CONSÉCRATION de L'EGLISE DE BLAMONT
le 24 JUIN 1937
par
S. Exc. Mgr FLEURY
NANCY
IMPRIMERIE VAGNER
1937 La cérémonie de la consécration
Une double solennité mettait en fête, jeudi dernier 23 juin, la
petite ville de Blâmont. Mgr Fleury, évêque de Nancy, venait
consacrer son église, et M. le chanoine Barbier, son vénérable
curé, célébrait, avec ses noces d'or sacerdotales, sa
vingt-cinquième année de résidence dans la paroisse.
Par l'initiative discrète de M. le Maire, les deux rues formant
angle devant l'église avaient été ornées de feuillage, un arc de
triomphe. timbré d'une haute croix de Lorraine, dominait la
route de Lunéville, délimitant le terrain de la cérémonie: des
oriflammes flottaient aux tours, des drapeaux à bien des
fenêtres.
Monseigneur s'était imposé d'arriver de grand matin. Après avoir
célébré sa messe et distribué la sainte communion à de nombreux
assistants dans la pieuse atmosphère de « l'oratoire », il a
déposé, comme le prescrit la liturgie, tous les ornements
sacerdotaux et en simple soutane violette, à genoux devant
l'autel où hier soir ont été apportées les reliques de saint
Maurice, patron de la paroisse, il prononce - non sans émotion -
les paroles inauguratrices de la solennité : « Ne reminiscaris
Domine delicta nostra... Seigneur, ne vous souvenez pas de nos
péchés... ». Alternant leurs voix, le clergé présent et un
groupe de grands séminaristes reprennent et récitent aussitôt
sans discontinuer les sept psaumes de la pénitence.
C'est d'ailleurs le sentiment de l'indignité humaine et un
instant besoin de purification des âmes et des choses qui vont
donner son caractère à la première partie de la grandiose
cérémonie.
A ce moment. Monseigneur a revêtu sur l'aube et l'étole, la
chape blanche à revers bleus : puis, coiffé de la mitre et
crosse en main, avec l'assistance de M. le chanoine Gélinet
comme diacre, et de M. l'abbé Denis comme sous-diacre, il a
gravi les degrés du grand escalier pour se placer face au
portail de l'église. Mais bientôt il s'agenouille avec toute sa
suite, et implore la protection de la Cour céleste en entonnant
les litanies des saints. Ensuite il bénit de l'eau, en répand
sur la foule, et reprenant mitre et crosse, par sept fois il va
faire le tour de l'église dont il asperge les murailles. « In
nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. » C'est en quelque
sorte un siège, un encerclement spirituel du monument, qui
semble opposer l'impossibilité de ses portes obstinément closes.
Mais l'évêque a de nouveau gravi l'escalier: du bout de sa
crosse, il frappe le bas du vantail : « Ouvrez... Voici le roi
de gloire. »
« Quel est ce roi de gloire ? - Le Seigneur des vertus. » Le
diacre gardien, en l'occurrence M. l'abbé Boulier, ayant écarté
la double porte, la pointe de la crosse trace un signe de croix
sur le seuil de pierre et le pontife entre avec sa suite dans la
nef déserte. « Paix, dit-il, à cette maison. »
A ce moment un premier acte peut être considéré comme terminé.
Celui qui suit s'inspire de la même idée de purification : mais
comme il s'agit de l'intérieur de l'édifice et de l'autel, les
gestes liturgiques prennent un caractère plus expressif'.
L'évêque implore tout d'abord l'assistance de l'Esprit-Saint :
Veni Creator ... ; puis de nouveau il réclame la protection des
saints, et tandis que se poursuit le chant des litanies : Sancta
Maria, ora pro nobis... ; sancte Petre... sancte Paule, ora pro
nobis..., sancte Mauritius, ora pro nobis .... deux clercs
étendent d'un mur à l'autre, sur le pavé du sanctuaire, deux
larges traits de cendres qui se coupent en croix. Les Litanies
finies, l'évêque vient y tracer, comme une affirmation de
l'universalité de l'Eglise, l'alphabet grec et l'alphabet latin.
Puis il procède à la bénédiction de l'eau dite grégorienne, où
entrent, pour leur valeur de symboles, le sel, le vin et encore
les cendres.
