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Lunéville à la veille de la
révolution
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Lunéville à la veille
de la révolution
Annales de l'Est (1887)
LUNEVILLE à la veille de
la révolution
1. Population; revenus de la ville: contributions diverses.
- II. Bailliage; maîtrise des eaux et forêts; municipalité.
- III. Edilité et police. - IV. Règlements du commerce et de
l'industrie. - V. Garnison. - VI. Établissements de
bienfaisance. - VII. Le clergé régulier. - VIII. Le clergé
séculier. - IX. Les juifs. - X. L'instruction. - XI.
L'esprit public: rassemblée du district et l'adresse des
notables. - XII. Les électrons : le cahier du tiers état
I.
La population de
Lunéville, qui atteignait à peine 1,200 habitants à la fin
du XVIIe siècle (7), s'était rapidement accrue sous les
règnes de Léopold et de Stanislas; elle était de 2,433 feux
en 1753 (8), soit d'environ 12.000 âmes. Elle diminua
quelque peu à partir de 1766, et ne comptait plus que 2,315
feux en 1789 (6)
Jusqu'au moment de la Révolution, les étrangers qui
voulaient s'établir à Lunéville devaient d'abord présenter
au lieutenant de police un certificat de bonne vie et mœurs
délivré par les officiers municipaux de leur dernière
résidence, et, s'ils avaient femme, un extrait de mariage en
due forme. Les lettres de bourgeoisie ne pouvaient être
accordées qu'à ceux qui « par leur bien, leur profession et
leur travail », paraissaient pouvoir subsister avec leur
famille sans être à charge au public (9); il fallait en
outre, pour les obtenir, payer un droit d'entrée de 10 fr.
(10) partagé également entre le domaine et la fabrique, - et
enfin prêter serment de « vivre en bon et fidèle sujet du
roi et donner avis à la Chambre (c'est ainsi qu'on appelait
d'ordinaire le corps municipal) de tout ce qui pourrait
venir à sa connaissance de contraire au service de Sa
Majesté, au bien de la ville et du public (11) »
Les habitants de Lunéville avaient depuis longtemps (12) à
acquitter des droits d'octroi sur le vin, l'eau-de-vie, la
bière, le cidre, la viande et les grains. Ces taxes étaient
affermées à des traitants, ce qui déchargeait la ville des
difficultés de la perception; en 1788 elles rapportaient
66,500 livres (13).
Les trois fours banaux de la place Saint-Jacques, de la rue
Hargaut et de la rue des Carmes, avaient été adjugés en
1786, pour trois ans, au prix annuel de 1,171 li v. 13 sols
4 deniers.
Les particuliers étaient tenus de payer un droit de cuisson
de 10 sols par résal de blé ou autres grains, mais tout
bourgeois pouvait avoir son four et y cuire librement, et
même autoriser ses locataires à y cuire (1). En revanche les
propriétaires de vignes devaient, même s'ils avaient des
pressoirs, donner 1 fr. par jour (2) de vigne à
l'adjudicataire des pressoirs banaux (3); le droit de
pressurage était perçu pour les autres propriétaires à
raison d'un vingt-quatrième ou d'un douzième, suivant que
les raisins étaient pressurés avant ou après la fermentation
(4).
Le budget des recettes était encore grossi des retenues d'un
dixième (et de 4 sols par livre-en sus) faites sur la
finance des officiers municipaux (5), d'un droit de four
payé par les pâtissiers et les boulangers, de la location
des étaux des bouchers (14), et de l'affermage de quelques
terrains communaux; il s'élève, en 1788, à 82,759 l. 14 s. 4
d. Les dépenses furent, la même année, de 79,390 l. 6 d.
(15).
Les comptes, rendus par le trésorier aux officiers
municipaux, étaient envoyés à la chambre des comptes de
Lorraine, qui les vérifiait et se faisait payer assez cher
cette vérification. En 1788, la ville donne 1,110 l. 5 s,
pour droit de révision, 36 l. pour les apostilles et 4 l.
pour les huissiers de services (16).
Depuis Léopold, Lunéville était exempte de la subvention,
ainsi d'ailleurs que les villes de Nancy et de Bar-le-Duc.
L'impôt sur les maisons et héritages, et la taxe sur les
divers corps de métiers produisirent, en 1787, 19,530 l. 11
s., cours de France (17).
On consommait à Lunéville, à la même époque, environ 1,790
quintaux de sel valant 55,966 l., ce qui faisait un impôt de
près de 5 l. par tête (18).
La dime se levait au douzième sur le territoire agricole de
Lunéville; en 1788, elle donne 800 gerbes de seigle, 600 de
blé, 200 d'avoine, 150 d'orge, 1 résal et demi de navette,
65 résaux de pommes de terre (19). La dîme du raisin se
percevait au douzième ou au dix-huitième suivant qu'elle se
prenait à la vigne ou à la cave ; elle rapportait environ
1,200 livres aux décimateurs, La taille dite Saint-Rémy,
ainsi appelée parce qu'elle était exigible de chaque ménage
le jour de la fête de Saint-Rémy, était, par suite d'une
transaction dont nous ignorons la date, payée par la ville,
qui versait chaque année 66 l.
17 s. au domaine, 57 l. 3 s. aux chanoines de la Primatiale
et 10 l. 4 s. 3 d. aux dames Prêcheresses de Nancy (20).
II.
L'édit de juin 1751 avait
divisé la Lorraine en 34 bailliages qui subsistèrent jusqu'à
la Révolution. Le bailliage de Lunéville comprenait 108
communautés ; il avait pour limites : à l'est, les
bailliages de Saint-Dié et de Blâmont et la principauté de
Salm; au nord, la châtellenie de Vic; à l'ouest, les
bailliages de Rosières et de Châtel, et, au midi, celui de
Bruyères (21).
Les magistrats des bailliages faisaient les fonctions de
juges seigneuriaux dans les domaines directs du roi, et
connaissaient, par appel, des jugements rendus par les
officiers des autres seigneurs (22). Le titre de bailli
était donné à de grands personnages, qui n'assistaient
jamais aux débats et ne prenaient aucune part au délibéré
des sentences que les lieutenants généraux rendaient en leur
nom : en 1789, le bailli d'épée de Lunéville était
Charles-Just de Beauvau (23), « maréchal de France, prince
du Saint-Empire romain, grand d'Espagne de la première
classe, chevalier des ordres du roi, capitaine des gardes du
corps, gouverneur et lieutenant général des pays et comté de
Provence, Arles, Marseille et terres adjacentes, gouverneur
des villes et châteaux de Lunéville et Bar-le-Duc, marquis
de Craon, baron d'Autrey, Saint-George, Lorquin,
Turquestein, Harbourg et Petitmont, seigneur de Xouaguesange,
du ban Lemoine, Fléville, Buissoncourt et Morlay,
conseiller-chevalier d'honneur en la cour du parlement de
Nancy ». Les autres officiers du bailliage étaient: Thiry,
lieutenant général ; Laroche, lieutenant particulier;
Marchis, assesseur; Laplante, Launay, Bailly, Eby, Cuny,
conseillers ; Regneault, avocat du roi; Gouvenoux, procureur
du roi; Lejeune, greffier en chef; Georges, commis-greffier;
Mengin, curateur en titre ; Thiébaut l'aîné) commissaire aux
saisies réelles ; Olivier, receveur des consignations ;
Michel et Lebel, jurés priseurs; Laurent, Anthoine et
Marchal, commis; George, conservateur des hypothèques (24).
Les officiers des grueries, ou maitres des eaux et forêts,
connaissaient des délits et malversations commis dans les
eaux et forêts des communautés, des particuliers et du
domaine. La maîtrise particulière de Lunéville, créée en
1747, exerçait sa surveillance sur le territoire des
anciennes grueries de Lunéville, Einville, Blâmont,
Azerailles et Deneuvre (25); elle était ainsi composée en
1789 : Poinsignon, maître particulier ; Pergaut, lieutenant
; Georgeat, lieutenant honoraire; Malhorty, procureur du
roi; Delespée, garde-marteau; Lacretelle, greffier; Drouin,
arpenteur; Bonnefin, réarpenteur; Jeannat et Martin,
huissiers (26).
Louis XV supprima, par l'édit d'octobre 1771, tous les
offices municipaux et de police établis dans les duchés de
Lorraine et de Bar par Léopold, et en créa d'autres dont il
éleva, les émoluments, La municipalité de Lunéville fut,
jusqu'à la Révolution, composée d'un maire royal, d'un
lieutenant de maire et de police, de quatre échevins (27),
d'un échevin-trésorier. receveur des octrois, d'un procureur
du roi, d'un secrétaire-greffier, d'un commis, d'un
commissaire de police et d'un huissier; la ville payait
annuellement sur ses deniers 1,291 l. 13 s. 4 d. au maire,
904 l. 13 s. 4 d. au lieutenant de police, 1,291 l. 13 s. 4
d. au receveur, 645 l. 16 s. 8 d. au procureur et au
greffier, 300 l. au commis, 129 l. 3 s. 6 d. au commissaire
de police, 193 l. 15 s. à l'huissier (28). En 1789, les
officiers municipaux étaient: Lanière (29), maire royal,
chef de police, subdélégué de l'intendant; Piroux,
lieutenant de maire et de police; Chypel, Christophe,
Bourguignon, Conigliano, échevins; Curien,
échevin-trésorier; Poirson, procureur du roi; Richard,
secrétaire-greffier en chef; Martin, commis; Parisot,
commissaire de police; Laguerre, huissier (30).
Le corps municipal n'administrait pas seulement les affaires
de la ville; il tenait des audiences et jugeait les
contraventions aux règlements de police.
III.
La municipalité, la
maitrise des eaux et forêts et le bailliage siégeaient dans
le même bâtiment, occupé aujourd'hui par le tribunal de
première instance (31). Le 31 mai 1786, les officiers
municipaux demandaient à emprunter 20,000 l. pour la
construction d'un nouvel hôtel de ville sur l'emplacement de
l'ancienne fourrière (32) de Stanislas: « Les différentes
juridictions de la ville, disaient-ils dans leur requête à
l'intendant, sont si à l'étroit qu'elles manquent des pièces
de logement nécessaires à leurs opérations, et au point que
les délibérants qui n'ont en tout qu'une seule pièce servant
à la fois de greffe, d'antichambre, de salle d'audience et
de chambre du conseil, sont le plus souvent obligés de la
céder pour le fonctionnement des autres juridictions....
(33) »
Dans le nouvel hôtel de ville la municipalité se proposait
de placer, à côté des trois tribunaux convenablement
installés, la brigade de maréchaussée pour laquelle il
fallait louer un local, - les cinq officiers d'invalides,
qui recevaient de la ville une indemnité de logement de
1,000 l., - les écoles des frères, à l'étroit dans le
bâtiment qui leur avait été affecté en 1750, - un corps de
garde, - un magasin pour les pompes à incendie, - enfin des
halles nouvelles.
