Dans l'article
Lunéville : la statue de l'abbé Grégoire est
rappelée la formation du comité pour une statue à l'abbé
Grégoire, et le lancement de la souscription.
Les quelques articles de presse ci-dessous, échelonnés
de septembre 1881 à janvier 1882, montrent que
l'initiative de cette statue n'a pas été sans susciter
des polémiques considérables, notamment politiques.
- L'Eclaireur - 23
septembre 1881
Une généreuse pensée vient de
surgir dans le cerveau de quelques républicains éprouvés
: il s'agirait d'élever une statue à l'abbé Grégoire,
sur une des placés de Lunéville.
C'est presque un enfant.de notre cité. C'est ce
républicain inébranlable dans ses convictions, c'est ce
grand citoyen qui a demandé et obtenu l'émancipation des
Israélites, et dans un moment où, en violation du
principe de la liberté de conscience, on les persécute
en Allemagne, en Russie et ailleurs, il serait opportun
d'honorer, en l'abbé Grégoire, leur généreux défenseur,
et le prêtre respectueux de la liberté de conscience.
Nous donnons l'idée. A nos amis de la faire aboutir.
- Journal de Lunéville
- 28 septembre 1881
Une statue à Grégoire
L'Eclaireur informe ses lecteurs qu'on va ouvrir une
souscription dans notre ville, dans le but d'ériger une
statue à Grégoire ; cela lui était bien dû.
A la vérité le fameux conventionnel n'est pas né à
Lunéville, et n'y a jamais vécu. Mais quoi ! La royauté
ne fut-elle pas toujours pour lui, comme il le dit un
jour à la tribune, « un objet d'horreur ! » Et quel
meilleur titre à nos sympathies ? N'est-ce pas lui qui
dans un discours prononcé le 15 novembre 92 à la
convention, dépeignait Louis XVI comme « un digne
descendant de Louis XI, qui rentré dans son tripot
monarchique, dans ce château, le repaire de tous les
crimes, allait avec Jézabel (Marie-Antoinette) combiner
et mûrir tous les genres de perfidie... s'efforçant
d'étouffer la liberté, de déchirer le sein de la patrie,
d'affamer, d'égorger un peuple dont il ne fut jamais que
le bourreau » (sic).
L'homme qui a pu proférer de telles paroles et professer
de telles doctrines, n'a-t-il pas droit à toute notre
admiration ?
Il est vrai que lorsqu'on ne le mettait pas sur le
chapitre de ces êtres purulents (sic) qu'on nomme des
rois, dans l'intervalle des accès de la monomanie
anti-monarchique qui hantait son cerveau, ce même
Grégoire montrait une certaine largeur de vues, et une
indépendance de caractère peu commune au temps de la
terreur jacobine. C'est ainsi que dans trois rapports
lus à l'assemblée en 93-94, il osait s'indigner contre
les destructions opérées par le vandalisme
révolutionnaire, et que fidèle - chose si rare - aux
convictions de toute sa vie en face même des
persécutions dirigées contre le catholicisme, il ne
craignait pas d'écrire les lignes suivantes, dans une
brochure sur la légitimité du serment exigé par les
prêtres :
« Le mépris de la religion succède presque
inévitablement à celui de ses ministres. Alors la morale
sans consistance, sans point d'appui, s'étend rapidement
dans les désordres d'une corruption profonde, et l'on
s'aperçoit trop tard que l'absence des principes
religieux est le danger le plus imminent qui puisse
menacer la liberté publique» (page 30.)
MM. les organisateurs de la souscription annoncée
seront-ils tentés d'inscrire ces paroles là sur le socle
de la statue ?
Nous avons quelques raisons pour en douter. On
craindrait qu'elles ne parussent une épigramme à
l'adresse de M. Michel Bert, le futur ministre de
l'instruction publique ; et il faudrait renoncer à voir
figurer dans la cérémonie de l'inauguration ce savant
qui, dans un discours resté célèbre s'écriait :
« L'enseignement religieux est l'école de l'imbécilité,
du fanatisme, de l'anti-patriotisme et de l'immoralité.
»
Belles paroles que l'on doit s'attendre à voir un jour
gravées au fronton de nos écoles!
X...
- L'Eclaireur - 16
octobre 1881
La statue de l'abbé Grégoire
Ouverture de la Souscription
Une Réunion, présidée par M. Viox, député, a eu lieu
dimanche, à Lunéville, pour la nomination d'un Comité
chargé d'organiser une souscription en vue d'élever une
statue à la mémoire de l'abbé Grégoire, ancien président
des Etats-Généraux et de la Convention. Quinze membres
ont été nommés.
La Réunion ayant décidé d'inviter la presse républicaine
à prêter son concours au Comité, nous ouvrons, dès
aujourd'hui, une souscription dans nos colonnes en
faveur de cette œuvre patriotique.
On lit dans le Petit Républicain de l'Est :
« Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres
sont dans l'ordre physique ; les cours sont l'atelier du
crime, le foyer de la corruption. L'histoire des rois
est le martyrologe des nations. »
L'homme qui, en 1792, osa prononcer ces paroles, aux
applaudissements de toute la Convention, était un prêtre
; c'était l'abbé Grégoire, notre compatriote.
L'abbé Grégoire fut un prêtre, et un prêtre croyant :
nous nous inclinons avec respect devant cette conviction
d'un homme qui avait su ne prendre à la philosophie de
la religion que ce qu'elle avait de noble et de
généreux, qui ne manqua jamais de combattre les
méprisables tendances du clergé, qui éleva toujours la
voix dès qu'il rencontrait une occasion de défendre la
cause de l'humanité et de la justice.
Ce fut l'abbé Grégoire qui se trouva le premier à
proposer l'abolition du droit d'aînesse, le premier à
demander l'abolition de la traite des noirs, le premier
à réclamer l'abolition de la royauté.
Cet homme qui sut délivrer la France de tant de fléaux,
cet homme qui avait appelé les nations esclaves à
l'indépendance, économisait sur l'argent que la
Convention lui allouait pour ses frais de voyage et en
versait le surplus au Trésor.
Cet homme protesta en faveur des Israélites jusqu'alors
opprimés, et affirma bien haut les droits égaux de tous
les Français au titre de citoyen.
