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L'archiprêtré de
Sarrebourg au XVIIe siècle - Igney
Revue
ecclésiastique de Metz; études de théologie, ... Annee 25
(1914) Annee 26 (1919).
L'archiprêtré de Sarrebourg au XVIIe siècle
d'après quelques documents de l'époque
IGNEY
Die septima octobris 1603.
Ecclesia parochialis de lgney est sub invocatione Sti Martini.
Collator R. D. Abbas Sti Salvatoris, rector Mansuetus Michiel alias
Gaillard. Altare maius non habet sigillum. utuntur portatili,
comparent novum corporale, paretur novus calix, mundetur calix in
posterium diligenter. Non habent missale novum netque
ludimoderatorem.Habent unicam casulam et albam. Aliud altare non
habet sigillum, non habent antiphonale neque graduale. Restauretur
et depingatur de novo tabula altaris. Non patiatur in posterum
altare obduci pulvere. Restauretur ciborium quod est ex stanno,
comparetur novum ciborium infra mensem. Comparent novum vas sacrarum
unctionum. Mundet. diligenter singulis mensibus fenestra in qua
asservatur S.Sacramentum. Fontes lapidei, fiat operculum lebeti, non
sinatur in posterum repleri sordibus. Fiant portae in cœmeterio,
restaurenturque muri ejusdem.
La collation de la cure d'Igney appartenait donc à l'abbé de
Saint-Sauveur. L'abbaye de Saint-Sauveur en Vosges fut fondée l'an
1010 par Berthold, évêque de Toul, de l'autre côté de Cirey, vers la
montagne et occupée jusqu'en 1188 par des Bénédictins. Ceux ci ayant
suivi plus ou moins le relâchement des mœurs qui caractérise la vie
monacale au XIIe siècle, se virent expulsés par l'ordre de l'évêque
de Toul et remplacés par des chanoines réguliers, qui y demeurèrent
jusqu'à la ruine totale du monastère en 1569. La communauté fut
alors transférée à Domèvre et prit désormais le nom de l'abbaye de
Saint-Sauveur de Domèvre. L'abbé, en tant que collateur de la cure
d'Igney, avait la moitié de la dîme, et le curé l'autre. A les en
croire tous deux, elles ne rapportaient pas grand'chose. Serait-ce
là l'explication du triste état dans lequel on laissa l'église et la
paroisse pendant tout le XVIIe siècle ? Il y a si longtemps que les
revenus sont fractionnés et servent à toute autre chose qu'à la mise
en état de la maison de Dieu. Déjà en l'an 1130, Viric de Valcourt
avait donné « le quart de l'église d'Igney » à l'abbaye de Chamousey.
Au soir de la visite de 1603, l'archidiacre aurait pu écrire au
collateur, au sujet d'Igney, ce que deux mois plus tard lui écrira
l'abbé de Haute-Seille au sujet de Cirey : « Mes religieux m'ont
récité que c'estoit grand pityé de veoir l'estat de l'église de
Cirey...... Lautel plein de pouldre et d'araintolle démontre la
misère, l'ignorance, indévotion et peu ou poinct de zèle de
l'honneur de Dieu de vos curez » ( Nancy, A.D., II. 1384). Il est un
fait, l'abbé de Saint Sauveur n'était guère regardant dans le choix
de ses curés. Mansuetus Michiel dit Gaillard, convaincu de
concubinage, dans sa paroisse précédente, avait éludé les pénalités
de l'officialité de Toul, per permutationem sui beneficii quod
obtinebat in dicta diocesi Tullen., cum beneficio de lgney, qui
était du diocèse de Metz. La concubine l'y suivit. Pour ne pas la
chasser, il avait changé de diocèse. Cela se pratiquait.
Mais à la vérité, l'abbé de Saint-Sauveur aurait pu répondre à celui
de Haute-Seille : « Medice cura leipsun », pour les paroisses à sa
collation, et certes les visiteurs n'y auraient point contredit.
