autour de M. Diagne, les personnalités
suivantes :
MM. Constantin-Mayard, ministre de la République d'Haïti ;
Edouard Fenal; André Magre, préfet de Meurthe-et-Moselle ; Louis
Michel ; Georges Mazerand ; Price-Mars, sénateur de Haïti : les
généraux Mittelhauser, de France Bonnet ; Demain ; Liautaud ;
Thibault; Condé ; Hanriot ; Dominique Audier ; Roger George ;
Albert Tourtel, vice-president du Conseil général ; le doyen
Ferdinand Brunot, membre de l'Institut ; Dreyfus, président de
la cour d'appel de Paris ; le vice-président du Conseil colonial
du Sénégal ; le colonel Sadi-Carnot ; le docteur Hanus, conseiller général ; Saron, attaché du cabinet du ministre ;
Gaspard, président du Comité du centenaire ; Sully, chef de
cabinet ; Fleurent ; Charlier ; Cordon ; Piffert, maire de
Sarrebourg : Metz, adjoint de Sarrebourg ; Humbert, maire de
Dieuze ; Cahen-Salomon. adjoint au maire de Metz ; Sénac-Tahény
; Jacques-Henry, sous-préfet : Antonio Vieux ; Fournier, Coilin,
Adam, Valentin, Lienjey, conseillers d'arrondissement ; Paul
Lang, secrétaire général du Comité lunévillois ; A Marie
trésorier ; Paul Hellé ; le colonel de Bremoy ; Magnin-Filippi ;
les chefs noirs ; Gain, directeur de l'Institut colonial de
l'Université de Nancy ; Champagne, grand-rabbin de Belfort ;
Lucien Dreyfus, de Belfort ; le lieutenant-colonel d'Arras ;
Simon Behr, président de la communauté israélite de Nancy ;
Eugène Weill, président de 13. communauté de Metz ; Lévy,
représentant le consistoire de la Moseelle ; Olschausky ; Finot
; Charles. Villard : Saunier ; Max Hellendag ; N. Khan ; Betton
; Cathal père ; Cathal fils, attaché au cabinet du préfet ;
Betton ; le président Tassard ; le juge Grillot,( etc... Nous
nous excusons auprès des nombreux oubliés.
Le déjeuner était servi par Emile Godard. Ce fut un
chef-d'oeuvre d'exécution, de qualité et de service.
LES DISCOURS
Le dévoué adjoint au maire de Lunéville, M. Gaspard, président
du comité du Centenaire, salue M. le ministre Diagne et rend un
juste hommage à tous les amis qui ont collaboré au succès de
cette inoubliable manifestation.
M. le préfet adresse, à son tour, ses remerciements et ses
félicitations à la municipalité de Lunéville et à M. Fenal, à M.
Paul Lang, secrétaire général du comité qui, avec une foi, un
zèle incomparables, fut l'animateur de ces belles journées.
De ces deux journées,. M. André Magre rappelle, les traits
saillants et exprime l'émotion qu'il éprouva au gala du samedi,
au théâtre, et aux deux pèlerinages de Vého et d'Emberménil.
Ayant souligné l'admirable unité de la vie de Grégoire, qui
proclama l'égalité de toutes les races en face de l'humanité, il
salue les soldats sénégalais, qui ont versé leur sang- sur le
sol qui a vu naître leur libérateur,
II salue enfin M. le ministre Diagne.
« Je suis, dit-il, l'interprète de tous les Lorrains en levant
mon verre en l'honneur de ce fils d'Afrique, de l'Afrique si
séduisante et mystérieuse, venu ici, vivant symbole de la
reconnaissance de son pays. »
M. le préfet boit aux membres du gouvernement, aux présidents
Gaston Doumergue et Paul Doumer. M, Edouard Fenal, au nom de la
ville de Lunéville, remercie les hautes personnalités qui se
sont associées au geste pieux des amis de l'abbé Grégoire.
« De son oeuvre énorme, que des voix éloquentes ont célébrée ou
célébreront, je ne veux retenir qu'un aspect : Si la France est
aujourd'hui un immense empire de 100 millions d'habitants de
toutes rases, librement fraternellement unis autour du même
chapeau, c'est en partie aux courageuses interventions, aux
nobles initiatives de l'abbé Grégoire que nous le devons. »
M. Cahen-Salomon, adjoint au maire de Metz, exprime les excuses
de M. Vautrin et dit sa fierté d'avoir été convié à assister aux
splendides fêtes de Lunéville.
