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Charles François Xavier LOTTINGER
(11 décembre 1751 - 1er mai 1798)

Voir aussi
Charles François Xavier Lottinger (1751-1798) - Compléments
Charles François Xavier Lottinger (1751-1798) - Compléments (2)
 

Prêtre chartreux à Bosserville, fils de Antoine Joseph Lottinger (1725-1794?), médecin à Blâmont.


Histoire de Nancy. Tome II. - 1909
Christian Pfister (1857-1933)
Ed. Berger-Levrault (Paris) - 1902-1909

C'est dans l'acquisition de ces domaines et dans les nombreuses charités que faisaient les religieux qu'est toute l'histoire de la chartreuse au cours du XVIIIe siècle. Quand la Révolution survint, vingt-quatre pères ou frères habitaient la vaste maison. Ils se dispersèrent en 1792, après avoir rendu, le 7 octobre, les derniers devoirs à l'un d'entre eux qui venait de mourir, dom Nicolas Payen. Quelques-uns des religieux périrent victimes de leur devoir pendant les persécutions religieuses. Trois d'entre eux, Jean-Baptiste de Barthélémy, Charles-Denis des Brochers, Charles Rambour, furent déportés en 1794, pour avoir conféré les sacrements à des mourants, et succombèrent sur le vaisseau Les Deux-Associés. Un quatrième, dom Antoine Lottinger, de Blâmont, après avoir émigré en 1793, revint en 1798 dans les journées de persécution religieuse qui suivirent le coup d'Etat de fructidor. Il fut arrêté à Gerbéviller, jugé par une commission militaire à Nancy et fusillé le 1er mai 1798 sur la place de Grève (notre place Carnot) *. On l'enterra au cimetière des Trois-Maisons, où ses restes furent découverts en 1832 et ramenés dans la suite à Bosserville.

*. E. MANGENOT, Les Ecclésiastiques de la Meurthe martyrs et confesseurs de la foi pendant la Révolution française, pp. 207-260 et pp. 424 et suiv.


Le département de la Meurthe
H. Lepage (1843)

Nous rappellerons ici, dans l'intérêt de l'histoire, que le père Antoine Lottinger, membre d'une nombreuse et honorable famille de Blâmont, lequel fut, dit-on, la dernière victime du régime révolutionnaire dans nos contrées, était attaché à la Chartreuse de Bosserville, lors de la dispersion des ordres religieux. Arrêté comme prêtre insermenté réfractaire, en 1798, et traduit devant une commission militaire à Nancy, il fut condamné à mort et fusillé sur la place de Grève. Il paraît que, dans ses interrogatoires, on lui avait ménagé le moyen d'éluder la peine capitale en prétextant de son ignorance des lois alors en vigueur; mais il préféra le supplice à l'ombre même du mensonge. «  Je savais bien, répondit-il, à quoi je m'exposais en restant dans l'intérieur du pays ; mais en cela j'obéissais à ma conscience. La seule chose que je me reproche, c'est d'avoir offert un écu de six livres au gendarme qui opérait mon arrestation, pour l'engager à me laisser fuir. » Arrivé d'un pas ferme sur le théâtre de l'exécution, il tomba courageusement sous les balles, martyr de son dévouement et de sa foi. Ce lamentable événement causa alors une émotion d'autant plus profonde que, depuis plusieurs années déjà, le terrorisme, éteint presqu'en même temps que Robespierre, avait cessé de décimer la France.
En 1825, en creusant une fosse au cimetière des Trois-Maisons de Nancy, on découvrit, parmi des ossements, une plaque oblongue en rosette, qui fut recueillie par un prêtre, parent du défunt, où se lit l'inscription suivante, assez grossièrement burinée : Charles-François-Xavier Lottinger, prêtre chartreux à Bosserville, sous le nom de Dom Antoine, natif de Blâmont, âgé de 47 ans, a été fusillé à Nancy, comme prêtre catholique, le 1er mai 1798, entre 4 et 5 heures.