Nous aurons plus loin mainte occasion de le constater. Pauvres
églises !
On ne peut vraiment se défendre d'une impression de surprise
douloureuse. en voyant les vicissitudes d'une église confiée tour à
tour à des titulaires si différents de zèle et de désintéressement.
L'état de l'église, à la visite, fait date, et cependant nous ne
sommes pas encore à la guerre de Trente Ans. Ce qui est défectueux
en 1603 l'est encore davantage cinquante ans plus tard.
En 1627, le 15 juin, Claule Stricq, prêtre du diocèse de Metz, natif
de Housse, curé d'Igney, fait une fondation avec garantie
hypothécaire de 1600 francs barrois, pour une chapelle collatérale
au choeur, qu'il « a bastie à ses frais, en l'honneur de Monsieur
Sainct Claude, duquel il porte le nom et a choisi pour patron la
Vierge Marie, Mère de Dieu et advocatrice des pauvres pécheurs
envers son bienaymé fils, et Madame Sainte-Anne. » Il a donc acquis,
sur cette chapelle, tous les droits d'un patron. Ces droits passent,
par succession, à sa famille, laquelle sans se préoccuper du
titulaire de la cure, présente successivement un bénéficier « pour
l'acquit, et avec le profit de cette fondation » ; tour à tour, Jean
Stricq, frère du fondateur, puis Didier Malriat, curé de Reillon,
viennent acquitter les charges de la fondation, d'une messe
solennelle avec vêpres le jour de Saint Claude et d'une messe basse
chaque semaine. Le curé d'Igney a ainsi une paroisse dans sa
paroisse. S'il sent les inconvénients de la chose, il ne doit pas
trop s'en étonner, le fait n'est pas isolé. Au reste, l'Évêché a
ratifié la fondation en 1629. Mais la guerre de Trente Ans survint,
la paroisse demeura longtemps sans pasteur, et « les propriétaires,
tant d'lgney que de Housse, s'emparèrent des biens, en
s'affranchissant de l'hypothèque, devenue caduque par prescription
et défaut de transcription.
En 1714, le visiteur suggère à Monseigneur la pensée « d'un
monitoire, lequel pourrait faire parvenir à la connaissance et à la
restitution de ces biens inconnus ou aliénés. » Ce monitoire eût été
inefficace. Les gens d'Igney durent, sans doute, faire en 1686, ce
que firent les gens du voisinage. « Attendu la confusion où se
trouve le finage par le malheur des grandes guerres ; attendu que
les anciens sont décédés et qu'il est impossible de pouvoir assigner
à chacun ce que ses auteurs ont possédé, les habitants consentent
unanimement à ce que le lot qui devra être livré à chacun, soit tiré
au sort. »
En 1643, M. Anthoine, le curé de Foulcrey, eut pitié de cette
paroisse à l'abandon, voisine de la sienne, et de sa propre
initiative il se présenta à l'abbé de Saint-Sauveur pour être par
lui autorisé a aller à lgney « dire et célébrer la sainte messe et
faire les fonctions de curé de quinze jours à autres ou plus souvent
s'il estait possible outre les jours solennels de l'année ». A en
croire l'abbé, « l'institué en la dite cure, estant décédé quelques
années en ça, il n'aurait sceu trouver jusqu'à présent personne
capable pour y faire le service, tant à cause du petit nombre des
habitants que de leur pauvreté, n'ayant les moyens d'entretenir un
prestre ».
Au fond et en réalité, ce qui préoccupait et intéressait avant tout
l'abbé, « c'était le maintien de son droit intégral de collation et
la perception de sa part de dimes ».
