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				Les ecclésiastiques de la Meurthe, martyrs et 
				confesseurs de la foi pendant la Révolution française 
				Eugène Mangenot 
				Ed. Nancy 1895 
				Dom Antoine Lottinger, 
				chartreux, fusillé a Nancy, le 1er mai 1798 
				Les fils de saint Bruno n'ont 
				pas à envier la gloire de la famille de saint Norbert. Un de 
				leurs frères de la chartreuse de Bosserville a été, après dom 
				Sigisbert Thouvenin, son ami, fusillé à Nancy pour la cause 
				sainte de la religion. Ce nouveau martyr est dom Antoine 
				Lottinger. Sa famille était depuis longtemps fixée à Blâmont 
				(1). Le trisaïeul du chartreux, Nicolas Lottinger, époux de 
				Marie Marchal, était hoste ou hôtelier de la Croix-d'Or. Il 
				mourut, le 6 mai 1672 et son fils, François- Sébastien, né le 30 
				mai 1636 et décédé le 4 avril 1696, resta à la tête de 
				l'établissement paternel, très renommé au XVIIe siècle. Sa 
				fille, Claude, née en 1638, épousa en secondes noces le chef du 
				Lyon d'Or, hôtellerie de Blâmont également célèbre (2). Leurs 
				descendants entrèrent dans l'administration, la magistrature et 
				les carrières libérales. L'aïeul de dom Antoine, Joseph 
				Lottinger, né le 29 décembre 1692 et mort le 31 mars 1744, fut 
				receveur des consignations au comté de Blâmont. Le 20 février 
				1724, il épousait la fille d'un notaire impérial, Joseph Poirot. 
				De leur mariage, naquirent onze enfants, six garçons et cinq 
				filles. L'aîné, Joseph-Antoine, né le 4 février 1725, s'adonna 
				de bonne heure à l'étude de la médecine. Dans l'acte de son 
				mariage, contracté le 22 janvier 1746, avec Marie-Louise 
				Vaultrin, il est déjà, malgré son jeune âge, qualifié «  docteur 
				en médecine ». Après avoir exercé pendant plusieurs années son 
				art à Lorquin et à Blâmont, il devint médecin stipendié de la 
				ville de Sarrebourg. Il publia dans les journaux diverses études 
				de médecine et d'histoire naturelle. Un de ses mémoires, imprimé 
				à Nancy en 1775, a pour titre : Le coucou, discours 
				apologétique, ou mémoire sur le coucou. Cet ouvrage est 
				uniquement fondé sur des faits qui, étant aussi extraordinaires 
				que peu connus, rendent très intéressante l'histoire de cet 
				oiseau singulier (3). La science du docteur lui ouvrit les 
				portes des sociétés savantes. Il fut associé correspondant 
				d'abord du collège royal des médecins de Nancy, et plus tard, de 
				la Faculté de médecine de cette ville. Membre de la Société 
				royale et patriotique de Suède et de la Société de 
				Hesse-Hambourg, il fut, en 1780, associé à la Société royale de 
				médecine de Paris, puis correspondant du cabinet du roi de 
				France (4). Collaborateur de Buffon, avec qui il entretenait une 
				correspondance fort intime, et à qui il fournit «  de nombreuses 
				et très bonnes observations sur les oiseaux » (5), il avait 
				recueilli un cabinet d'histoire naturelle, qui fut dispersé 
				après sa mort, et dont on aliénait encore quelque pièce en 1803 
				(6). Un de ses frères, Jean-Etienne, né le 11 octobre 1727, fut 
				dans une autre carrière, l'émule de sa gloire. En 1750, il était 
				déjà avocat à la cour souveraine de Lorraine et Barrois ; en 
				1784, il était juge à Milan, et il envoyait au médecin de 
				Sarrebourg «  un très beau soleil d'argent dont partie des 
				ornements vermeille, d'un travail excellent, pour en faire 
				présent en son nom à l'église paroissiale de Blâmont, où il a 
				été baptisé »(7). Plus tard, il fut membre du conseil suprême de 
				Milan. 
				Joseph-Antoine eut cinq enfants, qui naquirent à Blâmont. 
				L'aîné, Antoine-Joseph, né le 11 février 1748, se fit religieux 
				dans l'ordre des Capucins. Profès d'un couvent de la province de 
				Bretagne, il fut envoyé en 1788 par ses supérieurs aux Iles 
				sous-le-vent, où il fut chargé d'une cure (8). Le chartreux 
				était le quatrième enfant. Né le 11 décembre 1751, il fut 
				baptisé le même jour sous les prénoms de 
				Charles-François-Xavier. «  Il a eu pour parrain le sieur 
				Jean-Claude Vaultrin, avocat à la cour et tabellion royal au 
				bailliage de Blâmont, et pour marraine demoiselle 
				Barbe-Elisabeth Vaultrin ». Attiré comme son frère à la vie 
				religieuse, il choisit la famille de saint Bruno et entra à la 
				chartreuse de Bosserville. Le 24 mars 1772, il prit l'habit de 
				novice sous le nom de dom Antoine. L'année du noviciat écoulée, 
				il fit profession solennelle, le 25 mars 1773 (9). Le 23 
				septembre 1775, samedi des Quatre-temps, il reçut à Toul les 
				ordres mineurs et le sous-diaconat (10). Ordonné prêtre en 1777, 
				«  il devint bientôt le modèle vivant de ses frères, par la 
				pratique de toutes les vertus qui font le vrai chrétien, le 
				saint prêtre, le religieux parfait, par sa régularité, sa 
				ponctualité, sa charité et surtout par le dédain de la vie 
				présente et le désir de la vie future » (11). 
				Pendant la Révolution, le saint religieux resta constamment 
				fidèle à l'Eglise et fut successivement confesseur de la foi 
				dans l'exil, apôtre missionnaire dans sa malheureuse patrie, et 
				enfin martyr pour la cause de Jésus-Christ. Le 17 janvier 1791, 
				il déclara opter pour la vie commune. Sa pension de religieux, 
				fixée à 900 livres, lui fut payée tant qu'il resta à Bosserville 
				(12). Dès le début de la Révolution, dom Antoine soupirait après 
				la grâce du martyre. Un jour qu'une troupe de brigands avait 
				assailli la Chartreuse, il se réjouissait déjà dans l'espoir 
				d'être assassiné par ces ennemis de Dieu et de la religion. 