Avec celle eau, l'évêque va bénir la table de l'autel, sur
laquelle il trace cinq signes de croix: puis il en asperge sept
fois le pourtour: et continuant son mouvement, portant lui-même
le bénitier et la branche de buis, il asperge à trois reprises
les murs de l'édifice, et enfin le pavé.
Aux différentes étapes de la cérémonie, le coeur a adapté
l'expression de ses sentiments : il a chanté la crainte : O quam
me tu endus iste locus... : quand l'évêque a signé la croix de
cendres, il a chanté le repentir : Miserere mei Deus, quant
l'évêque est monté à l'autel : et quand l'évêque projette l'eau
sainte dans le chœur, sur les murs et sur le pavé, il chante
tour à tour la joie : Laetatus sum ; la confiance dans la prière
: In ecclesiis benedicite Domino ; l'éternelle espérance : Dicet
Domino: pour se laisser porter par la voix du pontife jusqu'à la
vision du Ciel entr'ouvert: Vidi stellam Jacob... : j'ai vu
l'échelle de Jacob, elle s'appuyait aux cieux et sur elle les
anges descendaient ».
Le second acte prenait fin.
Pendant le chant de l'antienne, suisse, porte-croix,
porte-cierges, enfants de chœur, se sont avancés lentement dans
la grande allée. En silence une procession s'organise où,
précédant Monseigneur, se rangent tout le clergé présent : Mgr
Prévot, MM. les chanoines titulaires Hubert de Saint-Vincent,
Gérardin, Benoit, jadis curé de Blâmont ; MM. les chanoines
honoraires Barbier, le vénérable jubilaire ; Vincent, curé-doyen
de Baccarat ; Marchal, curé de Sain1-Léon de Nancy ; Renault,
curé-doyen de Saint-Pierre ; Fiel ; Girard, supérieur du Petit
Séminaire ; Simon, curé d'Avricourt ; Margot ; Kaltnecker ; MM.
les curés du doyenné : Thouvenin, curé de Frémonville ; Rouyer,
curé de Nonhigny ; Pertusot, curé de Verdenal ; Colin, curé d'Amenoncour
; Houel, curé de Saint-Martin ; Demoyen, curé de Vaucourt ;
Colin, curé de Barbas ; Munier, curé de Domèvre ; Jacquot, curé
d'Ancerviller ; Hassenbœhler, curé de Domjevin ; Koell, curé d'Ogéviller
; Puis les RR. PP. Maximin, F.M. : Souillard, O.P. ; Gillot,
T.S.R. ; MM. les Curés de Saint-Joseph de Nancy, de Badonviller,
Bénaménil, Ibigny, Petitmont, Laxou, Sommerviller, Varangéville,
Thiébauménil, Bertrambois, Foulcrey, Glonville,
Val-et-Châtillon, Vandéléville, Richardménil, Saint-Remimont,
Clémery, Arraye-et-Han ; MM. les abbés Louis, Delarue, Trendal,
Dévot, Aweng, Bajolet ; le Frère franciscain Louis Boraggini, et
tout en tête, derrière la croix, 1es dix-neuf séminaristes.
La procession, côtoyant la foule qui se tient au bas des degrés,
tourne à droite, remonte la rue décorée de verdure et entre à
l'Oratoire. Elle en ressort bientôt, s'avance et se déploie dans
un appareil magnifique. Sous la lumière diffuse d'un ciel voilé,
se détache en deux files mouvantes la blancheur des surplis,
puis le noir soyeux des camails rehaussé de violet, puis,
environnée d'un double groupe d'enfants de chœur devant des
feuillages, suivie par la masse chatoyante de la chapelle
épiscopale, que domine la mitre et la crosse portée sur les
épaules de quatre prêtres aux chasubles écarlates, telle jadis
l'arche d'alliance sur les épaules des lévites, la châsse dorée
qui renferme les reliques de saint Maurice.
La foule, maintenant très nombreuse, s'immobilise dans une
attitude de pieux respect. Des chants joyeux retentissent; et
les cloches sonnant à pleine volée, déversent aux échos de la
place le royal déroulement de leurs ondes sonores. C'est le
saint qui, par une marche triomphale, va prendre possession de
son église.
