Chartreuse et
seigneurie du Val-St-Martin de Sélignac près de
Bourg-en-Bresse
Dom Ambroise Marie Bulliat,
Ed. Paris,1884
Notes renumérotées
En 1798, Dieu se choisit un dernier martyr
parmi les enfants de Saint-Bruno, D. Antoine Lottinger, fusillé
à Nancy le 1er jour de mai.
Né à Blamont (Meurthe)en 1751, il fit profession à Bosserville,
à l'âge de vingt et un ans. Nous constatons sa présence à
Sélignac dans les années 1783 et 1784 : il y avait été envoyé
probablement pour rétablir sa santé, à en juger par la nature
des soins qui lui étaient prodigués (1). Après la dispersion des
religieux, D. Antoine se rendit en Suisse où il put satisfaire
sa grande dévotion envers la Mère de Dieu, en faisant le
pèlerinage de Notre-Dame-des-Ermites. Après trois années passées
en exil, de retour dans son pays natal, il y exerça le saint
ministère, allant de village en village, avec un zèle vraiment
apostolique, et négligeant presque complètement le soin de son
corps, pour ne penser qu'au salut des âmes et au soulagement des
pauvres.
D. Antoine avait été un fervent religieux dans le cloître ;
Dieu, pour le récompenser de sa fidélité, lui accorda de faire
beaucoup de bien dans le ministère pastoral. Le 27 avril 1798,
comme il revenait d'administrer les derniers sacrements à un
malade, il fut arrêté et conduit devant les tribunaux. Ame
simple et droite, ayant en horreur les subterfuges et les ruses
de la prudence humaine, D. Antoine pouvait difficilement
échapper à la mort. Plusieurs fois, ses juges eux-mêmes lui
conseillèrent de donner à ses réponses une tournure qui pût leur
permettre de prononcer son acquittement; mais le vertueux apôtre
déjouait toujours, par ses réponses franches et nettes, toute
leur bonne volonté à son égard. Il fut condamné à mort le 1er
mai, par le tribunal de Nancy, en qualité d'émigré et de prêtre
catholique.
De retour en prison, D. Lottinger trouva un modeste repas
préparé par une pieuse dame de la ville, il ne fit d'abord que
goûter les mets puis, se ravisant tout à coup, il dit avec gaîté
: « C'est un beau jour, c'est un jour de fête ; ordinairement «
je ne bois pas de vin, mais j'en boirai un peu aujourd'hui! » A
deux heures, les juges arrivent et lui lisent de nouveau la
sentence qui le condamne à la peine capitale. Il l'entend avec
le plus grand calme, son âme goûtant et contemplant déjà quelque
chose des joies et des splendeurs de l'éternité !...
Notre généreux confesseur de la foi prend alors d'un pas ferme
et avec un air recueilli le chemin de la place de Grève. Arrivé
sur le lieu de l'exécution, ses joues se colorent, son visage
s'illumine, et ses mains s'élèvent instinctivement vers le Ciel
!...
« Il prend ensuite un mouchoir que depuis longtemps il portait
sur lui dans la prévision de sa mort, et qu'il avait eu soin de
bénir ; il s'en bande les yeux, joint les mains et se met à
genoux. A la première décharge il tombe sous les balles, mais
paraît encore plein de vie. Deux soldats s'approchent et lui
font une nouvelle décharge dans la tête à bout portant. On le
croit mort, on le met dans le cercueil, mais, ô prodige ! on l'y
voit joindre les mains comme pour prier. Nouvelle et troisième
décharge. Enfin il expire. » Et son âme prend son vol vers le
ciel, au premier jour du mois consacré à Marie, à sa mère du
ciel, qu'il avait tant aimée pendant le temps de sa vie mortelle
!
Le corps de notre saint martyr, tout meurtri, mis en lambeaux et
inondé de sang, devint l'objet d'un culte religieux. Les uns
recueillirent son sang malgré la défense qui en avait été faite,
les autres y trempèrent des linges qu'ils avaient apportés.
Ceux-ci arrachèrent l'herbe sur laquelle on avait déposé ses
habits, ceux-là déchirèrent le mouchoir avec lequel il s'était
bandé les yeux afin d'en emporter un morceau si petit qu'il fût.
La foule entière voulut accompagner le corps lorsqu'on le
conduisit à sa dernière demeure, au cimetière des Trois-Maisons,
et elle lui fit des funérailles qui parurent plutôt une ovation,
une marche triomphale, qu'une cérémonie funèbre. (2)
(1) « 1783, 23 juin, payé à M. Clabaud pour
visites à D. Lottinger, 48 liv. ; id., 17 Août, payé à Pierre
Rollet de Corveyssiat, pour avoir prêté son ânesse dont le V. P.
D. Lottinger a pris le lait pendant un mois, 6. liv. » Livre de
comptes de D. A. Brun.
(2) Les Martyrs de la Foi, par Guillon, tome. III, art.
Lottinger, Paris, Germain Matthiot, 1821.
Almanach vosgien
de la Croix de Lorraine
1er janvier 1948
[...] Dom Antoine LOTTTNGER,
né à Blâmont (diocèse de Nancy) en 1751, chartreux de
Bosserville. Expulsé en 1792 pour refus de serment, il passa en
Suisse lors de la loi de déportation du 26 août 1792. Rentré
clans son diocèse en 1796, il fut arrêté à Gerbéviller et
condamné à mort par le tribunal de Nancy (1er mai 1798). |