Essai
historique sur la brasserie française
France Weber
Éd. Soissons, 1900
LA BRASSERIE EN
LORRAINE
Alors que nous
venions de nous documenter aux Archives de
Meurthe-et-Moselle, où l'obligeance de M. Duvernoy, le
très aimable archiviste, avait facilité nos recherches,
communication nous fut faite (1) du remarquable travail
de M. Henri Lepage sur la « Bière en Lorraine.» (2)
Notre curiosité nous ayant fait remonter aux mêmes
sources, nous devions fatalement nous rencontrer avec M.
H. Lepage. Tout rapprochement fait, notre documentation
était semblable, sinon dans les détails que l'auteur a
prodigués pour le plus grand intérêt de ses lecteurs, au
moins dans ses grandes lignes. Le cadre que nous nous
sommes tracé ne comportant pas l'étude de la Brasserie
de chaque région d'une manière aussi étendue, nous nous
faisons un plaisir de rappeler aux lecteurs l'ouvrage
précité.
D'après un historien (3) dont M. H. Lepage cite le
texte, l'industrie de la Brasserie en Lorraine fut aux
VIIIe et IXe siècles ce qu'elle était précédemment. « La
fabrication de la Bière et de la Cervoise continuait à
occuper une multitude d'individus, et ces liqueurs
remplaçaient souvent le vin, qui était à ce qu'il paraît
d'un prix assez élevé (4). Le chapitre 23 de la règle
établie par l'évêque de Metz, Chrodegang (749-767) pour
les chanoines des cathédrales, mentionne la Cervoise »,
le même historien ajoute que dans la donation du Quincy
à l'abbaye de Gorze (en 770) il est fait mention de
Brasseries, Camba, dit le texte latin, d'où Cambier,
brasseur, terme que nous retrouvons en Picardie et dans
les Flandres.
Au point de vue corporatif (5), une seule pièce attire
l'attention, elle est classée aux Archives sous le n° B
220. Il s'agit d'une requête et des statuts que voici :
(15 Décembre 1716).
« Léopold par la grâce de Dieu...
Requête présentée par les Maîtres Boulangers,
ordinairement Brasseurs et vendeurs de Bierres, et les
meusniers de nos villes de Zarguemines, Bitche,
Puttelange et autres lieux, comprenant l'office de la
dite ville de Zarguemines, tendant à ce qu'il lui plaise
Enthériner leurs lettres patentes en forme de Chartes,
que nous leur avons accordé, le septième Octobre
dernier, par lesquelles nous les avons érigés et
establis en corps de Communauté de maîtrise, pour être
régis et gouvernés suivant et conformément aux dites
lettres de Chartes, statuts, ordonnances et règlements
contenus es-articles. - Spéciffiez, l'ordonnance de
notre dite Chambre de soit communiqué, etc. etc. »
Cette requête indique qu'en l'année 1632, leurs auteurs
s'étaient pourvus, vers les ducs, pour en obtenir des
lettres patentes en forme de Chartes d'érection de leurs
corps en maîtrises, suivant articles qu'ils firent
dresser à cet effet, mais que les guerres qui survinrent
tout à coup « et qui ont pendant longtemps désolé nos
Estats, les ayant empêchés de poursuivre cet
établissement, il s'est depuis ce temps glissé plusieurs
abus et malversations dans l'exercice de leur métier, au
grand préjudice du public, pour lesquels faire cesser,
et faire régner parmi eux une bonne police, ils
désireraient, à l'exemple de leurs voisins, être
establis en corps et communauté de maîtrise, suivant et
conformément aux nouveaux articles qu'ils ont fait
dresser sur les statuts et chartes accordés à ceux de
pareils mestiers de plusieurs de nos Estats. Pour ce à
quoy parvenir etc. etc. rappelons des causes qui leur
ont fait désirer ces statuts. »
L'examen des statuts nous réserve une déception car, en
fait de Bière, il n'y est guère question que
d'eau-de-vie, que les intéressés pourront vendre les
jours de fête « ainsi qu'ils ont fait d'ancienneté »
(art. XIII). Les autres articles disposent : l'article
premier, que chaque année les membres de la corporation
pourront choisir un maître, deux jurés, un greffier et
un sergent, pour gérer, gouverner et manier les affaires
de ladite maîtrise et juger tous les faits et différents
qui la concerneront ; lesdits prêteront serment entre
les mains du Prévôt de Sarguemines.