M. Anthoine n'a à sa disposition qu'une église « toute desrompue et
descouverte : la ruine est inévitable, s'il n'est préveu de remède
convenable. ll faudrait huit ou neuf milliers d'esselins, de la
chaux et sable suffisant et autres matériaux et pour façon cent
francs. »
Après tout, il n'est pas titulaire de la cure d'lgney, et ce qu'il
en fait est un acte de charité. C'est alors, que l'abbé se dit «
touché de sa bonne volonté, et à sa requeste pour quatre ans - la
courante étant la seconde - il fait abandon de ses droits de
décimateurs, à condition que M. Anthoine répare l'église et la rende
à dire d'expert en bon et suffisant état, à bout d'icelles quatre
années. » Le travail fut exécuté informa pauperun, et M. Anthoine
continua probablement à se dévouer à sa cure d'adoption jusqu'à sa
mort. A défaut de documents, notre hypothèse se base sur une
coïncidence de dates. M. Anthoine à Foulcrey, le 16 janvier 1666, et
le 9 avril de la même année, Claude Nicolas Moulon est mis « in
possessionem actualem et realem parochialis Ecclesiae loci lgney,
per tactum clavium ostii aperitionem pulsum campanarum osculum
maioris altaris, caeterasque coeremonias in ejusmodi possessione
capienda servari solitas ». Pourquoi l'énumération des cérémonies
qui commencent à la porte d'entrée, ne mentionne-t-elle pas la prise
de possession de la chaire et du confessionnal ? « Il n'y en avait
pas », c'est certain. Pourquoi n'est-il pas fait mention de
l'Adoration du Très Saint-Sacrement, dans l'oculus, « in fenestra.
in qua asservatur Sanctissimum Sacramentum », comme en 1632 ? On n'y
avait pas la sainte Réserve ; nous le supposons d'après maint cas
analogue, que nous rencontrons à partir de la guerre de Trente Ans.
Les autres cérémonies accoutumées, et méticuleusement observées,
sont celles de la motte de terre retournée dans le jardin de la
cure, du feu allumé sur l'âtre de la cheminée et la promenade à
travers les chambres, dépendances et commodités, « de tout quoy, un
tabellion dressa acte avec tesmoing ».
L'historien de l'abbaye de Saint-Sauveur de Domèvre, l'abbé Hatton,
du diocèse de Nancy, dans une courte note sur Igney, dit que les
chanoines réguliers n'y entrèrent qu'en 1690. Cependant, déjà en
1645, l'abbé, dans le traité passé avec Messire Antoine, de Foulcrey,
dit qu'il a le droit « establir un de ses religieux ou un austre
prêtre séculier », et de fait en 1686, nous y trouvons le P. de
Cliquot, th. reg. Quelle était donc au juste la portée de cette
règle de collation « Regularia regularibus, saecularia saecularibus
». Car à l'époque, nombreux sont les procès de l'abbé de Domèvre
avec les Ordinaires de Toul et de Metz. Ces causes sont portées en
appel devant le Parlement, lequel, tout tribunal laïque qu'il est,
se place au-dessus du Métropolitain, voire même au dessus du Pape.
Il n'entre pas dans le cadre de ce travail de discuter ce point, et
successivement en droit et en fait, et nous renvoyons aux auteurs
compétents. Toutefois, puisque nous cherchons une explication à
certaines misères de l'époque, nous retiendrons ceci : en cas de
conflit, la jurisprudence des tribunaux admettait comme acquis à une
cure, le caractère de bénéfice séculier, quand trois titulaires
successifs avaient été du clergé séculier. Pour obvier à l'effet de
cette prescription acquisitive séculière, l'abbé, n'ayant pas sous
la main de réguliers, en faisait. Et voici comment on faisait
prendre l'habit et même émettre des voeux à un prêtre séculier, et
par ministère d'huissier on lui donnait avis qu'il avait à tenir ses
engagements, et ce sous peine de destitution. (Nancy, A. D., H.