				Après leur départ, il témoigna du regret d'avoir échappé à la 
				mort en cette occasion. Souvent, en se recommandant aux prières 
				de ses amis, il leur demandait de réclamer pour lui la gloire du 
				martyre. Le 6 octobre 1792, les Chartreux durent quitter leur 
				solitude de Bosserville. Ce jour-là, ils avaient célébré leur 
				fête patronale et conduit à sa dernière demeure l'un des leurs, 
				dom Nicolas Payen, mort la veille. Un certain nombre des 
				religieux se retirèrent à Maréville. Mais pour dom Antoine, on 
				ne savait où il était (13). Passa-t-il quelque temps à 
				Sarrebourg, chez son père ? Nous l'ignorons. Il ne dut pas y 
				faire un long séjour, car le docteur Lottinger tout en restant 
				attaché à la foi chrétienne, avait adopté avec enthousiasme les 
				nouvelles idées et s'en était fait le champion. 
				En 1789, le citoyen Lottinger, qui «  par état et par amour pour 
				le bien de la chose publique s'est depuis longtemps et 
				particulièrement occupé de ce qui peut y préjudicier ou y 
				servir, et qui a publié et adressé au Gouvernement plusieurs 
				écrits relatifs à cet objet d'utilité », fit imprimer des 
				Considérations patriotiques (14). Comme citoyen, il doit faire 
				son possible pour sauver l'Etat, quand il est en danger. 
				Actuellement le péril existe. Lottinger le voit dans la dette 
				publique, qui va amener une banqueroute déshonorante. Il énumère 
				les ressources immenses, propres à acquitter cette dette. Dans 
				l'accord des trois Ordres et la justice rendue au Tiers par la 
				noblesse et le clergé, il salue «  l'aurore du plus beau jour qui 
				aura éclairé la France et de la Révolution la plus mémorable 
				pour la nation ». Il attend «  une constitution la plus sage 
				possible et assez heureuse pour assurer au souverain ses droits 
				et à la nation les siens, et procurer à l'un et à l'autre toute 
				la puissance, toute la gloire, toute la prospérité et tout le 
				bonheur désirables ». Toutefois la félicité publique ne dépend 
				pas exclusivement du meilleur état des finances; pour qu'elle 
				soit réalisée, il faut remédier à d'autres désordres, 
				l'irréligion, la dépravation des moeurs et le luxe. Lottinger 
				propose des réformes sages et conseille un choix judicieux parmi 
				celles, qui étaient alors mises en avant. 
				Dans l'ancien ordre des choses, il avait été premier échevin de 
				Sarrebourg. En 1790, il fut placé à la tête de la nouvelle 
				municipalité. Il s'efforça de faire prêter le serment 
				constitutionnel à l'abbé Georgel, curé de Sarrebourg. Ce prêtre 
				éclairé résista à ses sollicitations, refusa le serment et 
				émigra. Le maire eut plus de succès auprès de son client et ami, 
				l'abbé Mangenot, chanoine de la collégiale (15) et il le décida 
				en 1792 à prêter le serment de la liberté et de l'égalité. A la 
				fin de 1793, le chanoine, atteint par une maladie de langueur, 
				se repentit de sa faiblesse, fit venir un prêtre catholique, 
				rétracta son serment et se réconcilia à l'Eglise. Il envoya sa 
				rétractation au greffe de la municipalité ; mais le maire s'en 
				empara et la mit aux oubliettes, selon l'expression pittoresque 
				de Chatrian. Le chanoine ne survécut pas longtemps; il mourut, 
				le 24 nivôse an II, 13 janvier 1794, à l'âge de 62 ans. Les 
				sentiments de dom Antoine différaient trop de ceux de son père, 
				pour qu'il demeurât à la maison paternelle ; il préféra émigrer 
				plutôt que faire la moindre concession à la politique du temps. 
				Joseph-Antoine mourut, dans le cours de l'an II (1793-1794), «  
				partisan et à peu près victime de la Révolution française » 
				(16). 
				Nous ne connaissons pas toutes les étapes de dom Lottinger sur 
				le chemin de l'exil. Il se retira en Suisse et pour donner 
				satisfaction à sa tendre dévotion à la Sainte-Vierge, il fit le 
				pèlerinage de Notre-Dame-desErmites. Il y éprouva tant de joie 
				et de consolation qu'il s'était proposé d'y retourner. Il passa 
				ensuite en Italie, alla peut-être visiter son oncle à Milan et 
				se rendit à Rome. Devant les tombeaux des saints Apôtres Pierre 
				et Paul, il puisa un redoublement de zèle apostolique. Son 
				pèlerinage accompli, il revint en Suisse et à la fin de 1795, il 
				se fixa dans une chartreuse de la Turgovie, située aux environs 
				de Toggembourg (canton d'Appenzel). Le vénérable chartreux forma 
				le dessein d'aller en Chine prêcher l'Evangile et cueillir les 
				palmes du martyre. Il ne réalisa pas ce généreux projet, quand 
				il eut compris qu'il pouvait remplir dans sa propre patrie un 
				apostolat fécond et trouver l'occasion d'une mort glorieuse. 
				Il résolut donc de rentrer en Lorraine. Une lettre (17), qu'il 
				écrivait alors à un prêtre, nous apprend la date de son départ 
				et les nobles sentiments qui 1 animaient: «  Nous partons pour la 
				frontière aujourd'hui, jour de la Sainte-Trinité, à midi précis. 
				Quel bonheur ! Quel transport de joie remplit mon coeur ! Je ne 
				puis vous l'exprimer. Nous partons pour aller combattre le démon 
				et ses aveugles clients; nous partons pour aller empourprer nos 
				travaux de notre sang; nous partons pour aller donner notre vie 
				en sacrifice. O sort des sorts! O sort heureux! O sort dont nous 
				ne sommes pas dignes, mais qu'une immense miséricorde nous 
				prépare ! Sort que nous ne changerions pas pour tous les 
				royaumes du monde. Quanta est glorioe dignitas ! Quanta felicitas, 
				proeside Deo congredi et Christo judice coronari.22 mai 1796 ». 
