Annuaire administratif, statistique, historique,
judiciaire et commercial de Meurthe-et-Moselle
Henri Lepage
Ed. Nancy, 1885
LA BIÈRE EN LORRAINE
LA LÉGENDE GAMBRINALE.
Un imitateur du spirituel autour de L'ancienne Alsace à
table a publié, sous un titre plaisant (1), un travail,
au fond très sérieux, sur l'histoire de la fabrication
et du commerce de la bière. Cette branche d'industrie
ayant pris, surtout dans notre région, une importance
considérable, il nous a semblé intéressant de faire
connaître son origine, ses développements successifs et
les règlements auxquels elle fut soumise,
particulièrement en Lorraine.
Afin de justifier le titre de son livre, M. Reiber a
commencé par le récit d'une légende qui n'est pas
absolument étrangère à nos contrées, et que des érudits
n'ont pas dédaigné de discuter, « Un savant belge,
dit-il, le Dr Coremans, s'occupa le premier, d'une façon
rationnelle et approfondie, de la légende gambrinale.
Suivant lui, Gambrinus est la méthathèse de Jan primus,
nom d'un duc de Brabant, né en 1251, tué, en 1295, dans
un tournoi, à Bar. Souverain éminemment populaire,
trouvère flamand et français à ses heures, ses fidèles
sujets, les brasseurs de Bruxelles, tinrent à l'honorer
comme on honore encore, de nos jours, un souverain aimé,
en plaçant son image dans la salle de réunion de leur
corporation. C'est cette image, pieusement conservée par
la plus importante gilde des brasseurs brabançons, qui
fut cause de la transformation postérieure du souverain
en brasseur, de Jan primus en Gambrinus... »
» Jean Ier s'intitulait duc de la Basse-Lorraine, de
Lothier ou de Brabant. C'était le plus grand joûteur de
son siècle... A l'occasion des noces qui devaient se
célébrer entre Henri (III), comte de Bar, et Léonore,
fille d'Edouard d'Angleterre, il y eut un tournoi
solennel, non à Bar, mais à Anvers, où la mariée vint
aborder. Jean ler, qui joûtait avec Pierre de Baufremont,
perdit son gantelet et eut le bras percé, le 3 mai 1295.
Il mourut le lendemain des suites de sa blessure...
» Une autre version assimile Gambrinus au duc de
Bourgogne Jean-sans-Peur (1371-1419), autre Jean, qui,
en matière de bière et de brasserie, fonda au moins
l'Ordre du Houblon. »
Nous ne suivrons pas plus loin M. Reiber dans sa
dissertation, si piquante elle soit, sur la légende
gambrinale, et la terminerons avec lui par quelques
vers, traduits d'un poète allemand, et qui se trouvent
le plus souvent placés sous le portrait du monarque :
Vous voyez ce héros, nommé de son vivant
Gambrinus, roi de Flandre, ainsi que de Brabant,
C'est par lui que la bière un jour fut inventée,
En mêlant le houblon à l'orge fermentée ;
Et messieurs les brasseurs ont droit, en bonne foi,
De dire que leur maître et patron est un roi.
Parmi tous les métiers, qu'on nous en cite un autre
Qui puisse se vanter d'avoir un tel apôtre.
LA CERVOISE.
La bière a été précédée par une autre boisson, la
cervoise, faite comme elle, avec du grain, - mais en y
ajoutant des herbes, - et dont l'origine remonte aux
temps les plus reculés. Elle était connue, notamment,
des Gaulois, nos ancêtres. L'époque gallo-romaine nous a
légué un flacon, conservé à Paris, à l'hôtel Carnavalet,
et sur lequel on lit : Hospita, reple lagenam cervisia !
(Hôtesse, remplis de cervoise la bouteille.) - Et les
potiers gallo-romains ont inscrit sur des gobelets en
terre rouge : Cervesariis feliciter ! (Vivent les
cervoisiers !)