Les halles étaient alors adossées au vieil hôtel de ville,
et touchaient aux prisons, dont on songeait à agrandir le
préau, afin de « rendre la respiration » aux détenus privés
« de la lumière comme de la liberté (34) ».
D'autres travaux n'étaient pas moins urgents à la veille de
la Révolution : l'eau était mesurée aux habitants de la
ville avec parcimonie, En 1769, on avait, il est vrai,
détourné au profit des fontaines publiques une partie des
eaux qui alimentaient les bassins des Bosquets, mais les
conduites étaient en mauvais état; et puis la cession, en
1778, .des Mossus au sieur Hoffmann, qui transforma ce
pâquis communal en une plantation de garance, fit tarir six
fontaines, Près de 400 bourgeois protestèrent dans une
pétition au parlement contre l'aliénation du pâquis; le
parlement cassa, le 6 mars 1783, cette adjudication «
meurtrière »; on put ramener de l'eau dans deux fontaines, «
mais en petite quantité, peu saine, encore interrompue en
hiver et en été ». En 1787, le pâquis fut de nouveau adjugé
au sieur Saglio, moyennant 13,000 l.; dans une brochure
(35), publiée en 1789, un anonyme prend vivement à partie le
maire Lanière et demande que le pâquis des Mossus soit
ramené à l'état de simple pâturage, seul moyen, dit-il,
d'alimenter les fontaines de la ville.
En 1785, les habitants de Ménil attirent l'attention de la
municipalité sur l'état du chemin qui traverse leur faubourg
et conduit à Lunéville: ce ne sont que cloaques,
enfoncements, ornières profondes, qui en rendent la
fréquentation difficile pendant le jour, dangereuse pendant
la nuit: « Les suppliants, écrivent-ils, ne sont pas de pire
condition que ceux de Viller et des autres faubourgs, ils
supportent les mêmes charges; tous les autres ont des pavés;
les suppliants ne désirent qu'une chaussée en bon état; et
si on leur objecte que les autres faubourgs tiennent à la
ville sans interruption de maisons, ils répondront que Ménil
y tiendrait peut-être de même si le particulier ne craignait
d'y bâtir à cause du mauvais chemin et de la difficulté d'y
hanter. » La municipalité se contente d'arrêter que, jusqu'à
nouvel ordre, les pierrailles et gravois seront conduits et
répandus sur lu chaussée de Ménil (36).
L'administration qui, faute d'argent, négligeait le
nécessaire, était tenue parfois de s'occuper du superflu. Au
commencement de septembre 1784, l'intendant exige qu'il soit
fait à la salle de comédie des réparations dont le devis
monte à près de 10,000 l. : « La ville, lui répond aussitôt
le corps municipal, est dans l'impossibilité de faire un
sacrifice semblable ..... ; ce sacrifice, fût-il d'ailleurs
possible, serait d'autant plus propre à révolter les
malheureux habitants, que leur misère ne comporte que des
salles d'hôpitaux au lieu des salles de spectacle qu'à la
vérité on ne demande pas pour eux (37) ..... » Il fallut
s'exécuter ; du moins l'intendant, touché des remontrances
de la municipalité, arrêta que Lunéville contribuerait
seulement pour moitié aux travaux décidés et qu'elle serait
dans la suite déchargée des grosses réparations de la salle
(38).
Comme dans la plupart des villes de France, la municipalité
de Lunéville ne négligeait rien pour rendre les rues bien
alignées et les constructions uniformes ; il était défendu
de bâtir tant que les plans de l'architecte n'auraient pas
été visés et approuvés par le maire. Le règlement de police
du 25 juin 1772 avait fait disparaître les caves qui
s'ouvraient sur la rue et dont les saillies nuisaient à la
circulation ; les propriétaires étaient tenus de pourvoir
les maisons neuves de chéneaux et de tuyaux de descente qui
allaient jusqu'au sol et déchargeaient les eaux pluviales
sur une pierre de 18 pouces de diamètre (39).
Les rues sont balayées tous les jours par les soins des
habitants, et même arrosées pendant les chaleurs de l'été à
un signal donné par la cloche du beffroi, à peine de 2 fr.
d'amende que les maitres peuvent « retenir sur les gages de
leurs domestiques ». Un entrepreneur est chargé de
l'enlèvement quotidien des boues et des immondices, La
police exige que tous les propriétaires aient des latrines
dans leurs maisons et menace les récalcitrants d'en
construire à leurs frais; elle ne permet au « maitre des
basses œuvres » d'exercer son métier que de 11 heures du
soir à 4 heures du matin (40).
Pour assurer la facilité de la circulation et prévenir des
accidents assez fréquents de nos jours, il est défendu aux
parents de laisser les enfants au-dessous de sept ans « à
leur propre conduite sur les places et dans les rues de la
ville, sous peine de 10 fr. d'amende payables sur-le-champ
par les pères et mères, tuteurs ou curateurs, ou autres
personnes à la garde de qui lesdits enfants auront été
confiés ». On renouvelle aussi l'interdiction de laisser
circuler dans la rue des porcs, lapins, oies, canards et
dindons, d'y tuer ou d'y brûler des porcs, d'y tirer des
feux d'artifice, fusées, pétards ou serpenteaux (41).
Avec Stanislas avaient disparu les chaises à porteur (42)
que l'on trouva longtemps à Lunéville devant le château et
sur la place de la Comédie. Mais si les rues sont moins
animées, en revanche elles commencent a être éclairées: les
lanternes se montrent en 1772 (43).
En cas d'incendie nocturne, les particuliers continuèrent
néanmoins à être astreints par règlement de police à mettre
une lumière aux fenêtres de leurs maisons, Au premier coup
de cloche, les charpentiers, les maçons et les couvreurs
devaient se porter avec leurs outils aux lieux où le feu
était signalé, à peine de 20 fr. d'amende contre ceux qui
arriveraient en retard sans excuse légitime (44). Après
l'incendie qui menaça de détruire le château en 1719, le
corps municipal avait obligé les bourgeois d'avoir chez eux
un cuveau ou un tonneau; de 4 mesures au moins, toujours
plein d'eau ; après l'incendie de 1755, il fut établi près
du château un corps de garde « dans lequel il y aurait
pendant chaque nuit des mois de janvier, février, novembre
et décembre, 21 ouvriers de bâtiment, et 14 pendant chacun
des autres mois, lesquels s'y assembleraient à la retraite
sonnante et en sortiraient à 4 heures du matin en été et à 6
heures en hiver»; 7 de ces ouvriers faisaient de temps en
temps une ronde dans les 7 quartiers de la ville.
Lunéville avait, en 1756, cinq pompes à incendie, cinq cents
sceaux, sept grands crochets garnis de frettes, et trente
autres crochets (45). Les étrangers qui possédaient une
maison en ville payaient chaque année, et par maison, 10
sous pour subvenir à l'entretien de ce matériel (46). Les
particuliers chez qui le feu prenait de jour ou de nuit
étaient punis d'une amende de 50 fr. ou de 100 fr.; on
percevait ces amendes au profit du maire, qui en abandonnait
le produit à la ville moyennant une rétribution annuelle de
139 livres (47).
Le règlement de police veille, bien entendu, à l'observation
des dimanches et fêtes, qui doivent être « consacrés au
service de Dieu », et durant lesquels « toutes personnes
s'abstiendront des œuvres manuelles et serviles, si ce n'est
dans le cas de nécessité, après en avoir obtenu la
permission du curé et du maire ... » ; les marchands
fermeront leurs boutiques dès le matin ; les revendeurs
pourront « exposer en vente des légumes, herbages et autres
menues denrées, mais seulement jusqu'à 9 heures du matin ».
Les aubergistes et cabaretiers, les pâtissiers, les
rôtisseurs, les maîtres de billard ne donneront ni à boire,
ni à manger, ni à jouer pendant les heures du service divin
- si ce n'est aux étrangers qui traverseraient la ville -
sous peine de 30 livres d'amende et même d'interdiction de
leur commerce en cas de récidive. Il est aussi défendu à
toutes personnes « de quelle qualité et condition qu'elles
puissent être, de voiturer ou faire voiturer leurs chars,
charrettes et tombereaux auxdits jours ... »
Enfin, pour sauvegarder l'apparence des bonnes mœurs, il est
enjoint « à toutes filles, même à celles nées en cette ville
ou ses faubourgs, qui habitent en chambre, soit seules ou
plusieurs ensemble, de se retirer dans leur famille, ou
d'entrer en condition dans la quinzaine, à moins qu'elles
n'aient des parents ou amis, gens de probité, qui répondent
de la régularité de leur conduite, ... à peine d'être
lesdites filles chassées de la ville et des faubourgs, avec
défense d'y rentrer, et de 100 fr. d'amende contre ceux qui
leur donneront retraite (48) »
IV.
Au XVIIIe siècle,
l'autorité municipale se préoccupait avant tout d'assurer
l'alimentation publique.
A Lunéville, on percevait au profit du roi, sur les grains
qui venaient au marché, un droit du quarantième, dit droit
de copelle (49) ; ce droit concourait avec les difficultés
des communications à rendre les disettes fréquentes. Le 2
mai 1771, la foule, se plaignant de la cherté du pain, brise
les fenêtres d'un boulanger de la rue des Loups (aujourd'hui
rue Traversière); le 7 juin, le tumulte recommence (50).
Dans le règlement de police de 1772, la municipalité fait la
guerre aux accapareurs, arrête que les grains ne peuvent
être vendus qu'aux halles, défend « à toutes personnes
d'aller au-devant des grains, soit au dehors ou dans la
ville, pour les arrher ou acheter par eux ou par quelques
personnes interposées, - aux voituriers et propriétaires de
blés conduits aux halles de renchérir, par eux ou par
d'autres, le prix qu'ils auront d'abord mis auxdits blés, -
et à toutes personnes d'en offrir un prix plus fort, à peine
de 40 livres d'amende et d'être poursuivies comme pour
monopole ». Les boulangers, les pâtissiers, les négociants
en grains ne peuvent se présenter aux halles avant l'heure
marquée par le lieutenant de police, et, pendant tout le
marché, en cas de concurrence entre un bourgeois et un
boulanger, le bourgeois a la préférence s'il paye le même
prix.
Le corps municipal fixe le taux du pain, indique la quantité
de farine dont les boulangers « sont tenus de se
précautionner pour les temps de gelée et de sécheresse »,
dans le cas où les moulins ne pourraient moudre. Il s'ingère
dans le détail de la fabrication du pain, enjoint aux
boulangers de « ressuyer leur pain avec de la farine, et non
avec de l'eau, - de former des pains blancs longs, du poids
d'une demi-livre, de la largeur de 3 pouces, en forme de
borde, et des pains (blancs et bis) ronds, du poids de 8 et
de 16 livres, etc. ». Tout boulanger doit cuire au moins
trois fois par jour, de telle façon qu'à toute heure, depuis
6 heures en été et depuis 8 heures en hiver jusqu'à la nuit,
on puisse trouver chez lui du pain des deux qualités, «
lequel sera bien cuit, bien conditionné et bien panagé », à
peine de confiscation et de 30 fr. d'amende pour la première
fois, de 50 fr. pour la seconde, et, pour la troisième, de
prison et d'interdiction de continuer le commerce.