				Rentré dans sa patrie après trois ans d'exil, dom Antoine 
				s'employa, dès qu'il le put et autant qu'il le put, à 
				l'administration des Sacrements pour le salut des âmes. De 
				passage à Ramonchamp, il baptisa un enfant. Il exposait sa vie, 
				il le savait, mais loin de craindre la mort, il la désirait 
				(18). L'espoir du martyre l'avait décidé à revenir en Lorraine ; 
				la marche des événements lui faisait présager le sort qui lui 
				était réservé. Il l'annonça plusieurs fois, et son annonce était 
				si ferme et si assurée qu'elle peut passer pour une sorte de 
				prédiction. Une seule réflexion pouvait tempérer son désir de 
				mourir, c'est l'utilité des âmes et le bien de la religion. Dans 
				ses prières, il demandait souvent à Dieu l'honneur du martyre; 
				il s'y préparait. «  Il portait ordinairement avec lui un recueil 
				de gravures représentant les divers genres de tourments, par 
				lesquels les persécuteurs exerçaient la patience et éprouvaient 
				la foi des premiers chrétiens, et dans ses moments de loisir, il 
				le feuilletait avec complaisance, contemplant pendant des heures 
				entières les roues, les chevalets, les peignes de fer, les 
				martinets pour la flagellation, les bûchers, les chaudières 
				bouillonnantes, et faisant de ces divers instruments de supplice 
				l'objet favori de ses méditations (19). Il portait aussi sur lui 
				des reliques de divers martyrs, pour lesquelles il avait une 
				vénération profonde, en lesquelles il mettait une confiance 
				pleine et entière et dont la vue l'aidait à cultiver son désir 
				de marcher sur les traces des premiers témoins du Christ ». 
				Néanmoins, pour faire le bien sans témérité et avec plus 
				d'efficacité, il usait, à regret, il est vrai, de prudence et de 
				discrétion. Le théâtre de son zèle comprenait tous les environs 
				de Nancy. Il les parcourait, administrant les Sacrements et 
				donnant l'instruction religieuse. Il allait de village en 
				village, en toute saison et partait avec empressement, sans se 
				donner ni repos ni trêve, partout où il y avait un pécheur à 
				absoudre, un malade à consoler, un mourant à bénir et à 
				fortifier au moment suprême contre les terreurs de la mort et 
				les derniers assauts de l'enfer. Bien qu'il fût d'une santé très 
				délicate et que la fatigue l'exténuât, rien ne diminuait son 
				zèle. Continuellement en marche et presque toujours de nuit, il 
				ne demeurait que fort peu de temps, deux jours au plus, au même 
				endroit. Une oeuvre achevée, il courait à une autre. Aussi 
				instruit que zélé, il avait composé et fait imprimer à Nancy en 
				1797 un ouvrage, qui respire la plus tendre piété et qui a pour 
				titre: Sentences et consolations chrétiennes (20). Dans ses 
				courses apostoliques, il en distribuait des exemplaires qui 
				servaient à l'instruction des fidèles. Le père Doré nous en a 
				conservé une maxime que nous ne voulons pas omettre: < r Le 
				temps des souffrances est de tous les temps de notre vie le plus 
				précieux. Ne le passez pas à vous plaindre, mais à faire des 
				actes de conformité à la volonté de Dieu. Unissez vos peines à 
				celles du Sauveur; rappelez-vous son amour pour vous, et 
				n'oubliez pas que vous devez imiter sa patience comme ses autres 
				vertus » (p. 84). 
				Les mesures de prudence, dont il s'entourait pour ne pas être 
				découvert, dom Antoine ne les prenait que pour obéir à sa 
				conscience. Il voulait être agréable aux personnes qui lui 
				portaient intérêt et craignait d'être taxé de témérité. S'il 
				avait suivi les mouvements de sa nature, il se serait exposé au 
				péril et aurait couru ouvertement le risque d'être arrêté. Un 
				soir qu'il voyageait par une nuit froide et obscure, il fut 
				assailli par deux volontaires, qui n'avaient ni mission ni 
				mandat de le saisir. Sa première pensée fut de leur offrir de 
				l'argent pour avoir la liberté de continuer sa marche. Un des 
				agresseurs acceptait volontiers les six livres et consentait â 
				relâcher le prisonnier; le second, ne cédant pas à l'appât de 
				l'argent, employait la violence pour le traduire devant les 
				tribunaux. Mais dom Antoine, par un mouvement vigoureux, se 
				dégagea de ses étreintes et s'enfuit d'un pas rapide et léger. 
				Plus tard, il se reprochait d'avoir agi de la sorte et dans son 
				désir ardent de mourir pour Jésus-Christ, il regrettait d'avoir 
				volontairement perdu l'occasion d'aller au martyre. 
				Son extrême délicatesse lui faisait tout particulièrement 
				respecter les droits de la vérité. Il n'aurait pas permis que 
				pour sauver sa vie, on blessât la vertu de sincérité. Comme il 
				n'eut pu se procurer des certificats et des passeports, sans 
				recourir à des détours, il voyageait sans ces pièces 
				nécessaires, qu'il eut tenues pour des supercheries. Ne voulant 
				pas être la cause ou l'occasion de querelles, surtout de 
				querelles sanglantes, il défendait aux hommes qui 
				l'accompagnaient de nuit, de porter des armes. Son 
				désintéressement égalait son abandon à la divine Providence. Il 
				était fort pauvrement vêtu. Tout ce qu'on lui donnait, il le 
				rendait aux pauvres. Si une bonne chrétienne lui offrait du 
				linge propre, il laissait en compensation celui dont il se 
				dépouillait, et voulait qu'il fut distribué aux pauvres. Ses 
				vertus les plus remarquables étaient une foi vive, un ardent 
				amour envers l'Eucharistie et une tendre et solide dévotion à 
				l'égard de la Sainte-Vierge. Il se distinguait par sa profonde 
				vénération pour les reliques des Saints et il mettait à s'en 
				procurer une application extraordinaire. Quelques personnes 
				pensaient, mais à tort, qu'il n'apportait pas dans ses 
				recherches tout le discernement nécessaire et n'exigeait pas des 
				garanties suffisantes d'authenticité. 
				Son désir du martyre, loin de diminuer, croissait avec le temps 
				des épreuves. Quand il apprit la mort de dom Sigisbert, il 
				répéta plusieurs fois ces paroles: «  Le père Thouvenin était mon 
				ami. Je le prie de m'obtenir du Seigneur la grâce qui lui a été 
				faite de mourir martyr, afin d'aller partager son bonheur ». Sa 
				prière fut bientôt exaucée. Quinze jours après la mort du 
				prémontré, le chartreux était arrêté. Dom Antoine a raconté 
				lui-même les circonstances de son arrestation. Le 26 avril 1798, 
				il reçut d'un prêtre missionnaire un billet. Son confrère lui 
				proposait d'aller, s'il le pouvait, porter les secours 
				spirituels à quelques personnes de Gerbéviller. Le zélé 
				religieux part sans hésiter, emportant la sainte Eucharistie. 