1561.) Ces séculiers, dont la régularité n'avait d'autre gage de
fidélité qu'un exploit d'huissier, se soucièrent fort peu d'observer
la règle des religieux curés. Ce n'est pas que leur règle ne fût des
plus sages, mais elle resta trop souvent lettre morte, et puis, il y
a dans cette règle des préoccupations qui paraissent être d'un ordre
plutôt temporel que spirituel. l)ans une règle manuscrite de
l'époque, on se préoccupe beaucoup de mettre chaque soir, à partir
le neuf heures, en lieu sûr la clef de la cave, comme si ce fût le
seul lieu qui eût besoin d'avoir sa porte close. Au visiteur des
ruines de Haute-Seille, on fait remarquer certaine porte, que le
langage populaire a titré d'un nom soi-disant historique en réalité
fort mal sonnant comme caractéristique des moeurs des religieux, en
rupture de clôture. Là comme ici comme partout, la clef de la cave
n'était pas la plus importante.
De même, les curés devaient « faire indispensablement le catéchisme
tous les dimanches sauf Pâques, Quasimodo, quand il sera le jour de
la Première Communion les enfants, le dimanche de la Pentecôte, le
dimanche dans l'Octave du Très Saint Sacrement, ceux des Fêtes du
Patron et de la Dédicace, Toussaint, Noël, Nouvel-An et ſètes
arrivant le dimanche. Or, à la visite le 1686, les paroissiens d'lgney
déclarent que M. de Cliquot « ne vient que les fêtes et les
dimanches, n'y célèbre qu'une messe basse, ne fait aucune
instruction, prosnes, n'y catéchismes ». Et pourtant, la règle,
ci-dessus mentionnée, disait qu'il y avait « suspense ipso facto, à
la sixième fois qu'ils manqueront dans une même année. » Le
visiteur, M. Robert Lamy, doyen de la Collégiale de Saint-Etienne de
Vic, député par M. Alexandre Crespin, archidiacre de Sarrebourg,
écrit dans son procès-verbal : « L'ayant trouvé absent, dans le
cours de notre visite, luy avons enjoint de nous venir trouver jeudy
prochain a Vic pour y entendre les obligations de ses fonctions
pastorales; comme par la présente visite luy ordonnons de se
procurer le moyen de sa résidence en sa cure d'Igney.... de venir du
moins deux fois chaque semaine célébrer la sainte messe et
reconnaître s'il n'y a aucun besoin qui l'y appelle... et afin que
le dit Curé n'en prétende cause d'ignorance nous luy avons laissé
copie de notre visite luy enjoignant dy satisfaire.» En réalité, le
visiteur n'avait aucune prise sur ces curés réguliers, fussent-ils
de Saint-Sauveur, de Haute-Seille ou de Marmoutier. A vrai dire, ce
ne sont pas eux qui témoignent d'un grand esprit sacerdotal - ce
disant, nous avons sous les yeux toute l'époque.
Pour ce qui est de sa non-résidence, M. de Cliquot aura facile de se
justifier. En effet, un mois plus tard, la commission envoyée par
Mgr d'Embrun dans tout l'archevêché « à l'effet de constater l'état
des maisons de cure », déclarait pour Igney « la, maison
presbyteralle réduitte en mazure et inhabittée.... la ruine provient
du malheur des guerres de Galas... le village ne commence que depuis
quelques années a estre habitté mesme que le Sr Curé est obligé de
résider dans un village voisin pour n'y avoir aucune maison pour y
résider dans le lieu ». En attendant, l'abbé de Domèvre lui admodie
les Dismes de Repas ( Repaix) et d'Igney, et tant bien que mal
l'église est mise en bon état, sauf le lambris de la nef, comme le
constate la visite du 5 May 1692. Par contre, le calice est
d'estain. A la remarque du visiteur le Curé annonce que le collateur
doit en donner un d'argent avec patène d'argent « à quoy le Sr curé
est exhorté d'y tenir la main ». N'empêche qu'il attendra encore
cinq ans, jusqu'en1697, « ce calice d'argent avec patène d'argent et
pied d'estain depuis la coupe duquel luy et les habitants d'Igney se
tiennent contents, sans préjudice du reste de ce qui est à la charge
des décimateurs ».