L'art. II, que tous les maîtres et compagnons des dites
professions seront tenus d'assister assidûment en corps
aux vêpres qui se célébreront la veille de Saint Honoré,
leur patron ; le lendemain à la messe et aux vêpres, à
peine contre le contrevenant de deux francs d'amende «
monnaye du paijs » chaque fois qu'il y manquera sans
excuses légitimes.
L'art. III, obligation d'assister aux obsèques de leurs
confrères et de leurs femmes, sous peine de deux francs
d'amende.
L'art. IV, de la reddition des comptes.
L'art. V, chaque maître et chaque compagnon seront tenus
de payer, le lendemain de la fête du patron, quatre
sols, pour l'entretien de la chapelle.
L'art. VI, règle les conditions d'admission à la
maîtrise ; les certificats d'apprentissage et de bonne
vie sont indispensables, le droit d'entrée est fixé à 50
francs, dont moitié applicable aux domaines du duc et
moitié aux deux livres de cire, au profit de la
confrérie.
L'art. VII, nous apprend que les maîtres qui auront été
reçus dans des maîtrises étrangères devront en
justifier, pour être admis, qu'ils sont de bonne vie,
et, en outre, « professent la foi catholique,
apostolique et romaine. » Ils auront à payer 50 francs,
plus deux livres de cire, applicables comme ci-dessus.
L'art. VIII dit que les veuves, fils de maîtres qui
épousent des maris des dites professions, non encore
reçus à la maîtrise et les fils de maître, ne paieront
que moitié des droits de réception.
L'art. IX, traite de l'apprentissage : nul n'y sera
admis s'il ne paie un droit de 7 francs ; les fils de
maître ne paieront que moitié, qui seront applicables à
la décoration de la confrérie.
L'art. X, défend aux maîtres de débaucher, sous quelque
prétexte que. ce soit, les compagnons de leurs
confrères, sous peine de 3 francs d'amende pour la
première fois et du double pour la seconde ; dont moitié
applicable aux domaines du duc et moitié à la décoration
de la confrérie.
L'art. XI, confère aux jurés le droit de s'assembler
quand bon leur semblera.
L'art. XII, défend de travailler les jours de fêtes
solennelles, comme : Pâques, Ascension, Trinité,
Fête-Dieu, Pentecôte et Noël, sous peine de 7 francs
d'amende et du double pour la seconde fois. Nous ne
reviendrons pas sur l'art. XIII, et négligeant les XIV,
XV et XVII, nous dirons que, de par l'art. XVI, les prix
étaient établis par ceux des premiers arrivés dans les
Bourgs, Villages etc., etc.
On voit d'après ce qui précède, que l'usage de la
Cervoise était pratiqué dès une époque très ancienne en
Lorraine. Malgré cela les archives de cette province ne
paraissent renfermer aucun document antérieur au XVIe
siècle de nature à nous fixer d'une façon certaine; « on
voit, dit M. H. Lepage, en 1516, le duc Antoine faire
don d'une tonnette de Cervoise aux Clarisses de
Pont-à-Mousson, dans le couvent desquelles s'était
retirée sa mère, Philippe de Gueldres, après la mort de
Réné II ; et il paraît que la fabrication de ce breuvage
avait pris dès lors, une certaine importance dans cette
ville, puisqu'il y faisait l'objet d'un impôt
particulier. On lit dans un compte du domaine et de la
Prévôté du Pont, pour l'année 1530 :
La Gabelle de la Servoise
« Ladite gabelle que est telle que ceulx qui vendent
Servoyse dans la ville doibvent 8 gros j à nostre
souverain seigneur (le duc), à cause de la Cervoise
qu'ils vendent, brassée au dit Pont et ailleurs »
suivent les reçus de divers vendeurs qui font
déclaration sous serment, de l'importance de leurs
ventes. Plus tard, en 1595, on voit le fisc affermer la
gabelle pour trois années à un nommé « de Jean le
Cuisinier dit le Bonnetier», pour la somme de
quarante-quatre francs payable chaque année au jour de
Noël.« Ledict droit qui est tel que tous ceulx qui
vendent cervoise brassée audict Pont ou ailleurs,
doibvent à Son Altesse de dix gros l'ung de celle qui se
vend audict Pont ».
On trouve d'autres traces de droit de gabelle en 1583
dans des comptes du domaine de Hombourg et Saint-Avold,
et, fait remarquer M. H. Lepage, à une époque plus
reculée (1411-1415) où les « Gouverneurs » de
Saint-Mihiel avaient obtenu d'Edouard III, duc de Bar,
puis des ducs Réné II et Antoine, par « privilèges
particuliers, le droit et permission de faire et vendre
bierre (6) et cervoise, tant au dedans d'icelle ville
que par tous les villages de la Prévôté etc. etc. » Ces
privilèges furent confirmés par le duc Henri II en 1611.