				Son unique compagnon de route l'ayant averti que des patrouilles 
				parcouraient le pays, il lui confia son dépôt sacré, de crainte 
				qu'il ne fut profané, si lui-même était arrêté. Les deux 
				voyageurs arrivèrent à Gerbéviller vers onze heures du soir. Ils 
				aperçurent de la lumière dans une maison; mais comme elle était 
				habitée par de fidèles catholiques, ils jugèrent qu'ils 
				n'avaient rien à craindre. Un peu plus loin, ils virent de la 
				clarté dans une autre maison. Ses habitants étaient des ennemis 
				de la religion ; néanmoins, parce que c'était une auberge, ils 
				ne crurent pas nécessaire d'avancer avec circonspection. Ils 
				entendirent cependant tout proche d'eux parler à voix basse; 
				l'obscurité de la nuit était si profonde qu'ils ne virent 
				personne. Ils pénétrèrent bientôt au lieu, où ils étaient 
				attendus et où se trouvaient réunies des religieuses de la 
				Congrégation de Notre-Dame. Dom Antoine confessa le malade, 
				auprès duquel on l'avait appelé; mais il avait été vu et 
				dénoncé. Le lendemain, 8 floréal an VI, vendredi 27 avril 1798, 
				à midi, les gendarmes vinrent le prendre. 
				Le prisonnier n'était muni d'aucun passeport ; il déclara aux 
				gendarmes qu'il n'avait point de résidence fixe. Le juge de paix 
				du canton, devant lequel il fut aussitôt conduit, lui fit subir, 
				en qualité d'officier de police judiciaire, un premier 
				interrogatoire. Sans hésitation et sans crainte, avec le calme 
				d'un innocent, dom Antoine se fit connaître comme «  prêtre du 
				ci-devant ordre des Chartreux de la maison de Bosserville près 
				Nancy », avouant qu'il avait émigré deux fois, qu'il n'avait pas 
				de résidence fixe et qu'il menait une vie errante et vagabonde. 
				Le lendemain, les gendarmes l'emmenèrent directement à Nancy 
				(21) et présentèrent son interrogatoire de la veille à 
				l'administration centrale du département de la Meurthe. Cette 
				autorité renvoya l'affaire à l'accusateur public près le 
				tribunal criminel, pour que ce fonctionnaire pût régulariser 
				l'opération du juge de paix, qui n'avait terminé 
				l'interrogatoire par aucune ordonnance ni indication du tribunal 
				compétent, et qui même n'avait décerné aucun mandat d'arrêt. En 
				communiquant ces renseignements au ministre de la police 
				générale, le commissaire du Directoire exécutif près 
				l'administration centrale ajoutait : «  Il est plus que 
				vraisemblable que ce prêtre sera traduit devant une commission 
				militaire; j'aurai l'honneur de vous informer du jugement qui 
				sera rendu à son égard ». Le ministre de la police générale 
				faisait répondre : «  Je vous observe que, si cet individu a été 
				soumis aux lois de 1792 et 1793 et qu'il soit porté sur la liste 
				des émigrés comme prêtre déporté, c'est le cas de lui faire 
				subir la peine de la déportation. Dans le cas contraire, 
				c'est-à-dire si, n'étant pas soumis aux lois de 1792 et 1793, il 
				se trouve porté sur la liste des émigrés comme émigré, il 
				devient alors justiciable de la commission militaire. Vous me 
				rendrez compte des suites de cette affaire » (22). 
				Le prisonnier avait été déposé à la Conciergerie, le 28 avril, 
				vers onze heures du matin. A quatre heures du soir, il fut amené 
				devant le président du tribunal criminel de la Meurthe et il 
				subit un nouvel interrogatoire. Ce document nous manque. Les 
				interrogations achevées, le prévenu fut reconduit à la 
				Conciergerie. Tout le temps qu'il passa dans cette prison, il 
				s'entretint de ses derniers moments. La joie intime qu'il 
				éprouvait d'être incarcéré, éclatait sur son visage et se 
				manifestait dans toute sa conduite. Il chantait des hymnes et 
				des cantiques en action de grâces du bonheur, dont il espérait 
				jouir, s'il lui était accordé de mourir pour .Jésus-Christ. II 
				en composait lui-même pour exprimer son vif désir d'être réuni à 
				Dieu. Tous ses entretiens étaient spirituels. Il se recommandait 
				aux prières des catholiques et des prêtres qui vinrent le 
				visiter; mais dans son attachement à l'Eglise catholique, il 
				ajoutait : «  Ne me recommandez pas aux prières des prêtres qui 
				ont prêté le serment et ne sont pas réconciliés. Ils sont pour 
				moi des hommes qui se mettent eu présence du crucifix, pour lui 
				cracher au visage ». On lui suggérait des moyens de défense. Il 
				voulut mettre en pratique les recommandations de Jésus aux 
				Apôtres: «  Ne vous inquiétez pas de ce que vous répondrez aux 
				juges, quand vous comparaîtrez devant eux pour mon nom; le 
				Saint-Esprit vous suggérera ce que vous aurez à dire ». 
				Le 10 floréal, 29 avril, le tribunal criminel rendit le 
				jugement, qui envoyait le prévenu devant la commission militaire 
				de Nancy. Dom Antoine était donc considéré comme émigré et non 
				comme déporté rentré. La distinction, établie par le ministre de 
				la police générale, parvint trop tard pour que le tribunal pût 
				l'appliquer au chartreux et lui infliger, au lieu de la peine de 
				mort, celle de la déportation. Soumis à la juridiction 
				militaire, le prévenu fut transféré, le 29 avril, vers trois 
				heures de l'après-midi, de la Conciergerie à la tour Notre-Dame, 
				réservée aux prisonniers de guerre. Dans cette nouvelle prison, 
				il chantait encore son bonheur par des cantiques de sa 
				composition. Ses compagnons de captivité étaient ravis 
				d'admiration et s'édifiaient de tant de vertus. Beaucoup de 
				personnes du dehors le visitèrent et remportèrent une grande 
				édification de sa piété, de sa constance et de son allégresse. 