Cette même année 1692, le visiteur constate que « le lambris de la
nef est tout entièrement ruiné, qu'il n'y a « que trois napes
déchirées, une chasuble, une aube et un amict.... les autels
collatéraux sont dépouillés n'y ayant de napes pour les couvrir. »
M. de Cliquot réside toujours à Repas et, comme par le passé, « ne
fait ny instruction ny catéchisme à lgney ». Pas plus qu'en 1686, il
a cru devoir être présent pour la visite. Avec J. Serrier, institué
le 12 May 1699, Igney aura enfin un curé résidant « qui s'acquitte
avec honneur des fonctions de son ministère », mais quel lamento que
l'estat de paroisse qu'il adresse à Monseigneur de Mletz. « Il y a
un tabernacle si laid, si chétif, qu'on ne voudrait pas le relever
de terre pour le brûler. La lampe n'est allumée que lorsqu'on dit la
messe. » De quand date ce tabernacle ? Y a-t-il eu au cours du XVIIe
siècle, surtout sous l'épiscopat de Mgr d'Embrun, une ordonnance
prescrivant la cessation de l'usage des oculi et l'emploi des
tabernacles d'autel ? D'après les visites les archiprêtrés de
Sarrebourg, Vergaville, Marsal, Saint-Arnual, les oculi étaient pour
le moins très nombreux, et l'on eut grande peine à se conformer,
vers la fin du XVIIe siècle, à l'usage du tabernacle d'autel. Citons
seulement comme exemple typique le fait de la paroisse de Sarrebourg
en 1680, où Mgr d'Embrun dit après avoir visité le Très
Saint-Sacrement qu' « aulieu qu'il devait reposer dans un tabernacle
sur le grand autel, on l'avait mis dans une armoire, derrière
l'autel, fermée d'une grille de fer. Nous avons ordonné que le
Saint-Sacrement serait remis dans un tabernacle sur l'autel, et que
l'on osteroit un reliquaire qui estoit en sa place. »
En 1686, ce tabernacle même est dit « très petit et peu décent pour
la grandeur de l'église, ce qui même causoit que le ciboire ne peut
y entrer ny en estre retiré avec beaucoup de difficulté et non sans
danger de verser. »
lgney avait donc un oculus ; le cahier de 1603 le mentionne pour
recommander de le tenir plus propre. Il ne mentionnera pas celui d'Avricourt,
présentement toujours existant parce qu'il était en règle. C'est
pour ce même motif, sans doute, qu'il n'en arien dit pour Foulcrey,
où la double transformation du chœur en nef l'aura fait disparaître.
Ajoutons qu'au-delà d'Igney, dans les paroisses qui se suivent, des
confrères rendus attentifs à cette question viennent d'en découvrir
à Amnoncourt, Leintrey, Reillon, Veho et Manonviler. Les oculi de
nos contrées sont habituellement cachés derrière la boiserie, mais
il est facile de les repérer. A Igney comme à Avricourt, comme
partout ailleurs, l'oculus du côté de l'Évangile a habituellement
une annexe symétrique du côté de l'Épitre, également une armoire
plus ou moins stylisée, avec ou sans étagère, servant de piscine et
d'armoire pour le Calice, le Melchisedech ou Porte-Dieu,
c'est-à-dire la partie supérieure de l'ostensoir, et les Saintes
Huiles. Cette armoire sert maintenant d'armoire aux burettes, et se
trouve découpée dans les boiseries. Il suffit de contrôler en face.
A lgney, « la lampe du Saint-Sacrement n'est allumée que lorsque on
dit la messe ». Il n'y a pas de graduel, ni d'antiphonaire, le
missel est tout déchiré, en sorte qu'on ne peut presque plus dire la
messe. « On ne sait pas qui doit les fournir. » La nef n'est ni
blanchie, ni pavée, ni planchée, « c'est ce qui fait qu'elle parait
plutot une halle, qu'une église, la pluie y tombe comme devant la
porte ». Le maître d'école a pour gages un demi resal le bled soit
59 litres et trente sols, de chaque paroissien et comme marguillier,
il reçoit des seigneurs décimateurs deux paires de resaux, c'est-à
dire deux resaux de bled et deux d'avoine.