Quand la châsse arrive sur le large et haut perron de pierre,
elle est remise aux mains d'un prêtre, et conduite
solennellement tout autour de l'église ; les choristes chantent
sans interruption: Kyrie eleison; Seigneur, ayez pitié de nous.
Lorsque l'enveloppement est terminé, l'évêque oint de saint
Chrême les jambages de la porte : rite fort ancien, par lequel
l'épouse, usant d'huile, prenait possession de sa nouvelle
demeure. Cortège et châsse pénètrent alors dans l'édifice: les
choristes chantent : Ingredimini.. Entrez saints de Dieu, votre
habitation a été préparée par le Seigneur...
La foule des fidèles est désormais admise: les bancs se
remplissent, les cierges s'allument, l'heure est à la joie :
Cantatc Domino... Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; sa
gloire est dans l'assemblée des saints...
Un troisième acte commence : l'acte final, au cours duquel
onctions et invocations réalisent la consécration.
Monseigneur est secondé à la fois par ses diacre et sous-diacre,
et par M. l'abbé Nicolas, son secrétaire particulier. La
direction générale des mouvements est assurée par M. l'abbé
Corbeil, curé de Repaix, qui s'est déjà dépensé et se dépensera
la journée toute entière avec une prévenante activité.
L'évêque, coiffé de la mitre, monte à l'autel, oint d'abord aux
quatre angles le creux qui a été ménagé dans la table : puis il
y dépose les reliques, les couvre d'une pierre également touchée
du saint Chrême, et scelle les joints au ciment bénit. Il
termine en dessinant du pouce, sur l'ensemble de la table, un
large signe de croix.
« Sous l'autel de Dieu, chante-t-il, Saints de Dieu. vous avez
reçu votre place, intercédez pour nous...
« Sous l'autel de Dieu, j'ai entendu la voix des martyrs... »
« Les corps des Saints reposent en paix, et leurs noms vivent
pour l'éternité... »
Lorsqu'un homme du métier, M. François, utilisant le même ciment
composé avec l'eau grégorienne, a obtenu une surface
parfaitement lisse, l'évêque bénit l'encens et en répand le
parfum aux quatre coins de l'autel ; puis, à trois reprises, en
partant du côté de l'épître, sur tout pourtour : « Que ma
prière, prononce-t-il, s'élève comme l'encens jusqu'à votre
visage, ô Seigneur... » Enfin, il abandonne l'encensoir aux
mains d'un prêtre, M. l'abbé Goné, curé de Mignéville, qui
passant et repassant, continuera le même geste avec une
inlassable et onctueuse régularité, jusqu'à la fin de la
cérémonie.
Le chœur s'unit à la symbolique prière, en chantant : « Qu'ils
sont aimés, vos tabernacles. »
Cependant l'évêque, touchant du pouce l'huile des Catéchumènes,
en signe la table de l'autel aux cinq endroits qui ont été
marqués par l'eau grégorienne. Cette suite d'onctions se
répètera trois fois, la dernière avec emploi du saint Chrême.
Enfin, Huile sainte et saint Chrême mélangés sont largement
répandus sur la table, qu'elles imbibent et pénètrent. A chaque
reprise ont recommencé, soit en partant du côté de l'épître,
soit du côté de l'évangile, les encensements circulaires.
L'autel attire ainsi la plus grande partie de l'attention.
N'est-il pas en effet, comme le proclament les antiennes
chantées par le chœur : « Le lieu saint par excellence... ; vere
locus esse sanctus est. - Le trône sanctifié de la joie... unxit
te Deus oleo laetitiae... - Le cœur de la Maison de Dieu d'où
partent toutes les bénédictions ? » Les psaumes eux-mêmes
rapportent à ce centre les sentiments qu'ils évoquent -
confiance, vénération, ferme espérance - qu'encercle de ses
innombrables volutes le rappel de l'incessant verset : «
Dirigatur oratio mea sicut incensum in conspectu tuo... Que ma
prière s'élève comme l'encens jusqu'à votre visage... »
Abandonnant alors « la pierre d'offrande qui doit recevoir les
vœux et les sacrifices du peuple », le regard est invité à se
tourner vers les murailles déjà purifiées : « Lapides pretiosi...
omnes muri lui ... »
Coiffé de la mitre comme chaque fois qu'il exerce un haut
pouvoir de sa charge, l'évêque vient s'arrêter devant chacune
des douze croix peintes sur les murs et les colonnes. Il y
atteint, et du pouce trace la marque de saint Chrême, en
prononçant dans son invocation le nom de saint Maurice.