Histoire du Diocèse de Toul et de celui de Nancy
M. L'Abbé GuillaumeTome V - Nancy 1867

Le R. P. Thouvenin, prémontré, natif de saint Nicolas-de-Port et Dom Antoine Lottinger, de Sarrebourg, chartreux de Bosserville, rentrés aussi en Lorraine pour s'y rendre utiles aux fidèles furent reconnus, arrêtés, traduits devant un conseil de guerre et fusillés sur la place de Grève à Nancy, en 1798, le premier, le 11 avril; le second, le 2 mai. On a remarqué que ce dernier martyr, manqué jusqu'à deux fois, par les soldats, soit par malice, soit par maladresse, soutint cette suprême épreuve avec un courage vraiment héroïque.


L'Ordre des chartreux et la chartreuse de Bosserville
Charles-Eugène Berseaux
1868

D. Antoine (Charles-François-Xavier Lottinger), est l'un des Chartreux les plus célèbres de Bosserville, car il sut se montrer en même temps confesseur de la foi en prenant le chemin de l'exil, apôtre en revenant bientôt dans sa patrie pour y exercer secrètement le ministère sacré, et enfin martyr en versant son sang, généreux athlète, pour la cause de Jésus-Christ et de son Eglise. Nous devons, par là même, entrer ici dans quelques détails plus particuliers touchant sa vie, qui serait digne de figurer dans les Actes des martyrs.
Né à Blâmont en 1751, D. Antoine fit profession en 1772, à l'âge de 21 ans. Il devint bientôt le modèle vivant de ses frères, par la pratique de toutes les vertus qui font le vrai chrétien, le saint prêtre, le religieux parfait, par sa régularité, sa ponctualité, sa charité et surtout par le dédain de la vie présente et le désir de la vie future. Quand éclata la Révolution, il se retira en Suisse où, pour donner satisfaction à sa piété envers Marie, il fit une première fois le pèlerinage de Notre-Dame des Ermites, qu'il se proposait de faire de nouveau, tant il avait éprouvé de bonheur dans son pieux voyage. Après avoir passé trois ans dans l'exil, ce qui le fit porter sur la liste des émigrés et fut plus tard le prétexte de sa condamnation, il revint dans sa patrie afin de se rendre utile aux fidèles qui étaient comme un troupeau sans pasteur et se trouvaient errants çà et là, sans savoir autour de qui se grouper. On le vit, prenant à la main le bâton de l'Apôtre, aller de hameau en hameau, de village en village, de bourg en bourg, et, le jour et la nuit, par les chaleurs brûlantes de l'été, comme par les froids glacials de l'hiver, se porter avec empressement, sans se donner ni repos ni trêve, partout où l'on réclamait les secours de son ministère, partout où il y avait un pécheur à absoudre, un malade à consoler, un mourant à bénir et à fortifier, au moment suprême, contre les terreurs de la mort et les derniers assauts de l'enfer. Rien n'arrêtait sa marche rapide, bien qu'il fut d'une santé très-délicate et exténué par la fatigue. Séjournant deux jours au plus dans le même endroit, il se transportait bientôt plus loin dans la pensée que les âmes pourraient périr par sa faute, s'il n'avait pour elles un dévouement à toute épreuve, s'il ne se donnait pas à temps et à contre-temps. Se rappelant les paroles du divin Maître à ses apôtres, il marchait sans sac de voyage, sans bâton de défense, sans double vêtement, ordonnant, quand il changeait de linge, qu'on donnât celui dont il se dépouillait aux pauvres pour lesquels il avait une charité qui tenait de la tendresse d'une mère pour ses enfants, et auxquels il tendait d'une main ce qu'il recevait de l'autre. S'abandonnant en tout point à la divine Providence, il ne permit jamais que les personnes qui l'accompagnaient dans ses voyages pour lui indiquer les chemins, prissent des armes, persuadé que celui qui travaille pour Dieu a Dieu pour lui, et que ce que Dieu garde est bien gardé, selon ces paroles de l'Ecriture : «  Ce qui sauve les rois ce ne sont pas leurs armées nombreuses, ce qui sauve le géant ce n'est point sa grande vigueur, la confiance que l'on met dans le cheval