Dix ans du
Souvenir français en Lorraine
Emile Badel
NANCY
A. CRÉPIN-LEBLOND, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
1907
Le Monument de Domèvre-sur-Vezouse.
Le dimanche 11 novembre 1906
eut lieu, dans le petit village de Domèvre-sur-Vezouse, sous la
présidence du général Marin, président du Souvenir français du
canton de Blâmont, avec le concours des membres du Souvenir
français et de la 320e section des Vétérans, l'inauguration d'un
monument élevé par le Souvenir français à la mémoire des soldats
morts dans cette localité en 1813-1814.
Après un service religieux, le cortège précédé des enfants des
écoles, escorté des sapeurs-pompiers, de toute la population et
de nombreux habitants de la région, se rend sur l'emplacement du
monument dont la face porte l'inscription:
« Ici reposent 50 soldats français et piémontais de la
Grande-Armée de Napoléon 1er morts à Domèvre-sur-Vezouse en
1813-1814. »
Sur les côtés, sont gravés les noms des soldats connus
appartenant à 22 différents départements.
Là, un des élèves de l'école communale récite les vers, si
connus, de Victor Hugo : Aux Morts pour la Patrie, puis le
général Marin prononce une allocution patriotique dont nous
extrayons les passages suivants:
Il y aura bientôt un siècle, l'armée française, sous les ordres
de Napoléon, livrait dans les plaines de Saxe, à Leipzig, aux
armées de l'Europe coalisée contre nous, une sanglante bataille
qui dura trois jours et que l'histoire a baptisée la bataille
des nations; trahie par la plupart de ses alliés, elle dut,
écrasée par le nombre, reculer sur le Rhin, puis en Champagne
semant sur sa ligne de retraite de nombreux blessés.
C'est ainsi qu'un grand nombre de ces infortunés soldats dont la
plupart avaient, l'année précédente, échappé aux glaces de la
Russie, furent accueillis par les habitants de Domèvre. Malgré
les soins dont ils furent l'objet, cinquante d'entre eux, dont
plusieurs Italiens, succombèrent et furent inhumés dans le
terrain sur lequel s'élève aujourd'hui ce monument.
Pendant longtemps, le souvenir de ces obscurs soldats morts loin
de leurs familles et pour quelques-uns loin de leur patrie fut
le sujet des conversations dans le cours des soirées hivernales;
puis le temps fit son œuvre, il nivela les rides qui séparaient
les tombes et les générations succédant aux générations, ce
souvenir s'effaça. Il allait même disparaître, quand le
fondateur du Souvenir français, l'ardent patriote alsacien, M.
Niessen, le fit revivre et arracha à l'oubli ces victimes d'une
guerre malheureuse, mais glorieuse. M. Niessen avait retrouvé
dans les archives de la Guerre les traces des pertes subies par
l'arrivée sur sa ligne de retraite et de l'inhumation à Domèvre
d'un certain nombre de soldats de cette armée.
Il en informa le secrétaire du comite de Blâmont, M. Louis
François, lui demandant de faire une enquête pour reconstituer
ce qui s'était passé dans cette localité.
A la suite de patientes et laborieuses recherches dans
lesquelles il fut secondé avec le plus grand dévouement par M.
l'instituteur Colin, et je suis heureux de leur rendre ici à
tous un public hommage, la liste et l'état civil des soldats
inhumés à Domèvre furent reconstitués.
C'est alors que le Souvenir français, fidèle à sa grande et
patriotique mission, décida l'érection d'un monument à la
mémoire des soldats morts à Domèvre dans le cours des années
1813-1814 et demanda à la municipalité de cette commune la
concession du terrain nécessaire à l'élévation du monument.
Dans un magnifique élan de patriotisme, le conseil municipal fit
droit, à l'unanimité, à la demande du Souvenir français.
Si ce monument est modeste dans ses proportions, il a, en
revanche, une haute portée morale et civique. Il témoigne, en
effet, que la France n'est pas oublieuse de ceux de ses enfants
qui, même à une époque déjà lointaine, ont sacrifié leur vie et,
en échange de leur sang versé pour elle, elle leur donne
l'immortalité.
