Mémoires de
l'Académie de Stanislas
1933-1934
Les liquidations des
Sociétés Coopératives de Reconstruction du département de
Meurthe-et-Moselle
Par M le comte Antoine de MAHUET
MEMBRE TITULAIRE
Lorsque, le 19 mai 1927, je
me suis soumis tardivement à votre règlement qui oblige toute
personne, à qui vous faites l'honneur de l'accueillir, de vous
adresser publiquement des remerciements et de vous lire quelques
pages concernant un sujet laissé à notre choix, j'ai voulu, à ce
moment, vous entretenir des Sociétés coopératives de
reconstruction du département de Meurthe-et-Moselle et vous
montrer, bien imparfaitement, le magnifique effort accompli par
nos populations lorraines dans l'oeuvre de reconstitution des
régions dévastées.
En vous citant quelques chiffres, je vous, ai indiqué que la
réparation des dommages causés par la guerre, était terminée,
mais il restait à entreprendre la liquidation des comptes de ces
sociétés. Je voudrais, aujourd'hui vous dire succinctement ce
qui a été fait jusqu'ici au milieu de difficultés jugées
inextricables, et vous faire connaître, en utilisant les
renseignements officiels et récents qu'on a bien voulu me
fournir, les résultats obtenus.
Rappelons qu'aucune législation n'avait jamais reconnu, en
France ou à l'étranger, aux victimes de la guerre, un droit
juridiquement défini; l'article 12 de la loi du 26 décembre 1914
combla cette lacune, et la loi du 17 avril 1919 est la charte
des sinistrés. Ceux-ci, incapables d'étudier les multiples lois,
décrets, circulaires, instructions ministérielles sans cesse
modifiées, - il y en eut plusieurs milliers, - se groupèrent-en
associations. 206 sociétés coopératives se formèrent en
Meurthe-et-Moselle, adoptant le statut octroyé aux Unions par la
loi du 25 août 1920; elles comprenaient 208 communes, soit 80 %
des 285 communes sinistrées, et 179 furent affiliées à l'Union
départementale (1); le nombre de leurs adhérents atteignait
12.300 et le montant des intérêts engagés s'élevait à 890
millions.
Je vous indiquerai que le total des immeubles bâtis sinistrés en
Meurthe-et-Moselle était de 38.000 dont 11.000 complètement
détruits; le bilan des dommages évalués en valeur de
reconstruction s'établissait de la façon suivante :
Immeubles bâtis 2.526.512.000 fr.
Immeubles non bâtis 318.054.000 »
Immeubles par destination 494,222.000 »
Meubles 1.366.748.000 »
Total 4.705.536.000 fr.
La durée de la société coopérative est déterminée par la
réalisation de l'objet pour lequel elle est constituée,
c'est-à-dire lorsque les travaux sont terminés et réglés. Une
liquidation anticipée peut être demandée, à condition que le
programme pour lequel s'est engagée la coopérative soit presque
complètement achevé, et qu'il ne reste plus à apurer qu'un petit
nombre de comptés d'adhérents pour lesquels il existe des
difficultés particulières, susceptibles de retarder la
liquidation générale de la société. C'est le Conseil
d'administration de la Coopérative qui a tous pouvoirs pour
faire la liquidation, après un vote de l'assemblée générale;
elle a lieu sous le contrôle de l'Administration.
Liquider les comptes d'une coopérative n'est pas chose aisée ;
il serait trop compliqué d'énumérer toutes les difficultés que
l'on rencontre et qu'on a classé en trois catégories : 1°
difficultés comptables (imputations sur titres délégués
d'avances ou d'acomptes ne concernant pas la coopérative,
nécessité de laisser fonctionner séparément les comptes
d'indemnités déléguées par les communes, étrangers, comptes
d'emprunt); 2° difficultés résultant du remploi (indivision,
succession, mutation de titres, remploi d'indemnités indivisés,
etc.); 3° difficultés financières (dépassements, travaux
effectués et non payés).
Mais grâce à l'appui et aux conseils donnés par l'Union, le
contrôle des coopératives en a liquidé une en 1924, 3 en 1925, 6
en 1926, 36 en 1927, 33 en 1928, 28 en 1929 (2). Au 1er janvier
1934, il y en a 195, groupant 11.185 adhérents pour 821.741.439
francs d'intérêts engagés. Il reste donc à liquider actuellement
11 coopératives groupant 903 adhérents.
Sur ces 195 coopératives, 45 n'ont pas laissé de boni; quant aux
141 autres, elles ont distribué des sommes importantes soit à
l'Union, soit aux communes, soit à des oeuvres diverses
d'intérêt général, conformément aux statuts.