est trompeuse. Mais les yeux du Seigneur veillent sur ceux qui le craignent et qui mettent leur espoir dans sa bonté (1). » Et encore: «  Les uns mettent leur espérance dans leurs chariots, les autres dans leurs chevaux; quant à nous, nous invoquerons le nom du Seigneur (2). » Si quelquefois il prit des mesures de prudence, ce fut comme à regret, pour être agréable aux personnes qui lui portaient intérêt, ou pour ne point donner une occasion de blâme à des esprits mal faits, qui apprécient tout à la mesure étroite des jugements humains et ne connaissent que la prudence du serpent, sans même comprendre, loin de la mettre en pratique, la simplicité de la colombe.
Si D. Antoine avait si peu de souci à l'endroit de la vie ou de la mort qu'il regardait comme une bonne fortune, comme un gain, à l'exemple de l'Apôtre (3), on comprend qu'il n'ait jamais voulu pactiser avec la Constitution schismatique que le gouvernement d'alors proposait aux ecclésiastiques, au mépris de la Constitution divine de l'Eglise. Quand on lui proposa le serment exigé de par la loi, de par la République une et indivisible, il refusa, et devint ainsi ce qu'il devait devenir, un prêtre réfractaire. Lorsqu'après son arrestation ses juges lui demandèrent pourquoi il n'avait pas prêté serment, il répondit avec autant de fermeté que de dignité: «  Ma foi et ma conscience ne me le permettent pas. » Lorsque la commission militaire devant laquelle il fut traduit lui présenta le procès-verbal de son arrestation et celui de sa comparution devant le tribunal, pour qu'il les reconnut, il dit sans hésitation aucune, bien qu'il sût que ses paroles provoqueraient une sentence de mort: «  Oui, je les reconnais, j'ai signé celui-ci, D. Antoine, prêtre catholique, » ce qu'il avait fait, soit parce qu'il estimait son titre de prêtre catholique par dessus tous les titres, soit pour protester contre la loi qui voulait non plus des prêtres catholiques, mais des prêtres gouvernementaux. Et comme on lui demandait pourquoi ce titre de prêtre catholique ne se trouvait pas joint à sa signature sur un des deux procès-verbaux, il ajouta avec animation: «  Si je n'ai point signé ici prêtre catholique, c'est parce qu'on ne me l'a point permis. Je voulais ajouter ce titre à mon nom. » Souvent il se recommandait et se faisait recommander aux prières des prêtres et des fidèles, mais il avait soin d'ajouter, tant son attachement à l'Eglise Romaine, au siège de Pierre était profond, tant il marchait droit comme un principe: «  Ne me recommandez pas aux prières des prêtres qui ont prêté le serment, et ne sont pas dûment réconciliés. Ils sont pour moi des hommes qui se mettent en présence du crucifix, pour lui cracher au visage.»
Ajoutez à tout cela que D. Antoine, tant il avait une âme supérieure, souhaitait vivement verser son sang pour Jésus-Christ et faisait de la mort sanglante sa grande ambition. Ce fut là la pensée de ses pensées, son désir dominant. Une seule réflexion pouvait tempérer son ardeur à ce sujet, celle que la vie lui permettait de s'employer pour les fidèles et de servir les intérêts sacrés de la religion. A part ce sentiment, il aurait voulu revêtir la robe empourprée du martyre. «  Je ne désire pas mourir, disait-il souvent dans l'intimité, tant que je pourrai exercer mon ministère, mais une fois qu'il ne me sera plus donné de contribuer au salut des âmes, je souhaite ne plus vivre, il me sera mieux d'être avec Jésus-Christ. » Ce désir d'une mort sanglante acceptée pour l'Eglise, l'avait toujours poursuivi et lui avait donné comme un pressentiment de son martyre futur. Souvent il demandait à Dieu qu'il lui fût donné de mourir pour son saint nom. Il portait ordinairement avec lui un recueil de gravures représentant les divers genres de tourments par lesquels les persécuteurs exerçaient la patience et éprouvaient la foi des premiers chrétiens et, dans ses moments de loisir, il le feuilletait avec