				Il se réjouissait d'être bientôt réuni à ses deux amis Henry et 
				Georgin, prébendés de la cathédrale, morts à Rochefort. Le frère 
				de dom Sigisbert fut du nombre des visiteurs. Le vénérable 
				chartreux lui dit avec une admirable douceur: «  Voyez combien 
				votre frère a de pouvoir auprès de Dieu? Dès que j'ai su sa 
				mort, je l'ai prié de m'obtenir le sort qui lui a été réservé ; 
				je vois que ma prière a été exaucée puisque me voici dans la 
				même prison. Pourvu que je sois trouvé digne de faire le même 
				sacrifice que lui ! » Il dit encore: «  Je répondrai avec 
				franchise aux questions, que me feront mes juges et je ne 
				prétends pas ternir la gloire du martyre par le moindre mensonge 
				». Ses amis lui proposèrent un défenseur pour plaider sa cause. 
				Celui-ci s'engageait à le sauver si le prévenu le laissait dire 
				ce qu'il voudrait. «  A la bonne heure ! répondit le religieux, 
				détendez-moi et sauvez ma vie, si vous le pouvez ; mais que ce 
				ne soit pas au détriment de la vérité, car si vous avancez 
				quelque fausseté, je dirai le vrai sur-le-champ ». Le défenseur 
				voulait faire passer son client pour un esprit faible ; ce qui 
				eut été facile, soit parce que son corps était exténué par les 
				fatigues de l'apostolat, soit parce que la simplicité 
				évangélique de son âme se manifestait par une grande naïveté. A 
				cette proposition, dom Antoine s'indigne et s'écrie: «  Non, je 
				ne souffrirai point qu'on recoure à un tel subterfuge. Si mon 
				défenseur l'emploie, je me lèverai devant les juges et je leur 
				ferai voir par mes réponses que je possède toute ma présence 
				d'esprit. Je serais un lâche, si j'agissais autrement ». 
				Le lundi, 30 avril, le rapporteur de la commission militaire 
				vint à la tour vers dix heures du matin. Il prit dom Antoine à 
				part dans une chambre et lui ordonna de se déshabiller. Cette 
				enquête inutile imposa au bon religieux un pénible sacrifice. En 
				le fouillant, cet officier trouva sur lui deux mouchoirs ; il 
				voulut s'emparer du plus propre et du meilleur. Dom Antoine le 
				pria de le lui laisser pour bander ses yeux au moment de la 
				fusillade. Le rapporteur accéda à sa demande et en le quittant, 
				lui dit : «  Demain, premier jour de mai, vous paraîtrez au 
				jugement à huit heures du matin ». Dès lors, le prévenu ne 
				s'occupa plus que de sa dernière heure. Il dit aux prisonniers 
				qui l'environnaient: «  .l'ai besoin de tout le temps qui me 
				reste pour me préparer à mon sacrifice ». Et au cours d'une 
				conversation avec des amis, il dit encore: «  J'aurais plus 
				besoin de résignation pour entendre une sentence, qui me 
				priverait du bonheur du martyre, que pour entendre ma 
				condamnation à mort que je désire ». 
				Le mardi, 1er mai, à l'heure fixée, l'accusé est conduit devant 
				la commission militaire, qui devait le juger. Une foule de 
				spectateurs étaient là, attirés les uns parla curiosité, les 
				autres par la commisération et la religion. Au nombre de ces 
				derniers se trouvait un chartreux, dom Bernard Abram (23). Dom 
				Antoine se tint en paix et en pleine possession de lui-même. Il 
				écouta avec tranquillité les questions de ses juges et y 
				répondit en toute simplicité. On lui présenta les procès-verbaux 
				de son arrestation et de sa comparution devant le tribunal 
				criminel de la Meurthe, et on lui demanda s'il reconnaissait 
				pour siennes les signatures, qui étaient apposées au bas de ces 
				pièces. «  Oui, dit-il, je les reconnais. J'ai signé celui-ci : 
				prêtre catholique, et encore celui-là -.prêtre catholique. Sur 
				cet autre, on m'a défendu d'écrire: prêtre catholique ». Il 
				prononçait ces mots : Prêtre catholique, avec affection et 
				bonheur. Il dit ensuite un bon mot si naïf, (la naïveté était le 
				fond de son caractère), que les fidèles et ses amis, qui 
				assistaient pâles et tremblants, ne purent s'empêcher de rire et 
				de partager un instant la gloire du confesseur de Jésus-Christ. 
				Son attachement à la religion était tout son crime, ses réponses 
				le manifestèrent hautement. 
				A la question : «  Avez-vous prêté les serments, exigés par les 
				lois », il répondit: «  Aucun. - Pourquoi avez-vous refusé de les 
				prêter ? - Parce que ma religion et ma conscience ne me les 
				permettaient pas ». Il refusa de déclarer les familles, chez 
				lesquelles il avait logé, parce que la religion lui défendait de 
				compromettre personne. La suite de l'interrogatoire fit voir que 
				les juges n'eussent pas été fâchés de trouver un biais pour 
				éviter une sentence capitale. L'accusé eut été absous, s'il eut 
				voulu dire qu'il ignorait la loi. Le défenseur cherchait aussi à 
				tirer avantage d'une sorte d'équivoque sur ses noms de famille 
				et de religion. Le chartreux ne lui permit pas d'en user. Comme 
				on feuilletait la liste des émigrés pour s'assurer s'il y était 
				inscrit, le greffier, qui voulait le sauver, lui dit: «  Votre 
				nom n'y est pas. - Il doit y être, répondit Lottinger. - Il n'y 
				a point de Charles-François Lottinger, reprend le greffier. - Eh 
				bien ! cherchez aux A, vous y trouverez Antoine, chartreux de 
				Bosserville; c'est moi ». Dans ses malles, saisies avec lui, on 
				avait trouvé des vases sacrés et des ornements sacerdotaux, qui 
				étaient une pièce de conviction. L'avocat lui proposa de dire 
				que ces objets ne lui appartenaient pas. «  Non, répliqua-t-il, 
				c'est à moi ; je suis prêtre catholique, je dis la Messe et je 
				continuerai à la dire tant que je le pourrai ». C'est ainsi qu' 
				«  il dérouta par ses réponses toutes franches » la bonne volonté 
				de ses juges à son égard. 
				Vers onze heures du matin, après une séance de trois heures, 
				tandis que les juges délibéraient, l'accusé est reconduit à la 
				tour Notre-Dame. 