Les boulangers étaleront « au dehors de leurs maisons et sur
des étaux, sauf à y mettre des jalousies de fil d'archal, du
pain des deux espèces ci-dessus, dès 6 heures du matin en
été et 8 heures en hiver, de manière que lesdits étaux
soient toujours garnis, et que le public sache à qui
s'adresser pour en acheter». On ne fait pas un crime aux
boulangers de manquer de pain bis, mais à la condition
qu'ils donneront du pain blanc au même prix que le bis, à
toutes les personnes qui en demanderont.
Enfin le boulanger n'est pas libre de cesser de cuire quand
il lui plaît: il ne peut quitter sa profession, en quelque
temps que ce soit, « sans une permission expresse et par
écrit de lu police, laquelle ne sera accordée qu'après avoir
ouï les maitres du corps des boulangers (51) ».
On taxe la viande comme le pain. Les bouchers doivent
toujours être approvisionnés dans leurs écuries de bœufs, de
veaux et de moutons de bonne qualité, à peine de 50 fr.
d'amende pour la première fois, de 100 fr. pour la seconde
fois, et de privation de l'exercice de leur profession pour
la troisième fois; « à l'effet de quoi il sera fait, chaque
mois, par le visiteur-juré, une visite des bestiaux desdits
bouchers, pour en constater la quantité et les espèces, dont
il sera dressé un état, pour être par lui remis au maire
royal », Pour faciliter l'approvisionnement des bouchers, il
est interdit à tous les marchands de bétail de paraître sur
les marchés et les foires avant midi, ou d'acheter dans les
villages voisins, à la distance de trois lieues, pour
revendre en ville.
L'abatage, la préparation, l'étalage des viandes, tout est
réglementé : les bouchers ne tueront ni bouc, ni chèvre, ni
taureau ; ils auront soin de « bien saigner les bœufs, veaux
et moutons, pour que la masse du sang ne se répande pas dans
la viande et n'en corrompe pas le suc..., de dépecer leurs
viandes dès qu'elles seront refroidies, de les exposer et
attacher à des crochets, en sorte qu'elles soient en
évidence, et que le premier venu puisse désigner celle qu'il
voudra choisir avec une baguette que chaque boucher sera
tenu d'avoir sur son étal, avec défense auxdits bouchers de
cacher leurs viandes, ou d'en refuser à qui que ce soit ...
». Bien plus, « aucune viande, exposée ou retenue dans les
maisons, boutiques ou arrière-boutiques, ne pourra être
refusée aux acheteurs qui se présenteront, sous prétexte
d'un débit ou destination faite au profit de quelque autre
non présent, la préférence demeurant toujours en faveur de
l'acheteur présent qui offrira le prix de la taxe ». Enfin
il est défendu aux bouchers « de comprendre, sous quelque
prétexte que ce puisse être, dans les ventes et
distributions qu'Ils font au poids, les têtes, pieds, foies
ou mous, non plus qu'aucune portion d'os détachés et autres
que ceux qui font naturellement partie des morceaux qu'ils
distribuent... ».
Les charcutiers, les poissonniers, les revendeurs et
revendeuses (52), les aubergistes, cabaretiers, taverniers
et cafetiers, les maitres de billard sont l'objet de la même
surveillance minutieuse.
La plupart des associations ouvrières de Lunéville avaient
reçu sous Léopold et sous Stanislas des statuts et des
règlements, et constituaient des jurandes (53): les
bonnetiers, les boulangers, les tisserands, les tanneurs et
corroyeurs, les cordonniers, les chapeliers, les tailleurs,
les tonneliers. En 1772, les orfèvres obtenaient des lettres
qui limitaient à huit (54) le nombre des maitrises, et
instituaient, pour l'administration de la communauté, deux
jurés-gardes, élus tous les deux ans. en 1770, avaient paru
les patentes du roi concernant les communautés des barbiers,
perruquiers, baigneurs, étuvistes des duchés de Lorraine et
de Bar (55).
V.
Après la mort de
Stanislas, le gouvernement français, pour dédommager
Lunéville de la perte de la cour, avait envoyé en garnison
dans cette ville la gendarmerie, corps d'élite qui venait
immédiatement après la maison militaire du roi et faisait
brigade à l'armée avec elle (56).
La gendarmerie formait, en 1772, dix compagnies
d'ordonnance; la première, la compagnie des qendarmes
écossais, datait de Charles VII; les neuf autres avaient été
créées successivement sous Louis XIV : les gendarmes
anglais, bourguignons, de Flandre, de la Reine, du Dauphin,
de Berry, de Provence, d'Artois et d'Orléans. L'effectif
total de ces dix compagnies était d'un millier d'hommes
(57).
L'Almanach état de la gendarmerie (58) pour l'année 1777
décrit aussi l'uniforme de cette troupe: « Habit, parments et
collet de drap écarlate, bordé d'un galon d'argent d'un
pouce de large, les revers garnis de six brandebourgs du
même galon, boutons argentés, doublure, veste, culotte et
gants de couleur chamois, ceinturon et chapeau bordé
d'argent, cocarde blanche, cravate noire, bandoulière et
épaulettes brodées d'argent et garnies d'un galon de soie
affectée à la compagnie (59), manteau de drap écarlate,
doublé en entier de serge rouge et parementé de couleur
chamois. - L'équipement du cheval de drap cramoisi, bordé
d'argent, avec un chiffre brodé en argent du roi et des
princes du sang. - Les casaques des trompettes couvertes de
galon d'argent et de soie à la livrée du roi. »
Les hôtels (les Cadets et des Gardes, l'Orangerie et le
Château servirent de casernements aux gendarmes rouges
(c'est ainsi qu'on devait les appeler à Lunéville). On
construisit pour eux, en 1787, à l'hôtel des Gardes, -
aujourd'hui quartier de la Barolière - le manège, l'un des
plus vastes de France, long de 100 mètres et large de 27 .
La gendarmerie avait pour chef le capitaine de la première
compagnie; elle fut commandée à Lunéville, d'abord par, le
comte Louis de Mailly, puis par le marquis de Castries (60),
qui devint ministre de la marine en 1780. Le marquis d'Autichamp
(61), capitaine des gendarmes anglais, exerça le
commandement en l'absence du ministre; il fut remplacé en
1785 par le duc de. Castries (62), fils du marquis.
La gendarmerie, dont l'empereur Joseph II admirait les
belles manœuvres en 1777, avait le grand inconvénient de
coûter fort cher. Les charges s'y vendaient des prix élevés:
une compagnie valait 150,000 livres, une lieutenance
120,000, un grade d'enseigne 100,000, une charge de guidon
60,000 (63). Une première réforme avait été faite, en 1776,
par le comte de Saint-Germain, ministre de la guerre, qui
réduisit les compagnies à huit (64) : chacune des nouvelles
compagnies avait un capitaine-lieutenant, un premier
lieutenant, un second lieutenant, un sous-lieutenant, un
porte-étendard, quatre maréchaux des logis, huit brigadiers,
un fourrier, quatre-vingt-seize gendarmes et deux
trompettes; l'état-major du corps comprenait un commandant-
général (65), un commandant en second (66), un major, deux
aides-majors, un fourrier-major, un timbalier, un aumônier,
un chirurgien-major, un second chirurgien, un
maréchal-expert, un maître-armurier et un maitre-sellier
(67).
En 1788, la gendarmerie fut licenciée et les gendarmes
versés comme officiers ou sous-officiers, dans les divers
régiments de cavalerie. A cette nouvelle, le maréchal de
Castries écrivait au chevalier d'Estresse, chargé, en
l'absence de son fils, du commandement en chef : « C'est
avec une douleur extrême que je suis forcé de vous annoncer
la suppression totale de la gendarmerie. Vous pouvez assurer
à tous les individus qui la composent que j'ai fait tout ce
qui a dépendu de moi pour la conserver. Vous devez
facilement juger de la peine que j'en éprouve, mais il faut
s'occuper des moyens de terminer la réforme avec ordre,
fermeté, et le courage que tout militaire doit avoir pour
suivre les ordres du roi : je connais votre bon cœur et
votre sensibilité, il faut vous y livrer entièrement pendant
quelques heures, mais reprendre après vos fonctions de
commandant et toutes les qualités que je vous connais...
« Je connais aussi votre caractère pour être bien sûr que
vous emploierez tous les moyens qui dépendront de vous pour
adoucir le sort de ces malheureux dont mon fils et moi
sommes pénétrés. Assurez-les que je m'occuperai d'eux après
la destruction du corps comme s'il existait, et que je me
rappellerai toujours avec plaisir la satisfaction qu'ils ont
fait éprouver souvent à leur chef par la manière distinguée
dont ils ont fait leur devoir; mon fils ira incessamment les
assurer du regret que j'ai de n'avoir plus d'espérance de
servir avec eux (68) »
Le duc de Castries arriva en effet à Lunéville, le 8 mars,
pour présider au désarmement des gendarmes : le mardi, 11 du
même mois, le porte-étendard. de chaque compagnie lut
l'ordonnance de réforme : « Les mercredi et jours suivants,
écrit le lieutenant de police Piroux, on a vendu
publiquement les étoffes, chapeaux, habits, manteaux,
ustensiles, linges, etc.; chaque jour on fait le décompte
d'un certain nombre de gendarmes qu'on a ensuite obligés de
partir la nuit. Il n'est permis à aucun de demeurer à
Lunéville s'il n'y a ses parents, s'il n'y est marié ou s'il
n'est chevalier de Saint-Louis (69) ». Le lundi de Pâques,
200 hommes du régiment du Roi, en garnison à Nancy, prirent
possession des trois postes du château, du magasin de Viller
et de l'hôpital, en attendant l'arrivée, à Lunéville, des
carabiniers de Monsieur, qui devaient y remplacer les
gendarmes rouges.
Lunéville ressentit vivement la perte des gendarmes rouges:
« Cet illustre corps, s'écrient les armuriers et
fourbisseurs dans leurs doléances de mars 1789, prenait
plaisir à entretenir les ouvrages de plusieurs artisans et
ouvriers de chaque état. Sa suppression a désolé ces hommes
laborieux qui se trouvent aujourd'hui dans lin action parce
que les carabiniers ont à leur suite tous les ouvriers dont
ils peuvent avoir besoin, et notamment des fourbisseurs et
armuriers... » - A l'arrivée de la gendarmerie, représentent
les cordonniers tant en vieux qu'en neuf, « le nombre des
ouvriers de toute espèce, loin de diminuer, s'accrut à
l'infini, et chacun trouvait dans son travail, quoique
pénible, les douceurs d'une vie agréable... ; ce corps
illustre était nécessaire pour faire gagner la vie à toute
la bourgeoisie de cette ville de Lunéville ; au lieu de nous
faire travailler, les officiers de carabiniers ont fait
défense à leurs hommes de se faire chausser en ville... » -
Depuis la suppression de la gendarmerie, constatent avec
tristesse les tailleurs, fripiers, brodeurs et chasubliers,
« cette ville n'a plus aucune bonne maison, est sans
ressource et sans commerce, au point que les trois quarts
des ouvriers manquent d'ouvrage et de pain. » - Les
manouvriers et toutes les corporations d'artisans tiennent
un langage semblable (70).