Le médecin Jean de Milan, qui composa, pour Robert II,
duc de Normandie, vers l'an 1100, le poème hygiénique
connu sous le nom d'Ecole de Salerne, lui a consacré six
vers, qu'un autre médecin-poète du XVIIe siècle a
traduits de la façon suivante (2):
Du vinaigre le goust la cervoise ne sente,
Que claire, transparante et bien cuite elle soit :
Soit faite de bons grains, non trop vieille ou récente,
Ne charge l'estomac de cil qui la reçoit.
Les grossières humeurs la cervoise entretient,
Envoye de la force, et la chair elle augmente,
Elle engendre du sang, le ventre libre tient,
Provoque à uriner, rafraischit, est enflante.
Les traducteurs des textes anciens ont parfois confondu
la cervoise et la bière, et exposé ceux qui leur
ajouteraient légèrement foi, à commettre une grave
erreur.
Ainsi, l'auteur de L'ancienne Alsace à table,
d'ordinaire si précis, rapporte que « lorsque les Missi
dominici de Charlemagne inspectaient les provinces du
puissant empereur, ils avaient droit à des subsistances.
Munis d'une lettre-patente appelée tractatorio, qu'on
pourrait qualifier de lettre d'étape, ils requéraient,
pour eux et pour leur suite, les provisions nécessaires
à un entretien honorable. Cette lettre-patente n'était
pas à mépriser. Marculfe nous en a conservé le modèle.
Elle leur valait, jour par jour, outre les voitures, une
forte quantité de pain blanc, de vin, de BIÈRE, de lard,
de viande de boucherie, de porcs, de cochons de lait, de
moutons d'agneaux, d'oies, de faisans, de poules, d'oeufs,
d'huile, de miel, de vinaigre, de cannelle, de poivre,
d'amandes, de pistaches, de fromages, de sel, légumes. »
Un autre historien (3) donne des détails qui nous
intéressent plus directement. Parlant de l'état de la
Lorraine sous la domination des Carlovingiens, il dit
que l'industrie fut à peu près, aux VIIIe et IXe
siècles, ce qu'elle était précédemment. « La fabrication
de la BIÈRE et de la cervoise continuait à occuper une
multitude d'individus, et ces liqueurs remplaçaient
souvent le vin, qui était, à ce qu'il paraît, d'un prix
assez élevé. Le chapitre 23 de la règle établie par
l'évêque de Metz Chrodegang (742-767), pour les
chanoines des cathédrales, mentionne la cervoise. « Les
jours, dit-il, où l'on fait deux repas, les prêtres et
les diacres auront trois tasses à dîner et deux à
souper... Les jours de jeûne, comme on ne mange pas le
soir, le cellerier ne servira le vin qu'à dîner. Si les
vins manquent, et qu'on ne puisse fournir la ration tout
entière, l'évêque donnera ce qu'il aura... Au reste, il
pourra donner de la cervoise en compensation, et ceux
qui ne boivent pas de vin recevront une égale quantité
de cervoise. »
» ... Enfin (4) dans la donation du domaine de Quincy
(5) à l'abbaye de Gorze (en 770), il est fait mention de
brasseries. »
Plus loin, retraçant le tableau de la Lorraine pendant
la seconde moitié du XIe siècle et le XIIe, le même
auteur ajoute : « Les produits du sol et de
l'agriculture étaient les mêmes que dans les siècles
précédents ; il paraît seulement résulter des titres qui
ont passé sous nos yeux, que la culture de la vigne
recevait un notable accroissement, et qu'elle
envahissait des terrains jusqu'alors en friche ou
destinés aux céréales. Toutefois, on continuait, surtout
dans les Vosges, à fabriquer de la BIÈRE et de la
cervoise ; et, comme le blé ne mûrit pas dans les
montagnes, on se servait d'avoine, à Remiremont, pour la
préparation de ces breuvages. »
Avant d'aller plus loin, et au risque d'être accusé de
prendre trop au sérieux un sujet futile, nous croyons
devoir entrer dans quelques explications au sujet des
textes originaux dont la traduction précède.