Ces divers documents établissent suffisamment
l'ancienneté de l'usage de la Cervoise en Lorraine.
En 1587, Commission fut donnée à un nommé Jean Collonet,
contrôleur de l'hôtel du duc Charles III, « pour se
transporter ès-baillages de Nancy. Vosges, Saint Mihiel
etc. etc. (7) et reconnaître les lieux les plus
convenables à brasser bierre, et y faire promptement
travailler, et ce, à cause de l'extrême disette et
cherté des vins, provenant de la stérilité des vendanges
dernières, afin de servir de boisson tant aux sujets du
duc qu'aux gens de guerre de son armée. »
A cette époque, soit pour cause de pénurie de vin, soit
question de goût, on voit l'usage de la Bière se
développer en Lorraine. Cette boisson apparaît sur les
tables princières. En cette année 1587, le Cellerier de
Nancy fait dépense de cinq bichets de blé pour servir à
la confection de bière destinée aux princesses ; et de
trois réseaux et un bichet (8) d'avoine, pour celle des
domestiques de leur maison. A partir de 1589, le
Cellerier délivre du blé et de l'avoine
« pour faire bierre en l'Etat du duc» on trouve en 1590,
mention de dépense à cet effet. En 1591, du blé fut
délivré à frère Didier, brasseur au Couvent des
Cordeliers, pour bière qu'il avait brassée pour le
défruit (9) de l'hôtel du duc.
Il semble résulter de ce qui précède que deux qualités
de bières étaient pratiquées, la première bière de blé
pour les maîtres, la seconde bière d'avoine pour la
domesticité.
Entre temps, en 1588, Charles III avait fait délivrer
certaines sommes aux Cordeliers de Nancy pour les aider
à acheter une grande chaudière « et avoir moyen de faire
plus grande quantité de bière pour le défruit de l'hôtel
du duc » et aux Cordeliers de Vic, pour les aider à
réfectionner leur Brasserie.
La bière des Cordeliers était renommée ; son mode de
fabrication était donné pour modèle ; une ordonnance du
Conseil de ville réglant la confection de la bière «
telle quelle se fait aux Cordeliers » porte : « Fault
pour une brassée (un brassin), ung resal et demy moyen
bled, six resaux d'orge, vingt livres de houbelon ».
En 1589, achat fut fait d'une chaudière pour établir au
château de Hombourg, une brasserie destinée à alimenter
les soldats. On trouve en 1591, le compte de dépenses
faites pour la maçonnerie de cette chaudière. En cette
même année 1589, le duc Charles III fit ériger à la
ville Neuve (Nancy), une Brasserie ; les dépenses
qu'elle occasionna furent acquittées par le trésorier
général des guerres ; cette Brasserie fut « démontée »
en 1591 et menée à la Grande Maison de la ville Vieille
; le bâtiment dans lequel elle avait été établie
conserva le nom de Bierrerie (10).
« L'usage de la bière s'était alors assez généralisé,
dit M. H. Lepage, pour que cette boisson devint matière
à impôt. Le 6 février 1590, les Etats généraux ayant
accordé à Charles III une aide extraordinaire pour
subvenir à l'entretien de son armée, ils l'autorisèrent
à perçevoir le dixième denier du vin et de la bière qui
se vendraient à la feuillée ». Nous passerons les
détails de taux et de mode de perception jusqu'en 1628,
pour nous arrêter à la remarque suivante de l'auteur
précité : « Il ne paraît pas que l'on débitât de la
bière dans les établissements publics, car les
ordonnances de la Chambre de Ville relatives à la police
des hôteliers et cabaretiers n'en parlent pas ».
En 1611, confirmation fut donnée aux habitants de
Saint-Mihiel du privilège de faire et vendre bière et
cervoise.