Les carabiniers de Monsieur quittèrent Saumur, où ils
étaient en garnison depuis 1784, vers le milieu de mai 1788.
Divisés en cinq brigades en 1758, ils n'en formaient plus
que deux, de cinq escadrons chacune, depuis les réformes du
comte de Saint-Germain. L'ordonnance du 17 mars 1788 modifia
encore leur organisation : les brigades devinrent des
régiments. Chaque régiment était de quatre escadrons;
l'escadron comptait 150 hommes divisés en deux compagnies.
En temps de guerre, les deux régiments devaient recevoir
chacun 104 hommes pour constituer un dépôt (71).
Les carabiniers portaient, comme grande tenue, l'habit bleu
et le chapeau; la petite tenue était un habit-veste de
couleur chamois avec parements et collet écarlate, galonné
en lames d'argent pour les officiers et en fil blanc pour
les soldats. Ce dernier uniforme, quoique supprimé en 1776,
était encore en usage à l'époque de la Révolution.
A la fin d'août 1788, les carabiniers se rendirent pour
quelques semaines dans les environs de Metz, au camp de
Frascati, commandé par le maréchal de Broglie; on y remarqua
leur tenmue martiale et leurs belles manœuvres (72).
VI.
La perte de la cour et de
la gendarmerie avait plongé dans l'indigence et la misère
une bonne partie de la population de Lunéville. En mars
1789, les manouvriers supplient le roi « de jeter un regard
favorable de bonté et de miséricorde sur l'état déplorable
où ils se trouvent; ils sont, disent-ils, au nombre de 2,000
au moins ; plusieurs d'entre eux se sont vus, dans cet hiver
rigoureux, à deux doigts de la mort, et beaucoup en sont
estropiés, sans pain, sans bois et sans ouvrage... (73) ».
Le célèbre voyageur anglais, Arthur Young, qui visita
Lunéville le 17 juillet 1789, écrit: « Cette place n'a pas
d'industrie, et conséquemment est très pauvre : on m'a
assuré que la moitié de la ville, composée de 10,000 âmes,
est réduite à la plus grande pauvreté (74). » .
On se préoccupait pourtant, à cette époque comme
aujourd'hui, de venir en aide aux membres faibles et
infortunés de la société. Lunéville avait, en 1789, trois
établissements de bienfaisance : la maison de Charité, la
maison des Orphelins et l'hôpital Saint-Jacques.
La maison de Charité (75), fondée par Léopold et
généreusement dotée par Stanislas (76), était tenue par les
sœurs de Saint-Lazare, qui fournissaient aux indigents, en
cas de maladie, le bouillon, le linge et les remèdes : deux
médecins, payés par la ville, voyaient les malades à
domicile. Les revenus de la maison s'élevaient à 5,300
livres environ (77), sans compter les aumônes des riches
particuliers et le produit des quêtes.
Les vieillards, les infirmes et les enfants abandonnés
étaient entretenus dans la maison des Orphelins, Cet
hospice, fondé en 1759 par un chanoine, vicaire de
Lunéville, M. Bellaire, avait été autorisé, par les lettres
patentes du 5 septernbre1762, et placé sous la direction de
deux, puis de six sœurs de Saint-Charles; grâce aux
libéralités de Stanislas (78), il put s'agrandir, et fut
installé, en 1764, dans la rue de Viller, où il est encore
aujourd'hui ; cette même année, le roi de Pologne y réunit
la maison de Force et l'Aumône publique, créées par les
ordonnances du 30 janvier 1728 et du 22 avril 1732 (79). A
la veille de la Révolution, le coton (c'est ainsi qu'on
appelait la maison des Orphelins, et ce nom lui est resté)
était un établissement industriel d'une assez grande
importance et dont les artisans de la ville se montraient
jaloux : « Les maîtres-teinturiers - lisons-nous dans les
doléances de cette corporation - se plaignent de ce que la
maison des Orphelins a une fabrique en siamoise et en laine,
et que, sous prétexte de fabriquer pour elle, elle a pris à
titre de louage un moulin à foulon, et privé par là les
suppliants de la teinture des droguets, ainsi que du salaire
du foulon (80). »
Le travail des orphelins constituait à peu près le seul
revenu de l'hospice, qui n'avait, outre ses bâtiments et ses
jardins, qu'une ferme de 17 paires; aussi la subvention de
la ville était très élevée : 20,000 livres en 1788 (81).
Dès 1406, le duc Charles II avait établi près de Lunéville,
à Viller (82), un hôpital pour donner l'hospitalité aux
étrangers et particulièrement aux pèlerins. A la fin du
XVIIe siècle, l'hôpital était « ruiné et sans bâtiments ;
ses revenus montaient à 1,322 fr. 9 gros en argent et 3
résaux de blé sur un gagnage sis à Ménil, suivant le compte
rendu le 14 juin 1689; ce revenu était chargé par an de 30
messes, 8 hautes et 22 basses (83) ».
En 1707, Léopold se procura, au moyen d'une loterie, les
revenus nécessaires pour construire un nouveau bâtiment,
puis il obtint de l'évêque de Toul la réunion à l'hôpital de
Lunéville des biens des hôpitaux d'Einville et d'Ogéviller,
et ne négligea rien pour améliorer les ressources de cet
établissement (84).
Stanislas fit don à l'hôpital de 28,645 livres provenant de
la succession de M. de Meschek, grand-maréchal de sa cour,
et du gagnage dit de Launay, situé à Chanteheux, lequel lui
coûta 18,580 livres (85).
En 1789, l'hôpital Saint-Jacques de Lunéville était dans un
état remarquable de prospérité : le budget des recettes
s'élevait. à 54,874 livres, dont 21,807 livres représentant
le reliquat du compte précédent; les dépenses ne dépassaient
guère 19,000 livres (86).
Pendant le séjour de la gendarmerie, il y eut à Lunéville,
tin hôpital militaire, qui, logé d'abord à l'étroit, fut
établi par lettres patentes du 13 octobre 1769 dans l'hôtel
de Craon que le prince de Beauvau consentit à céder en
échange de plusieurs autres maisons (87).
Une sorte de succursale des Invalides fut installée, en
1788, dans les bâtiments de l'Orangerie ; elle reçut douze
maréchaux des logis, brigadiers et gendarmes, infirmes ou
pauvres, qui se trouvaient sans asile (88).
VII.
En 1789, il y avait à
Lunéville sept maisons religieuses, cinq d'hommes et deux de
femmes.
La plus ancienne était l'abbaye de Saint-Remy, fondée en 999
par Folmar le Vieux, comte de Lunéville, pour des
Bénédictins que remplacèrent, en 1034, des religieuses,
puis, en 1135, des Chanoines réguliers de l'ordre de
Saint-Augustin. En 1188, Pierre de Brixey, évêque de Toul,
donna à l'abbaye la cure de Saint-Jacques qu'elle conserva
jusqu'à la Révolution; c'était le chapitre des Chanoines qui
désignait le curé.
Au commencement du XVIIe siècle, le P. Fourier réforma la
congrégation sous le titre de Notre-Sauveur, et instruisit à
Lunéville, en 1623, les premiers novices de l'ordre nouveau.
Stanislas consentit, sous certaines conditions, à la
suppression du titre d'abbé, et à l'union à la mense
canoniale de tous les biens et revenus de la mense
abbatiale: le Saint-Siège confirma cette suppression et
cette union par une bulle de juin 1761 (89).
La maison comptait, en 1789, seize prêtres et un frère
profès : Sébastien Defoug, prieur; Claude-Joseph Chapitey,
curé de Saint-Jacques; Nicolas Florentin et Henry Seltzer,
vicaires; le principal et les professeurs du Collège, etc.
Les Chanoines avaient les dimes de Lunéville, Jolivet,
Chanteheux et Moncel, laissées à ferme pour 6,980 livres;
celles de Frémonville, qui leur rapportaient 1,393 livres;
celles de Mont, Rehainviller, Adoménil, Hériménil, Bénaménil
et Pessincourt ; les fermes de la Haute-Foucrey, de
Chaufontaine, etc. Le total de leurs revenus s'élevait à
23,135 l. 13 s. 4 d. - Les charges de la maison étaient
considérables; il fallait d'abord payer au roi un don
gratuit de 2,351 livres, puis entretenir les quatre régents
du Collège, une sœur de la maison de Charité, un frère des
écoles chrétiennes, donner au curé de Jolivet la portion
congrue, etc. (90). Les Chanoines trouvaient pourtant le
moyen de faire de nombreuses charités : « Pour rendre
hommage à la vérité - écrit, le 21 avril 1791, la
municipalité de Lunéville au directoire du district, - nous
ajouterons que les Bernardins de Beaupré et les Chanoines
réguliers de Lunéville faisaient annuellement des aumônes
abondantes, qui étaient d'un grand soulagement pour les
pauvres de la ville et de nos environs (91). »
Les Minimes furent appelés par Henri II, en 1620; ils
s'établirent non loin du Château (92) et bâtirent, en 1628,
leur église, qui fut embellie sous Léopold (93). La reine de
Pologne fit don au couvent d'une somme de 6,000 livres de
France pour la fondation d'une messe basse quotidienne,
Stanislas construisit dans l'église une chapelle sous
l'invocation de l'ange gardien, et affecta un capital de
1,200 livres à la célébration de douze messes par an (94).
Le corps municipal s'adressait alternativement aux Minimes
et aux Capucins pour prêcher l'Avent et le Carême et donnait
au prédicateur de 100 à 200 livres (95).
Outre le supérieur, le P. Pauly, la maison se composait, en
1789, de trois pères et d'un frère lai; ses revenus, fort
modestes, ne dépassaient pas 1,270 livres; elle avait 15
jours de prés et de chènevières à Viller, et quelques champs
à Parroy, à Bénaménil et à Vitrimont (96).
Les Capucins étaient plus pauvres encore, n'avaient ni
fondations, ni rentes, et vivaient d'aumônes; ils
s'établirent à Lunéville en 1633, grâce aux générosités de
Nicolas Priquet, chantre de la collégiale Saint-Georges de
Nancy, et d'une dame de Custine d'Haraucourt. En 1789, il y
avait neuf pères et
quatre frères lais (97).