M. Piffert, maire de Sarrebourg, rappelle les liens anciens
d'étroite amitié qui unissent Sarrebourg et Lunéville.
S'adressant à M. Diagne, il déclare : « Sans doute, les
applaudissements qui souligneront vos paroles, iront plus loin
que votre personne. En elle, Monsieur le Ministre, c'est au
gouvernement que vous représentez si dignement que s'adressent
ces manifestations de loyale confiance.
« Persuadés, Monsieur le Ministre, que le gouvernement
continuera la protection bienveillante à nos départements
recouvrés, nous vous assurons de notre très sincère dévouement,
à la patrie pour laquelle nous préparons des citoyens forts et
vigoureux qui sauront la défendre, s'il le faut jusqu'à leur
dernier souffle et qui donneront toujours l'exemple de l'amour
de la France et du respect à ses institutions. »
M. Doulon, inspecteur de l'enseignement primaire, excuse M. le
recteur et M. l'inspecteur d'Académie retenus par les cérémonies
du cinquantenaire de l'école laïque.
Il prie le ministre de vouloir bien agréer l'hommage de
l'Université, et plus particulièrement de l'Institut colonial de
Nancy, dont il salue l'éminent directeur, M. Gain.
Parlant de l'abbé Grégoire, qui a jeté les bases de l'école, M.
Coulon déclare :
« S'il n'y a pas eu à Lunéville de manifestation en l'honneur de
l'Ecole publique, en célébrant solennellement le centenaire de
l'abbé Grégoire, nous avons conscience de célébrer, et
superbement, le cinquantenaire de l'Ecole laïque. »
M. Georges Mazerand, s'adressant aux hôtes de Lunéville, déclare
:
« Tous les Lorrains qui ont compris la grandeur de l'oeuvre de
l'abbé Grégoire vous ont vus, messieurs, avec joie, vous
associer à ces manifestations.
Pourtant, si je vous remercie de ce concours, j'aurais mauvaise
grâce à trop insister sur ce point et surtout à, en manifester
le moindre étonnement.
« Ce serait en effet ignorer la reconnaissance que la race
noire, comme les Israélites et les protestants, d'ailleurs,
n'ont cessé de témoigner à l'abbé Grégoire, leur bienfaiteur, à
l'heure où il était de bon ton en France de le calomnier, de
l'insulter sa vie durant et même au delà du tombeau...
« A ce moment, vous étiez seuls à magnifier sa sublime mémoire,
montrant ainsi, combien vous aviez mérité l'intérêt et la
confiance que votre émancipateur avait placés en vous...
« Aujourd'hui, la République a remis à son rang, le premier,
celui qui fut l'honneur de la Révolution française. »
M. la sénateur Michel conte une anecdote charmante que
l'importance de ce compte rendu nous empêche, hélas, de
reproduire.
Il exprime au ministre les sentiments de reconnaissance de nos
populations pour son geste de reconnaissance et de solidarité»
« Les gens de chez nous, qui ont tant souffert, vous
considéreront toujours les meilleurs des frères. »
Le dévoué sénateur lève son verre à l'arrondissement de
Lunéville et à ses hôtes.
M. Price-Mars, sénateur de Haïti, souhaite que se réalise la
grande pensée de Grégoire touchant la fraternité des peuples.
Cette pensée, seule, la France généreuse est capable de la
réaliser. Il boit à la France immortelle, conductrice des
peuples, flambeau des nations.
M. le doyen Brunet reportera à Paris un sentiment profond. On
saura dans la capitale tout ce que Lunéville a fait. II remercie
tous ceux qui, à des titres divers, ont donné à ces fêtes leur
valeur et leur immense portée.
Dans un langage d'une élévation souveraine, il dit ses
impressions en revenant en Lorraine pour cette solennité si
chargée d'émotion : « J'ai retrouvé ici l'âme de mon pays, de
mes Vosges natales ».
D'une façon saisissante, il résume en un bouquet au parfum
puissant tous les éloges qui ont été faits de Grégoire.
