BLAMONT.INFO

Documents sur Blâmont (54) et le Blâmontois

 Présentation

 Documents

 Recherche

 Contact

 
 Plan du site
 Historique du site
 
Texte précédent (dans l'ordre de mise en ligne)

Retour à la liste des textes - Classement chronologique et thématique

Texte suivant (dans l'ordre de mise en ligne)


La bière en Lorraine sous l'ancien régime

Voir aussi
La brasserie en Lorraine - La bière en Lorraine - Henri Lepage - 1885


Le Pays Lorrain
Janvier 1932

La bière en Lorraine sous l'ancien régime

On a beaucoup disserté sur l'origine de la bière. D'aucuns même, dans des ouvrages fort documentés, n'ont pas jugé hors de propos d'identifier Gambrinus.
Toute facétie à part, l'usage de boissons fermentées remonte à la plus haute antiquité; on le trouve déjà en l'an 3200 avant l'ère chrétienne, sous la première dynastie indienne. La boisson préférée des Gaulois était la cervoise; les missi dominici de Charlemagne avaient le droit de requérir les éléments de leur subsistance, notamment la bière; l'évêque de Metz Chrodegang prévoit, dans sa règle établie pour les chanoines de la cathédrale, que l'évêque pourra servir de la cervoise au lieu de vin, les jours de jeûne.
Des privilèges furent accordés par saint Louis à la corporation des «  cervoisiers », qui après la guerre de Cent Ans, se réorganisèrent en la «  terre Madame sainte Geneviève ».
Assurément il n'est pas impossible de rencontrer le mot bière avant le XVIe siècle pour désigner la cervoise, c'est-à-dire la décoction de grains, aromatisée avec des herbes comme le gingembre et le genévrier. La bière telle qu'on l'entend maintenant, c'est-à-dire houblonnée, ne semble pas avoir été connue au moyen âge.
Telle est du moins l'opinion de Lepage dans son étude sur La bière en Lorraine, justement louée, et largement utilisée, comme nous le faisons nous-mêmes, par France Wéber, dans son Essai historique sur la bière française.
C'est encore de la cervoise que le duc Antoine fit envoyer aux Clarisses de Pont-à-Mousson, où sa mère Philippe de Gueldres avait fait profession. Sous le règne de Charles III les premières bières apparaissent en Lorraine, et nous les trouvons chez les Cordeliers de Nancy, et ceux de Vic. En 1588, le duc Charles III donne 200 francs au couvent de Nancy destinés à l'achat d'une grande chaudière «  pour avoir moyen de faire plus grande quantité de bière qu'ils n'avaient accoutumé faire pour le deffruit de son hôtel ». La bière des Cordeliers de la chapelle ducale devait être de qualité supérieure, car une ordonnance du Conseil de ville de Nancy prescrivait la préparation de cette boisson «  telle qu'elle se fait aux Cordeliers : faut pour une brassée, ung resal et demy moyen bled, six resaux d'orge, vingt livres de houbelon ».
Les Cordeliers ne furent pas les seuls religieux à fabriquer de la bière. Les comptes des chanoines réguliers de l'abbaye de Domèvre pour l'année 1699 portent une dépense pour la façon de dix mesures de bière, mais ces religieux devaient se limiter à leur propre consommation, car ils manquaient du matériel nécessaire ; en effet, au mois de mai 1711, ils empruntent une chaudière pour brasser; à la même date ils achètent 27 livres de houblon pour 5 livres 8 sols. Les grands producteurs de bière en Lorraine furent les Bénédictins anglais. Chassés de leur pays par la persécution religieuse (1), ces moines se réfugièrent en Lorraine, en 1606, et sollicitèrent du cardinal de Lorraine la collégiale Saint-Laurent de Dieulouard, qui venait d'être supprimée, et sa mense unie à la Primatiale de Nancy. Ils transformèrent l'église et la dégagèrent, remirent le cloître en état, et construisirent un beau monastère, grâce à des ressources venues d'Angleterre et à une subvention de la Primatiale. Les gentilshommes de leur pays, qu'ils avaient en pension, étant habitués à la bière, les religieux entreprirent la fabrication de cette boisson; c'était en même temps se créer des ressources, car, en dérogation aux ordonnances ducales interdisant aux religieux le commerce de la bière, ils obtinrent le privilège de vendre la leur dans tout le duché, moyennant toutefois une redevance aux fermiers du droit «  de faciende ».
La bière de Dieulouard acquit très vite une grande renommée: la Cour et «  les principaux sujets des États » en fournissaient «  leur boëte, n'en trouvant pas plus près de la bonne à leur gré ». Un des meilleurs clients des Bénédictins était Fiacre Léguiader, dit Lannoy, l'un des chefs de cuisine de l'hôtel du duc François III et aubergiste à Lunéville, aux Armes d'Angle- terre; c'est là que prenaient pension les cavaliers qui suivaient les cours de l'Académie, notamment les seigneurs anglais, qui n'admettaient que la bière de Dieulouard. On a dit que la fontaine formant le ruisseau, près du monastère des Bénédictins, avait des qualités particulièrement propres à la fabrication de la bière: toujours est-il qu'au témoignage d'un contemporain «  la bierre de Dieulouard approche de celle d'Angleterre en goût et en force, elle pétille comme du vin de Champagne mousseux, supporte le mélange de l'eau, se conserve longtems, et se transporte sans altération. Après la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy. »