Cet homme réorganisa l'enseignement public, multiplia
les bibliothèques, répandit la science, popularisa
l'instruction.
Cet homme bon, généreux, savant et modeste à la fois,
qui résume à lui seul toutes les austères vertus de la
Révolution, cet homme mérite plus que personne d'avoir
une statue. Nous félicitons les promoteurs de ce projet
de l'initiative qu'ils ont prise, et nous leur
promettons notre concours le plus dévoué et le plus
absolu, pour mener leur oeuvre à bonne fin.
- Le Progrès - 27
octobre 1881
Statue Grégoire. - Il avait été un
moment question de créer à Nancy un comité central pour
organiser la souscription. On a renoncé à ce projet et
l'on a bien fait. C'est de Lunéville qu'est partie
l'initiative : c'est à Lunéville que doit rester la
direction. Nancy n'en apportera pas moins son concours
empressé, et le sous-comité qui y sera prochainement
formé ne ménagera pas ses démarches et n'épargnera pas
son dévoûment.
Nous nous permettrons de recommander à nos amis de
Lunéville deux moyens pour recueillir des souscriptions
abondantes : le premier consiste à organiser des quêtes
à domicile, à designer dans chaque rue un négociant de
bonne volonté qui fasse la collecte chez ses voisins. Le
second serait de donner deux ou trois grands concerts ou
représentations théâtrales, en réservant le bénéfice des
entrées pour l'oeuvre. Le premier de ces moyens a été
employé pour la statue Thiers ; le second pour la statue
Callot ; ils ont été l'un et l'autre très fructueux.
- L'Eclaireur - 11
novembre 1881
Comité de la statue de l'Abbé
Grégoire
Voici la Circulaire que le Comité vient de lancer. Nous
invitons nos confrères de la presse républicaine à la
reproduire, et à provoquer la formation de Comités de
propagande.
Un Comité s'est formé à Lunéville pour l'érection d'une
Statue à l'Abbé Grégoire sur l'une des places de cette
ville.
Né à Vého, curé d'Emberménil, villages de
l'arrondissement de Lunéville, député aux Etats-Généraux
par le clergé de son bailliage, l'abbé Grégoire s'élève
au premier rang, à côté des grands citoyens qui sont les
héros de la Révolution française.
Président de l'Assemblée constituante, puis de la
Convention, c'est sur sa motion, devenue historique, que
le 21 septembre 1792, la Convention vote la déchéance de
la royauté et acclame la République.
Membre de l'Institut, il partage avec les Lakanal et les
Daunou la gloire devoir jeté les bases de notre
enseignement public à tous les degrés, de cet
enseignement vraiment populaire et national, dont la
génération actuelle va enfin connaître et apprécier les
bienfaits.
Philanthrope épris de justice, il a, plus qu'aucun de
ses concitoyens, par ses écrits, par sa parole,
contribué à l'abolition de l'esclavage, à l'émancipation
des Israélites.
Prêtre catholique aux convictions ardentes, mais exempt
de fanatisme, assignant à la religion un domaine
inviolable qui laisse à l'Etat toutes ses prérogatives,
au patriotisme toutes ses aspirations, il proclame
hautement la liberté des cultes, les droits sacrés de la
conscience, et jusqu'à sa dernière heure, sans rien
sacrifier de sa foi, il reste l'ennemi du despotisme,
l'adversaire résolu de toute oppression, l'apôtre de la
tolérance.
La République d'Haïti, reconnaissante, lui a érigé une
statue.
L'heure n'est-elle pas venue de lui rendre un semblable
hommage sur le territoire de la République française et
dans son pays natal ? Elever une statue à notre illustre
compatriote, à l'abbé Grégoire, c'est à la fois honorer
dignement sa mémoire et perpétuer le souvenir des vertus
républicaines : patriotisme, courage civique,
désintéressement dont il est le type accompli.
Tel est notre but.
En ouvrant une souscription publique pour la réalisation
de cette œuvre nationale, nous faisons appel à MM. les
Membres de nos Assemblées délibérantes, à la presse et à
tous les esprits libéraux de notre France républicaine.
Lunéville, le 10 Novembre 1881.
Le Président du Comité, Camille VIOX, Député.
Le Secrétaire, R. JOB.
N. B. - Les souscriptions sont reçues, à Lunéville, chez
M. Urbain, Trésorier du Comité. Pour tous
renseignements, s'adresser à M. Raphaël Job, Secrétaire.
Souscription pour la Statue de l'abbé Grégoire.
4e Liste.
MM. Antoine père, architecte. 10 fr
C. Lévesques, rentier. 5
Rognon. 2,50
Docteur Mangenot. 20
Alfred Lévy, négociant. 20
Collignon, artiste lyrique. 3
Trois ouvriers M. 1,50
Lafargue, Sous-préfet de Lunéville. 100
Total de la 4e liste. 162
Total des listes précédentes. 1.435
Total h ce jour. 1597
On peut souscrire chez M. Urbain, marchand de fers,
Grande-Rue, trésorier du Comité.
Les membres du Comité de la Statue ont bien voulu se
charger, chacun dans son quartier, d'aller recueillir
des souscriptions à domicile. Nous aimons à croire que
nos concitoyens n'empresseront de contribuer à l'œuvre
nationale qui a pour but d'honorer la mémoire de l'un de
nos plus illustres compatriotes, et comme les petits
ruisseaux-font les grandes rivières, les dons les plus
minimes seront reçus avec reconnaissance.
- Le Progrès - 12
novembre 1881
Statue Grégoire. - Le comité de la
statue de l'abbé Grégoire vient de lancer une circulaire
dans laquelle, après avoir tracé une courte biographie
du président de la Convention, il dit : « Elever une
statue à notre illustre compatriote, à l'abbé Grégoire,
c'est à la fois honorer dignement sa mémoire et
perpétuer le souvenir des vertus républicaines :
patriotisme, courage civique, désintéressement, dont il
est le type accompli. Tel est notre but. En ouvrant une
souscription publique pour la réalisation de cette œuvre
nationale, nous faisons appel à MM. les membres de nos
assemblées délibérantes, à la presse et à tous les
esprits libéraux de notre France républicaine ».