Par lettres patentes du 24 juillet 1632, Charles IV avait
permis aux Carmes déchaussés de fonder une maison à
Lunéville; mais les guerres qui désolèrent la Lorraine au
XVIIe siècle empêchèrent les religieux de mettre à profit
les dispositions bienveillantes du prince. Au commencement
du XVIIIe siècle, ils s'adressèrent à Léopold pour obtenir
une nouvelle autorisation; Léopold la leur accorda le 3 juin
1707, exigea que le prieur et le supérieur de
l'établissement fussent nés en Lorraine, et leur permit de
faire la quête un jour par semaine dans la ville et les
faubourgs. Le sieur Christophe André, intendant des
bâtiments, ponts et chaussées de Lorraine, leur donna un
terrain à l'entrée de la ville, sur la route de Nancy, pour
y construire leur église et leur couvent (98).
La population de Lunéville avait manifesté des sentiments de
méfiance à l'égard des nouveaux arrivants ; le corps
municipal et les bourgeois adressèrent à Léopold « leurs
très humbles remontrances » et lui exposèrent que cet ordre
mendiant serait pour la ville une nouvelle charge : « S. A.
R. est humblement priée de considérer que l'établissement
d'une maison de R. P. Jésuites y serait bien plus
avantageuse pour y enseigner et instruire la jeunesse, fort
nombreuse, et y attirerait la jeunesse d'Alsace, en échange
et par ce moyen procurerait à l'une et à l'autre la facilité
de faire leurs études et apprendre les deux langues sans
qu'il en coutât rien aux chefs de famille (99)... »
Léopold ne tint aucun compte de ces remontrances. Les
Carmes, en attendant que leur couvent fût bâti, s'étaient
établis d'abord à l'ermitage Saint-Léopold, puis, en
novembre 1707, à la commanderie Saint-Georges, située sur la
place du Puits-Content. Les bâtiments de la place dite
depuis des Carmes ne furent complètement achevés qu'en 1727.
Cette même année, l'évêque de Toul, Mgr Begon, consacra la
chapelle du couvent sous le nom de Saint-Léopold; plus tard,
Stanislas y fit faire un maître-autel en stuc, œuvre de
Guibal : Élie y était représenté montant au ciel dans un
char de feu (100). Les Carmes durent encore à la générosité
du roi de Pologne un tabernacle, deux autels collatéraux,
une chaire à prêcher et 1,200 livres pour la fondation de
deux messes par semaine (101).
En 1789, les Carmes de Lunéville étaient au nombre de sept,
sans compter trois frères lais; ils possédaient dans la
ville, outre le jardin attenant au couvent, un grand jardin
au lieu dit Berg-op-zoom, et plusieurs maisons : leurs
revenus annuels montaient à 2,276 livres (102).
Un prieuré de Bénédictins, dépendant de l'abbaye de Senones,
fut fondé à Léomont en 1734; mais l'année suivante les
religieux acquirent, pour la somme de 77,419 livres, le fief
de Ménil, appartenant au prince de Craon, Une bulle du pape
Clément XII autorisa la translation du prieuré à Ménil. La
maison conventuelle fut bâtie en 1766; on y employa les
matériaux du salon de Chanteheux.
En 1789, le prieur des Bénédictins était Nicolas Gridel; il
y avait six religieux prêtres. La bibliothèque comptait
1,245 volumes, « dans lesquels, disent les officiers
municipaux chargés de l'inventaire, nous n'avons remarqué
aucun livre de marque, ni qui mérite une mention
particulière, plusieurs se trouvant même mutilés et
dépareillés (103) ».
Les Bénédictins de Lunéville avaient les deux fermes de
Ménil et de Léomont, qui leur rapportaient, la première 2,
200 livres et la seconde 1,830; ils étaient décimateurs sur
une partie du ban de Vitrimont et à Mouacourt. Le revenu
total de la communauté montait à 15,509 livres, plus 60
résaux de blé, 68 résaux d'avoine, 2 résaux de légumes, 6
milliers de paille, 1 porc gras et 6 chapons : il était
grevé, en 1789 des intérêts d'une somme de 39,425 livres due
à divers particuliers; la communauté avait en outre à payer
9, 227 livres à ses fournisseurs (104).
Les religieuses de Sainte-Elisabeth, vulgairement nommées
sœurs grises, furent appelées à Lunéville par René II, en
1481 ; leur couvent occupa d'abord l'emplacement du théâtre
actuel et d'une partie de la terrasse du château. Léopold,
pour agrandir les Bosquets, le transféra, en 1712 (105), à
l'entrée du faubourg de Viller (106), et posa la première
pierre de la nouvelle chapelle le 23 juin 1712. Cette
chapelle était sous l'invocation de saint Antoine de Padoue
: on y voyait, au moment de la Révolution, le tombeau du
comte de Hunolstein, mort en 1727, et celui d'Adélaïde de
Buchet, son épouse, morte en an 1753 (107).
Les sœurs grises visitaient les malades, les soignaient, les
assistaient, et ensevelissaient les morts; en 1691, leur
supérieure voulant les « cloîtrer et enfermer de grilles »,
elles s'adressèrent au prévôt et aux officiers municipaux
qui prirent en main leur défense : ces magistrats
certifièrent qu'elles s'étaient toujours « acquittées
dignement de leurs services de charité avec satisfaction
d'un chacun, étant d'une vie exemplaire, et que si elles
venaient à être cloîtrées, le public en souffrirait des
préjudices notables, en sorte que ladite ville s'y
opposerait formellement, d'autant qu'elles n'ont été reçues
dans ladite ville qu'à ces conditions, et ne les y
souffrirait pas autrement (108) ».
En 1708, le monastère se composait de la supérieure, de
treize religieuses, d'une sœur converse et d'un confesseur
cordelier. En 1789, il y avait quinze religieuses, y compris
la supérieure, Françoise Pauly; leurs revenus ne dépassaient
guère 4,000 livres. La communauté payait un don gratuit de
166 1. 5 s. (109).
La congrégation de Notre-Dame avait été créée par le P.
Fourier pour donner l'instruction aux jeunes filles; elle
s'installa à Lunéville, en 16'25, dans la maison du prieur
de Vergy, à la porte Joly, puis acheta, en 1671, une maison
plus spacieuse dans la Grande-Rue, près des Minimes (110).
Gabrielle de Nogent, fille de M. de Nogent, seigneur de
Chanteheux et autres lieux, prit l'habit dans ce couvent, en
1651, et abandonna tous ses biens aux religieuses, à
condition qu'elle aurait le titre de fondatrice de la maison
(111).
En 1708, il y avait, outre la supérieure, treize religieuses
et quatre novices; en 1789, le couvent compte vingt mères
(112) et cinq sœurs converses.
Les sœurs de Notre-Dame possédaient de petites fermes à
Lunéville et dans les environs, à Jolivet, à Rehainviller, à
Hénaménil, à Maixe, à La Neuveville-aux-Bois et a Deuxville.
Un capital de 29,970 livres leur était dû par les chanoines
réguliers de Lunéville, de Domêvre et d'Hérival (113). Elles
n'étaient pourtant pas riches: leurs revenus atteignaient à
peine 5,000 livres.
VIII.
Lunéville, qui appartint
d'abord au diocèse de Toul, fut rattaché à celui de Nancy,
érigé en 1777. Il n'y avait qu'une paroisse, reconnue
insuffisante depuis longtemps (114); la cure rapportait
1,000 livres en 1711, 5,600 livres en 1789 (115).
La vieille église Saint-Jacques avait été démolie en 1745,
.es remplacée, comme église paroissiale, par l'église de
l'abbaye Saint-Rémy, nouvellement construite, et qui fut
aussi placée sous le vocable de saint Jacques. Il y avait
onze chapelles ou bénéfices simples, qui donnaient ensemble
un revenu de 2,000 livres environ: la plus riche était la
chapelle de Saint-Gœury, dont dépendait une ferme située à
Fraimbois et vendue, en 1791, pour 6,375 livres (116).
Les principales confréries de la paroisse Saint-Jacques
étaient celles du Saint-Sacrement, du Purgatoire, de
Notre-Dame-des-Suffrages, de l'École, de l'Enfant-Jésus.
Dans la confrérie du Purgatoire, « on prêche tous les jours
de l'Octave, et l'on paie un écu pour chaque sermon au
prédicateur, qui est choisi conjointement par le curé et par
les officiers d'église. Il y a un réveilleur qui va par la
ville, vers minuit, exciter les fidèles à prier pour les
trépassés pendant l'octave des Morts, à qui on paye 10 fr.
pour salaire (117) ... »
Les confréries se rendaient aux processions avec leurs
bannières, et précédées de leurs préfets; souvent les
questions de préséance soulevaient des querelles que
tranchait l'autorité civile. En 1744, la congrégation de
l'Enfant-Jésus se plaint de ce que plusieurs confréries et
corps de métiers ont eu le pas sur elle à la procession de
la Fête-Dieu ; et pourtant, ajoute-t-elle, « à l'exception
de la confrérie du Saint-Sacrement, elle est préférable à
toutes confréries et corps de métiers par le seul titre
qu'elle porte ». M. de la Galaizière lui-même décide, après
avis du lieutenant-général de police, que dorénavant, dans
toutes les processions, la congrégation de l'Enfant-Jésus
aura le pas sur tous les corps de métiers et marchera
immédiatement après la confrérie du Suint-Sacrement (118).
Le 21 juin 1742, Stanislas fit faire une procession qui se
renouvelait tous les ans le lendemain de l'octave du
Saint-Sacrement - jour de la fête du Sacré-Cœur de Jésus -
en mémoire de la plantation de la croix de Mission érigée à
Lunéville sur le chemin de Jolivet, le 1er juin 1742. Une
somme de 1,000 livres fut donnée aux Chanoines réguliers
comme curés de Saint-Jacques, 1,000 livres à la fabrique
pour la fourniture du luminaire, et 1,000 livres aux
Jésuites de Nancy chargés de fournir le prédicateur qui
faisait à la messe du matin, le même jour, un sermon en
l'honneur de la Croix, et après midi, au pied de la Croix, «
une exhortation sur les Mystères (119) ».
D'après l'article 16 de la transaction passée entre les
Chanoines réguliers et les officiers de l'hôtel de ville,
lors de la translation de la paroisse Saint-Jacques dans
l'église de l'abbaye, les paroissiens devaient payer chaque
année aux Chanoines 950 livres pour « la fourniture et
l'entretien des vaisseaux sacrés, ornements, livres de
chœur, linge et son blanchissage, organiste, luminaire, etc.
». Stanislas fit don à la fabrique de 19,000 livres dont les
intérêts servirent à payer cette sornme, « à charge par la
fabrique de faire chanter tous les ans, dans la paroisse,
une messe solennelle pour la conservation de Sa Majesté et
de la Reine, le 20 octobre, jour de la naissance de Sa
Majesté, et un service à perpétuité le jour de sa mort et de
celui de la Reine, ces deux services réduits à un après le
décès de Leurs Majestés (120) ».