« Ne parlons pas de tolérance, dit-il. Grégoire a voulu la
justice, le droit égal pour tous. Mettons en pratique ses
admirables maximes. Le saint de la Révolution a mérité d'exercer
une action éternelle. »
Une vibrante ovation salue les dernières paroles de l'éminent
orateur.
M. Constantin-Mayard, ministre de Haïti, a vibré aujourd'hui
d'érudition patriotique, en entendant la musique municipale de
Sarrebourg jouer la « Marseillaise » devant le monument aux
morts de 70.
« En Haïti, dit-il, nous avons toujours vibré des douleurs et
aussi des gloires de la France. »
Il donne un respectueux souvenir à Mme Edouard Fenal, qui l'a
reçu avec une bonne grâce exquise. Samedi, dans l'ancien château
du prince Charles, il a eu l'impression d'être reçu par la
France tout entière.
Le discours de M. Diagne
« Messieurs,
« Je suis aujourd'hui parmi vous pour saluer et honorer devant
tous, au nom du gouvernement, la noble figure de Grégoire qui
fut prêtre, homme politique, grand savant, mais qui fut avant
tout, et toujours, le fervent apôtre de la fraternité humaine.
C'est à ce dernier titre que je veux vous parler de lui, moi,
homme d'une race qui a pleinement conscience de ce qu'elle doit
à l'esprit philosophique français, luttant contre les préjugés
et les bas intérêts, pour nous frayer un chemin vers des
destinées meilleures et plus nobles.
On s'est étonné parfois que Grégoire, ce Lorrain, ce terrien,
qui n'avait jamais eu de contact direct avec les pays lointains,
qui n'avait pas vu l'atroce misère de ce peuple africain
succombant sous le joug abominable de tous les esclavages, eût
compris cette immense détresse et qu'il ait voulu effacer cette
honte.
L'explication n'en est-elle pas ici, sous le ciel de notre
France, toujours servante de l'idéal, et dans vos campagnes
lorraines qui savent si bien forger les esprits et doucement
modeler les âmes.
Une haie, un pré, quelques arbres, et ! c'est le cadre où Jeanne
d'Arc s'émeut de la grande pitié du royaume de France.
Une modeste cure, un village groupé autour d'un clocher lorrain,
et c'est Grégoire, curé d'Emberménil qui, lisant Montesquieu,
refuse d'accepter la prétendue inégalité des races, se passionne
pour la cause des opprimés et des esclaves et pour l'oeuvre de
civilisation des peuples attardés.
L'esclavage ! Le droit français ne le reconnaissait pas, mais
aux pays d'outre-mer, le code noir restait en vigueur, et malgré
les appels de Montesquieu, de Raynal, de Turgot, du pasteur
Schwartz, la traite poursuivait ses ravages.
Ardent adhérent de cette « Société des Amis des Noirs », fondée
par Brissot et Condorcet, l'abbé Grégoire entreprend une lutte
que son entrée dans la vie politique allait lui permettre de
poursuivre d'une façon plus efficace, plus sûre.
Son robuste bon sens lui fait comprendre la valeur du programme
« Rationnel » d'hommes comme Lavoisier, Lacépède, Mirabeau qui,
pour obtenir des réalisations durables, préconisent, le recours
à des mesures de libération progressives.
Membre de la Constituante, il expose à l'assemblée qu'avant de
s'occuper de la constitution réservée aux colonies, elle avait
l'impérieux devoir de régler le droit des gens de couleur.
Après une âpre et longue lutte, il brise l'hostilité des grands
planteurs et obtient enfin, de l'Assemblée législative de 1792,
la reconnaissance des droits civils des sangs mêlés. Premier
succès, première étape sur une route dont le terme ne pouvait
encore être aperçu.
Conventionnel Grégoire reprend le combat. Manoeuvrier habile il
s'attaque aux moyens financiers qui permettent à la traite des
noirs de subsister en prospérant. Le 27 juillet 1793,
l'Assemblée vote sur sa proposition la suppression des crédits
représentant les primes accordées par l'Etat aux armateurs
négriers.
S'il lui est arrivé par la suite de ne pas s'associer aux gestes
généreux de certains de ses collègues, c'est que conscient des
difficultés d'une tâche à laquelle il s'était voué sans réserve,
il mesurait le danger que présentait une hâte capable de
compromettre le succès.