Dès que la bière apparut en Lorraine elle fut vite considérée comme une précieuse ressource contre «  la stérilité des vendanges ». En 1587, Charles III donna ordre de brasser dans les bailliages où manquait le vin, et fit délivrer les grains nécessaires. Soit que le vin manquât, même au palais ducal, soit que les princesses prissent goût à cette boisson, pendant cette même année 1587, le cellerier de Nancy «  fit dépense de cinq bichets de blé délivrés à Mathis le tonnelier, faiseur de bière, pour servir à faire bière pour l'état de mes dames ».
Cette pénurie de vin, et les brasseries créées par Charles III développèrent la fabrication de la bière. En 1589 on trouve un brasseur, Claude Maître-d'hôtel, rue du Petit-Bourget. A partir de 1589 le cellerier délivre, chaque année, du blé et de l'avoine destinés à faire de la bière «  soit pour l'état (la table) de Son Altesse, soit pour le deffruit de son hôtel ». Une bierrerie avait été construite la même année à l'emplacement de l'ancien hôtel de Mahuet-Lupcourt (rue Saint-Dizier, 19). La brasserie, de la ville Neuve fut démolie en 1591 et installée dans la Ville Vieille à la grande maison, qui servait à la fois de grenier à grains et d'ateliers à la Monnaie; c'est à l'emplacement de la grande maison que Léopold reconstruisit son hôtel de la Monnaie, où siégea la Chambre des Comptes de Lorraine, et dans lequel se trouvent actuellement les Archives départementales.
La bière fut une ressource appréciable pour le trésor ducal. En 1590, les Etats Généraux, comme aide extraordinaire pour l'entretien de l'armée, autorisèrent le duc à percevoir le dixième denier du vin et de la bière qui se vendaient à la feuillée. En 1595, nouvelle aide du dixième pot de vin et de bière, et une ordonnance de 1602 impose le huitième pot des vins et bières vendus au détail. Dans les périodes de crise l'impôt sur les boissons intervenait opportunément; en 1615 les administrateurs de l'aumône générale des pauvres de la ville de Nancy représentèrent à Charles IV que cette institution avait considérablement augmenté le nombre des mendiants, et lui conseillèrent de chercher un subside charitable dans de nouveaux impôts sur le vin et la bière.
Ces droits furent réformés par Léopold, qui, du reste, donna une nouvelle impulsion à la fabrication de la bière. Il fit construire, à ses frais, à Nancy, près de l'écluse du moulin de Saint-Thiébaut, sur le ruisseau Saint-Jean, une bierrerie qu'il donna à Deschamps, un de ses valets de pied, en 1702; la veuve de ce dernier la vendit, en 1721, à Evrard Hoffman. Le duc de Lorraine n'en témoignait pas moins un vif intérêt à la bierrerie des Cordeliers ; en octobre 1700 il y avait commandé et payé des travaux pour la somme de 1.207 francs.
Quand le gouvernement de Louis XV décida de faire communiquer la Ville-Vieille à la VilleNeuve, par le bastion des Michottes, à l'emplacement duquel fut percée la rue de ce nom, on jugea que l'hôpital militaire construit à cet endroit (nos 3 et 5 de la rue actuelle), en 1724, ne pouvait pas y être maintenu. Il fut transporté à l'emplacement de la bierrerie de Saint-Thiébaut (c'est l'ancien hôpital militaire qu'on démolit actuellement pour l'ouverture du boulevard Joffre); le propriétaire de la brasserie, François Hoffman reçut en échange les terrains de l'hôpital, sur la place de grève. Il construisit vis-à-vis de l'Université, rue Saint-Stanislas, 288, une maison que Lionnois qualifie «  l'une des plus belles et des plus commodes brasseries de France », et que son gendre Arnauld de Praneuf vendit à Mathieu de Dombasle, le père du célèbre agronome. La brasserie de Nancy avait une grosse clientèle qui s'étendait jusqu'à l'abbaye de Haute-Seille, et au prieuré de Viviers. Tandis que la Cour de Lunéville prenait sa bière chez les Bénédictins de Dieulouard, les religieux Cisterciens et les chanoines réguliers s'approvisionnaient à la bierrerie Hoffman.
Nancy et Dieulouard n'avaient pas le monopole de la fabrication de la bière en Lorraine. Les fraudes et la falsification de cette boisson pouvant porter préjudice à la santé publique, le duc Henri II en réglementa la production, et exigea une licence, sous peine d'amende. L'amodiation de la «  faciende » des bières et la recette des prévôtés sur les bières vendues nous renseignent sur les nombreuses localités dans lesquelles se trouvaient des brasseries.
Les études héraldiques du duché de Lorraine ne nous font pas connaître les blasons des différentes corporations de brasseries, mais le grand Armorial de France nous décrit les armoiries des corporations des villes de la province réunies à la France avant le XVlIIe siècle. La communauté des brasseurs de Verdun portait d'or à un pal de gueules chargé d'un croissant d'or en chef, et celle de Vic d'or à une fasce de gueules chargée d'un croissant d'or en chef.
La brasserie lorraine avait déjà une célébrité que les grandes firmes modernes ont rendue mondiale.
P. FIEL.

(1) Sur la réforme en Angleterre, et l'émigration des religieux. lire le savant ouvrage de M. l'abbé CONSTANT, ancien élève de l'Ecole française de Rome, professeur à l'Institut catholique de Paris, La Réforme en Angleterre. Le schisme anglican (?) Henri VIII (1509-1547), Paris, Perrin, 1930. Le duc Antoine, le cardinal de Lorraine et surtout Marie de Lorraine, duchesse de Longueville, puis reine d'Ecosse, y sont plusieurs fois mentionnés.

 

Mentions légales

 blamont.info - Hébergement : Amen.fr

Partagez : Facebook Twitter Google+ LinkedIn tumblr Pinterest Email