En 1615, on trouve un compte de dépense faite pour
réparation à la brasserie du château de Jametz (11)
(Meuse) et les suivants, qui comportent, soit des
« recettes et dépenses en deniers » de la bière vendue en
l'office ou « de l'Amodiation de la ferme ou faculté de
faire bière » : 1616, Recette office de Charmes ; 1617,
Amodiation de la ferme et faculté de pouvoir faire bière
à Raon-l'Etape ; 1618, Recette en deniers des
particuliers de Saint-Nicolas, amodiés pour faire et
vendre bière audit lieu ; 1619, Amodiation du privilège
de la confection de la bière dans l'office de
Vaudrevange, Redevance due par un individu à cause d'une
place pour y construire une brasserie proche de l'étang
contre la dite ville (12) ; 1620, Recette provenant de
l'Amodiation de la seigneurie de Bitche, et du droit de
confection de la bière dans l'office de Charmes; 1621
Recettes sur les bières qui se façonnent à Jametz, à
Romagne en la Prévôté de Marsal ; 1626, en celles de
Mirecourt et de Remoncourt ; 1629, Recette pour
permission de faire bière à Tigéville; Recette en
l'office de Châtel-sur-Moselle ; Amodiation du droit de
la confection de la bière au Val-de-Liepvre (canton de
Sainte-Marie-aux-Mines ; 1631, Recettes du droit de
l'amodiation des bières en les offices d'Arches et de
Lunéville ; 1632, Amodiation du privilège en les offices
de Saint-Dié et de Raon ; 1665, Recette de la gabelle de
la bière dans la ville de Fénétrange ; 1699-1712,
comptes de la mense conventuelle de l'abbaye de Domêvre
pour façon de bière ; 1700-1733, Dépenses pour bière du
prieuré de Viviers (près Longwy). Ces indications
permettent d'apprécier l'importance de la fabrication de
la bière en Lorraine au point de vue de l'étendue de son
usage du XVIe au XVIIIe siècle.
Au cours de cette période, une ordonnance, en date du 13
avril 1709, porte que l'on fera visite chez les
Brasseurs et ceux qui ont des orges en réserve pour les
obliger à en distribuer à 25 francs le rezal pour semer
leurs terres, et défend aux brasseurs d'employer
d'autres grains que de l'avoine pour faire la bière. Le
18 août de la même année, parut un arrêt du Conseil
d'Etat qui leva la taxe des vieux blés et autres grains,
réitérant les défenses d'en transporter hors des Etats
et celles faites aux brasseurs.
Ces défenses furent levées par ordonnance en date du 18
Mars 1710.
Nous ajouterons les mentions suivantes qui, dans le même
ordre d'idées, présentent quelque intérêt : En
1627-1635, le couvent des Religieuses de
Sainte-Elisabeth à Ormes (près Tantonville),
consommaient de la bière de Vézelise et de Bayon et en
1643-1665 de la bière de Mirecourt ; ainsi qu'il résulte
de leurs comptes d'achats. En 1650, mention est faite
que le droit de« faire bière» dans la prévôté de
Dompaire n'a été amodié depuis les guerres. En 1657,
aucune recette ne fut faite en l'office d'Einville « n'y
ayant eu personne qui en ait confectionné cette année,
non plus qu'auparavant les guerres ».En 1664, permission
fut accordée à plusieurs individus du comté de Ligny, de
faire de l'eau-de-vie et de la bière. En 1716, on
établit une Brasserie à Puttelange.
En 1734-1735, a lieu l'adjudication du droit de faciende
et d'entrée des bières à Lunéville.
Parmi les arrêts nous relevons les suivants : année
1742, arrêt au sujet du privilège de la faciende de la
bière dans l'office de Dieuze, et en 1751, arrêt
défendant de brasser des bières sans la permission des
fermiers du domaine.
En 1781, confirmation est donnée, d'acensement (13) du
droit de faire brasser de la bière dans l'étendue de la
seigneurie d'Eppelborn. Dans les rôles de l'industrie
des années 1789-1790, il est question des Brasseurs de
Bouquenon, Sarrable et Blamont, que nous n'avons pas
mentionnés jusqu'ici ; ce qui nous permet de relever que
cette dernière localité possédait une Brasserie en
l'année 1641, ainsi qu'il résulte de l'indication d'une
somme payée à cette Brasserie, pour bière fournie à
l'abbaye de Domêvre.
Quelques requêtes méritent d'être mentionnées. En 1619,
le 17 janvier, les maire, gens de Justice et habitants
de Saint-Avold et villages dépendant dudit lieu,
présentèrent, au duc de Lorraine, une requête tendant «
à ce qu'il lui plaise, accorder leurs franchises,
privilèges et libertés contre les prétentions du sieur
Croonders, receveur de Hombourg, qui voudrait empêcher
les particuliers qui font de la bierre, de payer
certaine redevance pour en avoir la permission. Décrétée
d'un renvoy aux gens des Comptes de Lorraine, pour
examiner les privilèges desdits habitants. »
En 1661, le 24 août, nouvelle requête des habitants de
Saint-Avold, au duc de Lorraine, exposant que pour
trouver les moyens d'acquitter les charges de leur dette
communale, ils supplient le duc de leur permettre
d'imposer la somme de dix gros par mesure de bierre.