L'histoire devait lui donner raison sans réussir du reste à
triompher de sa ténacité. Laissant les régimes politiques se
succéder autour de lui. Grégoire est toujours à son banc pour se
dresser au Sénat, en 1802, contre la politique de Bonaparte,
qui, abattant la puissance de Toussaint-Louverture, rétablit
l'esclavage au mépris des principes de la Déclaration des Droits
de l'Homme.
Il noue des relations avec l'école libérale anglaise, écrit
maints articles, maintes brochures, et parvient à créer un
véritable courant d'opinion mondiale.
II devait mourir sans avoir vu réalisé son rêve
d'affranchissement, mais le 18 mai 1831, des noirs étaient
groupés autour de sa tombe pour y prononcer des paroles de
reconnaissance et dans la République haïtienne, lorsque ce décès
fut connu, le canon tonna de quart d'heure en quart d'heure
pendant tout un jour, pour annoncer la fin de celui qui avait
voulu s'appeler l'ami des hommes de toutes les couleurs.
Messieurs, il y aura demain cent-quarante ans le 8 juin 1791
Grégoire, député à l'Assemblée nationale, évêque du département
du Loir-et-Cher, signait à l'adresse des citoyens de couleur et
nègres libres de Saint-Domingue, une lettre dont certains
passages hantent aujourd'hui mon esprit.
« Amis, disait-il, vous étiez des hommes, vous êtes citoyens et
réintégrés dans la plénitude de vos droits, vous participerez
désormais à la souveraineté du peuple...
« En vous assurant l'exercice des droits politiques, nous avons
acquitté une dette ; y manquer eut été un crime de notre part et
une tache à la Constitution...
« Un jour, des députés de couleur franchiront l'océan pour venir
siéger dans la diète nationale et jurer avec nous de vivre et de
mourir sous nos lois. »
Comment, messieurs, le député originaire du Sénégal,
sous-secrétaire d'Etat des colonies et représentant ici le
gouvernement français, pourrait-il vous lire ces lignes
autrement qu'avec un sentiment de gratitude pour le noble
prophète qui les dicta !
Comment l'ancien haut commissaire aux troupes noires pendant la
guerre pourrait-il ne pas songer, en ce moment, à tous ses
frères de race et de couleur qui, sur les champs de bataille de
cette terre lorraine, ont vaillamment payé de leur vie cette
dette de reconnaissance et d'amour !
Fils de la France intégrale, de ce grand pays qui s'étend sur
les cinq parties du monde, nous le sommes en vérité et sans
distinction de race ou d'épiderme, nous sommes fiers de l'être
et entendons le rester.
J'en prends à témoin mes amis du Sénégal, présents Ici, dans les
veines desquels coule le sang de vieilles familles
spécifiquement françaises ; j'en prends à témoin ces soldats
indigènes cantonnés pour quelques heures dans votre ville,
prêts, comme leurs aînés, s'il le fallait, à la défense de cette
patrie qui est réellement pour nous dans toute la force du terme
la mère patrie, parce qu'elle est digne d'être notre mère, comme
nous nous croyons dignes d'être ses fils.
Messieurs, nous sommes réunis pour : honorer la mémoire de celui
qui fut un grand citoyen de l'humanité ; c'est bien l'honorer
que prétendre, et j'estime être qualifié pour cela, que si son
oeuvre fut belle, elle est aussi et demeure fécondé.
Que les contempteurs de notre oeuvre coloniale, que les semeurs
intéressés de tant de ferments de haine et de discorde se
retirent ; en dépit de certains faits, de certains incidents,
leur effort sera vain ; la belle moisson de Grégoire lève aux
champs de toutes les terres. Le grand courant d'humanité, de
civilisation, de fraternité se répand et s'étale ; à nous de la
guider et de seconder son effort.
De tout notre coeur, nous le voulons et nous y parviendrons avec
votre aide a tous et pour la gloire de la plus grande France une
et indivisible.
Toute la salle, debout, acclame le ministre, interminablement.
A la statue de l'abbé Grégoire
A trois heures, accompagné d'une foule énorme, le ministre et sa
suite s'est rendu place des Carmes, s'incliner devant l'effigie
de bronze du Conventionnel.
Toutes les sociétés de Lunéville étaient là et les petites
filles des écoles avaient les bras chargés de fleurs, hommage de
la jeunesse au grand citoyen qui lui prépara les voies radieuses
de l'avenir....
Fernand ROUSSELOT. |