				Il y trouve, en arrivant, un repas modeste qui lui avait été 
				envoyé par une personne touchée de son malheur. Il ne fait 
				d'abord que goûter les mets ; puis, changeant tout à coup 
				d'avis, il mangea de bon appétit et dit avec gaîté : «  C'est un 
				beau jour que celui-ci, c'est un jour de fête ; ordinairement je 
				ne bois pas de vin, j'en boirai un peu aujourd'hui ». Un laïque, 
				qui assistait à ce repas, lui fit le récit détaillé des derniers 
				moments de dom Sigisbert. Lottinger, se félicitant de partager 
				le sort du prémontré, répondit que «  lui faire ce récit, c'était 
				lui servir un bon dessert ». A deux heures, les juges viennent 
				lire la sentence, qui le condamnait à mort. Il l'entend, sans 
				rien perdre de sa sérénité habituelle. Sa première parole fut un 
				cri de reconnaissance: «  Béni soit le Seigneur qui a bien voulu 
				exaucer mes voeux! » Sa joie intérieure se refléta si 
				manifestement sur son visage qu'un assistant ne put s'empêcher 
				de dire: «  Il faut que cet homme soit fou; on n'a jamais vu 
				recevoir une sentence de mort d'un air si joyeux ». Le condamné 
				n'avait d'autre folie que celle de la Croix, et la vivacité de 
				sa foi lui avait toujours fait regarder comme une grande grâce 
				celle de mourir pour la religion. Il dit encore à ce moment : «  
				J'éprouve sensiblement la protection de Sigisbert Thouvenin 
				auprès de Dieu, car je l'ai prié d'intercéder pour moi et de 
				m'obtenir le bonheur de verser mon sang pour la foi de 
				Jésus-Christ ». 
				Dès que la lecture de la sentence fut terminée, le condamné fut 
				enfermé au secret dans une cellule jusqu'à cinq heures du soir. 
				On vint alors le prendre pour le conduire à la place de Grève, «  
				la place des nouveaux martyrs ». Il y marche comme un généreux 
				athlète, avec joie et en priant. De temps en temps, il regardait 
				modestement les spectateurs. Ses yeux ayant rencontré dans la 
				foule un de ses amis, il le salua trois fois. Au moment de 
				parvenir au lieu de l'exécution, son visage perdit sa pâleur 
				ordinaire et naturelle, ses joues s'enflammèrent, son visage 
				s'illumina et brilla d'une beauté extraordinaire et céleste. Il 
				marchait d'un pas si ferme et si rapide qu'il dépassa le lieu du 
				supplice. Un soldat de l'escorte lui cria: «  Arrête donc ; tu 
				vas trop loin ; c'est ici ». Alors, il s'arrêta, ôta son 
				chapeau, tira de sa poche le mouchoir qu'il avait préparé dès le 
				dimanche précédent et qu'il avait eu soin de bénir, se banda les 
				yeux, fit le signe de la croix, joignit les mains, se mit à 
				genoux et reçut une décharge. Une balle l'avait atteint à la 
				lèvre supérieure. Il tomba sur son côté gauche, sans être 
				mortellement blessé. Il tira sa jambe gauche comme pour se 
				relever. Deux fusiliers apercevant ce mouvement s'approchent du 
				côté droit et lui lâchent à bout portant deux coups de fusil 
				derrière la tête. Le patient qu'on croyait mort, est aussitôt 
				placé dans un cercueil; mais, ô surprise ! on le vit joindre les 
				mains comme pour prier. C'était un dernier signe de vie. Une 
				troisième décharge le frappa dans son cercueil et l'enleva à ce 
				triste monde. Il était mort comme un saint. C'était le 12 
				floréal de l'an VI de la République française, 1er mai 1798 
				(24). 
				Une foule considérable, attirée par le spectacle inaccoutumé de 
				l'exécution capitale d'un prêtre, fut témoin du courage héroïque 
				de dom Antoine. Les catholiques y étaient venus pour bénir Dieu 
				et admirer la force de sa grâce. Les indifférents et les ennemis 
				de la religion eux-mêmes y assistèrent dans un respectueux 
				silence. Tous étaient dans une sorte de saisissement. Le peuple 
				donna au martyr de grandes marques de sa vénération. Tous les 
				objets qui avaient été à son usage, furent considérés comme de 
				précieuses reliques. Beaucoup d'assistants, bravant la défense 
				et la force brutale des soldats, recueillirent le sang qui avait 
				coulé abondamment sur la place. Le plus grand nombre 
				accompagnèrent le corps jusqu'au cimetière des Trois-Maisons. 
				Les gendarmes ne purent les empêcher d'y entrer. Sur la tombe on 
				se disputa les reliques. Ceux-ci trempaient des linges dans le 
				sang qui s'était répandu dans le cercueil. Ceux-là arrachaient 
				l'herbe sur laquelle ses vêtements avaient été déposés ; 
				d'autres prenaient de la terre imprégnée de sang. On se disputa 
				le mouchoir qui avait couvert ses yeux; un particulier l'acheta. 
				Les plus forts seuls réussirent à s'emparer de ces reliques, que 
				tous désiraient posséder. Chacun remporta chez soi une vive 
				impression de cette mort édifiante. Elle fut le sujet des 
				entretiens de toutes les familles chrétiennes et de l'admiration 
				de plusieurs ennemis de la religion. L'un disait : «  Il y a dans 
				tout cela quelque chose d'extraordinaire ». Un autre: «  Il ne 
				convient pas de traiter ainsi des innocents ». On entendit un 
				homme en place adresser à un de ses collègues cette réflexion : 
				«  Remarquez-vous comment ces prêtres catholiques vont à la mort 
				et la subissent ! En voit-on d'autres la recevoir avec ce 
				courage et cette paix ? ». Le peuple, qui ne pouvait se 
				dissimuler l'innocence du condamné, laissa échapper assez 
				librement ses murmures contre la rigueur qu'on exerçait sur des 
				citoyens paisibles, et on a cru à cette époque que l'opinion 
				publique avait ému les juges et les avait empêchés de condamner 
				à mort deux jours plus tard, le 14 floréal an VI, 3 mai 1798, 
				Charles Morel, curé de Troussey. Dom Antoine avait vu ce 
				confrère arriver le 1er mai à la prison. Bien qu'il ne le connût 
				pas, il lui dit : «  Vous êtes encore jeune et plein de force et 
				en état de servir longtemps encore l'Eglise. Quand je serai 
				devant Dieu, je le prierai de ne pas permettre que vous soyez 
				condamné à mort ». Sa prière fut exaucée (25). Les fidèles, de 
				leur côté, recouraient à l'intercession du martyr et les 
				contemporains lui ont attribué plusieurs guérisons miraculeuses. 