L'humble flamme des douze petits cierges fixés à leur hauteur et
qu'on allumera aux grandes circonstances, honorera la mémoire de
l'événement.
Désormais l'église et l'autel sont portés en quelque sorte à la
même dignité, ils ne font plus qu'un.
Sur la table sacrée, aux cinq endroits qui ont été marqués de
l'eau, de l'huile sainte et de saint Chrême, sont disposés cinq
petits morceaux d'encens bénit. Une main y porte le feu, et
tandis que commencent à se dessiner les cinq petites flammes,
l'évêque entonne l'Alléluia.
C'est en quelque sorte le premier sacrifice: c'est en même temps
une lointaine évocation du réalisme expressif de la liturgie
juive; une évocation, pourrait-on ajouter, des rites de la
primitive humanité; la flamme qui s'élève figurant l'effort de
l'âme qui se soulève vers la divinité.
Toute cette partie de la cérémonie porte ainsi une étonnante
empreinte d'Ancien Testament dans son atmosphère, les textes
rendent un son particulier, que renforce l'emploi du mot «
holocauste »; mais, rapidement, avec une aisance incomparable,
la liturgie nous ramène dans les perspectives du symbolisme
chrétien, le feu devenant l'image de l'Esprit-Saint et de la
grâce, qui dispose chacun de nous à prendre sa part du Nouveau
Sacrifice.
Il ne reste plus qu'à imposer une onction du saint Chrême à
chacun des quatre angles de l'autel, aux endroits où la base
soutient la table, et à bénir les nappes, vases et ornements.
Pendant ce temps, les antiennes rappellent les diverses
fonctions des lévites chargés de la maison de Dieu. Et en fait,
diacres et sous-diacres, sous la direction de M. l'abbé Corbeil,
tendent les nappes, apportent des cierges allumés, disposent des
bouquets de fleurs, déroulent des tapis. La joie de la gratitude
spirituelle se résume alors en une seule acclamation :
- Benedicamus Domino.
- Deo gratias. La messe
A ce moment, Monseigneur gravit les degrés de son trône. On sait
en effet qu'il a demandé à M. le Doyen de célébrer la messe. Et
l'assistance lui en est doublement reconnaissante, d'abord parce
qu'elle se rend compte que lui-même doit ressentir une notable
fatigue, puisque, s'ajoutant à la messe, cette cérémonie dure
depuis 7 h. du matin et qu'il est près de midi; mais les
paroissiens de Blâmont éprouvent aussi un grand plaisir à voir à
l'honneur en pareil jour leur dévoué pasteur.
Aux premières notes de l'Introït, M. le chanoine Barbier sort
donc de la sacristie en chasuble d'or, assisté de M. l'abbé
Hassenbœhler, comme diacre, et de M. l'abbé Kœll comme
sous-diacre. Le chœur chante avec lenteur : « Terribilis est
locus iste... ; ce lieu est plein de terreur... »; ces quatre
lignes, d'inspiration grandiose, qui brusquement jettent les
âmes en âmes en présence de la Majesté divine.
A ce sentiment de crainte et d'humble vénération, s'adjoindront,
au cours de la messe, les sentiments de confiance et de joie
filiale, que dégagent des morceaux liturgiques à l'adresse des
oreilles les moins exercées à l'habile interprétation du groupe
des grands séminaristes.
L'église est remplie comme elle le fut rarement. Du côté des
hommes, au premier banc, on remarque malheureusement une absence
: celle de M. le Maire. Le pénible état de santé I'a privé d'une
journée de bonheur au succès de laquelle il avait travaillé avec
son profond esprit de foi. Près de l'endroit qu'il devait
occuper se tiennent, avec M. l'adjoint délégué Campion,
plusieurs conseillers municipaux, qui ont suivi avec dévotion et
déférence les phases de la cérémonie. Ici et là, diverses
personnalités ont pris place dans la foule, entre autres. M.
Villemont, architecte, qui a dessiné et construit l'arc de
triomphe: notons à ce propos que les aides qu'il s'était choisi,
de simples ouvriers, ont absolument refusé tout salaire. Citons
aussi MM. Francois et Pianezzi, qui après les onctions des croix
de consécration ont travaillé au transport des échafaudages.
