15 mai 1792 : à Metz, l'abbé
Charles-Etienne-Nicolas de Ficquelmont, suspect de menée contre
révolutionnaire, se déclare « aristocrate ». Mis en état
d'arrestation, il est arraché à ses gardiens pendant son
transfert de l'hôtel de ville à la maison d'arrêt, et est, en
pleine rue, massacré par la foule déchaînée.
Son frère, Maximilien-Chrétien de Ficquelmont (nom qui se
prononce « Ficquémont »), qui vit dans son château de Parroy, est arrêté à son tour et conduit en prison à Nancy.
« En suite de quoi, les propriétés furent mises sous
séquestre. Les fils, - il n'y en avait plus alors que deux
vivants, - passèrent la frontière ; les filles, - il y en avait
encore huit, - furent recueillies par leur grand'mère
.maternelle, la comtesse de La Marche. Le comte de Ficquelmont
et l'abbé auraient vraisemblablement connu un sort des plus
fâcheux, si l'un de leurs anciens domestiques, du nom de
Régnier, devenu gros personnage de la commune de Nancy, ne leur
avait rendu la clef des champs.
Ils étaient sauvés, et ils purent aller rechercher, au delà du
Rhin, les tronçons à jamais épars de leur famille et de leur
fortune. » [L'amoureuse histoire d'Auguste Comte, La Revue
de Paris - Novembre/décembre 1916]
Mais le « Regnier » diffère dans « Le positivisme, esquisse
d'un tableau de la fondation de la religion de l'humanité »
de Raymundo Teixeira Mendes, (ed. Rio de Janeiro, 1918), et il
ne s'agit plus d'un ancien domestique :
« Voici comment Maximilien Marie raconte les vicissitudes
qu'éprouvèrent ses ancêtres maternels, à l'occasion de la
Révolution :
« L'abbé de Ficquelmont s'étant fait lapider à Metz, en 1791,
pour une escapade anti-révolutionnaire assez mal avisée, le
comte de Ficquelmont fut arrêté quelque temps après dans son
château de Paroy et emmené dans les prisons de Nancy. Il s'en
échappa avec l'aide de Régnier (*) et parvint à passer la
frontière. Ses deux fils le rejoignirent. Ses filles furent
recueillies par leur grand'mère maternelle, la comtesse de la
Marche. Ma mère était l'une des plus jeunes, Le comte de
Ficquelmont rentra en France dès qu'il le put. Le plus jeune de
ses fils avait été tué à la bataille d'Ulm. »
Et en note :
« (*) De la notice biographique du Dictionnaire Larousse, on
extrait les données suivantes : Régnier (Claude-Ambroise), duc
de Massa sous l'Empire, naquit le 6 Avril 1736 à Blâmont
(Lorraine), et mourut à Paris le M Juin 1814. Il était avocat à
Nancy, lorsqu'il ut élu député aux Etats-Généraux, en 1789. R.
T. M. »
Voilà une situation inédite : est-ce Claude Ambroise Regnier qui
a aidé le comte de Ficquelmont à s'enfuir de la prison de Nancy
pour rejoindre à Coblence l'armée des émigrés ? En 1792, il est
effectivement membre du Conseil-général de la commune et
président du Tribunal du district : il est donc très
probablement le « gros personnage de la commune de Nancy » qui
peut user d'un pouvoir suffisant pour obtenir l'élargissement
d'un suspect (qu'il connaît d'ailleurs sans doute depuis fort
longtemps).
On connaissait Claude-Ambroise Régnier comme modéré, mais s'il a
réellement participé à la libération, puis donc à l'émigration,
du comte de Ficquelmont, il est logique qu'aucune autre source
aisément accessible ne vienne confirmer cette information : en
cette seconde moitié de l'année 1792, où la violence
révolutionnaire atteint des paroxysmes avec les massacres de
septembre, une telle information lui aurait laissé peu de chance
d'échapper à la fureur.
On relève cependant ce passage dans l'article que
Paul Delaval lui a consacré dans le
Pays Lorrain en 1909 :
« Régnier regagne Nancy. Elu officier municipal, puis nommé
président du Tribunal du district, il ne tarde pas à être
destitué par les représentants en mission ; l'influence des
idées du jour se faisait alors sentir en province et tous ne
savaient s'y plier. Retiré dans sa campagne de Maxéville, vivant
en dehors de la politique, il ne fut cependant pas à l'abri des
dénonciations et des vengeances.
C'est alors que, cédant aux sollicitations des siens, il tente
d'échapper au danger en mettant la frontière entre lui et ses
ennemis. Il allait y réussir, lorsqu'il apprend l'arrestation de
son père en son lieu et place ; sans hésiter il revient sur ses
pas et accourt à Nancy réclamer pour lui seul la responsabilité
de ses actes politiques et faire rendre la liberté à un
vieillard septuagénaire. Emprisonné (Le 17 ventôse an II, 7 mars
1794) aussitôt, il attend de longs mois que Thermidor, en
entraînant la chute de Robespierre, vienne le délivrer (Le 9
thermidor an II, 27 juillet 1794). » |