Les souscriptions sont reçues, à Lunéville, chez M.
Urbain, trésorier du comité. Pour tous renseignements,
s'adresser à M. Raphaël Job, secrétaire.
- Journal de Lunéville
- 23 novembre 1881
Lunéville, le 20 novembre 1881.
Monsieur le rédacteur,
J'ai lu le manifeste du comité pour l'érection, à
Lunéville, d'une statue à l'abbé Grégoire.
Dans ce temps de statuomanie, on ne doit s'étonner de
rien et il faut s'attendre à passer du ridicule à
l'odieux.
Le ridicule, c'est l'abus qu'on fait du bronze pour des
contemporains parfaitement obscurs, tels que M. Ricard
et M. Albert Joly.
L'odieux, c'est l'idée de décerner cet honneur à des
hommes de sang, tels que Danton. Pourquoi pas aussi à
Marat et à Robespierre ? Patience, cela viendra.
L'abbé Grégoire tient le milieu entre ces deux
catégories. Il n'a pas fait tomber tant de têtes que
Danton, et il marque plus dans l'histoire que MM. Ricard
et Joly.
Néanmoins il est probable qu'il se trouvera, pour lui
aussi, un nombre suffisant de moutons de Panurge
couvrant la souscription, et qu'elle recueillera plus
d'offrandes que s'il s'agissait d'élever un buste à
l'entrée de l'Asile des Vieillards, à l'abbé Renard, son
fondateur.
Il n'y a donc pas à lutter contre le courant qui
entraine tant de gens à se faire bien noter des
puissants du jour, qui les pousse à se dire les
admirateurs du régime de la Terreur.
Mais il y a des outrages au bon sens, à la vérité, qui
ne peuvent passer sans protestation, et ces outrages, je
les-trouve dans- le langage du manifeste signé. R. Job
et Viox.
Ces Messieurs nous disent que l'abbé Grégoire partage la
gloire d'avoir jeté les bases de notre enseignement
public à tous les degrés, de cet enseignement vraiment
populaire et national, dont la génération actuelle va
enfin connaître et apprécier les bienfaits.
Comment ? Est-ce qu'il n'y a pas eu d'enseignement
public avant et après l'abbé Grégoire ? Celui-ci
était-il un ignare et avec lui nos pères, nous-mêmes et
toutes les générations antérieures aux lois Ferry ?
Qu'est-ce que c'est qu'un enseignement populaire et
national, en matière de lecture, d'écriture, de calcul,
de latin, de rhétorique, de philosophie, de droit, de
médecine? Les méthodes peuvent changer, mais le fond
reste le même, qu'on soit en France ou en Allemagne.
Messieurs du comité, laissez donc là votre pathos, et
puisque vous admirez tant la Convention, soyez
convaincus qu'elle renfermait une dose moyenne
d'instruction au moins égale à celle de la Chambre de
1881, et que dans celle-ci, les anciens ne sont pas les
plus ignorants.
Et plus loin cette phrase : Elever une statue à l'abbé
Grégoire, c'est perpétuer le souvenir des vertus
républicaines -.patriotisme, courage civique,
désintéressement
Quant à moi, je connais les vertus que citent MM. Job et
Viox, mais j'ignorais qu'elles eussent une opinion
politique. Il y en a eu, à ma connaissance, des exemples
en tous temps, sous tous les régimes, et vraiment quand
je vois nos républicains faire du désintéressement une
vertu républicaine, c'est-à-dire dont ils ont le
monopole, je ne puis m'empêcher de rire au souvenir du
désintéressement de quelques uns d'entre eux et de
l'abbé Grégoire lui-même, acceptant d'être nommé par
l'empereur Napoléon I, sénateur et comte de l'Empire !
Recevez etc.
- L'Eclaireur - 4
décembre 1881
M Camille Viox, président du
Comité de la Statue de l'abbé Grégoire, a reçu les deux
I lettres suivantes :
« Paris, le 29 novembre 1881
» Monsieur et Président et cher collègue,
» Je serai très heureux de souscrire pour l'érection
d'une Statue à l'abbé Grégoire. Je partage votre
admiration pour ce grand patriote, ce défenseur éloquent
de la liberté de conscience.
» Cordialement à vous.
» Signé: Ferdinand Dreyfus
» Député de Seine-et Oise »
« Paris, 28 novembre 1881.
» Monsieur et cher Collègue,
» Vous avez raison de vouloir honorer la mémoire de
l'abbé Grégoire qui sut, comme vous le dites bien,
respecter les opinions et les croyances des autres sans
rien sacrifier des siennes, exemple bien rare et dont
nous aurions tous grand besoin aujourd'hui.
» Je vous prie de m'inscrire parmi les souscripteurs, et
je vous adresse sous ce pli, si vous voulez bien vous
charger d'en transmettre le montant à M. le Trésorier,
ce modeste chèque de 20 fr. à votre ordre.
» Agréez, Monsieur et cher collègue, l'assurance de mes
sentiments les plus distingués.
» Signé : Frédéric Passy,
» Député de la Seine. »
- Le Journal de
Lunéville - 4 décembre 1881
Nous recevons la lettre suivante :
Lunéville. le 30 novembre 1881.
Monsieur le Rédacteur, Vous avez publie récemment une
lettre écrite en réponse à la circulaire que vient de
lancer M. Viox dans le but d'élever une statue à l'abbé
Grégoire. Votre correspondant a relevé cette
circonstance caractéristique que le farouche abbé qui
traitait les rois de bêtes féroces qu'il fallait
détruire par tous les moyens avait accepté de l'empereur
Napoléon Ier, le plus despotes de tous les potentats,
une place au Sénat avec le-manteau et les appointements
y attaché. Mais à l'époque où nous vivons, on se
préoccupe peu de pareilles vétilles. Accepter d'un
despote qu'on a traîné dans la boue, qu'on a assimilé à
un animai carnassier, de gros appointement et un siège
dans le corps constitué dont la servilité n'a jamais eu
d'égale, cela s'appelle avoir du courage civique et du
désintéressement. L'argent purifie tout.
