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22 mars 1814 - L'affaire du major Krewsky
 


Le Pays lorrain - 1966
Éd. Berger-Levrault (Nancy)

L'affaire du major Krewsky

La résistance à l'occupant n'a pas été un phénomène particulier à la période 1940-1945; en 1870, elle s'était manifestée en France par l'action des francs-tireurs. Mais déjà en 1814, lors d'une invasion qui les surprit à juste titre, nos populations lorraines, habituées à voir les armées de la République et de l'Empire porter la guerre loin du territoire national, déclenchèrent spontanément des actions contre les envahisseurs.
Erckmann et Chatrian nous ont conté, dans l'«  Invasion » et sous forme très romancée, l'histoire d'un «  maquis » du Donon. Dans la Meuse, le colonel Viriot avait levé et organisé des compagnies de partisans qui battaient l'estrade sur les deux rives de la Meuse. Au sud de Toul, Dominique Léopold Claude, de la ferme de la Blaissière, près de Bulligny, ancien capitaine de volontaires de 1792, avait levé un corps de quelques centaines d'hommes avec lesquels il harcela l'ennemi jusqu'aux environs de Nancy et fit des prisonniers.
Mis au courant de ces actions, Napoléon qui se trouvait encore le 27 mars à Saint-Dizier alors que les alliés marchaient sur Paris, voulut, en s'appuyant sur les sentiments patriotiques des Lorrains donner une plus grande extension à ces mouvements. En harcelant les lignes de communication de l'ennemi, en arrêtant ses convois, capturant ses courriers, les groupes francs créeraient une zone d'insécurité à l'arrière des forces alliées, ce qui ne pouvait qu'agir fortement sur le moral des chefs et des troupes.
C'est ainsi que les frères Brice, originaires de Lorquin, tous deux capitaines dans les chasseurs de la garde et brillants cavaliers, reçurent la mission d'organiser un corps franc dans leur région natale. Le prince de Neufchâtel, Berthier, leur délivra une commission les autorisant à lever un corps de 300 cavaliers et de 300 fantassins.
Mais les partisans ne les avaient pas attendus.

