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Vingt ans après, Marthe Richard poursuivait Crapouillot
pour « injures et diffamation ». L'affaire était appelée au mois de juin
1952 devant la 17e chambre correctionnelle. Me Maurice Garçon, très en forme, prononça ce jour-là une des plus étincelantes plaidoiries de sa carrière, démontrant, preuves en main : 1° Que Marthe Betenfeld, veuve Richer, veuve Crompton, dite Marthe Richard, mentait lorsqu'elle se vantait d'avoir détenu le record féminin de vol à longue distance avec un raid Paris-Zürich. Me Garçon, en effet, donna lecture d'une lettre de l'aviateur Poulet qui mit la salle en joie! C'est Poulet qui pilotait l'avion dont Marthe était la propriétaire - et la simple passagère; après trois pannes, les aviateurs prirent tout bonnement le train, mettant l'appareil aux bagages, et quand, débarquée à Zurich, Marthe voulut faire une exhibition, elle écrasa immédiatement son appareil au sol. 2° Marthe Richard se plaint d'avoir été traitée par Crapouillot d'agent double; or, c'est elle-même qui a employé dix fois cette expression dans ses Souvenirs d'une espionne et elle-même qui a raconté complaisamment ses coucheries à Madrid avec l'attaché allemand von Krohn et sa rivalité amoureuse avec Mata-Hari, autre agent du 5e bureau. 3° Marthe Richard proteste parce que Crapouillot l'a traitée d'héroïne « postfabriquée ». Or, après une seule mission en Espagne - toutes ses autres missions sont de pures inventions - sous la stricte surveillance de l'agent Davrichewy, Marthe fut liquidée en 1917 par le commandant Ladoux et nul ne souffla mot d'elle jusqu'en 1930, date à laquelle l'ancien chef du 5e bureau romança en la corsant sa banale aventure de petite espionne oubliée. 4° Sa Légion d'honneur? Le gouvernement voulait décorer M. Crompton, représentant en France du généreux Rockefeller; Crompton, fort modeste, demanda que cet honneur fût reporté sur sa femme, ex-aviatrice. C'est ainsi que l'ex-espionne fut décorée non point par le ministère de la Guerre en raison de ses exploits, mais bien par le ministère des Affaires étrangères et sans aucune citation. 5° Enfin, en 1942, Marthe Richard rentrait à Paris et n'était aucunement inquiétée par l'occupant. Au contraire, la voilà qui entre à la Gestapo « pour le compte, déclare-t-elle, de la Résistance ». Il est tout de même assez singulier, fait remarquer Me Garçon, qu'après toutes les entourloupettes qu'elle prétend avoir faites aux Fritz pendant l'autre guerre, ceux-ci la réembauchent au titre d'agent double! Faut-il que ces Fridolins soient corniauds! 6° Mais voici le bouquet! Marthe Richard. depuis son mariage avec M. Crompton, n'a jamais cessé d'être anglaise. C'est donc par fraude qu'elle s'est fait élire conseillère municipale de Paris après la Libération. Certes, entre 1938 et 1945, Mme Crompton a demandé à plusieurs reprises sa réintégration dans la nationalité française, mais cette réintégration LUI A TOUJOURS ÉTÉ REFUSÉE par les services compétents. Aujourd'hui, elle est simplement munie d'une carte d'étranger, et même la carte de résidence privilégiée (dix ans de séjour) ne lui a pas été accordée, en dépit de ses multiples démarches! Voilà qui est assez troublant à l'égard d'une « légionnaire »... Au lendemain de cette éblouissante plaidoirie, tous les journaux parisiens conclurent que Marthe Richard aurait mieux fait de ne pas attirer l'attention sur elle et semblèrent indiquer qu'elle serait déboutée de son instance. Nombre de confrères dépassèrent même en « vacherie » Crapouillot et Me Garçon. C'est ainsi que mon ancien camarade du 31e de ligne en 1914, Pierre Seize, mutilé de guerre, présentant face à face dans Carrefour la « vraie » Marthe Richard et la fausse, pure fiction littéraire, écrivit : « Je regardais l'autre jour en correctionnelle la fausse Richard en chair et en os réagir, cependant que Me Maurice Garçon avec cette cruauté de bourreau mongol qui n'est