Mais je laisse l'abbé Grégoire qui, pour son honneur,
aurait mieux fait de venir célébrer la messe dans son
village que de se rallier à l'empire et je retourne à la
circulaire dans laquelle je relève la phrase suivante :
« Elever une statue à notre illustre compatriote, l'abbé
Grégoire, c'est honorer dignement sa mémoire, et
perpétuer le souvenir des vertus républicaines,
patriotisme, courage civique, désintéressement, dont il
est le type accompli. »
Dans son fameux discours d'Epinal, M Jules Ferry faisait
dater la prospérité de ses compatriotes du 4 septembre
1870, époque à laquelle il avait su s'emparer du
pouvoir, sans coup férir et par sa seule audace. Avant
lui et la République, les Vosgiens étaient des espèces
de sauvages sans commerce ni industrie, se nourrissant
peut-être de racines sauvages et buvant de l'eau claire.
M. Viox ressemble à l'auteur de l'article 7. Tant que la
République n'existe pas, il n'y a, en France, ni courage
civique, ni désintéressement. . II convient de supprimer
ces mots du dictionnaire. Sous l'ancienne monarchie,
depuis Clovis jusqu'à Louis- XVI, depuis le premier
empire jusqu'au mois de septembre 1870, vous ne
trouverez pas un homme de cœur, aimant son pays et
l'ayant servi. C'est le député de Lunéville qui le dit.
Ne faut-il pas le croire et chercher sans doute le type
du patriotisme chez les hommes de 1793 qui ont tant
guillotiné, de 1848, qui se sont battus deux fois contre
l'honnête général Cavaignac, de 1871, qui ont brûlé
Paris et levé le drapeau de la guerre civile en présence
des Prussiens.
Si l'on ne commençait à s'accoutumer à l'outrecuidance
des républicains, on resterait confondu en lisant la
circulaire de M. Viox, car il n'est pas possible d'aller
davantage à rencontre de la vérité. Pour oser attribuer
du désintéressement à son parti, il faut être doué d'une
naïveté sans égale. Les faits sont les faits, les
phrases et les grands mots ne les changent pas. Voyons
donc ce qui se passe.
Parlerai-je des milliers de fonctionnaires révoqués sans
motif ni raison dans le seul but de procurer des emplois
à des Purs courant à la curée des fonctions publiques ;
de la proposition soumise à la Chambre des députés par
M. Raspail d'empêcher ses collègues de faire partie des
sociétés financières dans lesquelles ils pullulent,
proposition suscitée par la vue de tripotages d'argent
de toute sorte et par la passion insensée de s'enrichir
qui dévore la plupart de nos bons représentants ; des
discours de Gambetta et des circulaires ministérielles
qui voudraient entraver la course aux places et
reconnaissent qu'avec l'appétit toujours grossissant de
leurs amis, il n'est pas de gouvernement possible; de la
campagne entreprise tendant à faire salarier toutes les
fonctions électives.
Si du général je passe au particulier, que vois-je ?
Voulez-vous, Monsieur le Rédacteur, que je vous cite
deux ou trois exemples de désintéressement pris dans la
masse? Rappelez-vous ce mince avocat d'une petite ville
qui, après avoir siégé pendant quelques mois à la
Chambre, a été mis sur le carreau par les électeurs et
dédommagé ensuite de son échec par une grosse place dans
les finances et cet autre avocat de 2e ou de 3e ordre
d'un chef-lieu de département, décoré par l'empereur,
chevalier servant de l'impératrice qui, non content d'un
fauteuil au Sénat, a été, contrairement à toutes les
traditions, bombardé conseiller à la Cour de Cassation.
Sous les anciens gouvernements, un homme qui avait eu
l'honneur de tenir un ministère-aurait repoussé avec
indignation l'offre d'un emploi salarié dans le monde
des affaires. Aujourd'hui les choses sont bien changées.
Regardez M. Magnin, ancien ministre des finances,
faisant révoquer, malgré le conseil de régence, M.
Denormandie, républicain lui-même des plus capables et
des plus honorables pour prendre sa place. Ne parle-t-on
pas du remplacement du gouverneur du Crédit Foncier par
M. Constans et d'une compensation à donner à M. Tirard !
Pour satisfaire des ambitions ne vient-on pas de créer
deux ministères avec sous-secrétaires d'Etat
accessoires. Il en coûtera quatre ou cinq cent mille
francs aux contribuables. Les affaires n'iront ni mieux
ni plus mal, mais on aura donné un joli os à ronger à
une douzaine de personnages. C'est l'essentiel.
Si M. Viox veut bien jeter les yeux sur toutes les
monarchies de l'Europe, il remarquera sans peine que les
vertus dont il parle un peu à la légère appartiennent
autant aux Allemands, aux Russes, aux Espagnols qu'aux
Français. Cependant, s'il tient absolument à les
considérer comme un des attributs essentiels de la
République, il reconnaîtra alors qu'il existe fort peu
de républicains dans notre pays. Ce tableau très écourté
que je viens de tracer en témoigne sans réplique.
Il faudrait une bonne fois renoncer à tous ces vieux
clichés par trop éloignés de la vérité et, au lieu
d'étaler de grands mots sans aucun sens, bons tout au
plus pour les naïfs et les aveugles, prouver les
qualités de la République par la valeur des républicains
et démontrer que ceux-ci mettent le désintéressement
au-dessus de l'argent. Ce serait, j'en conviens, une
preuve difficile que ni vous, Monsieur le Rédacteur, ni
moi nous ne verrons faire.
Veuillez agréer, etc. Z.....
- Le Progrès - 3
décembre 1881
Statue Grégoire. - M, Camille Viox,
député, président du comité de la statue de l'abbé
Grégoire, a reçu de ses collègues, MM. Ferdinand
Dreyfus, député de Seine-et-Oise, et Frédéric Pàssy,
député de la Seine, des souscriptions pour la statue de
Grégoire. Ces honorables représentants accompagnent leur
envoi d'une adhésion à l'œuvre entreprise par le comité
de Lunéville.