Pour la sage-femme, les visiteurs ont permis qu'on courre chercher
celle d'Avricourt. Le curé supplie Monseigneur d'avoir beaucoup
d'égards, que le nombre des paroissiens est petit. Il y a 10
familles et 33 communiants. Il faut croire que Monseigneur voulait
déposséder Domèvre de la collation de cette cure, car le23 juin
1695, il écrit à M. Dolzé. vicaire général, pour le remercier de ce
que, par ses sollicitations, il a porté l'évêque à le laisser
paisible possesseur de la petite cure d'lgney. « Je vous en aurai
toute ma vie une obligation infinie et je n'oublierai rien pour vous
témoigner ma reconnaissance : j'auray le plaisir de vous apporter de
ce petit tabac en roulot, comme je scay que vous l'aymez : prenez la
peine de me faire scavoir la première commodité que vous trouverez
pour nos quartiers, afin que je puisse vous l'envoyer sûrement.
J'espère, s'il plait à Dieu, qu'au nouvel an j'enverray du lin à
Mlle Dolzé pour ses étraines, et tout le temps que le Seigneur
voudra m'en donner, je continueray la même chose. Si j'ay le malheur
d'être le plus pauvre le tous ceux qui vous sont obligés, je n'en
suis pas le plus ingrat. Plût à l)ieu, que les moyens fussent
proportionnés à ma bonne volonté, je serai un les plus
reconnaissants. L'expérience vous fera connoitre la vérité de que
j'ai l'honneur de vous écrire, pourvu que vous vouliez avoir autant
de bonté pour moi que le Sauveur du monde en eut pour cette pauvre
veuve de notre évangile, qui fut aussi bien reçue avec ses deux
petites d'argent, que les riches avec leurs grands présens. »
Cette lettre porte, de l'écriture de M. Dolzé, en travers de
l'entête, la mention suivante : « Cette lettre est fort tendre. Il
faut faire cas de la personne et l'obliger lorsque l'occasion le
permettra. »
M. Serrier y comptait bien, et dans l'intérêt de son honnête
sustentation, il demande en présentant l'état de la paroisse le
rétablissement des revenus de la chapelle Saint-Claude -
la
réduction des charges de fondation - le rétablissement des revenus
de la confrérie de Sainte-Barbe enrichie d'un bon nombre
d'indulgences. « Je m'imagine que j'aurai tout cela pour cinq écus,
je ne suis guère en état d'en donner davantage. Si c'était un peu
accomodé, j'en donnerais volontiers trois fois autant, cela
n'empêchera pas que je ne trouve encore de quoy pour récompenser la
peine que vous prendrez pour m'écrire. Je vous en conjure. Memor
esto verbi tui servo tuo, parce que vous savez bien -
et si le
Seigneur veut que cela réussisse, vous connaitrez par expérience que
je suis l'homme du monde le plus sensible aux services qu'on me
rend. »
Qu'est-ce donc qui doit réussir pour qu'il puisse se montrer si
sensible aux services qu'on lui rend ? Aurait-il quelque secrète
ambition. Les documents ne le révèlent pas. En 1701, il est
secrétaire de l'abbé de Domèvre; en 1722, il est même élu abbé;
mais, dit un mémoire, la semaine même de son élection, il donna sa
démission « degré ou de force » et demeura curé d'Igney jusqu'au 8
mars 1753, « tirant toujours le diable par la queue. Les paroissiens
avaient vendu à ceux d'Avricourt le métal d'une cloche qui était
dans la tour de l'église pour le prix et somme de cent cinquante
livres tournois, avoient destiné cette somme pour en faire faire
deux autres, mais ils se sont dédits depuis. Si on n'oblige les dits
paroissiens à un emploi légitime de cette somme pour leur église, la
communauté s'en servira, en sorte que dans peu de temps il n'en
restera rien. Comme il n'y a pas de chape et que le pied du ciboire
est le mesme que celuy du soleil, on pourrait acheter l'un et
l'autre. »
Quelle existence, vraiment. que celle de ces curés de l'époque dans
une semblable église. Sur ce point, nous pouvons généraliser, et
déclarer qu'il n'est pas une paroisse qui ne se soit pas trouvée en
aussi triste état, jusqu'à l'arrivée de tel ou tel curé qui se
sacrifia corps et biens.