Beaucoup d'autres noms de collaborateurs au d'amis seraient à
relever: que personne ne veuille se croire l'objet d'un oubli.
Après l'Evangile, M. le Doyen monte en chaire. Simplement et
paternellement il invite tout son peuple à partager sa joie.
Pourquoi, explique-t-il, a-t-il eu la pensée de faire coïncider
le cinquantenaire de son sacerdoce avec la dédicace de son
église. C'est qu'il se sentait poussé à renouer une tradition et
à compléter une oeuvre.
En 1613, en effet, les Blâmontais prièrent Mgr Jean des
Porcelets de Maillane, évêque et comte de Toul, de consacrer
solennellement, sous le vocable de Saint-Maurice, l'église
qu'ils venaient de construire. L'évêque accédait à leur désir,
après avoir reconnu les reliques du chef de la Légion thébaine ;
certificat authentique et reliques furent enchâssés dans l'autel
consacré. Trois siècles et demi plus tard, en 1851, une nouvelle
église, l'actuelle, remplaçait l'ancienne, qui était tombée de
vétusté. Le curé du temps recueillit le vieux reliquaire de
plomb et comptait le faire servir à la consécration du nouvel
autel. Lorsqu'en 1856 le départ de Mgr Menjaud remit en question
la cérémonie espérée, M. le curé Mengin déposa ce reliquaire
sous la pierre sacrée, où il a été depuis découvert.
Il vient d'y être replacé par la main de S. Exc. Mgr Fleury, qui
a réalisé un espoir vieux de plus de quatre-vingts ans : d'où
cette allégresse.
Mais des événements plus récents ont pesé plus encore sur notre
détermination. Notre belle église est une blessée de guerre : «
Ayant été à la peine, elle devait être à l'honneur. »
Dès le début du conflit, en 19l4, la statue monumentale de saint
Maurice était renversée de son socle: le 8 décembre de la même
année, la pluie d'obus, dont l'un tua notre pauvre mère,
incendia la toiture et perfora la voûte. Le courage de quelques
hommes, dont l'un surtout s'exposa aux pires dangers, sauva
l'édifice d'un désastre complet et travailla à rassurer contre
les intempéries : mais le pavé restait couvert de débris; les
fenêtres sans vitraux et les trous béants de la voûte laissaient
passer le vent et la pluie. C'est là que, pendant quatre ans il
fallut exercer un ministère rendu très difficile par les
exigences de l'ennemi, puisque chaque semaine l'état-major
allemand imposait une démarche humiliante d'où dépendait sa
permission.
Notre pauvre église a vu panser ses blessures; elle est guérie :
et la fête de ce jour peut la consoler de bien des misères.
Mais en outre des mutilations matérielles, on lui a fait subir
de pénibles humiliations. Elle avait été construite par nos
pères pour abriter le tabernacle de Jésus-Hostie : l'occupant
l'a utilisé bien des fois pour un culte négateur de la sainte
Eucharistie, et des pasteurs protestants ont prononcé des
discours dans ce sens. Les moindres protestations ou les simples
remontrances étaient punies d'amendes ou de prison.
Il était souverainement convenable d'effacer ces douloureux
souvenirs par une purification, et de oindre du saint Chrême ces
murailles témoins de tant de profanations. La réparation
solennelle vient de se faire publiquement. Que tous se
réjouissent.
Pendant les jours douloureux de l'invasion, votre curé
entrevoyait encore une autre espérance : celle de recueillir le
résultat des engagements qui avaient été pris pendant la guerre.
Hélas! passé le danger, passée la dévotion ! Au retour de
l'exil, la piété ne fit que s'attiédir dans une population
diminuée.
Que cette fête et les empressements qu'elle a suscités, de la
part de toutes les familles, nous rendent, sans nous tromper,
l'espérance de voir la religion reprendre possession des coeurs.