- Le Progrès - 4
décembre 1881
Statue Grégoire. - Aux journaux de
Paris qui donnent leur adhésion à l'œuvre entreprise par
le comité de Lunéville, nous ajouterons le Temps. Dans
un article à la date du 8 novembre, il rappelle que
Grégoire fit restituer aux israélites leurs droits
civils et politiques, fit décréter l'émancipation des
noirs et proposa l'abolition de la peine de mort ; que,
lorsqu'il mourut, en 1831, 20,000 personnes
accompagnèrent son cercueil ; que la République d'Haïti
a déjà élevé une statue à l'abbé Grégoire, en
reconnaissance de ses efforts en faveur de l'abolition
de l'esclavage
- Le Progrès - 17
décembre 1881
Statue Grégoire. - On lit dans
l'Eclaireur :
Nous extrayons le passage suivant d'une lettre adressée
à M. Camille Viox, président du comité de la statue, par
., Stern, le graveur bien connu de Paris :
« Monsieur,
» L'offre spontanée que je vous fis à Nancy, de coopérer
à la statue de l'abbé Grégoire, était à la fois
l'expression de mon admiration pour votre noble pensée
et de ma reconnaissance pour celui qui fut l'inspirateur
de l'égalité des cultes.
« Je me mets complètement à votre disposition. Je
graverai ce portrait en taille douce et au burin, c'est
le moyen par excellence pour rendre avec énergie et
finesse, les teintes et demi-teintes, etc.
» Agréez, etc. Stern
Ce portrait sera placé en tête de la conférence sur
l'abbé Grégoire, par M, Camille Viox, que le comité se
propose de publier prochainement, ou bien encore tiré à
part pour être vendu au profit de l'œuvre.
La loge maçonnique de Saint-Jean de-Jérusalem, à Nancy,
a envoyé 25 francs à M. Viox, pour la statue de l'abbé
Grégoire
L'abbé Grégoire. - M. A. de la Forge publie, dans le
Siècle de ce jour, une fort belle étude sur l'abbé
Grégoire. Nous empruntons à ce travail quelques extraits
anecdotiques.
« L'abbé présida la séance du 14 juillet 1789. Pendant
que le peuple de Paris prenait la Bastille, cet
ecclésiastique présidait les débats de l'Assemblée
nationale et les dirigeait dans le sens de
l'insurrection. Un orateur royaliste ayant parlé avec
terreur des événements qui s'accomplissaient, le
président Grégoire l'interrompit en ces termes : « Il
faut que la liberté règne, dussions-nous pour cela être
ensevelis sous les décombres de cette salle.» On voit
que notre abbé avait l'éloquence chaude.
A Paris tout le monde l'aimait. Il planait au-dessus des
partis et chaque parti recherchait comme un honneur son
approbation. Il appuyait toutes les réclamations en
faveur de la liberté ! Il se montrait partisan, du droit
illimité de penser, d'écrire et de se réunir. Le
premier, à la Constituante, il réclama le suffrage
universel sans réserve ni restriction aucune, regardant
comme injuste toute proposition de cens électoral. Un de
ses plus beaux discours fut prononcé en faveur du droit
de pétition, qu'il voulait accorder à tout le monde. Il
est facile ce pressentir que de telles opinions servies
par un beau caractère et quelque talent de parole devait
assurer la réélection de l'abbé Grégoire. Il fut envoyé
à la Convention nationale par plusieurs collèges
électoraux. Nous avons vu quel usage il avait fait de
son mandat dans la première réunion de la plus célèbre
de nos assemblées. L'activité de Grégoire ne s'en tint
pas à ce que nous avons raconté. L'abbé Grégoire fut
chargé de réorganiser les bibliothèques départementales
de la France. Il publia à cette occasion un rapport sur
la bibliographie qui est tout simplement un
chef-d'œuvre. Ensuite il prit une part prépondérante aux
discussions et aux travaux pour la généralisation de
l'instruction publique. Plus tard iî dressa l'inventaire
de nos monuments historiques. Enfin il écrivit, en
faveur de l'unité de notre langage national, un mémoire
où il réclamait l'anéantissement des patois. Cet
infatigable travailleur est un de ceux à qui l'on doit
la création de l'Institut.
Avec cet esprit de liberté, l'évêque Grégoire devait
être hostile au 18 brumaire et à l'empire. Bonaparte ne
lui garda pas rancune de son opposition. Il fit plus, il
le nomma sénateur et baron de l'empire. Grégoire eut le
tort grave d'accepter. C'est le petit côté de cette
existence civique, jusque-là si belle. Ici le prêtre
reparait trop. Hélas l'un des plus énergiques
républicains de la Convention nationale, Jean-Bon
Saint-André, s'était laissé engluer, lui aussi, dans la
noblesse impériale. Il n'y eut, au surplus, nous devons
le reconnaître, dans l'attitude de Grégoire à l'égard du
premier empire, rien qui ressemblât à une bassesse ou à
une flagornerie, malgré cela, on se figure assez
malaisément, sous l'habit du sénateur, l'homme qui avait
comparé « les rois à des monstres. » C'était décidément
trop sacrifier au clergé national.
La Restauration vint, heureusement pour lui, rendre
Grégoire à sa dignité en faisant de lui un persécuté et
un proscrit. Il fut chassé de l'évêché de Blois et
condamné à l'exil comme coupable d'avoir voté la mort de
Louis XVI.
Une circonscription électorale le choisit en 1819 pour
député ; mais il fut exclu de îa Chambre comme
inéligible et indigne, c'est-à-dire comme régicide.
Grégoire, fort âgé alors, supporta avec une véritable
grandeur d'âme cette nouvelle injustice. Il ne se
plaignit pas de sa destinée. « J'ai le bon lot et le bon
droit, écrivit-il, puis qu'on ces temps pervers je suis
injurié et persécuté. L'histoire me vengera. Il
s'éteignit quelques années plus tard, en 1825, toujours
doux, toujours vaillant, toujours résigné.
- Le Progrès - 22
décembre 1881
Statue Grégoire. - M. Camille Viox,
député, président du comité formé pour l'érection d'une
statue à l'abbé Grégoire, a reçu la lettre suivante :
« Monsieur le député et cher collègue,
» Le comité de Lunéville a raison ; l'abbé Grégoire est
une des personnalités les plus pures de notre histoire
contemporaine. Le pays qui l'a vu naître a le droit d'en
être fier.