Le 22 mars, le major Krewsky, de l'armée russe, qui se déplaçait avec deux voitures de bagages personnels et plusieurs domestiques fut attaqué sur la grand route au nord-est de Blâmont. Un domestique fut grièvement blessé de trois balles, un autre plus légèrement; le major lui-même réussit à s'échapper et à gagner à pied Blâmont où il se présenta au maire. Les assaillants se saisirent des deux voitures et les emmenèrent dans la forêt où ils les pillèrent consciencieusement, non sans maltraiter les charretiers.
Le maire de Blâmont adressa un compte rendu au sous-préfet de Lunéville en l'informant de l'événement. Soucieux d'écarter de sa commune les foudres des alliés, il indiquait que l'agression s'était produite sur le territoire de la commune de Gogney, au bois du Thénot. Il affirmait que le coup avait été fait par des «  vagabonds qui, depuis quelques jours, rôdaient dans les environs de Richeval, de la Haie-des-Allemands et de Hattigny ». Comme par hasard, ces localités faisaient partie du canton de Lorquin.
Le sous-préfet de Lunéville transmit au gouverneur général de Lorraine, le comte Alopeus, d'origine finlandaise, la lettre du maire de Blâmont en l'accompagnant d'un commentaire où il insistait sur le bon esprit de la majorité des habitants ; il exprimait ses regrets et indiquait qu'une enquête était ouverte pour retrouver les coupables.
Le 25 mars, M. de Fromental, juge de paix et avocat à Blâmont avait déjà interrogé trente témoins ou présumés tels. Une partie des effets volés avait été retrouvée ainsi que les deux voitures, l'une dans la forêt vers Hattigny, l'autre à la Haie-des-Allemands.
Le 27 mars, le maire de Blâmont s'adressant directement au gouverneur général affirmait encore que l'attentat n'avait pas eu lieu sur le territoire de sa commune, insistait sur la bonne volonté des habitants de Blâmont «  qu'il ne faut pas confondre avec quelques mauvais sujets ».
Pendant ce temps, l'enquête se poursuivait sans grands résultats. On interrogea même des enfants de 11 et 13 ans qui, le jour de l'attentat, ramassaient du bois mort dans la forêt et avaient entendu les coups de feu. Il fut cependant établi qu'un nommé Boulanger, originaire de Blâmont avait pris part à cette attaque.
Le commandement allié protesta avec énergie contre cette agression. Le 13 avril, le comte Alopeus prit un arrêté infligeant aux communes de Blâmont et de Lorquin une amende de 23 236 F, montant de l'indemnité accordée au major Krewsky pour la perte qu'il avait subie. La répartition avait été faite par moitié entre les deux communes en raison de la participation à l'attentat du sieur Boulanger de Blâmont, et des soupçons qui pesaient sur les frères Brice qui avaient mené avec diligence leur opération de recrutement d'un corps franc, et dont l'activité n'avait pas échappé aux autorités alliées.
Ce chiffre semble exhorbitant quand on pense qu'un cheval moyen se payait à cette époque, environ 300 F, une vache 100 F, un mouton 10 F, un kilo de pain 0,20 F et un litre d'eau-de-vie 0,80 F. D'autre part, on a prétendu que les voitures du major Krewsky transportaient, en quantité appréciable, des objets provenant de pillages et en particulier des vases «  pieux » (!).
Mais il restait à payer l'indemnité. Le préfet de la Meurthe, Pinodier, prit le 25 avril un arrêté par lequel il prescrivait aux maires de Blâmont et de Lorquin de verser à Nancy, dans la journée du 26 avril, chacun la somme de 11 618 F. En cas de non-exécution, ils seraient arrêtés, conduits à Nancy pour y être détenus jusqu'au paiement de la somme. Leurs biens meubles et immeubles seraient vendus jusqu'à concurrence de cette somme.
Les maires durent donc s'exécuter. Le maire de Blâmont prit la route de Nancy; là, il fut arrêté sur l'ordre du préfet de la Meurthe. Mais il réussit à emprunter de l'argent à des banquiers et à se faire libérer.
A Lorquin, l'affaire prit une tournure différente. Le maire répartit la somme à verser entre 56 contribuables de la commune, choisis, en général parmi les plus aisés. Mais c'est en vain qu'on recherche son nom sur la liste, bien que si l'on en croit un conseiller municipal qui lui, avait été taxé à 1 000 F, il ait été le plus riche de la commune. Cependant, le maire se proposait de faire vendre les biens des frères Brice, choisis comme boucs émissaires, en raison de leur attachement à l'empereur. Mais ceux-ci, qui avaient rejoint à Saumur leur régiment qui avait pris le nom de Chasseurs de France, protestèrent de leur innocence et fournirent un certificat, en bonne et due forme, signé par un certain nombre d'officiers et en particulier par le général Lefebvre Desnouettes, attestant que, le 22 mars, ils étaient présents à leur corps. Le ministre de l'Intérieur, abbé de Montesquiou ordonna donc le 18 juin de cesser d'exercer des poursuites contre eux. L'indemnité payée au major Krewsky était mise à la charge du département.
Ceci ne plut pas au préfet qui proposa de «  considérer cette somme comme une charge occasionnée par le séjour des armées alliées dans le département et d'en effectuer le paiement sur le produit de la taxe extraordinaire instituée pour le paiement des frais de guerre et d'occupation. »
Cependant le maire de Lorquin, M. Jannequin continuait les poursuites contre les frères Brice. Il prit inscription sur leurs biens et sur ceux de leurs sœurs. Le ministre de l'Intérieur dut intervenir énergiquement auprès de lui pour faire cesser ces poursuites sous peine de voir tous les frais en résultant mis à sa charge.
Le temps passa. Napoléon revint, ce furent les Cent-Jours.
Toujours est-il qu'en décembre 1816, les communes n'avaient pas encore été remboursées, tant il est vrai que l'État est toujours lent à payer ses dettes. Les frères Brice intervinrent auprès de Carnot pour hâter le règlement.

Cette affaire, en soi, était peu importante.
Si elle fit couler peu de sang, en revanche, elle fit couler beaucoup d'encre et sans doute des flots de salive. Elle permet de faire cependant avec l'époque actuelle une comparaison. Pour un attentat de cette sorte, Gestapo et S.S. auraient exercé en 1944 des représailles sanglantes. De ce côté, la civilisation qui devrait marcher de pair avec le progrès matériel, marque au contraire une régression, et les sanctions pécuniaires prononcées contre les communes de Blâmont et de Lorquin, voire même l'incarcération de leurs maires, être maire en temps de guerre peut entraîner bien des inconvénients, nous paraissent des peines bien légères à côté de celles qui auraient été prononcées et mises à exécution 130 ans plus tard.

P. DENIS

 

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