qu'à lui, évoquait le fantôme de la vraie Marthe, celle qui n'existe plus. La malheureuse se tordait comme une brûlée. Elle élevait de balbutiantes et stupides dénégations à la matérialité des faits. Ses avocats : honneur au courage malheureux! - c'étaient Me Jacquet et Me Frasson-Goret, et ils ont bien du talent - essayaient en vain de la calmer. Et Me Garçon la promenait nue sur l'âne, le lui ayant fait enfourcher à l'envers, comme on faisait aux gourgandines dans les carnavals d'autrefois. Et les rires de la salle lui étaient autant de cuisantes étrivières. » Mais les magistrats n'aiment pas beaucoup que la presse semble dicter leur verdict, et le tribunal de la 17e chambre, après avoir bien ri, me condamna lestement à 25 000 francs d'amende, 50 000 francs de dommages-intérêts et trois insertions dans les journaux (75 000 francs), plus les dépens. C'était la première fois, en trenté-cinq ans, que j'étais condamné pour délit de presse : je perdais mon pucelage avec Marthe Richard! Ce que ce jugement présente de particulier, c'est qu'il ne retient pas comme outrageant ou diffamatoire tout ce qu'a écrit Crapouillot sur les bluffs successifs de Marthe Richard aviatrice et espionne. Le tribunal tient compte du fait que Marthe Richard elle-même dans ses écrits, et notamment dans un chapitre intitulé « Ma vie d'espionne », paru en 1934 dans le journal Paris-soir, « décrit avec beaucoup de complaisance les circonstances dans lesquelles elle a dû se plier à ce qu'elle appelle l'inévitable et les exigences du service, donnant ainsi une publicité malsaine à des faits qui n'en méritaient aucune, et s'exposant imprudemment aux commentaires malveillants de Galtier-Boissière ». En fait, ce que retient uniquement le tribunal, c'est la phrase : Elle a rempli à Madrid un office que trente ans plus tard elle a prétendu interdire à des milliers de malheureuses qui ne pouvaient évidemment s'autoriser de mobiles aussi patriotiques que les siens. Garçon était d'avis d'aller en appel, et c'est alors que je décidai d'utiliser un document massue que je possédais dans mes archives : le document officiel de la mise en carte de Marthe Betenfeld à la préfecture de Nancy, le 27 avril 1905. Lorsque Garçon vit le document, il ne pouvait pas y croire! « Tu es vraiment très fort! » me dit-il. Puis il fit des objections : Comment cette pièce aurait-elle pu subsister, puisque l'article V de la loi Marthe Richard ordonnait que tous les fichiers seraient détruits? Je répliquai que la police ne détruit jamais aucun document. Puis mon défenseur trouva invraisemblable qu'une mise en carte ait pu être enregistrée à seize ans. Le Dr Lacassagne, grand spécialiste de ces questions, déclara que le cas à l'époque était fréquent en province de filles inscrites à seize et même quinze ans. Garçon s'inclina et accepta d'utiliser la mise en carte de l'imprudente. Lorsque Garçon, avant l'audience, s'approcha du nouveau défenseur de Marthe Richard, Me Klotz, et lui mit sous les yeux le document, j'eus l'impression que l'avocat de la partie adverse allait s'évanouir. Il s'approcha, en chancelant, de sa cliente et lui exposa le « coup dur ». Marthe Richard ne s'affola nullement, déclarant simplement : « Et après? » Le malheureux avocat, complètement tourneboulé, avait bâti toute sa plaidoirie sur la pureté des mœurs de sa cliente et comptait m'accuser de vouloir punir la dame d'avoir fait voter une loi qui lésait les intérêts de certains trafiquants. L'argument ne tenait pas debout puisque, dès 1935, c'est-à-dire dix-huit ans avant qu'elle devînt conseillère municipale, j'avais attaqué ladite personne dans le Canard enchaîné en ces termes : « Mme Marthe Richer, alias Richard, espionne et chevalier de la Légion d'honneur, vient de publier ses Mémoires. Les amateurs de cas de conscience regretteront certainement que « Mme Marthe » ait cru devoir supprimer dans le volume certain chapitre paru en feuilleton dans un quotidien (Paris-soir) où, sur le point de subir les assauts du chef de l'espionnage teuton, elle pensait successivement à sa mère, à son mari tué au front, au capitaine Ladoux et à la France, avant de se résoudre à consommer le sacrifice qui devait lui procurer la croix des braves. » Il est évident qu'en face d'un Garçon déchaîné, Me Klotz ne faisait pas « le poids », et successivement : 1° Dame Crompton dut reconnaître qu'elle n'avait jamais été détentrice du record féminin de durée et de longueur en 1913. Elle n'avait cependant pas protesté lorsqu'en 1932 le commandant Ladoux avait narré ses imaginaires exploits à la page 24 de son livre Marthe Richard espionne au service de la France et donné à une photo une légende absolument mensongère. Marthe Richard avait bien essayé de faire revenir sur ses déclarations son ancien camarade de l'école Caudron, l'aviateur Poulet, qui réside à Pnom-Penh; mais l'ex-pilote s'était refusé à toute rétractation par une lettre dont il envoya copie en France à ses anciens camarades d'escadrille. 2° Dame Crompton, dite « Marthe Richard », fit déclarer par Me Klotz qu'elle n'avait pas rédigé personnellement ses Mémoires et qu'à l'époque elle avait confié ce soin à deux journalistes professionnels : MM. Pierre Audiat et Stéphane Manier. Stéphane Manier est mort; Pierre Audiat resta muet. 3° Dame Crompton dut admettre qu'elle avait longuement narré, par la plume de ses « teinturiers » (comme on disait au temps de Balzac), ses très cordiales relations avec Mata-Hari, sa voisine de palier à l'hôtel de Madrid où elle était descendue en 1916. « Nos deux destins se croisaient », disaient les Mémoires de l'espionne. « Jusque dans le lit de von Krohn... », ajouta Maurice Garçon. 4° Enfin dame Crompton dut avouer que, dans le film Marthe Richard, signé par Raymond Bernard, l'épisode préliminaire qui mettait en scène en 1914 la fusillade de son père par les Allemands dans son village lorrain était ENTIÈREMENT INVENTÉ. M. Betenfeld est mort - Dieu merci! - dans son lit. Mot de la fin : au cours de la première instance, l'ex-espionne avait mené grand tapage, houspillé ses défenseurs, multiplié les dénégations. En appel, dûment chapitrée, dame Crompton n'a élevé qu'une seule protestation : c'est quand Me Garçon déclara, sans aucune intention maligne, que son ancien amant le baron von Krohn avait soixante-dix ans. - Ah! non, tout de même! s'est-elle écriée, choquée : CINQUANTE! Voici maintenant les points principaux du jugement d'appel à la date du 13 mars 1953 : « Considérant que la partie civile fait grief au jugement attaqué de n'avoir pas considéré comme diffamation la présentation sur la couverture du Crapouillot, côte à côte et dans le cadre traditionnel des portraits de famille, de Mata-Hari, courtisane et espionne au service de l'Allemagne, et de Marthe Richard dont l'action efficace et courageuse au service de la France aurait été officiellement consacrée par les pouvoirs publics; « Considérant qu'un tel rapprochement, qui serait diffamatoire s'il avait pour mobile la malignité ou la malveillance de son auteur, a été suggéré à différentes reprises par la partie civile elle-même; « Que c'est ainsi que dans le livre Espions de guerre et de paix, elle écrit : « L'officier... évoquait-il la figure de son amie Mata-Hari « qui, comme moi, fut un agent double? » « Que dans le récit « Ma vie d'espionne », qui a paru sous sa signature dans un journal du soir et qui doit lui être attribué, encore que certains passages n'aient pas été reproduits dans le livre portant le même titre, Marthe Richard interpelle le maître d'hôtel d'un grand établissement de Madrid et lui demande des renseignements sur sa voisine de chambre, une jeune danseuse qui est, comme elle, la maîtresse de l'attaché naval allemand; qu'à ce propos elle déclare : « Lady Mac Le..., c'était Mata-Hari, qui, elle aussi, partait « en mission. Nos deux destins se croisaient en Espagne. » « Que les