« A tous ceux qui prieront dans ce temple, vous accorderez,
Seigneur, vos grâces et vos bénédictions: vous pardonnerez aux
repentants : vous consolerez les affligés... ; vous fortifierez
les doutes, vous donnerez la victoire dans les combats
spirituels, et après le temps d'épreuves, vous réserverez à tous
le repos éternel... »
Une fois encore, selon son habitude, le trop modeste pasteur
s'effaçait discrètement derrière la trame des événements. Mais
ceux qui l'ont connu ne pourront se dispenser de compléter et de
mettre en évidence quelques-uns des traits de son zèle, de son
apostolique charité; quelques-unes des souffrances qu'il a
endurées - avec son église - spécialement au cours des années de
guerre.
Qu'on veuille se souvenir qu'il a vécu quatre ans pour ainsi
dire sur la ligne de feu, avec l'angoisse doublement effroyable
d'être exposé aux obus français dont l'un près de lui, a tué sa
mère... ; qu'il a du, au début du séjour de l'ennemi, exercer
les dangereuses fonctions de maire : qu'il a dû payer des
amendes pour avoir l'autorisation de célébrer dans son église,
et qu'un jour il en fut chassé brutalement à coups de pied par
un colonel bavarois; qu'il a été emmené plusieurs fois les yeux
bandés et les mains liées pour être fusillé, et qu'une fois,
entre autre, il a été condamné à faire le tour de la localité
pour annoncer à son de tambour sa propre mort; qu'enfin, il a
contracté la terrible épidémie du choléra en soignant des
malades.
Encore, ne savons-nous pas tout.
C'est à cette partie volontairement obscure de sa vie dévouée et
charitable, comme au peu que nous en savons, que faisait
allusion Monseigneur lorsque, à la fin de la messe, il le
proclamait « le modèle des pasteurs », lorsqu'il glorifiait sa
bonté et lorsqu'il félicitait ses paroissiens de pouvoir
toujours compter sur son zèle éminemment désintéressé.
D'ailleurs, ses paroissiens ont montré qu'ils ont compris;
depuis le chef de l'administration municipale, hélas! absent, et
ses collaborateurs, jusqu'au plus modeste des fidèles, puisque
tous sont réunis en ce jour pour donner la preuve de leur pieuse
reconnaissance. C'est une union des cœurs pareille à celle qui
se retrouve entre prêtres et dont aujourd'hui tant de confrères
de M. le Doyen donnent le réconfortant spectacle. Que tous les
assistants soient remerciés, et que tous se montrent de plus en
plus sensibles au zèle de leur vénérable pasteur.
La plus grande joie qu'ils puissent lui accorder, et en même
temps, le plus bel ornement qu'ils puissent ajouter à la
splendeur de cette église consacrée, ce sera de montrer leur
fidélité en venant ici chaque dimanche sanctifier par
l'assistance à la messe, le jour du Seigneur.
Avec ces longues mais grandioses cérémonies, le temps s'est
écoulé : il est une heure de l'après-midi.
Au son des cloches, la foule se disperse, et les nombreux
invités viennent s'asseoir autour des tables dressées dans la
maison paroissiale. Le repas, diligemment servi, n'a manqué ni
d'abondance, ni de fraternelle gaieté. Au dessert, M. le Curé,
tout en se défendant de faire un toast, trouve pour Monseigneur
des mots de respectueuse gratitude et l'adresse de tous ses
confrères les plus anciens - spécialement ceux de la paroisse
Saint-Léon, et ceux du doyenné - les plus jeunes aussi, des
expressions pleines d'à-propos et de fine délicatesse. Dans ce
toast qui n'en est pas un, personne n'est oublié.
Monseigneur veut bien accepter ces hommages d'un vétéran du
sacerdoce, et y répondre en des termes à la fois aimables et
substantiels, qui honorent la modestie du jubilaire en exaltant
la beauté de la fraternité sacerdotale.
Un peu plus tard, au cours d'une joute qui met aux prises deux
anciens vicaires de Saint-Léon et en vise un troisième, M. le
chanoine Vincent, curé-doyen de Baccarat, réveille de communs et
savoureux souvenirs.
M. le chanoine Barbier se contente de faire accueil au passé
avec ses yeux qui rient; mais toute l'assistance applaudit.
Cette paisible fin de journée achève de révéler les sentiments
de profonde estime, de durable et respectueux attachement que
professent tous ceux qui l'approchent, envers un homme d'esprit,
un homme de sûr jugement, un homme de cœur et un homme de foi.
Abbé E. HATTON.
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