Le compte rendu doit être à la fois moral et financier, il
repose sur une base constituée par les comptes individuels
ouverts dans les écritures de la société. J'ai eu entre les
mains tous les documents concernant ces opérations et ainsi j'ai
pu apprécier l'étonnant travail accompli et qui n'est pas
suffisamment connu.
Société coopérative de
reconstruction des églises du diocèse de Nancy et de Toul.
Une société coopérative de
reconstruction des églises du diocèse de Nancy et de Toul fut
constituée le 15 mars 1921. M. le chanoine Fiel, secrétaire du
Conseil d'administration, a fait paraître, en 1927 (3), une très
intéressante brochure où il expose, avec compétence, les étapes
successives de l'oeuvre de cette coopérative dont le succès est
dû aux initiatives hardies de Mgr Thouvenin, son président.
Le diocèse de Nancy avait 419 églises, atteintes, 90 étaient à
peu près complètement détruites. Les indemnités allouées pour la
réparation des dommages s'élevaient à 70,334.000 francs. En
principe, on avait décidé de n'accepter mandat que pour les
églises totalement ou du moins en grande partie détruites : il y
en avait 90. En tenant compte de deux monuments historiques de
Longwy et de Nomeny, le nombre des adhérents fut de 105 communes
représentant 113 églises dont l'indemnité immobilière fut de 44
millions environ.
Au début, il fallait laisser les ressources du Trésor au
relèvement des exploitations agricoles, commerciales et
industrielles, aussi la Coopérative des églises eut recours à un
emprunt gagé par les indemnités de l'État : Le 11 juillet 1921,
le Journal officiel publiait l'annonce d'un emprunt de 15
millions, il fut aussitôt couvert; elle participa aussi à
l'emprunt départemental. Une souscription publique avait déjà
fourni, en quelques jours, à la Coopérative, une somme de
360.000 francs qui servit de fonds de roulement, puis de
généreux sinistrés vinrent à son secours en lui donnant des
indemnités de dommages de guerre, soit avec ou sans affectation
spéciale.
Elle a fonctionné comme toutes les autres coopératives de
reconstruction sauf quelques particularités. Les sociétaires
furent les propriétaires d'églises endommagées par la guerre :
particuliers, établissements publics et surtout communes.
Cette Coopérative rendit un certain nombre de services. On a
débuté par la réfection des fermes et des habitations
particulières, il fallait que la reconstruction d'un grand
bâtiment tel que l'église servît de volant, de régulateur; quand
les équipes d'ouvriers n'étaient pas occupées ailleurs elles
furent employées à l'église. Cette société aida les coopératives
locales lorsqu'en 1924 et 1925 l'État ne put payer de suite les
entrepreneurs, elle a utilisé sa dispense de remploi au profit
des coopératives qui se liquidaient, elle a accepté pour elles
des délégations qui lui ont permis dé payer des travaux et de
solder des dettes.
D'utiles directives avaient été données pour la reconstruction
des églises, de manière à leur conserver leur caractère
artistique : on recommandait de choisir des architectes chez
lesquels on rencontrerait non seulement des connaissances
archéologiques et techniques, mais encore un goût très sûr. On
devait observer une proportion entre, les diverses parties de
l'ameublement, ses vitraux, sa décoration, veiller à la sobriété
dans l'ornementation, proscrire l'abus des statues en plâtre et
conserver avec soin celles qui, léguées par nos ancêtres, ont pu
être sauvées de la destruction du temps et des hommes. Hélas !
ces judicieux conseils n'ont pas toujours été suivis. Un éminent
conférencier ne disait-il pas, à Nancy, l'année dernière, qu'on
devait se préoccuper, de l'art religieux, dont la production est
encore aujourd'hui vulgaire, et qu'il fallait refaire
l'éducation de tous.
La Coopérative a trouvé dès sa fondation de précieux
encouragements auprès de Mgr de la Celle et du clergé, auprès
des pouvoirs publics, dont les représentants ont secondé jusqu'à
la fin ses efforts. Il ne faut pas oublier les maires et les
curés, qui furent dé véritables collaborateurs. Son
organisation, la reconstruction des églises, l'émission de
l'emprunt ne furent pas exemptes de difficultés. Des
coopératives sur le modèle de celle de Nancy furent fondées dans
presque tous les diocèses dévastés.
Le 25 septembre 1933, les membres dé la Société coopérative de
reconstruction des églises du diocèse de Nancy se réunirent en
Assemblée générale et prononcèrent la liquidation et la
dissolution de la Société. Le boni est destiné à participer aux
travaux d'entretien de l'ensemble des églises du diocèse de
Nancy.
Société coopérative de
reconstruction des écoles publiques et mairies de
Meurthe-et-Moselle.