Cette permission leur fut accordée ; le décret qui la
leur confère suit la copie de l'acte.
En 1702, requête fut présentée par les Carmes de
Gerbeviller aux commissaires-députés, pour les droits
d'amortissement, dans laquelle ils font l'énumération de
leurs dettes : « Ce qui fait que leur maison ayant à
peine de quoi vivre, tant par leur peu de revenus que
par leurs quêtes, ils se trouvent obligés, avec leur
nourriture pauvre et maigre, de n'avoir que de la bière
pour leur boisson ordinaire, »
L'extension de la fabrication de la bière en Lorraine
tenta la cupidité de certains brasseurs ; des abus
s'ensuivirent, au grand préjudice des consommateurs ;
pour les réprimer, le duc Henri II, rendit une
ordonnance motivée et aux termes de laquelle défense fut
faite de brasser sans commission. « Les bières devront
être faites de choses saines, afin de ne pas risquer de
nuire à la santé de ceux qui usent de cette boisson ;
elles ne devront pas être vendues à plus haut prix que
de raison Et afin que, d'ici en avant, notre peuple et
nos sujets soient bien et duement servis desdites
bières, nous avons ordonné diverses commissions être
expédiées à aucuns nos brasseurs et ouvriers d'icelle,
pourvus de suffisance, fidélité et expérience en ce
métier, pour en faire et brasser en telles de nos
villes, bourgs et villages où nous jugerons y avoir
besoin, et desquels commis, nos dits sujets qui
voudraient en user auront doresnavant à les acheter au
prix que, de trois mois en trois mois, les dites bières
seront taxées, par tels de nos officiers des lieux à qui
il appartient de connoitre et ordonner de la police des
vivres. »
Ces défenses ne s'appliquaient pas aux communautés, qui
ne pouvaient cependant brasser que pour leurs besoins ;
ni à l'hôtel du duc, ainsi qu'aux maisons de « notre
cher frère et de notre très chère sœur, en chacune
desquelles il pourra y avoir tels brasseurs de bière que
bon leur semblera, pour le défruit d'icelles, tant
seulement. »
Cette défense ayant provoqué la fraude sous forme
d'introduction de bières fabriquées au dehors ; une
nouvelle ordonnance rendue en 1610, le 16 Janvier,
défendit d'introduire des bières sans permission. Mais
ces défenses étant impuissantes à empêcher la fraude
elles furent renouvelées par ordonnance en date du 28
avril 1614; le taux des amendes fut élevé.
En 1621, privilège fut donné à un nommé Claude Martin
(commis de la batterie de cuivre de Nancy) pour la
fabrication et la vente de la bière, dans le duché de
Lorraine : moyennant la somme de dix-huit mille francs,
pour neuf années, à raison de deux mille francs chacune.
C'était là un moyen de simplifier les opérations du
fisc. Claude Martin ne renouvela pas son bail, mais prit
seulement à ferme pour six années, moyennant la somme
annuelle de 693 francs, le privilège de la fabrication
de la bière dans l'office de Nancy.
En 1666, réduction fut accordée à Tousssaint de Mory,
fermier de la faciende des Bières en la ville de Nancy,
à cause d'une certaine quantité de drap de Hollande
qu'il avait fournie au duc; Charles III, lui fit donner
quittance de la somme de 1350 francs, prix de la ferme
de la dite faciende pour les trois premiers quartiers de
1666, somme équivalente à sa fourniture de drap. Par le
chiffre de fermage ci-dessus, on voit qu'il y a progrès
appréciable dans la fabrication et par conséquent dans
la consommation de la bière au cours de la période de
1621 à 1666.
Braderie des
Bénédictins Anglais de Dieulouard
En 1721, on trouve
mention de dépense faite pour la maçonnerie de cette
Brasserie. Plus tard, en 1733 et 1736, le duc de
Lorraine, François III, permet à ces religieux de
distribuer dans ses états, la bière qu'ils feraient
brasser dans leur maison.