légendes figurant sous chacun de ces portraits résument et annoncent des articles de numéro spécial du Crapouillot intitulé : « la Farce des services secrets », articles consacrés aux deux héroïnes de l'espionnage; qu'on ne saurait donc considérer le rapprochement des deux portraits sur la couverture comme diffamatoire; « Considérant que les motifs du jugement répondent suffisamment au surplus des conclusions de la partie civile; « Considérant que Galtier-Boissière fait plaider qu'il n'a pas outrepassé son droit de critique et d'historien, en comparant le rôle de Marthe Richard à Madrid à celui qu'elle a joué lors de la campagne qui devait entraîner la fermeture des maisons de tolérance; « Considérant qu'il échet d'écarter du débat un document daté du 27 avril 1905, produit pour la première fois à l'audience de la Cour en vue d'établir l'exactitude d'une des imputations incriminées; que la déchéance du droit d'en prouver la vérité est absolue tant du fait de la non-signification de la copie dans les délais de la loi que par l'interdiction de prouver des imputations de la vie privée et des faits remontant à plus de dix ans; « Considérant que le tribunal a fait du passage incriminé une saine appréciation du fait et du droit et la Cour ne peut que s'y rallier; « Considérant, sur l'application de la peine et les réparations civiles, que la gravité de la diffamation dépend dans une certaine mesure de la nature et de l'objet de la publication; que le numéro du Crapouillot est consacré à une vaste étude des services secrets, que les sujets qui y sont traités appartiennent à l'histoire contemporaine et sont, dans l'ensemble, présentés sans esprit de haine ou de malveillance; « Que Galtier-Boissière déclare n'avoir voulu publier que des faits contrôlés et exacts; que si la conviction de servir la vérité n'est pas exclusive de l'intention de nuire, sa sincérité peut être admise et doit entraîner une application modérée de la loi pénale, le cité n'ayant encouru aucune peine privative de liberté pour crime ou délit de droit commun; « Considérant que le préjudice subi par Marthe Richard est essentiellement moral, qu'il sera suffisamment réparé par les insertions ordonnées et par l'allocation de la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts. » Comme l'a spirituellement écrit Combat, Mme Richard demandait 1 000 000 de dommages-intérêts pour sa vertu outragée, mais le tribunal a retiré tous les zéros. De plus, le tribunal, magnanime, m'accordait le sursis pour l'amende et Marthe Richard n'utilisa pas les insertions dans les journaux qui auraient été fort déplaisantes pour elle. Lorsque Me Garçon communiqua au président du tribunal le fameux document, Me Klotz avait annoncé le dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République en déclarant qu'il s'agissait d'un « faux de l'espèce la plus vulgaire », mais que, « à supposer que la pièce fût authentique », le directeur de Crapouillot devrait être poursuivi pour détention et utilisation d'un document administratif soustrait d'un dossier confidentiel. Le président fit observer au défenseur qu'il fallait choisir : ou le document était un faux, ou il était authentique. Par la suite, Marthe Richard préféra d'ailleurs se désister de sa plainte. On sait que la dame eut encore certains avatars et passa quelques jours à la Roquette. Mon ami Loustaunau-Lacau me déclara (comme si j'avais été pour quelque chose dans cette arrestation!) : « C'est bien joué, mais sachez, mon cher, que nous n'abandonnons jamais nos anciens agents. Marthe Richard sera blanchie, je peux vous l'affirmer! » Elle le fut, effectivement. Quant à Davrichewy, dit Jean Violan, dit Zozo, il me reprocha vivement de n'avoir pas utilisé son témoignage parce que Maurice Garçon se méfiait de lui. Peu après le procès, le curieux Géorgien annonça dans une interview qu'il était le propre frère de Staline. |
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