Les officiers municipaux intervenaient en maîtres dans
l'administration de la paroisse, nommaient le suisse, les
bedeaux, les sonneurs, les chantres; ils invitaient le curé
de la paroisse à assister à la séance où ils désignaient
chaque année le prédicateur de l'Avent et du Carême, mais
passaient outre si le curé le se présentait pas (121). Ils
prenaient le titre de « directeurs et administrateurs de la
fabrique de la paroisse », et entendaient à l'hôtel de ville
les comptes annuels du receveur.
En 1785, les officiers du bailliage voulurent s'attribuer
l'audition de ces comptes, et un conflit faillit s'élever
entre les deux corps. L'évêque de Nancy intervint, et, par
ordonnance du 22 avril 1785, donna à un bureau présidé par
le curé et composé de 4 membres que nommeraient les
officiers municipaux, le soin d'administrer les revenus et
d'ordonner les dépenses de la fabrique. La municipalité
consentit à cet arrangement, à condition toutefois qu'elle
continuerait elle-même, comme auparavant, à nommer à tous
les emplois rétribués par la fabrique: l'évêque s'étant
opposé à cette prétention, l'accord ne put se faire et la
cause fut portée devant le Parlement de Nancy: celui-ci, par
arrêt du 5 juillet 1787, maintint les officiers municipaux «
au droit et possession d'administrer la fabrique de ladite
ville, d'en auditionner les comptes, etc. (122) ».
En 1788, les recettes de la fabrique (revenus, reliquat de
l'année précédente, etc.) s'élèvent à 9,398 l. 12 s. 3 d.,
les dépenses à 2,261 l. 8 s. 9. d. (123).
IX.
Avant la Révolution, la
religion catholique était la religion de l'Etat : les autres
cultes étaient tantôt. proscrits, tantôt tolérés. On
trouvait, en Lorraine, quelques familles protestantes dans
la vallée de la Sarre et dans les villages voisins de
l'Allemagne, mais à aucune époque nous n'en avons constaté
l'existence à Lunéville.
Sous Stanislas, deux familles israélites obtenaient le droit
de résider dans cette ville (124). Il y en avait seize en
1785, et elles demandèrent à cette époque la permission
d'acquérir un terrain pour y bâtir une synagogue. Leur
requête fut fortement appuyée par le maire, M. Lanière, qui
affirma que la faveur qu'elles sollicitaient serait, dans la
circonstance, « de justice et d'une saine politique » ;
d'ailleurs, ajoutait-il, cette synagogue devant être «
voûtée et située au centre d'un jardin à une distance
suffisante non seulement des maisons voisines, mais même des
passages, les cérémonies qui s'y pratiqueront ne pourront
être ni apercues ni entendues au dehors ». Le 8 février
1785, les juifs de Lunéville recevaient une réponse
favorable, mais, dans sa lettre à l'intendant, le secrétaire
d'Etat exposait que « S. M. a ordonné que dans les lettres
qui leur seront expédiées, il ne fût pas fait mention de
l'usage auquel ce terrain est destiné... Elle n'a pas voulu
autoriser expressément par un titre émané d'Elle un
établissement qu'Elle ne fait que tolérer (125)... »
Peu de temps après, en novembre 1787, les juifs domiciliés à
Nancy et à Lunéville cherchaient à obtenir l'autorisation
d'avoir un cimetière en Lorraine, attendu qu'ils se
trouvaient dans la nécessité d'inhumer leurs morts à Metz
(126). Cette autorisation ne leur fut pas accordée avant la
Révolution, mais le 11 novembre 1791, le conseil général de
la commune de Lunéville leur permettait d'établir un
cimetière au bas des vignes, à gauche du chemin d'Einville
(127).
Victimes d'une législation inique, les juifs étaient encore,
en 1789, livrés à toutes les suspicions: « Ils font des
commerces inconnus et très nuisibles au peuple, - écrivent
les cafetiers, limonadiers et vinaigriers de Lunéville; -
qu'il soit ordonné par S. M. qu'ils soient tenus à un
commerce honnête, tenant boutique ouverte ... » Les délégués
des autres corporations tenaient à peu près le même langage,
et nous trouvons dans le cahier du tiers état le vœu suivant
: « Défendre à toute famille juive étrangère de s'introduire
dans le royaume, chercher les moyens de rendre les familles
qui y sont établies utiles à la société (128) »
Il était interdit à ces parias de traverser la cour du
château, et c'est seulement le 12 août 1791 que, faisant
droit à leur requête, le corps municipal « considérant que
les places entre les grilles du château sont des passages
publics..., arrête que M. le commandant militaire en cette
ville sera invité à faire lever sans retard la consigne qui
en restreint l'usage (129) ».
X.
De 1668 à 1750, ou voit
figurer au budget de Lunéville les gages d'un « régent et
maitre d'école », que choisissaient les officiers de l'hôtel
de ville; le cure approuvait et sanctionnait. A côté de
cette école, patronnée et entretenue par la municipalité, il
y avait des écoles libres (130).
En 1750, Stanislas fit venir trois frères des écoles
chrétiennes « pour instruire gratuitement les pauvres
enfants mâles des ville et faubourgs de Lunéville à lire, à
écrire, à chiffrer, l'orthographe, les quatre premières
règles de l'arithmétique et la religion». Une somme de
16,129 l. 7 d. fut affectée à cet établissement; Stanislas
fit en outre donner aux frères 2,000 l. pour acheter des
meubles et payer leurs frais de voyage (131).
Les frères furent logés dans la maison dite de l'école,
appartenant à, la ville, et commencèrent leurs exercices le
2 mai 1750; un nouveau don de 8,000 l. fait par Stanislas en
1756 permit d'entretenir un quatrième maître; enfin, par
contrat du 19 mai 1759, les Chanoines réguliers de
Saint-Remy s'engagèrent, en retour de la suppression du
titre abbatial, à fournir après la mort de leur abbé une
rente annuelle de 300 livres pour l'entretien d'un cinquième
frère (132). L'abbé Martin n'étant mort qu'en 1783, les
bourgeois de la ville envoyèrent en février 1781 une
pétition à l'intendant, le priant de donner à l'école le
cinquième maître dont elle avait, affirmaient-ils, un besoin
urgent : M. Lanière, consulté. par l'iutendant, répondit que
la pétition émanait des frères eux-mêmes, que s'ils «
étaient actuellement trop surchargés d'enfants, c'était bien
leur faute, parce qu'ils recevaient à leur école beaucoup
d'enfants de parents en état de payer les frais d'éducation,
et qu'ils semblaient même préférer ceux-ci aux enfants des
pauvres pour lesquels leurs écoles étaient instituées
(133)... »
A partir de 1750, la municipalité cesse toute subvention aux
maitres laïques, mais du moins elle leur permet d'enseigner
« sous la direction du sieur curé de la paroisse». En 1787,
Jean-Pierre Perrin, qui a « poursuivi le cours de ses études
jusqu'en philosophie et s'est appliqué avec l'approbation de
Mgr l'évêque de Metz, à l'instruction de la jeunesse en
plusieurs endroits avec succès », obtient l'autorisation de
fonder une école dans la rue de Viller (134).
L'instruction primaire était donnée aux filles par les sœurs
de la maison de Charité et par celles de la Congrégation :
les premières avaient, en 1789: 380 élèves; .les secondes,
250 (135).
Les Chanoines réguliers possédaient à Lunéville, dès le
commencement du XVIIe siècle (136), un collège dont les
malheurs du temps amenèrent la fermeture. L'instruction
secondaire ne fut plus alors donnée que par des « régents de
latinité » à qui le corps municipal accordait de modiques
subventions (137).
Léopold voulant doter d'un collège son lieu favori de
résidence, s'adressa aux Chanoines réguliers et obligea la
municipalité, par lettres du 20 octobre 1728, à leur payer
annuellement la somme de 1.000 livres pour « nourriture et
entretien » de trois régents (138). Quelques années après,
sous la régence d'Élisabeth-Charlotte, le lieutenant-général
de police, au nom du corps de ville, passa avec les
Chanoines un traité par lequel ceux-ci s'engageaient,
moyennant une subvention annuelle de 1,200 livres, à fournir
quatre maîtres pour enseigner « la langue latine » : les
parents des élèves n'avaient pas d'écolage à payer, mais
seulement une légère rétribution pour le balayage des
classes, l'éclairage et les « frais de correcteur (139) ».
Il suffisait, pour être reçu au collège, de savoir lire et
écrire: l'un des maitres enseignait « les premiers principes
de la langue latine » ; le second faisait la sixième et la
cinquième; un autre, la quatrième et la troisième; le
dernier enfin, la seconde et la rhétorique.
Cette organisation fut conservée jusqu'en 1758. A cette
époque, le corps municipal se plaint que, les deux classes
supérieures étant réunies, les écoliers « ne remportent de
leurs leçons qu'une teinture superficielle des principes de
la seconde et de la rhétorique »; il demande que ces classes
soient désormais confiées à deux maitres, réforme que l'on
peut opérer sans augmenter le personnel enseignant par la
suppression de la classe inférieure, dite de basse latinité:
« Quantité de pères et de mères - disent avec beaucoup de
bon sens les officiers municipaux - pour se débarrasser de
leurs enfants en bas âge, les envoient au collège dans
lequel ils continuent ensuite, quoiqu'ils n'aient pas les
moyens de les soutenir dans le reste de leurs études, abus
qui ne serait pas si fréquent s'ils étaient dans la
nécessité de rétribuer un maître jusqu'à ce qu'ils eussent
acquis la capacité requise pour entrer en sixième; ce qui
les porterait à leur faire suivre leur métier et les
rendrait meilleurs artisans que bons écoliers (140) ».
M. de la Galaizière. ayant approuvé la suppression de la
classe de basse latinité, le corps municipal autorisa le
sieur Ferrand « à donner les premiers principes de latinité
chez lui, sous la rétribution de 35 sols par mois pour
chacun écolier », en 1784, il y avait à Lunéville deux «
répétiteurs ou régents des premiers éléments de la langue
latine (141) ».
Par l'article 7 du contrat passé le 19 mai 1759, il fut
stipulé qu'à partir de la suppression du titre abbatial les
Chanoines entretiendraient à leurs frais les quatre régents
du collège; en conséquence la ville cessa, à la mort de
l'abbé Martin (1783), de payer aux Chanoines l'indemnité
annuelle de 1;200
livres (142).
En 1789, le personnel du collège de Lunéville était ainsi
composé : MM. Georges, prieur et principal; Guépratte,
préfet des classes et professeur de rhétorique; Coussin,
régent de seconde ; Hœgel, régent de troisième et de
quatrième; Abend, régent de cinquième et de sixième. Le
collège cornptait 50 élèves (143).
XI.