complaisance, contemplant pendant des heures entières les roues, les chevalets, les peignes de fer, les martinets pour la flagellation, les bûchers, les chaudières bouillonnantes et faisant de ces divers instruments de supplice l'objet favori de ses méditations. Il portait aussi sur lui des reliques de divers martyrs, pour lesquelles il avait une vénération profonde, en lesquelles il mettait une confiance pleine et entière et dont la vue l'aidait à cultiver son désir de marcher sur les traces des premiers témoins du Christ. Un jour qu'il voyageait par une nuit ténébreuse et froide, D. Antoine est assailli et arrêté par deux volontaires, comme on disait alors, qui n'avaient ni mission ni mandat de le saisir. Sa première pensée est de leur offrir de l'argent pour qu'ils le laissent libre de suivre son chemin; l'un accepte, l'autre s'obstine à vouloir le traîner devant les tribunaux. Dom Antoine, par un mouvement vigoureux, se dégage des étreintes de ce dernier, et continue sa route d'un pas rapide et léger; mais bientôt, tant était vif son désir de mourir pour Jésus-Christ, il éprouve des regrets et presque des remords, se reprochant d'avoir manqué l'occasion du martyre, se consolant uniquement par la pensée qu'une nouvelle circonstance favorable se présenterait et que la grâce qu'il désirait si ardemment ne tarderait pas à lui être enfin accordée. Cette grâce ne devait pas se faire attendre longtemps.
Le 26 avril 1798, D. Antoine reçoit un billet par lequel on le prie de venir à Gerbéviller pour y exercer son ministère spirituel. Pour lui, être appelé c'est partir, bien que des patrouilles organisées partout soient à la chasse des prêtres restés fidèles et que des bruits sinistres circulent de toutes parts. Notre Chartreux arrive à onze heures du soir, confesse le malade pour lequel on l'avait appelé ; mais le lendemain à midi il était saisi, arrêté par les émissaires de la tyrannie et conduit devant le juge de paix auquel sans hésitation, sans crainte, avec tout le calme d'un vrai stoïcien, il déclare qu'il est prêtre catholique, qu'il a émigré, et qu'après son émigration il est rentré dans sa patrie. Conduit à Lunéville, les juges, afin de lui sauver la vie, lui proposent de le faire passer pour fou, ce qui eût été facile, soit parce que son corps était tout exténué, soit parce qu'il se faisait remarquer par une grande naïveté qui, en lui, n'était que la simplicité évangélique, c'est-à-dire une vertu d'autant plus précieuse que le monde ne la connaît pas. A cette proposition, D. Antoine s'indigne et s'écrie : «  Non, je ne souffrirai point qu'on recoure à un tel subterfuge. Si mon défenseur veut l'employer, je me leverai devant les juges et je saurai leur faire voir que je possède tout mon bon sens. » Le 28 avril, Dom Antoine est amené à Nancy et conduit à la Conciergerie à onze heures du matin. Interrogé à quatre heures du soir, il est condamné comme ayant émigré. Conservant toute sa sérénité habituelle, il écoute avec le plus grand calme la lecture de l'arrêt qui le condamne à mort. Il mange ensuite avec son appétit ordinaire, se félicitant, devant un pieux laïque qui était accouru pour le voir une dernière fois, de la grâce qui l'attend. On lui apprend, avec tous ses détails, la mort édifiante d'un de ses amis prêtre, qui avait été fusillé le 11 avril précédent, il répond que «  lui faire ce récit, c'est lui servir un bon dessert. » On veut lui suggérer des moyens de défense pour le jour où il sera traduit devant la Commission militaire, il se contente de répondre: «  Je ne m'embarrasserai pas la tête de tout cela. Jésus-Christ a dit : «  Ne vous inquiétez pas de ce que vous aurez à répondre aux juges lorsque vous comparaîtrez devant eux pour mon nom; le Saint-Esprit vous suggérera ce que vous aurez à répondre. » Or, je veux mettre en pratique cette recommandation et je m'abandonne entièrement à la Providence. » Jusqu'à sa mort, c'est-à-dire tout le temps qu'il passa à la Conciergerie et pendant les deux jours qu'il fut détenu à la Tour, avec les justiciables de la Commission militaire, il ne fît plus que chanter son bonheur dans des hymnes et des cantiques qu'il composait lui-même et dont il faisait part à ses compagnons de captivité. Ceux-ci étaient ravis d'admiration et hautement édifiés à la vue de tant de vertus et d'un spectacle si étrangement divin.