Chassés de leur pays d'origine par la persécution
religieuse, ces Bénédictins étaient venus s'établir à
Dieulouard où, pour subvenir à leurs besoins personnels,
puis pour se créer des revenus, ils se mirent à
fabriquer de la bière qui acquit bientôt la renommée;
ils la conservèrent ainsi que leur privilège (en payant
toutefois les droits d'usage) jusqu'au moment de la
suppression de leur communauté. En effet, en 1779- 1790,
mention existe d'achat de leur bière par le noviciat de
l'abbaye de Pont-à-Mousson.
Un auteur contemporain, M. Andreu de Bilistein, dit M.
H. Lepage, à même d'apprécier les qualités qui
distinguaient la Bière des Bénédictins précités, donne
les détails qui suivent à ce sujet : « On ne brasse de
la bierre qu'à Nancy et à Dieulouard et dans quelques
contrées voisines de l'Allemagne, encore dans quelques
couvens de religieux pour leur usage, quand le vin
manque. Notre peuple en général ne connoit la bierre que
de nom....
La bierre fait, après le vin, l'article le plus
considérable pour l'usage. Les matières qui la composent
sont des grains, blés barbus et orges, des houblons et
de l'eau.... La brasserie principale de Lorraine est
celle de Nancy; il en est plusieurs dans la Lorraine
allemande et dans les parties limitrophes du duché de
Luxembourg. La brasserie de Dieulouard, tenue par des
Bénédictins anglois et irlandois, doit passer pour
Lorraine La bierre de Dieulouard approche de celle
d'Angleterre en goût et en force, elle pétille comme du
vin de Champagne mousseux, supporte le mélange de l'eau,
se conserve longtemps et se transporte sans altération.
Nos grains, nos eaux, notre air font ses qualités...
Après la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy, qui
est de bonne qualité....
« La bierre se vend dans l'intérieur de la province et
au dehors, et le houblon s'envoie également chez
l'étranger, lorsqu'il est d'une qualité qui le fait
désirer, comme est celui d'Angleterre, de Bohême, de
Liège, etc.... C'est une boisson saine, lorsqu'elle est
bien faite ; elle porte avec elle son agrément et son
indemnité, étant fort substantielle. »....
L'abondance des documents relatifs à l'histoire de la
bière en Lorraine, l'intérêt que nous avons trouvé dans
la lecture de l'étude si attachante de l'œuvre
abondamment circonstanciée qu'en a faite M. H. Lepage,
nous a entraîné au-delà des limites que nous nous étions
tracées. Nous ne saurions mieux faire que d'engager les
lecteurs amateurs des moindres détails pouvant les
intéresser, à lire l'étude précitée.
Maintenant, arrivons à la Brasserie de Nancy, où, en
1701, privilège fut accordé pour l'établissement d'une
Brasserie, qui nous semble être celle qui fut établie
près du moulin de Saint-Thiébaut, et dont état de
dépenses de constructions nous apparaît en 1703,
acquitté par le duc Léopold; ces dépenses « s'élevaient
à la somme de 6.255 francs 9 gros faisant celle de 2.681
livres. »
En 1724, privilège fut donné à Evrard Hoffmann pour la
fabrication de la bière des Flandres à Nancy. En 1767,
le dit Hoffmann abandonna au domaine le terrain de la
Brasserie de Saint-Thiébaut à Nancy, destiné à
l'établissement du nouvel hôpital militaire, en échange
des bâtiments de l'hôpital militaire, place de grève
(Dombasle).
Evrard Hoffmann avait acheté pour la somme de 9.000
livres tournois le matériel de la Brasserie à une dame
Françoise Frémion, veuve de Deschamps, fondateur de
l'établissement. Ce Deschamps, valet de pied de Léopold
et flamand d'origine, était parvenu à obtenir du duc le
privilège de la fabrication et de la vente de la bière,
de la façon et qualité de celle qui se brassait en
Flandre, faciende dont il disait avoir l'expérience. Il
devait du reste s'aider de Brasseurs flamands.
« Le sieur François Hoffmann, (fils d'Evrard), dit
l'abbé Lionnois, commença cette belle maison qui est
vis-à-vis de l'Université...., et, derrière, jusqu'au
fossé, sa brasserie : l'une des plus belles et des plus
commodes de France. »
Des mains de F. Hoffmann la Brasserie passa dans celles
de son gendre J.-A. Arnauld de Praneuf, officier au
régiment de Schomberg-dragons, qui obtint confirmation
des lettres patentes de 1702, 1723 et 1768, qui lui
conféraient les privilèges dont nous avons parlé.