Aux approches de 1789,
les registres de la municipalité de Lunéville offrent peu
d'intérêt; on ne se croirait pas, en les parcourant, à la
veille de la Révolution. La Chambre se réunit rarement, à
peine une fois par mois; elle nomme chaque année des
bangards pour la conservation des biens champêtres et des
collecteurs pour lever l'impôt ; elle fixe le jour des
vendanges; elle décide d'offrir en corps le « vin de ville »
à Monsieur, depuis Louis XVIII, qui visita la ville le 10
août 1783; elle ordonne des réjouissances polir la naissance
du duc de Normandie en 1785, et pour celle de la princesse
Sophie en 1786; elle rappelle régulièrement à ses
administrés que, le 25 août, à l'occasion de la fête du roi,
ils seront tenus de fermer leurs boutiques pendant le jour
et d'illuminer le soir, à l'instar de l'hôtel de ville, les
facades de leurs maisons... Et voilà tout. Jusqu'au mois de
décembre 1788, aucune délibération importante ne nous révèle
cette vie municipale, active et indépendante, que l'on a pu
constater dans d'autres lieux. Il fallut les débats soulevés
par la réorganisation des administrations provinciales,
l'exil et le retour triomphal du Parlement de Nancy, enfin
la convocation des Etats généraux, pour réveiller l'esprit
public et produire à Lunéville quelque chose de l'agitation
qui remuait alors la France entière,
L'édit du 8 juillet 1787 avait établi en Lorraine une
assemblée provinciale pour partager avec l'intendant la
surveillance des affaires des communautés, diriger le
service des ponts et chaussées, et proposer au roi les
réformes qu'elle croirait utiles au bien public (144).
L'assemblée provinciale partagea la Lorraine en douze
districts, qui correspondaient à peu près aux
arrondissements d'aujourd'hui : Nancy, Bar, Boulay, Épinal,
Briey, Lunéville, Mirecourt, Neufchâteau, Sarreguemines,
Saint-Dié, Saint-Mihiel et Pont-à-Mousson. Chaque district
devait avoir son assemblée spéciale: au-dessous de ces
assemblées de district siégeraient dans les villages des
assemblées municipales.
L'assem blée du district de Lunéville se réunit dans une
salle de l'abbaye Saint-Remy, le 1er avril 1788, à huit
heures du matin, sous la présidence de M. l'abbé de
Lupecourt, grand-doyen de l'église cathédrale primatiale de
Nancy, vicaire général du diocèse. Les autres membres nommés
par le roi étaient : pour le clergé, MM. Ficher, chanoine
régulier, curé de Manonviller; Combette, prieur de l'abbaye
de Haute-Seille; - pour la noblesse, le comte de Fiquelmont,
seigneur de Parroy et autres lieux; - pour le tiers état,
MM. La Roche, lieutenant particulier au bailliage de
Lunéville; Regneault, avocat et procureur au bailliage de
Blârnont ; de Montzey, prévôt-gruyer, chef de police et
subdélégué à Rambervillers (145).
L'assemblée se compléta en choisissant cinq membres, deux de
la noblesse et trois du tiers : pour la noblesse, le comte
de Croismare et M. de Châteaufort; pour le tiers état, MM.
Regneault, avocat du roi au bailliage de Lunéville ;
Parmentier, avocat à Lunéville; Drouot, conseiller au
bailliage de Châtel. Afin de donner aux nouveaux élus le
temps de se rendre à Lunéville, la prochaine assemblée fut
fixée au surlendemain.
Le jeudi 8 avril, après la messe du Saint-Esprit dite par M.
Ficher dans l'église Saint-Jacques, les membres de
l'assemblée, « placés selon leur rang », se rendirent à leur
salle. Ils nommèrent procureurs-syndics M. de Châteaufort
pour les premiers ordres, M. La Roche pour le tiers, et
s'adjoignirent à leur place le comte de Monthureux, seigneur
d'Arracourt, et M. Lejeune, avocat au parlement, demeurant à
Lunéville; enfin ils choisirent le bureau intermédiaire qui
devait fonctionner dans l'intervalle des sessions et se
composer du président, de deux syndics et de quatre membres
élus; ces derniers furent M. Ficher pour le clergé, le comte
de Fiquelmont pour la noblesse, M. Regneault (de Lunéville)
et Parmentier pour le tiers état. Le lendemain, l'assemblée
s'ajourna au 15 octobre, laissant au bureau le soin de
veiller à l'entretien des routes, d'assurer la
correspondance par piétons avec les communautés, de viser
les procès- verbaux des élections des assemblées
municipales, etc.
Pendant que le bureau intermédiaire du district de Lunéville
poussait avec zèle ses travaux et préparait ses rapports, le
Parlement de Nancy entra tout à coup en scène et donna en
Lorraine le signal de la lutte contre le gouvernement de
Louis XVI.
Loménie de Brienne voulait opérer une réforme complète dans
la magistrature. Les ordonnances de- mai 1788 érigèrent tous
les bailliages en sièges présidiaux, placèrent au-dessus des
présidiaux les grands bailliages, au nombre de deux pour la
province, - l'un à Nancy et l'autre à Mirecourt, -
enlevèrent au Parlement le droit d'enregistrer et de
promulguer les édits, conférant ce droit à une cour plénière
qui siégerait à Paris, enfin supprimèrent une des quatre
chambres du Parlement de Nancy.
Celui-ci fit entendre contre ce coup d'autorité d'énergiques
protestations, que le premier président, M. Cœurderoy,
renouvela le 8 mai en présence du gouverneur de Nancy, M. de
Choiseul-Stainville, et de l'intendant de la province, M. de
la Porte. La plupart des bailliages de la province
protestèrent à leur tour et cessèrent leurs fonctions; la
justice fut presque partout suspendue.
Le Parlement de Nancy avait été exilé, mais cet exil ne fut
pas long. La déclaration royale du 23 septembre annonça la
convocation prochaine des Etats généraux et autorisa les
magistrats à reprendre leurs fonctions. Le 20 octobre, le
Parlement faisait sa rentrée solennelle au milieu de
l'allégresse publique ; tous les bailliages de la province,
à l'exception de Lunéville, Pont-à-Mousson, Charmes et
Mirecourt, assistèrent à cette « fête patriotique ».
Jusqu'à ce moment le tiers état lorrain avait gardé une
attitude froide et réservée. Mais, encouragé par l'exemple
du Parlement de Nancy, il élève la voix à son tour et
revendique ses droits: à la place de l'assemblée
provinciale, simplement consultative et partout impuissante,
il réclame des États provinciaux élus; il demande dans ces
Etats et dans les prochains Etats généraux un nombre de
députés égal à ceux de la noblesse et du clergé réunis
(146).
D'ailleurs le clergé et la noblesse se montraient favorables
aux revendications du tiers. Dans la séance du 22 octobre,
l'assemblée du district de Lunéville (147) déclarait que la
Lorraine formant à peu près la trentième partie du royaume
devait être admise à nominer la trentième partie des députés
qui composeraient les Etats généraux, c'est-à-dire vingt
députés si l'assemblée en comptait six cents : « Pour
distribuer ce nombre entre les trois ordres, ajoutait-elle,
il paraît qu'il n'y a pas de meilleur alignement à prendre
que celui qui vient d'être établi pour la formation des
États provinciaux du Dauphiné; une justice exacte a présidé
à cette formation. Ainsi, dans les 20 députés, 10 seraient
fournis par le tiers (148) »
Cependant la cour n'osait pas trancher elle-même ces
questions brûlantes qui occupaient. le premier rang dans les
préoccupations de l'époque. Elle convoqua, le 6 novembre
1788, une assemblée de notables qui se prononça contre le
doublement du tiers.
Aussitôt la municipalité de Nancy désavoue son chef, M. de
Mannessy, qui avait été appelé à cette assemblée, convoque
les principaux bourgeois à l'hôtel de ville, le 27 novembre,
et fait ses remontrances au roi.
Le 7 décembre, les « notables du tiers état » de la ville de
Lunéville envoient à leur tour l'adresse suivante - qu'ils
intitulent « vœu patriotique » - aux ministres, au
gouverneur de la province, à leur bailli et au tiers état de
Nancy :
« Les notables de la ville de Lunéville, assemblés pour
délibérer sur le vœu à former à raison de la composition des
États généraux ;
« Considérant :
« Que depuis un siècle le royaume penche évidemment vers la
ruine;
« Que des maux qui le minent, la situation déplorable des
finances est le plus apparent ;
« Que la dette contractée par le gouvernement excède toute
mesure ;
« Qu'il est indispensable et très urgent de la limiter dans
de justes bornes; et qu'ensuite pour la tranquillité des
créanciers régnicoles, et pour rétablir le crédit de la
France chez l'étranger, il convient de la faire déclarer
dette nationale et de la garantir valablement ;
« Qu'il n'est pas moins pressant de constater la véritable
masse des revenus de l'Etat et celle de toutes ses charges;
« Qu'il convient de répartir l'impôt direct sur tous les
ordres, sans distinction, sans réserve, et en proportion des
forces et facultés de chacun ;
« Que le niveau bien établi entre la recette et la dépense,
la recette doit être portée à quelques millions en sus pour
faire le fond d'une caisse d'amortissement graduel, qui
tende a soulager peu à peu pendant la paix, et qui prépare
une ressource pour la guerre et les calamités;
« Qu'on ne peut douter que ce plan ne soit entré dans les
vues paternelles du roi lorsqu'il a annoncé la prochaine
convocation des États généraux;
« Que pour les composer d'une manière propre à établir la
confiance de la nation, il a jugé à propos de consulter les
notables de son royaume;
« Que contrairement au vœu des princes frères de S. M., aux
pressantes réflexions des grands que la patrie avoue pour
ses véritables soutiens et aux réclamations du très petit
nombre de représentants du tiers état, il semble que la
pluralité des suffrages des notables assemblés sera pour
composer les États, comme ils l'ont été en 1614;
« Que cette composition tenait encore au gouvernement
féodal, qui regardait chaque seigneur comme le représentant
de tous ses vassaux;
« Qu'il était raisonnable alors de se choisir une forme
d'assemblée qui tenait à la constitution existante, mais que
cette constitution ne subsistant plus, c'est une autre forme
qu'il faut adopter;
« Que les fonctions importantes du clergé, et les grands
emplois justement confiés à la noblesse, l'étendue de leurs
propriétés, leur assurent les premiers rangs et une grande
influence dans les Etats généraux : mais que l'ordre du
tiers, libre, éclairé, propriétaire aussi, est le seul ordre
qui, - sans jouir du brillant des fonctions des premiers
ordres, non plus que des récompenses qui y sont attachées,
et qui cependant en partage les peines, - porte avec lui et
conserve avec soin les deux mamelles de l'État,
l'agriculture et le commerce;
« Que le nombre, la force, les richesses, l'utilité et la
contribution du tiers semblaient lui assurer au moins la
balance dans toute assemblée nationale;
« Que ce préjugé fondé sur la nature, la justice et la
raison, avait. été sanctionné par l'édit de création des
assemblées provinciales;
« Que cette loi émanée de la bienfaisance du roi avait été
applaudie des mêmes notables (149) quand il s'agissait d'une
administration partielle : mais qu'ils semblent en réprouver
le principe dès qu'il est question de l'appliquer à
l'administration de l'intérêt général;
« Que ce changement d'opinion jette le tiers état dans de
justes alarmes ;
« Que l'on peut craindre que les deux premiers ordres
n'éludent son influence que pour éterniser son avilissement
et ajouter encore aux surcharges qui l'accablent;
« Que ce projet destructeur et nuisible même aux premiers
ordres qui tirent leur subsistance du tiers état, et dont la
prospérité est étroitement liée à celle du tiers état,
expose la patrie aux plus grands dangers;
« Que les peuples réveillés par des préliminaires non
équivoques ne manqueraient pas de murmurer ;
« Que la fermentation établie conduirait infailliblement à
l'anarchie;
« Qu'il n'y a pas de maux qui ne pourraient en être la suite
;
« Que dans de pareilles conjonctures il est du devoir des
villes principales de faire parvenir au pied du trône leurs
alarmes, leurs désirs, leurs espérances;
« Le tout mûrement examiné, lesdits notables ont unanimement
arrêté que S.M. serait très humblement suppliée de convoquer
le plus tôt possible les États généraux, d'en régler la
composition de manière que le clergé et la noblesse
fournissent la moitié des députés, et le tiers état l'autre
moitié, d'ordonner que les matières qui devront y être
traitées et délibérées se décideront à la pluralité des
voix, recueillies par tête, et qu'en cas de partage S. M.