				Le soir de l'exécution, vers neuf heures, les catholiques 
				envoyèrent au cimetière des linges propres et un cercueil 
				convenable pour ensevelir dignement les restes glorieux du 
				martyr. Ils avaient remarqué que le sang avait abondamment coulé 
				dans le premier cercueil et ils voulaient y tremper des draps 
				pour le recueillir. Comme le corps du religieux avait été 
				meurtri et fracassé, on trouva dans sa chemise, en lui rendant 
				ces suprêmes honneurs, des morceaux détachés de sa chair et de 
				ses dents. On eut soin de glisser dans le cercueil une plaque 
				oblongue de cuivre, sur laquelle on avait gravé assez 
				grossièrement ces mots : «  Charles-François-Xavier Lottinger, 
				prêtre chartreux à Bosserville sous le nom de Dom Antoine, natif 
				de Blâmont, Agé de 47 ans, a été fusillé à Nancy comme prêtre 
				catholique, le 1er mai 1798, entre 4 et 5 heures » (26). En 
				1832, un fossoyeur, en défonçant le terrain ou en creusant une 
				nouvelle fosse, mit à jour avec sa pioche cette plaque, un 
				crâne, trois ossements, dont un humérus, trois petits osselets 
				et quelques dents sorties de leurs alvéoles. Le bruit de cette 
				découverte se répandit dans la ville de Nancy et parvint 
				jusqu'au grand séminaire. Un diacre, l'abbé Thiébeult, allié à 
				la famille Lottinger, fut envoyé réclamer les restes de son 
				parent. Ils lui furent remis et il les conserva avec soin et 
				respect. Tandis qu'il était vicaire à la cathédrale de Nancy, il 
				les avait placés dans un petit oratoire qu'il avait dressé 
				auprès de son lit et devant lequel il aimait à prier. Le 11 
				octobre 1864, il les confia avec émotion au R. P. Dom 
				Marie-Joseph Engler, alors procureur de la Chartreuse de 
				Bosserville, en présence de l'abbé Charlot, chanoine honoraire 
				de la cathédrale (27). Les pieux fils de saint Bruno conservent 
				dans la cellule du prieur ce précieux dépôt. 
				Le ministre de la police générale avait demandé qu'on lui rendit 
				compte des suites du procès. Le 17 floréal an VI, 6 mai 1798, le 
				commissaire du Directoire exécutif près l'administration 
				centrale du département de la Meurthe, Mourer, lui annonça que 
				le 13 du courant, 2 mai, le chartreux avait été condamné par une 
				commission militaire à la peine de mort comme émigré rentré et 
				qu'il avait été exécuté le même jour (28). 
				Les termes laconiques et froids de cette lettre diffèrent 
				profondément des paroles émues et respectueuses des fidèles 
				catholiques qui s'entretenaient de la mort du martyr. Pour 
				préparer un des amis du chartreux à la pénible nouvelle de son 
				trépas, on prit ce détour : «  Dom Antoine est bien malade, 
				dit-on ; sa vie est entièrement désespérée. - Ah! j'en suis 
				peiné, répond l'ami ; car il ne désirait rien tant que de mourir 
				pour la religion par le martyre. - Eh bien ! consolez-vous, 
				répliqua-t-on, son désir est satisfait, il est mort comme il 
				demandait de mourir ». Les contemporains n'ont pas hésité à 
				proclamer dom Antoine martyr de la foi. «  Son attachement à la 
				religion était tout son crime », a écrit le père Doré. Dom 
				Antoine, ajoute-t-il, s'était préparé à cette mort glorieuse par 
				une-vie toute consacrée à la piété, aux fonctions du zèle, aux 
				exercices de la charité et à la pratique de la mortification. «  
				Un tel homme était bien éloigné de causer du trouble et de nuire 
				à personne... Quoiqu'il en soit, heureux ceux dont la pureté de 
				conscience fait envisager la mort avec tranquillité, et qui, au 
				lieu de reproches à se faire, ont à se rendre le doux témoignage 
				qu'ils meurent fidèles à Dieu et pour la cause de la religion. 
				S'il n'appartient qu'à l'Eglise de conférer et de confirmer le 
				nom de martyr et de saint, il est bien consolant d'avoir agi de 
				manière à mériter ces titres glorieux ». 
				 
				(1) Les actes religieux de la paroisse de Blamont 
				datent de 1634. Le 30 mai 1636, il y a un acte de baptême d'un 
				fils Lottinger. Le nom est diversement orthographié: le plus 
				souvent, on lit Lottinger ou Lottingre, et quelquefois Lothinger 
				ou Lothingre. Tous ces détails généalogiques sont dus aux 
				recherches que M. l'abbé Xilliez, professeur de philosophie ù 
				l'Institution Pierre Fourier à Lunéville, a bien voulu faire 
				dans les registres paroissiaux de Blâmont. 
				(2) Des voyageurs ont parlé de ces hôtelleries dans leurs récits 
				de voyage. Les maisons existent encore. 
				(3) Catalogue Noël, n° 5881. Le 17 octobre 1776, il adressait à 
				Buffon de nouvelles observations sur le coucou. Cfr oeuvres, t. 
				XVIII, p. 443. 
				(4) Chatrian, Hommes illustres de la Lorraine, p. 197. 
				(5) Buffon, oeuvres, édit. de 1845, t. XV, p. 369. 
				(6) Lamoureux, Mémoire pour servir à l'histoire littéraire du 
				département de la Meurthe, p. 50. 
				(7) Chatrian, Calendrier, 4 juin 1784. 
				(8) Ibid., 19 avril 1788. L'unique fille, Marie-Anne-Théodore, 
				née le 26 février 1749, épousa M. de Voilan. Elle avait habité 
				successivement Lunéville et Nancy. En 1815, elle résidait à 
				Strasbourg. Voir Correspondance de Grégoire avec des Lorrains, 
				p. 78 (manuscrit 534 de la bibliothèque de la Ville de Nancy). 
				(9) Registre des professions. Arch. dép., H 683. 
				(10) Liste officielle des ordinands de ce jour. 