Elle fût fondée à l'Assemblée
générale constitutive du 8 octobre 1921. Toutes les communes
intéressées, soit 105, adhérèrent à la Coopérative. Il y eut 135
bâtiments reconstruits; le montant des intérêts engagés
s'élevait à 44.771.366 francs.
Dans le but d'aménager les écoles au double point de vue de
l'hygiène et de l'enseignement, on institua une oeuvre qui
portait le nom : Les Amis des Écoles de Meurthe-et-Moselle.
Grâce à l'activité, de son président, M. Coulon, inspecteur de
l'enseignement primaire, grâce à de généreux donateurs et à
l'achat de dommages de guerre, les améliorations projetées
furent exécutées. Cette coopérative fut liquidée le 12 juillet
1930.
Union des coopératives
de reconstruction de Meurthe-et-Moselle.
Pour coordonner l'action de
ces diverses coopératives étudier les nombreuses lois, arrêtés
et règlements, défendre les intérêts des sociétés adhérentes,
fonder les organismes nécessaires à la reconstitution, il fut
créé des Unions, qui sont des groupements de coopératives d'un
arrondissement ou d'un département. La plus ancienne est celle
de Meurthe-et-Moselle, qui fût fondée le 9 juin 1919.
Elle rendit de grands services. Quel est le sinistré, le
président, ou le trésorier d'une: coopérative, qui ne soit pas
venu maintes fois chercher près de Mgr Thouvenin, qui la dirige,
un renseignement toujours fourni avec compétence ? 179
coopératives furent affiliées à l'Union de Meurthe-et-Moselle.
Elle a facilité les voyages des agents du contrôle, payé divers
imprimés servant à la liquidation, remboursé à toutes les
coopératives la contribution de 2,60 o/oo des intérêts engagés
qu'elles lui avaient versée, soit 1504.537 francs; elle a remis
aux sociétés en déficit les cotisations de 20 francs par membre;
à quelques autres elle a prêté de l'argent pour terminer leurs
liquidations, elle a aidé celles qui avaient épuisé tous les
moyens pour couvrir leurs déficits. De sociétés qui se
liquidaient elle à, reçu en dépôt des sommes importantes qui
seront reversées aux ayants droit; enfin l'Union est intervenue
soit auprès des pouvoirs publics, soit auprès des entrepreneurs
et des architectes, pour aplanir les difficultés, agissant en
complet accord avec les services préfectoraux de la
reconstitution, souvent sur leur demande.
La lourde tâche que s'étaient imposées les coopératives de
reconstruction est terminée. Il faut rendre hommage à ceux qui
reconstruisirent si vite nos départements ruinés. Personne
n'aurait pu croire, comme l'écrivait récemment Henry Bordeaux,
que si peu de temps, si peu d'années après la guerre, « tout
serait rebâti, et les champs cultivés, et les usines et
fabriques en plein rendement. La nature et les hommes furent
pareillement des reconstructeurs. Des paysages devenus de
véritables déserts où rien ne pouvait plus pousser reprenaient
leur verdure, comme des rires d'enfants remplissaient les
maisons neuves ».
Maintenant que l'on peut apprécier l'ampleur des efforts
réalisés et des résultats obtenus, à qui les doit-on en
Meurthe-et-Moselle ? Je l'ai déjà dit, ils sont dus au
persévérant labeur de nos populations profondément attachées au
sol natal, sans cesse bouleverse par les invasions, à l'esprit
de réalisation et d'organisation du Lorrain, à la volonté
d'aboutir dans les délais les plus réduits à la restauration, au
bienveillant concours des pouvoirs publics, et surtout à la plus
grande confiance et au plus grand accord qui régnèrent entre
toutes les parties qui collaborèrent à la reconstitution. Les
Lorrains ont été aussi les premiers à mettre en oeuvre le
principe de coopération et à en utiliser l'application, grâce à
un animateur remarquable, Mgr Thouvenin. Il ne faut jamais
perdre confiance dans notre pays. Ce qu'il fut dans la guerre et
après la guerre, il doit l'être encore aujourd'hui.
(1) Les coopératives ne se sont pas chargé de la
reconstruction des usines.
(2) Au 15 février 1930, d'après une statistique publiée par le
ministère des Travaux publics, la liquidation des coopératives
présentait la situation suivante : le nombre des coopératives
des 11 départements envahis était de 2.380, comprenant 185.299
adhérents; il y avait 314 coopératives liquidées comprenant
13.389 adhérents, soit 13 % des coopératives, avec 7 % des
adhérents. Notre département, comme toujours, tenait le premier
rang avec 52 % des coopératives liquidées et 44 % des adhérents.
(3) Chanoine FIEL, L'oeuvre de la
Coopérative de reconstruction des églises du diocèse de Nancy et
de Toul, Nancy, ancienne imprimerie Vagner, 1927. |