En outre, n'est-ce pas pour le petit soldat qui marche au combat
sous une trombe de feu, un puissant stimulant que la pensée que
la France a les yeux sur lui et que, s'il tombe, son nom sera
légué à la postérité ? N'est-ce pas cet idéal de gloire qui a
souvent fait de lui un héros ?
Et pour la mère qui pleure son fils, n'est-ce pas une grande
consolation que de savoir que son nom survivra et qu'il sera
inscrit au livre d'or des victimes du devoir patriotique.
Et pour nous, Français et patriotes, ce monument n'est-il pas
une éloquente protestation contre les théories criminelles de
ces renégats de la patrie qui veulent nous livrer sans défense à
ceux qui nous guettent du haut de ces montagnes.
Aussi, Messieurs, en adressant un pieux souvenir à ceux dont
cette terre recouvre les restes, rendons un éclatant hommage à
l'œuvre nationale du Souvenir français qui, en perpétuant la
mémoire de ceux qui, à toutes les époques de notre histoire, sur
tous les points du globe où a flotté notre drapeau, nous
montrent où est le devoir à nous, Lorrains, qui marchons à
l'avant-garde des armées de la France.
A vous tous qui vous êtes joints à nous, membres du Souvenir
français, pour honorer la mémoire de ces victimes de guerres
déjà lointaines, je dis : Merci.
Merci à vous, M. le Curé, qui avez appelé sur ce monument la
bénédiction du Dieu des armées et qui venez du haut de la chaire
sacrée, de célébrer en termes si élevés et si chaleureux le
culte de la patrie et du drapeau.
Merci à vous, vétérans de la 320e section, mes camarades, qui
avez une fois de plus affirmé votre ardent patriotisme en venant
rendre hommage à ces héroïques soldats de la Grande Armée qui
reposent sous cette terre.
Merci enfin à vous, sapeurs-pompiers de Domèvre, qui vous êtes
souvenus que vous aussi vous êtes des soldats et qui avez par
votre présence donné à cette cérémonie un caractère militaire,
ce dont je vous suis personnellement reconnaissant.
Monsieur le Maire,
Au nom du Souvenir français, je vous fais la remise de ce
monument ; il en fait don à la commune de Domèvre et le confie à
la foi patriotique de ses habitants, certain qu'ils sauront en
assurer l'entretien et le défendre contre les injures du temps
et des hommes.
Qu'il devienne pour eux un but de pèlerinage patriotique; car
élevé sur la frontière, ce monument est le symbole de nos
regrets et de nos espérances.
Monsieur le Maire,
Messieurs les Conseillers municipaux,
Le Président de l'œuvre nationale du Souvenir français m'a
délégué, et je suis heureux et fier de cette mission, pour vous
exprimer sa profonde reconnaissance pour l'unanimité avec
laquelle vous avez fait au Souvenir français la cession du
terrain nécessaire à l'élévation de ce monument.
Comme témoignage et pour en perpétuer le souvenir, il m'a chargé
de vous remettre, M. le Maire, ce diplôme d'honneur que vous a
décerné le Conseil général de l'œuvre.
Je vous prie d'agréer mes bien sincères félicitations pour cette
distinction si justement méritée.
Et avant de nous éloigner, Messieurs, inclinons-nous devant ce
monument, en redisant la sublime devise du Souvenir français:
A nous le Souvenir, à eux l'Immortalité !
Clairons, sonnez aux champs.
Tout le monde se découvre, et après la sonnerie retentit le cri
mille fois répété de : « Vive la France ! Vive l'Alsace-Lorraine
! »
Un vin d'honneur, offert à la Mairie, par M. le général Marin,
clôtura cette cérémonie.
Dans sa simplicité, elle a eu une grandeur émouvante dont les
habitants de la vallée de la Vezouze conserveront longtemps le
souvenir; car elle s'est déroulée en rase campagne, à deux pas
de la frontière, en face des Vosges, dont la ligne bleue fermait
l'horizon. |