» Nous applaudissons donc de tout notre cœur au projet
que vos concitoyens ont formé d'élever une statue à
cette mémoire justement vénérée.
» Nous sommes heureux d'en témoigner publiquement et de
contribuer, pour notre part, à l'hommage si mérité
qu'ils sa préparent à rendre au philanthrope
infatigable, au savant désintéressé, à l'apôtre de la
tolérance, au patriote illustre qui, le premier en
France, eut l'insigne honneur d'attacher son nom à la
proclamation de la République, devenue aujourd'hui la
forme définitive de nos institutions.
» Veuillez agréer, etc.
» E. Bernard, H.,Varroy, sénateurs ; Berlet, J. Duvaux,
A. Mézières, Th. Petitbien, députés.
- Le Progrès - 27
décembre 1881
CONFÉRENCE DE M. DEBIDOUR SUR
L'ABBÉ GRÉGOIRE. - On lit dans l'Echo toulois :
« Nous avons entendu dans la salle de notre théâtre, le
soir du dimanche 18, une conférence des plus
distinguées. Le talent éminent de l'orateur
personnellement connu, depuis l'an dernier, des Toulois
reconnaissants, avait attiré autour de lui une très
grande quantité de nos concitoyens de l'un et de l'autre
sexe. Et le lendemain, c'était dans Toul un concert
unanime da louanges en faveur de l'orateur et de
l'heureux sujet qu'il avait choisi : chacun se
félicitait d'avoir écouté avec un intérêt toujours
croissant, pendant deux heures, un conférencier qui sait
à la fois remplir de pensées fécondes tout le texte de
son discours et procurer à ses auditeurs un charme aussi
grand que celui d'un attrayant spectacle. »
Après avoir analysé la conférence de M. Debidour et
reproduit dans ses grandes lignes la biographie de
l'abbé Grégoire, l'auteur de l'article ajouta : « Il
s'agit maintenant de donner à la mémoire de l'abbé
Grégoire un témoignage d'estime et de reconnaissance. Ce
témoignage, chacun la sait, ce sera l'érection d'une
statue. Le mouvement existe en Lorraine ; Toul ne peut
manquer d'y entrer et de sa distinguer par la masse de
sas souscriptions, petites et grandes. »
Le projet de nos amis de Lunéville rencontre partout, on
le voit, de chaudes et précieuses sympathies.
- L'Eclaireur - 28
décembre 1881
L'abbé Grégoire.
Un journal de sacristie s'indignait de ce qu'il appelait
l'attitude indécente de la presse républicaine dans
l'affaire de la consécration du pouilleux Labre. «
Benoît Labre était Français, s'écriait magnifiquement la
feuille royaliste, cela devait suffire à lui faire
trouver grâce devant des patriotes ; mais parlez donc de
patriotisme à des républicains... »
Où diable le patriotisme va-t-il parfois se nicher ?...
On lit dans le Clairon : « Quelques opportunistes ont eu
l'idée d'élever une statue à cette vieille canaille
d'abbé Grégoire... »
Pour des gens qui s'agenouillent devant le pouilleux,
les blâmes du Clairon nous semblent bien sévères. L'abbé
Grégoire, une canaille! Bigre ! Fichtre! Quelles
qualités faut-il donc posséder pour mériter, aux yeux du
Clairon, l'épithète d'honnête homme ?
Il n'y eut pas d'hommes plus dévoués à ses semblables
que l'abbé Grégoire. Non-seulement il fut le champion le
plus déterminé de la liberté des noirs, soit avant
l'émancipation des nègres dans nos colonies, décrétée
par la Convention, soit après le rétablissement, de
l'esclavage sous le Consulat ; mais les juifs persécutés
n'eurent pas de protecteur plus dévoué que cet évêque.
Il obtint pour eux ce qu'on leur contestait même après
1789, l'égalité, le titre, les droits de citoyens, et
les synagogues de France, à cette occasion, firent pour
lui des prières publiques.
Toutes les histoires de la Révolution rapportent sa
déclaration solennelle le jour où l'évêque de Paris vint
platement faire abjuration de bon caractère
ecclésiastique et où Grégoire, invité à l'imiter,
répondit: « Ma croyance est hors de votre domaine.
Catholique par conviction et par sentiment, prêtre par
choix, j'ai été désigné par le peuple pour être
évêque... Agissant d'après mes principes sacrés qui me
sont chers et que je vous défie de me ravir, j'ai tâché
de faire du bien dans mon diocèse ; je reste évêque pour
en faire encore »...
Dans la vie privée, Grégoire n'en était pas moins
tolérant pour les opinions philosophiques les plus
contraires aux siennes. Un jour, au temps du Consulat,
Bonaparte, le voyant causer amicalement avec Dupuis,
l'auteur de l'Origine de tous les cultes, lui dit en
souriant : « Comment, vous, Grégoire, avec Dupuis?... et
la religion ? »
- Général, lui répondit Grégoire, Dupuis et moi nous ne
pensons pas de même sur tous les points, mais nous avons
au moins une religion qui nous est commune, c'est celle
de la République.
Grégoire était un beau et rare caractère, messieurs du
Clairon; et tel que vous en pourriez citer bien peu de
semblables dans tout votre épiscopat orthodoxe et
réactionnaire. (Union républicaine.)
- Eclaireur - 28
décembre 1881
M. Viox, président du Comité de la
Statue de l'abbé Grégoire, a reçu la lettre suivante :
Consistoire Central
DES ISRAÉLITES DE
France
Paris, le 15 décembre 1881.
» Messieurs,
» Nous avons appris qu'un Comité c'est formé-à
Lunéville, pour l'érection d'une statue à l'abbé
Grégoire sur l'une des places de cette ville. Le
Consistoire central, représentant légal des Israélites
français, se fait un devoir de contribuer pour une somme
de cinq cents francs à la souscription publique que vous
avez ouverte pour la réalisation de cette œuvres
nationale.