Le mardi 1er mai, D. Antoine comparait devant le tribunal, au milieu d'une foule de spectateurs, attirés les uns par la curiosité, les autres par la piété et parmi lesquels se trouvait D. Bernard. Les juges, voyant sa grande bonhomie, se montrent tout disposés à lui donner le moyen d'échapper à la peine capitale et lui proposent d'alléguer, comme prétexte à sa décharge, son ignorance des lois alors en vigueur, ne lui demandant que de se taire et de laisser parler. Mais notre Chartreux, notre confesseur, notre martyr de répondre : «  Je ne le souffrirai pas, je ne veux pas racheter ma vie par un mensonge, ni imprimer une tache à mon sacerdoce... Je savais bien à quoi je m'exposais en restant dans l'intérieur du pays, mais en cela j'obéissais à ma conscience. La seule chose que je me reproche, c'est d'avoir offert un écu de six livres au gendarme qui opérait mon arrestation pour l'engager à me laisser fuir. » Comme il avait été saisi avec ses malles dans lesquelles on avait trouvé des vases sacrés, des ornements sacerdotaux qui étaient une pièce de conviction, l'avocat propose à notre héros de dire que ces objets n'étaient pas à lui, mais il répond: «  Non, c'est à moi, je suis prêtre catholique, je dis la Messe et je continuerai à la dire tant que cela me sera donné. » C'est ainsi qu' «  il dérouta par ses réponses toutes franches » la bonne volonté des juges à son égard. Comme on feuilletait la liste des émigrés pour s'assurer s'il y était inscrit, le greffier, qui voulait le sauver, lui dit : «  Votre nom n'y est pas. » - «  Il doit y être, répondit Lottinger. » - «  Il n'y a point de Charles-François Lottinger » reprend le greffier. - «  Eh bien, reprend à son tour l'accusé, cherchez aux A, vous y trouvez D. Antoine, Chartreux de Bosserville, c'est moi. » Les juges ayant délibéré, D. Antoine, condamné une seconde fois, fut reconduit à la Tour après une séance de trois heures.
Quel dévouement sublime ! On ne demande à notre prisonnier, pour le sauver, que de répondre par un petit mot de trois lettres, d'une seule syllabe, par un oui ou par un non, selon la question qui lui sera posée affirmativement ou négativement, comme autrefois, on ne demandait aux martyrs que de faire fumer en l'honneur des idoles un tout petit grain d'encens, et ce monosyllabe, il ne veut pas le prononcer, et ce petit grain d'encens, il ne veut pas le faire fumer, alors qu'il y va pour lui de la vie ou de la mort.
Arrivé à sa prison, D. Antoine trouve un repas modeste qui lui avait été envoyé par une personne touchée de son malheur. Il ne fait que goûter les mets, puis, s'avisant tout-à-coup, il dit avec gaîté : «  C'est un beau jour que celui-ci, c'est un jour de fête ;ordinairement, je ne bois pas de vin, mais j'en boirai un peu aujourd'hui. » A deux heures, les juges arrivent et lui lisent la sentence qui le condamne à la peine capitale. Il l'entend avec le plus grand sang-froid, la plus profonde tranquillité d'âme, puis il prend d'un pas ferme, avec un air recueilli, la direction de la place de Grève que le manuscrit appelle «  la place des nouveaux martyrs. » Arrivé sur le lieu de l'exécution, ses joues s'enflamment, son visage s'illumine, ses mais s'élèvent instinctivement vers le ciel. Il prend bientôt un mouchoir que depuis longtemps il portait sur lui, dans la prévision de sa mort et qu'il avait eu soin de bénir ; il s'en bande les yeux, fait le signe de croix, joint les mains et se met à genoux. A la première décharge, il tombe sous les balles, mais paraît encore plein de vie. Deux soldats s'approchent, et lui font une nouvelle décharge dans la tête, à bout portant. On le croit mort, on le met dans le cercueil; mais, ô prodige ! on l'y voit joindre les mains comme pour prier. Nouvelle et troisième décharge. - Enfin, il expire, et son âme, dégagée des liens de la chair et des entraves du corps, prend son vol vers le Ciel.