Praneuf vit tomber ces privilèges au moment de la
Révolution. Il continua néanmoins à exercer jusqu'en
l'an IV. Mais à cette époque, fait remarquer M. Lepage «
il avait alors sept concurrents qui devaient lui causer
un notable préjudice ».
Nous terminerons par l'annonce suivante publiée le 19
Décembre 1772, et que relève M. H. Lepage : Le sieur
Hoffmann « propriétaire de la Brasserie de Nancy, rue
Saint-Stanislas 288 » (n° 65 actuel) fait savoir qu'il «
a découvert la méthode sûre de faire des Bières delà
première qualité, qui se conserveront plusieurs années
en s'améliorant, soit en tonneau, soit en bouteilles, -
il fera faire également des bières douces et fournies,
claires et agréables, qui se boiront jusqu'au mois de
Juillet, le tout à prix raisonnable », Heureux Brasseur
!
Prix de la Bière en
Lorraine (14)
en 1501-1625 prix
correspondant à l'hectol. Fr. 12,30
1626-1650 » » 14,40
1651-1675 » » 19,10
1701-1735 » » 6,95
1751- 1775 » » 18,40
1776-1800 » » 18,70
1790 pinte de 0 l.93 3 sous 8 deniers 18,05
Les Archives municipales de Verdun ne renferment aucune
trace de corporations de Brasseurs. Cependant on voit
dans le grand Armorial de France (15).
Verdun
La communauté des Brasseurs porte :
d'Or a un pal de gueules chargé d'un croissant d'or.
et aussi :
Damvilliers (Meuse) près Montmédy La communauté des
Brasseurs porte :
de sable a une fasce d'argent chargée d'un trèfle de
sable.
Vic (Meurthe)
La communauté des Brasseurs de Vie porte :
d'or a une fasce de gueules chargée d'un croissant d'or
en chef.
METZ
Metz qui fut notre
berceau familial et dont nous ne saurions sans tristesse
et sans espérance évoquer le souvenir, n'a pas
d'histoire brassicole. Nous connaissons maintenant celle
de la Lorraine en général ; le pays messin en
particulier, ne présente rien qui soit susceptible de
fixer l'attention sur ce sujet spécial ; il fut, au même
titre et pour les mêmes causes que ses voisins, le pays
de la cervoise, mais il ne fut jamais celui de la bière.
Sans doute Bacchus et Cérès y firent-ils bon ménage, et
mosses et bouteilles y fraternisèrent-ils ; mais aussi
la riante Moselle vit-elle toujours ses rives Lorraines
plus riches de luxuriants vignobles que de vertes
houblonnières, et ses vins gris et rosés y rutillèrent-ils
plus souvent dans les verres, que la mousse crémeuse ne
déborda des chopes.
La production de la bière à Metz et dans la généralité
de cette ville aux siècles derniers, ne dépassa guère
les limites de la nécessité créée par les disettes de
grains et de vins, ainsi que l'indiquent les documents
suivants :
En 1693, année de disette de grains, M. de Sève,
intendant à Metz, écrivait au Contrôleur Général pour
lui proposer d'établir des défenses relatives à l'emploi
des Grains et parlant de la bière, s'exprimait ainsi :
« Quant à la bière, quoyqu'elle consomme beaucoup
davantage de grain que le brandevin, j'ay quelque peine
à me déterminer. Il est constant que cette boisson
humecte et nourrit en mêsme temps ; les vendanges de
l'année dernière n'ont produit que du verjus, celles-cy
ne seront pas abondantes et par conséquent le secours de
la bière ne serait pas inutile au peuple et aux soldats.
Je croirais néanmoins qu'en exceptant celle qui se fera
pour la nourriture des étapes il seroit à propos de la
défendre, surtout dans les Eveschés et dans la Lorraine,
où ce n'est que depuis peu qu'on en a introduit l'usage,
et il vaut mieux que le peuple soit réduit à boire de
l'eau qu'à manquer de pain. » (21 septembre 1693).
M. de Sève reçut le jour suivant l'arrêt qu'il proposait
et qui était déjà expédié ; mais il insista pour que les
étapiers en fussent exemptés (22 septembre 1693)
Arrest du Conseil d'Estât du Roy
Qui permet la faciende des Bierres dans le Département
de Metz, à la charge de prendre des Permissions par
écrit de Monsr. l'Intendante
Du huitième Avril mil sept cent dix. Extrait des
registres du Conseil d'Estat.