» Nous ne saurions oublier, en effet, Messieurs, la part
considérable que prit l'abbé Grégoire à l'émancipation
des Juifs, lors de la Révolution française ; nous ne
saurions oublier avec quelle éloquence et quelle ardeur
il prit en mains notre cause, avec quelle vaillance il
se fît le champion de nos revendications et de nos
droits. Aussi, Messieurs, sommes-nous heureux de saisir
l'occasion qui s'offre à nous de donner un modeste
témoignage de nôtre gratitude à celui dont tous nos
coreligionnaires honorent la mémoire, et qui, par son
esprit de justice, et de tolérance, nous valut d'être
comptés enfin parmi les citoyens français.
» Recevez, Messieurs, l'assurance de notre considération
la plus distinguée,
Les Membres du Consistoire central, Isidore, grand
rabbin ; Alphonse Rothschild ; Bédarrides ; Eugène
Manuel ; E. Attias ; Léonce Lehmann ; Antoine
Koenigswarter ; A. SÉE ; Dr WORMS ; Masse ;
Dreyfus-Dupont ; Théodore Lévy ; M. Lévy. »
Le Comité ne peut qu'être profondément touché de cette
adhésion imposante. Messieurs les Membres du Consistoire
central sont tous des hommes éminents, occupant de
hautes positions, soit dans les fonctions publiques,
soit dans les professions libérales.
- Journal de Lunéville
- 28 décembre 1881
L'abbé Grégoire
Il n'y a guère de jour où certaine presse locale n'offre
à ses lecteurs une réclame en faveur de l'abbé Grégoire,
de même que bien peu d'habitants de notre arrondissement
échappent aux circulaires ou aux visites qui ont pour
but de battre monnaie en faveur d'une statue à ériger à
l'ancien curé d'Emberménil et évêque de Blois.
Il y a là matière aune propagande qui peut se faire sous
un double drapeau, et si les quêteurs de cette œuvre
connaissent la vie de l'abbé Grégoire, ce qui est
douteux, et sont habiles, ils peuvent approprier leur
langage aux convictions des gens auxquels ils
s'adressent, présentant leur client aux uns comme le
révolutionnaire qui a voté la mort de Louis XVI et
associé son nom aux actes de la Convention, aux autres
comme le prêtre resté fidèle à la foi catholique.
Ce contraste se trouve, en effet, dans la vie de l'abbé
Grégoire et doit mettre la plupart de ceux qui se font
ses patrons et ses admirateurs en contradiction avec
leurs antécédents et leurs principes, à supposer qu'ils
en aient. Ainsi, prenons la propagande qui se fait
aujourd'hui à Lunéville en sa faveur, elle émane de
libres-penseurs, admirateurs de Voltaire, adversaires
des ordres religieux, c'est-à-dire de gens en opposition
complète avec les sentiments de l'abbé Grégoire qui,
s'il existait, répudierait leur patronage et serait du
parti des républicains cléricaux.
Car l'abbé Grégoire n'aimait pas les libres-penseurs et
il l'a bien prouvé en restant fidèle, au milieu de la
tourmente révolutionnaire, à la foi et aux pratiques du
culte catholique. Lorsqu'il fut nommé évêque, il reçut
une adresse de ses anciens paroissiens d'Emberménil, et
dans sa réponse se trouvent ces mots : « Vous avez un
curé selon le cœur de Dieu, ne contristez pas son âme...
Son fardeau est plus pesant que le vôtre. Dans toutes
les paroisses il est des brebis égarées Voyez si ceux
qui se montrent les ennemis de leurs curés, ne sont
presque pas toujours les plus mauvais sujets d'une
paroisse. »
Quant à Voltaire, il était pour l'abbé Grégoire un
gentilhomme libertin, un docteur d'impiété et de
cynisme. « J'ignore, dit-il quelque-part, s'il est vrai
que Voltaire ait trompé ses libraires, mais on sait
qu'il volait ses bougies à Berlin. Ce fait m'a été
attesté de nouveau par l'excellente princesse Amélie de
Weimar. »
Enfin, l'abbé Grégoire s'est fait l'avocat des ordres
religieux et un des motifs de sa haine contre le
gouvernement de Louis XV a été l'expulsion des Jésuites
prononcée par ce prince. Les 11 et 19 février 1790, à la
tribune de l'Assemblée nationale, il prenait la défense
des moines, rappelant leurs services rendus à
l'agriculture, il citait parmi les vexations de l'ancien
gouvernement celles qui avaient été exercées contre un
ordre célèbre, les Jésuites, et demandait qu'ils fussent
compris dans les pensions auxquelles devaient être
appelés les religieux sortis du cloître. Elevé par les
Jésuites, l'abbé Grégoire avait conservé de ses maîtres
un souvenir reconnaissant et tout en déclarant qu'il
n'aimait pas l'esprit de la défunte compagnie, il
affirmait n'y avoir reçu que de bons exemples et
d'utiles enseignements.
Ah ! messieurs du comité, au lieu d'élever une statue à
l'abbé Grégoire, que ne lui rendez vous hommage en
prenant exemple sur ses exemples de tolérance et de
libéralisme? Catholique, il protégeait les juifs; homme
de peau blanche, il se faisait le défenseur des nègres.
Cette élévation des sentiments, cette générosité du cœur
vous font défaut vis-à-vis de ceux qui, par conviction,
ont revêtu la robe monastique. Parce qu'ils ne pensent
pas comme vous, vous demandez qu'on supprime leurs
associations, qu'on persécute leurs personnes. Question
de défense sociale, dites-vous, mais alors que signifie
la devise : liberté, égalité, fraternité? Et d'ailleurs,
vous sied-il d'invoquer le danger social des Jésuites en
même temps que vous présentez comme un type de toutes
les vertus républicaines, l'abbé Grégoire, leur élève et
leur défenseur ?
- Le Progrès - 3
janvier 1882
CONFÉRENCE DE M. VIOX A BLAMONT. -
Lundi dernier, M. Viox, député de Lunéville a fait, à
Blâmont, une intéressante conférence sur l'abbé
Grégoire. L'auditoire, très sympathique, comprenait au
moins 300 personnes. Un plus grand nombre s'étaient
présentées, mais n'avaient pu entrer faute de place. Le
bureau était composé de MM. Brice, conseiller général,
Isay, Barthélémy et Bister, maire de Vého, lieu dé
naissance de l'abbé Grégoire. La musique instrumentale
de Blâmont a ouvert la séance en exécutant la
Marseillaise d'une façon réellement remarquable. M.