Le martyre de D. Antoine était un indice que le christianisme, qu'on croyait avoir enterré pour toujours, n'était pas encore mort. Se peut-il, en effet, une cause plus vivante que celle pour laquelle on sait volontairement mourir ? La mort, dans de telles circonstances, n'était-elle point la plus grande preuve de la vie ? Aussi, le corps de notre martyr, qui était tout meurtri, tout fracassé, en lambeaux et inondé de sang, fut-il l'objet d'un culte tout religieux, aussitôt qu'il eut été frappé par le plomb homicide, non, je me trompe, par le plomb sacrilège. Les uns recueillirent son sang, malgré la défense des agents du Pouvoir, les autres y trempèrent des linges qu'ils avaient apportés; ceux-ci arrachèrent l'herbe sur laquelle on avait déposé ses habits, ceux-là déchirèrent le mouchoir avec lequel il s'était bandé les yeux, afin d'en emporter un morceau, si petit qu'il fût; la foule tout entière voulut l'accompagner lorsqu'on le conduisit à sa dernière demeure, au cimetière des Trois-Maisons, et lui fit des funérailles qui parurent plutôt une ovation et une marche triomphale qu'une cérémonie funèbre. N'avait-elle pas raison ? N'était-ce pas un jour de fête pour le ciel et pour la terre ? Pour le ciel qui comptait un élu nouveau, pour la terre qui avait un intercesseur et un protecteur de plus (4). Un ami du saint martyr remarqua avec soin l'endroit précis où il fut inhumé et, quelques jours après, y mit dans le sol une plaque oblongue, en rosette, afin que plus tard, lorsqu'on ouvrirait une nouvelle fosse ou que les temps deviendraient meilleurs, on pût reconnaître les restes précieux, les ossements sacrés de l'intrépide soldat du Christ. Or, en 1825, lorsqu'une nouvelle fosse fut creusée pour une nouvelle sépulture, on découvrit cette plaque sur laquelle nous avons lu cette inscription assez grossièrement burinée : Charles-François-Xavier Lottinger, prêtre Chartreux à Bosserville, sous le nom de Dom Antoine, natif de Blâmont, âgé de 47 ans, a été fusillé à Nancy comme prêtre catholique, le 1er mai 1798, entre 4 et 5 heures. M. l'abbé Thiébeult, parent de l'illustre mort, recueillit ses principaux ossements. Il fit ensuite don à la Chartreuse de Bosserville, où ils sont encore maintenant conservés, du chef du martyr, de l'humérus d'un de ses bras, ainsi que de la plaque qui garantissait l'authenticité de ces précieuses reliques. Nul doute que ces restes ne tiennent la première place dans le trésor de l'église de la Chartreuse. Quoi de plus propre à entretenir le zèle, à exciter le courage, à communiquer à l'âme de saintes ardeurs et à lui donner le feu de l'amour, que la vue des ossements sacrés de ceux qui ont vécu dans nos rangs, ont habité nos demeures, porté le même habit, suivi la même carrière que nous et qui, du champ de bataille où ils sont glorieusement tombés, semblent nous dire de marcher sur leurs traces ou, à tout le moins, de recueillir, pour les transmettre à la postérité, le patrimoine de vertu et d'héroïsme qu'ils nous ont légué. Quoi de plus propre à atteindre ce but, à produire ce résultat que ces restes des ancêtres appelés par l'antiquité : Grandia ossa patrum?


(1) Psalm. XXXII, 16-18.
(2) Psalm. XIX, S.
(3) Mihi enim vivere Christus est et mori lucrum. Philipp. I, 21.
(4) Notice sur la mort précieuse du R. P. D. Antoine Lottinger. Ms. de la Bibliothèque de la Chartreuse de Bosserville. - Martyre de Dom Antoine, Chartreux. Id. Ibid. - Lepage, Les Chartreuses de Sainte-Anne et de Bosserville, p. 53.

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