Le Roy s'étant fait représenter en son Conseil, les
Arrêts par lesquels il aurait été fait défenses à tous
Particuliers de brasser et faire brasser aucunes Bierres
jusqu'à ce qu'autrement en ait été ordonné ; les
Mémoires présentez au nom des habitants de la Généralité
de Metz, contenant que la Récolte des Vins ayant
entièrement manqué, il leur seroit difficile de se
passer de Bierre dont l'usage est absolument nécessaire,
principalement pour les Troupes ; que les raisons qui
ont porté Sa Majesté à faire des défenses de brasser, se
trouvent présentement cessées à l'égard du département
de Metz, dans lequel il se trouve une quantité
considérable de Grains, quoyque les Semailles de
l'Automne et du Printemps y ayent été faites avec tout
le succès qu'on pouvoit désirer ; l'Avis du Sieur de
Saint-Contest, Commissaire départy pour l'exécution des
Ordres de Sa Majesté audit Département de Metz : Oüy le
Raport du Sieur Desmaretz, Conseiller ordinaire au
Conseil Royal, Contrôleur général des Finances. Sa
Majesté estant en son Conseil, a permis et permet aux
Particuliers et Habitants demeurans dans l'étenduë du
Département de Metz, de brasser et faire brasser des
Bierres suivant l'usage ordinaire et comme par le passé,
à la charge néanmoins de prendre des Permissions par
écrit du sieur de Saint-Contest, commissaire départy
audit Département, auquel Sa Majesté enjoint de tenir la
main à l'exécution du présent Arrest, qui sera lû,
publié et affiché (16) partout où besoin sera. Fait au
Conseil d'Estat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à
Versailles le huitième jour d'Avril mil Sept cent dix.
Signé VOYSIN.
Dominique de Barberie, Chevalier, Seigneur de Saint-
Contest et autres lieux, conseiller du Roy en ses
Conseils, Maître des Requêtes ordinaire de son Hôtel,
Intendant de Justice, Police et Finances, en la
généralité de Metz, Frontières de Champagne, du
Luxembourg et de la Sarre.
Veu l'Arrest du Conseil d'Etat du Roy cy-dessus: Nous
ordonnons qu'il sera exécuté suivant la forme et teneur
dans l'étendue de notre Département. Fait à Metz le
vingt-sixième Avril mil sept cent dix. Signé, de
BARBERIE. Et plus bas, Par Mondit Seigneur, De Lespine.
(1) Par M. J. Greff, brasseur à Nancy.
(2) Publié dans l'Annuaire Administratif Statistique et
Historique de Meurthe-et-Moselle - année 1885 - par la
librairie Grosjean à Nancy, suivant recherches dans les
Archives de Meurthe-et-Moselle.
(3) M. Digot.
(4) Le mot bière est ici improprement employé, car nous
savons qu'il ne pouvait s'agir que de cervoise.
(5) La plus ancienne association industrielle de Nancy
est la corporation ou confrérie des merciers, instituée
en 1341, sous le duc Raoul. Les autres métiers, (écrit
M. Alfred Rambaud) ne tardèrent pas à suivre cet exemple
(Journal de la Société Archéologique Lorraine et du
Musée historique Lorrain).
(6) M. H. Lepage émet un doute sur l'authenticité du
terme bierre qu'on ne peut contrôler, (les lettres
originales des ducs n'existant plus), ce doute s'appuie
sur le fait que, suivant ce que pensent aussi d'autres
auteurs, on voit le mot bière, apparaître pour la
première fois dans les statuts des Brasseurs de Paris en
1489. Nous avons vu, Ire part,P.59quece mot est employé
officiellement en 1435.
(7) Allemagne, Bassigny, Clermont,Epinal et
Châtel-sur-Moselle.
(8) Bichet. - Mesure variant suivant les provinces de 1
à 2/5 d'hectolitre, environ 3 boisseaux.
(9) Défruit. - Usage personnel.
(10) Henri Lepage, Annuaire 1885, p.21.
(11) Mention est faite en 1618 du houblon récolté dans
la gruerie de Jametz, c'est-à-dire dans la
circonscription territoriale de cette localité.
(12) Une mention en date de l'année 1661, porte que les
Brasseries hors de la porte de Vaudrevange ont été
détruites et démolies par les gens de guerre,
(13) Acensement, convention par laquelle on prenait un
héritage.
(14) Vicomte d'Avenel. Histoire économique de la
Propriété.
(15) D'Hozier Bibliothèque Nationale. Manuscrit.
(16) Nous avons copié cet arrêt sur l'affiche originale.
|