Brice a ensuite présenté l'orateur et annoncé
l'ouverture d'une série de conférences à Blâmont. M.
Viox a pris alors la parole et, dans un langage élevé et
patriotique, il a fait ressortir le mérite
extraordinaire de ce curé d'Emberménil assez indépendant
d'6sprit pour s'élever au-dessus des préjugés politiques
de sa robe et pour se dévouer tout entier à
l'établissement de la République en France. L'éloge de
la Convention, fait à grands traits, prononcé d'une voix
convaincue et vibrante, a profondément remué
l'auditoire. Des applaudissements chaleureux ont prou vé
à M. Viox qu'il avait su trouver le chemin des cœurs.
A la fin de la séance, M. Brice a adressé au
conférencier des remerciements cordiaux et annoncé que
la souscription pour la statue était ouverte. Nous
sommes persuadé qu'elle sera fructueuse partout où de
pareilles conférences seront faites. Nous félicitons M.
Viox d'employer ses vacances parlementaires à faire
connaître un des hommes qui sont l'honneur de notre
grande Révolution.
- L'Eclaireur - 8
janvier 1882
La Souscription Grégoire
Le Comité central de l'Alliance israélite universelle a
adressé à M. Viox, député, Président du Comité de la
Statue de l'abbé Grégoire la lettre suivante :
Alliance Israélite Universelle
Paris, le 3 janvier 1882.
Monsieur le Président,
Le Comité central de l'Alliance israélite universelle a
été heureux d'apprendre qu'un comité s'est formé à
Lunéville pour élever une statue à l'abbé Grégoire.
Nous croyons accomplir un devoir de reconnaissance en
nous associant à cette oeuvre. L'abbé Grégoire, outre
les services politiques qu'il a rendus à notre pays, a
été un des premiers en France qui se soient passionnés
pour le principe de la liberté de conscience. Déjà avant
la Révolution, il envoyait à l'Académie de Metz, en
réponse à une question concernant l'émancipation des
juifs, un mémoire empreint des plus nobles sentiments et
qui fut couronné par l'Académie. A l'Assemblée
nationale, il a saisi toutes les occasions de
revendiquer pour tous les cultes l'égalité devant la loi
et dans la Société. Cette pensée généreuse, qui se
retrouve dans tous ses écrits, a été toute îa
préoccupalion de sa vie. Il a eu le bonheur de la voir
triompher eu France et, passer de notre pays dans tous
les pays civilisés. Cette victoire des idées de liberté
et de fraternité est en partie son œuvre ; elle est la
gloire de l'abbé Grégoire et l'honneur de son nom.
Veuillez agréer, M. le Président, avec notre modeste
offrande, l'expression de tous-nos vœux pour le succès
de votre œuvre et l'assurance de notre haute
considération. Le Secrétaire, Signé : Loewe. Le
Secrétaire général, Signé : Leven.
A cette lettre était joint un billet de 500 fr.
- Le Progrès - 25
janvier 1882
STATUE DE L'ABBE GRÉGOIRE. - NOUS
avons annoncé déjà qu'un comité s'est formé à Lunéville,
pour l'érection d'une statue à l'abbé Grégoire.
Une section de ce comité vient de se constituer à Nancy.
Elle est composée de MM. Volland, maire; Adam, adjoint;
Lambert, Grillon, Schott, conseillers municipaux ;
Noblot, vice-président du conseil général ; Debidour,
professeur à la Faculté des lettres ; Jules Gouguenheim,
ancien négociant ; Bichat, conseiller général,
professeur à la Faculté des sciences ; Lucien Wiener,
conservateur du musée lorrain ; Ravold, sousinspecteur
de l'assistance publique.
Le premier soin de ce sous-comité a été de publier une
brochure retraçant à grands traits l'existence si bien
rem plie de l'abbé Grégoire.
Cette brochure, dont la rédaction a été confiée à M.
Debidour, sera délivrée gratuitement à tous las
souscripteurs qui en feront la demande.
On peut se la procurer au bureau du journal et chez tous
les libraires.
Dès aujourd'hui nous recevrons les souscriptions que
l'on voudra bien nous envoyer et nous publierons la
liste des souscripteurs.
Les lettres, demandes da brochures, etc., devront être
adressées à M. Gouguenheim,trésorier, rue des Carmes 40.
- Le Progrès - 17
janvier 1882
L'abbé Grégoire - M. Carnot a lu,
le 14 janvier dernier, dans une séance de l'Académie des
sciences morales et politiques, un travail sur l'abbé
Grégoire. Il a traité ce sujet avec beaucoup d'ampleur
et de développement.
Un trait inédit., rapporté par M. Carnot, donne une idée
de la pétulance avec laquelle le brave curé se
manifestait aux Etats-Généraux. Un jour, trouvant des
barrières placées, par ordre des maîtres des cérémonies,
pour séparer l'entrée des divers ordres, Grégoire
protesta tout haut et vivement contre ces distinctions ;
puis, joignant l'acte aux paroles, il enjamba lestement
les barrières qu'on dressait devant son orgueil
plébéien.
- Le Progrès - 25
janvier 1882
Statue Grégoire. - Il a été
question de Lunéville et de la statue Grégoire dans le
dernier sermon de M. Hyacinthe Loyson, aux vêpres de la
petite église gallicane de la rue d'Arras. Voici à
quelle occasion. M. Loyson parlait du mouvement
antisémitique de l'Allemagne et de la Russie. Ces faits,
ajouta-t-il, ont causé en Angleterre un sentiment
unanime de réprobation ; les anglicans, représentés par
l'archevêque de Canterbury, les catholiques, par le
cardinal Manning, et les protestants dissidents par lord
Shaftesbury, se sont réunis pour protester et pour
secourir les victimes. M. Loyson se demande si la France
se laissera distancer dans cette oeuvre de générosité,
alors que Lunéville se prépare à élever une statue à
Grégoire qui prit l'initiative de l'émancipation des
Israélites. |