				(11) Berseaux, L'ordre des Chartreux, p. 266. 
				(12) L 401-462,1699-1700 et 1720. 
				(13) Chatrian, Calendrier, 12 septembre 1792. Cfr Berseaux, p. 
				247. 
				(14) Chez Levrault, Strasbourg, 12 p. in-8. 
				(15) Fils de Nicolas Mangenot, avocat à la cour, et de 
				Marguerite Jeanjean, Claude-Charles naquit à Lunéville, le 7 
				mars 1732. Il commença ses études littéraires au collège de sa 
				ville natale, alla les achever à Pont-à-Mousson. puis entra au 
				séminaire de Toul. Ordonné prêtre le 24 septembre 1757, il fut 
				envoyé comme vicaire commensal à Einville-au-Jard. Il se fit 
				estimer de son curé et monta avec succès dans plusieurs chaires 
				de la contrée. Au mois de juin 1765, il fut nommé à la cure de 
				Xouaxange, et un mois plus tard, il fut doté des deux chapelles, 
				fondées dans l'église de Bauzemont. Il gouverna avec zèle et 
				prudence sa paroisse, qui était difficile et pénible. Sa 
				mauvaise santé ne lui permettant plus de remplir assidûment tous 
				les devoirs pastoraux, il accepta la résignation d'un canonicat 
				de Sarrebourg. Sa vie édifiante et ses vertus, que Chatrian se 
				comptait à vanter, le firent élire par ses collègues doyen du 
				chapitre. Ils lui donnèrent une autre marque de confiance, en le 
				chargeant de veiller sur le collège de la ville, dont le 
				chapitre était supérieur. Sa pension, fixée en 1791 à 1161 
				livres 16 sous, ne lui fut payée en 1792 qu'au taux de 1009 
				livres 12 sous 6 deniers. L 2288. Le 20 août 1789, il était allé 
				avec Chatrian, son compatriote, à Bosserville visiter dom 
				Lottinger. 
				(16) Chatrian, Hommes illustres, p. 197. Cfr Michel, Biographie, 
				p. 330-331. Le 13 messidor an II, 1er juillet 1791, on vendit à 
				Sarrebourg connue bien national une maison, sise Grande-rue, et 
				un jardin, qui appartenaient à «  défunt Lottinger ». Répertoire 
				des ventes des biens nationaux, 2° origine. 
				(17) Nous avons eu deux copies de cette lettre; l'une se lit 
				dans un manuscrit du séminaire de Saint-Dié, l'autre fait 
				partie d'un Recueil, (manuscrit n° 79 du monastère de la 
				Visitation de Nancy). Ce dernier Recueil contient aussi un 
				Cantique en cinq couplets, composé par un bon prêtre 
				(probablement le père Doré), qui reproduit les Sentiments et 
				paroles du saint Martyr, exprimés dans celle lettre. Le 
				quatrième couplet est inspiré des paroles de saint Cyprien, 
				qu'avait citées dom Lottinger. 
				(18) Toute la suite de notre récit repose sur plusieurs 
				relations: 1° Celle, que composa le père Doré et qui fait suite 
				au récit de la mort de dom Sigisbert Thouvenin. 2° Elle est 
				complétée par des Additions, dont l'original, conservé à la 
				chartreuse de Bosserville, est de la main de l'abbé Mollevaut, 
				curé de Saint-Vincent-Saint-Fiacre. 3° Des Notes sur des 
				Chartreux de Bosserville, mis en prison à l'époque de la 
				Révolution française, de l'écriture du chanoine Charlot, à la 
				Chartreuse de Bosserville. 4° Le récit de l'abbé Berseaux, op. 
				cit., p. 266-275. Cet historien a utilisé d'autres documents, 
				qu'il cite et que nous n'avons pas retrouvés. 
				(19) Une image sur vélin, qui vient de lui et que possède M. 
				Minoux, curé de Domgermain. représente l'enfant Jésus sur les 
				bras de sa Mère. Un ange lui apporte les insignes de la Passion 
				et le divin enfant ouvre ses petites mains pour les recevoir. Au 
				verso, on a transcrit la lettre du 22 mai 1796. 
				(20) Grégoire, Notes biographiques, p. 363, (manuscrit 583 de la 
				bibliothèque publique de Nancy). L'ancien curé d'Emberménil 
				attribue encore an chartreux de Bosserville des Anecdotes pour 
				servir à l'histoire de la persécution, 2e édition, Paris, 1801, 
				Ibid., p.579. 
				(21) Et non à Lunéville, comme le dit l'abbé Berseaux, op. cit., 
				p. 271. 
				(22) Victor Pierre, 18 fructidor, p. 367-369. 
				(23) Cfr Berseaux, op. cit., p. 257-258. 
				(24) Extrait des registres des actes civils de la ville de 
				Nancy. 
				(25) La relation manuscrite, due à l'abbé Mollevaut, cite ici le 
				père Laruelle, prieur de Blanzey. L'âge du prémontré et surtout 
				la date de son jugement prouvent clairement l'erreur du 
				narrateur. 
				(26) Postérieurement à l'exhumation de cette plaque, une main y 
				a tracé à la pointe sèche ces mots: «  Il a absous Philippe 
				d'Orléans, 1793, Crétineau-Joly, page 202 ». L'auteur de cette 
				note a confondu le chartreux de Bosserville avec François-Joseph 
				Lothringer, prêtre séculier, d'origine alsacienne, aumônier des 
				étrangers à l'Hôtel-Dieu de Paris et vicaire épiscopal de Gobel, 
				évêque intrus de la Seine. Emprisonné sous la Terreur, il donna 
				l'absolution à plusieurs de ses co-détenus. Revenu au pays 
				natal, il se rétracta dès 1795 et le 11 mars 1797, il écrivit de 
				Thann, où il habitait, une lettre à l'auteur des Annales 
				catholiques, qui fut rendue publique. Cfr L'abbé Lothringer, un 
				aumônier des prisons de Paris pendant la Terreur, dans la Revue 
				catholique d'Alsace, n° de février 1893. 
				(27) Note de dom Jérôme Keiflin, prieur, enfermée dans un sachet 
				d'étoffe avec le crâne de dom Lottinger. 
				(28) Victor Pierre, op. cit., p. 069. Mourer se trompe sur la 
				date et la retarde d'un jour. L'éditeur, p. 367, a adopté 
				lui-même cette date fautive.  |