réglera la décision dans sa sagesse. L'ordre du tiers état,
dont le cri est le vœu public, et qui comprend toute la
partie souffrante de la nation ne peut manquer d'être d'une
grande considération dans les vues de S. M. (150) »
Les notables de Nancy avaient en outre nominé un comité de
douze membres pour préparer un projet d'élection, et décidé
l'envoi à Paris de deux avocats, MM. Mollevaux et Prugnon,
pour défendre les intérêts de la Lorraine. Les représentants
du tiers état de Lunéville, dans leur réunion du 23
décembre, applaudirent à ce choix, et invitèrent les deux
délégués « à présenter et faire pour la commune de Lunéville
les mêmes réclamations que pour le tiers état de Nancy ».
Sur ces entrefaites, on apprit que le clergé et la noblesse
avaient pris l'initiative de réunir à Nancy, le 20 janvier
1789, une assemblée des trois ordres de la province. Les
invitations furent lancées avant même que l'on eût obtenu la
permission du roi. Aux ecclésiastiques, aux nobles, venus en
grand nombre, se joignirent les bourgeois de Nancy et les
députés de Pont-à-Mousson, Bruyères, Blâmont, Raon, Briey,
Boulay, Remiremont, Sarreguemines, Thiaucourt,
Rambervillers, Bouquenom et Lunéville. M. de Custines d'Aufflance,
nommé président par acclamation, rappela l'objet de la
réunion, qui était de « hâter le moment heureux où il serait
permis de se former en États»; le moyen le plus efficace
d'obtenir ces Etats tant désirés était, disait-il, «
l'évidence de la concorde et de l'union des différents
ordres de la province ».
Cette concorde, cette union existait. Le 21 janvier,
l'assemblée, où dominaient pourtant les membres des ordres
privilégiés, arrêta qu'aux Etats provinciaux le tiers aurait
des députés en nombre égal à celui des deux premiers ordres
réunis, et qu'on y opinerait par tête, non par ordre. « MM.
du clergé ont déclaré de plus que, tant au nom de MM. les
ecclésiastiques qui composent l'assemblée, qu'au nom de ceux
du reste de la province dont ils sont sûrs d'exprimer le
vœu, ils consentent de supporter à l'avenir toutes les
impositions pécuniaires quelconques, en proportion de leurs
forces et facultés..... »
Quoique manquant de pouvoirs réguliers, l'assemblée de Nancy
chargea une commission de préparer un projet d'organisation
des États provinciaux, et ne se sépara que le 25 janvier.
Deux membres de cette commission nous sont bien connus:
Grégoire, curé d'Emberménil, et Regneault, avocat du roi au
bailliage de Lunéville, les. futurs constituants (151).
XII.
Les Etats provinciaux ne
devaient pas être convoqués, mais le moment des élections
aux États généraux approchait.
Le Résultat du conseil dit roi tenu le 27 décembre 1788
avait décidé le doublement du tiers état et répandu partout
la confiance et la joie. Le règlement général pour les
élections fut promulgué le 24 janvier 1789; un règlement
particulier à la Lorraine parut le 7 février.
A Lunéville, les diverses corporations. se réunirent du 11
au 16 mars pour rédiger leurs doléances et élire les
délégués qui devaient former l'assemblée du tiers état de la
ville. Cette assemblée fut ainsi cornposée (152) :
Délégués.
Bouchers et charcutiers 1
Selliers, bourreliers et charrons 1
Teinturiers « du grand et du petit teint » 1
Tanneurs, corroyeurs, chamoiseurs et gantiers 3
Manouvriers 1
Jardiniers 1
Vitriers 1
Tisserands 4
Cordonniers « en neuf et en vieux » 2
Chaudronniers et fondeurs 1
Bonnetiers et fileurs de laine 1
Tailleurs d'habits, brodeurs, chasubliers 1
Tapissiers, miroitiers et vendeurs de meubles 1
Marchands de toiles 1
Marchands épiciers, confiseurs et chandeliers 3
Marchands merciers et quincailliers 2
Chapeliers 1
Perruquiers, barbiers, baigneurs, étuvistes 1
Cafetiers, limonadiers, vinaigriers et débitants 1
Serruriers, maréchaux-ferrants, ferblantiers 1
Armuriers, fourbisseurs et couteliers 1
Menuisiers, ébénistes, tourneurs, tonneliers 1
Charpentiers 1
Entrepreneurs, maçons, couvreurs, tailleurs de pierre 1
Boulangers 1
Cuisiniers, traiteurs, rôtisseurs, pâtissiers, aubergistes
et cabaretiers 1
Orfèvres, joailliers et horlogers 1
Imprimeurs, libraires et relieurs 1
Apothicaires 2
Procureurs du bailliage royal 2
Maîtres en l'art et science de chirurgie 2
Huissiers audienciers et ordinaires du bailliage 2
Architectes 2
Notaires royaux 2
Avocats en parlement 2
Officiers du bailliage 2
Maîtrise des eaux et forêts 2
Notables, bourgeois et habitants n'appartenant à aucune
corporation 6
Ces 61 délégués se réunirent à l'hôtel de ville le 17 mars à
deux heures de l'après-midi, sous la présidence des
officiers municipaux. Le maire de Lunéville ouvrit la séance
par un discours enthousiaste: « Les voici enfin, les beaux
jours de l'empire français, où ennoblis du titre de citoyens
vous êtes convoqués pour en tenir les comices! ... Que les
réclamations et les vœux que vous avez à former, les
instructions et les pouvoirs que vous avez à donner
n'annoncent qu'un patriotisme éclairé... Il ne faut pas vous
figurer, Messieurs, que les députés que vos électeurs
choisiront pour l'Assemblée nationale ne soient que des
députés de notre ville, de celles des environs ou même de la
province ; ils seront des représentants de la France
entière... Elevons, s'il se peut, nos pensées au niveau des
sublimes vertus du roi et de celles de son ministre, au
niveau de l'amour paternel qu'il manifeste pour son peuple ;
déracinons de nos âmes tout intérêt personnel ;
détachons-les de tout parti; abjurons tout esprit de corps
pour n'être que citoyens français... »
Les délégués désignèrent alors douze commissaires pour
rédiger leur « cahier de doléances, plaintes et remontrances
» :
MM. Regneault, avocat du roi au bailliage ; Harlaut,
architecte ; Benoist, receveur des finances; Parmentier,
avocat; André, entrepreneur de charpente; Laroche,
lieutenant particulier au bailliage; Lanière, maire; Mengin,
avocat ; Lejeune, avocat, ancien conseiller intime du prince
de Salm-Salm; Liébaut, ancien officier inspecteur de l'Ecole
royale militaire ; Laplante, doyen des conseillers du
bailliage; Saucerotte, maître en chirurgie (153).
On s'ajourna ensuite au 21 mars, Dans cette seconde séance,
les délégués du tiers état approuvèrent unanimement le
cahier qui leur fut soumis, et nommèrent les seize électeurs
qui devaient quelques jours après représenter la ville a
l'assemblée générale du bailliage.
Le cahier du tiers état de Lunéville (154) émet le vœu qu'à
la prochaine Assemblée nationale les voix soient recueillies
par tête et non par ordre; il demande le retour périodique
des Etats généraux, l'établissement d'Etats provinciaux et
de municipalités librement élues, la fin du régime du bon
plaisir, la suppression de tous les privilèges sauf de ceux
« purement honorifiques et tendant à maintenir la
distinction des dignités, des rangs, des titres, des grades
et des places auxquelles il doit être porté honneur et
respect dans une monarchie » ; il ne reconnait qu'à
l'assemblée générale de la nation le droit d'établir des
impôts et l'engage il n'en consentir aucun avant la
promulgation « des lois fondamentales et constitutives de la
liberté et de la sûreté individuelle ».
Le tiers état de Lunéville, s'il montre son aversion pour le
pouvoir arbitraire, n'en reste pas moins attaché à son roi;
il veut que la constitution nouvelle maintienne « l'ordre
établi de la succession au trône », règle les cas de
régence, fixe la majorité des rois, et proclame que « la
nation est libre sous la protection de la loi et du roi ».
Il est tellement enclin à ménager le vieil ordre de choses
qu'il ne demande même pas la suppression pure et simple des
lettres de cachet, considérées partout comme une des
violations les plus odieuses de la liberté individuelle; il
veut seulement que ces lettres soient soumises « à des
formes capables d'en prévenir les abus ». Il est tout
disposé à se contenter de réformes partielles, incomplètes :
la « faculté » de racheter les droits féodaux lui suffit; il
voudrait un code civil « aussi uniforme que possible pour
tout le royaume ».
Toutefois les douze qui avaient accepté le mandat de parler
au nom de leurs concitoyens ne déracinèrent point
complètement de leurs âmes, ainsi que le leur conseillait
l'un d'eux, tout intérêt personnel : ils cherchent à
conserver pour leur ville le privilège de ne point payer de
subvention; ils voudraient que les États de la Lorraine
fussent tenus à Lunéville; ils attirent sur leur ville les «
regards du gouvernement », et demandent des établissements «
capables de la faire subsister » et de la relever de l'état
malheureux où l'a mise « la perte de ses souverains ».
Mais c'est là la seule allusion au passé. Moins d'un quart
de siècle après la mort de Stanislas, le tiers état de
Lunéville affirme sa foi dans l'avenir, son attachement
absolu à la grande patrie. Protestant par avance contre les
abus de la force, il proclame la France une et indivisible:
« Il ne pourra être distrait, cédé, échangé ni donné aucune
province, ni portion d'icelle, sans le consentement exprès
de la nation assemblée (155) »
H. BAUMONT.
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