Quant on fait aux archives une découverte de ce genre, toujours un
peu scabreuse, d'instinct on referme le dossier comme s'il fallait
le soustraire à tout regard indiscret. Et cependant, puisque les
faits sont tels, il faut les apprécier en les situant dans le cadre
de leur époque. Le XVIIe siècle est trop, pour nous, ce qu'il étail
en classe de littérature : le grand siècle du Roi-Soleil, avec
l'appareil plus ou moins factice de ses grandeurs. On oublie trop de
placer, à coté du siècle Louis XVI et de Voltaire, les caractères de
La Bruyère, avec ses chapitres sur le paysan et autres.
Plus près de nous, nous avons comme norme d'appréciation l'étiquette
des mœurs et des convenances à la cour de Lorraine. A dire vrai, on
n'avait pas plus le souci, le besoin de la décence et de la
propreté, à Nancy, au Palais ducal qu'à Igney et tous autres lieux à
l'église.
A la mort de la tante du duc Henri II de Lorraine, deux manœuvres et
une femme ont été deux jours occupés dans les appartements de la
défunte à les « bêcher, arouser pour tremper la croutte » -
de
saleté. Quand le duc et sa femme s'en vont à Lunéville, « on racle
les crouttes des salle et chambre où l'on mange -- on bêche partout
tant hau que bas au cartié des filles de Madame et porte dehors tous
les ordures ».
« Dans la chambre du duc, il y a des poules, des cailles, des ousans,
pigons, griffons, épagneuls, oysillons, perroquets, lapiennes,
gueniches et en aucuns lieux il y a trois douzaines d'escuelles
servant à donner à boire aux souris. » Les abords du palais sont un
cloaque nauséabond et les escaliers « ont besoin d'être lavés, à
cause des pissots qui s'y font tous les jours. » Ces détails sont
empruntés à un ouvrage tout récent : La vie à la Cour de Lorraine
sous le duc Henri II, 1608-1624. L'auteur, M. Hippolyte Roy, un
habitué des Archives de Nancy, fait cette réflexion : « C'est une
loi, et non un phénomène. ll fallait partir -- ou trépasser,pour que
surgisse, avec ses bêches, l'équipe invraisemblable » chargée de
mettre un peu d'ordre et de propreté dans le palais ducal. L'auteur
appelle son travail une étude de moeurs, où le vrai est toujours
invraisemblable. Après cela, il ne faudra plus trop nous étonner de
l'état de saleté des églises, d'ici à l'autre extrémité de
l'archiprêtré. Tantôt nous y verrons les gens amener les instruments
aratoires et les placer au fond de l'église ou mettre du blé et de
l'avoine à la tribune. Tantôt, à la messe, sur le degré de l'autel,
nous verrons le chien du célébrant couché en boule, quand il ne se
bat pas avec les chiens des fidèles. Un suisse n'eût pas été de trop
pour tenir la gent canine de la paroisse en respect. Notre Lorraine,
en ce point, n'était pas une exception. Dans la Vie de M. Olier, M.
Monier nous montre M.Bourdoise parlant à ses compagnons « des
arraignées dans l'église, des devants d'autels trainants et
détachés, des ornements décousus, des aubes sales, des amicts
crasseux et des vitres rompues ». Il en parlait en connaissance de
cause, ayant prêché un peu partout des missions. La conclusion était
de se consacrer « à l'oeuvre des oeuvres, à former des
ecclésiastiques ».
J. PAULY,
chanoine, archiprêtre.
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