A lire celle du capitulaire de Charlemagne relatif aux
Missi dominici, on serait tenté d'en conclure que la
bière était connue dès le temps du grand empereur; or,
le texte porte : cervisa, c'est-à-dire cervoise, que
l'on trouve également désignée dans les anciens
glossaires sous les formes cerevisia, cervisia, cervisa,
et cervesa (6).
Quant aux brasseries mentionnées dans la donation de
Quincy à l'abbaye de Gorze, elles sont désignées par le
substantif latin camba, qui n'a guère d'analogie avec
notre mot français. « CAMBA, dit Du Cange, brassiatorum
officina, seu locus ubi cerevisia coquitur et conficitur,
quem vulgo brasseriam vel braxstoriam nuncupamus. » -
CAMBARIUS, brasiator, seu cerevisia confector (7) ».
D'où il suit que les mots brasseur et brasserie sont
antérieurs à celui de bière : ils viennent de brace ou
bracium, espèce de grains avec lesquels la cervoise
était confectionnée (8).
L'usage de cette boisson se transmit de siècle en siècle
et finit par être assez généralement répandu en France :
en 1268, les « cervoisiers » de Paris étaient
suffisamment nombreux pour que Saint-Louis crût devoir
leur donner des statuts. Charles VIII les renouvela en
1489, et c'est dans ces derniers qu'on voit apparaître
le mot de bière à côté de l'ancienne dénomination de
cervoise.
La cervoise était connue dans nos contrées, probablement
comme ailleurs, dès une époque reculée, autant qu'on
peut le présumer d'après ce qui a été dit plus haut;
mais, en ce qui concerne spécialement la Lorraine, les
documents positifs ne remontent pas au-delà du XVIe
siècle. On voit, en 1516, le duc Antoine faire don d'une
tonnette de cervoise aux Clarisses de Pont-à-Mousson,
dans le couvent desquelles s'était retirée sa mère,
Philippe de Gueldres, après la mort de René II ; et il
paraît que la fabrication de ce breuvage avait pris, dès
lors, une certaine importance dans cette ville,
puisqu'il y faisait l'objet d'un impôt particulier. On
lit dans un compte du domaine et de la prévôté du Pont,
pour l'année 1530 :
« La gabelle de la servoyse.
« Ladite gabelle que est telle que ceulx qui vendent
servoyse en la ville doibyent de x gros j à nostre
souverain seigneur (le duc) à cause de la cervoise qu'ilz
vendent, brassée audit Pont et ailleurs.
« (9) De Nicolas Merlin, pour avoir vendu de la servoise
audit Pont, pour l'an de ce présent registre, à luy
composé après son serement solennel faict, la somme de
xxxvj s.
« De Hansillon, peletiez, pour la cervoise qu'il a
vendu,... par luy déclairé par serement xlviij s.
« De Jehan, le pâtissiez, pour ladite servoise qu'il a
vendu, par luy déclairé par serement iiij s.
« De Jacquemin Richequort, pour la cervoise qu'il a
vendu,... déclairé par son serement viij s.
Au lieu de se contenter des déclarations, peu fidèles
quelquefois sans doute, de ceux qui débitaient de la
cervoise, le fisc trouva plus avantageux d'en affermer
la gabelle; c'est ce que nous voyons dans le compte de
l'année 1595 :
« La gabelle de la cervoise.
« De Jean le Cusinier dit le Bonnetier, pour le droict
de ladicte gabelle, à lui escheu... pour trois ans
entiers,... en paiant par chacun an, au jour de Noël, la
somme de quarante quatre frans... Ledict droict qui est
tel que tous ceulx qui vendent cervoise brassée audict
Pont ailleurs, doibvent à Son Altesse de dix gros l'ung
de celle qui se vend audict Pont... »
Le compte du domaine de Hombourg et Saint-Avold (10)
pour l'année 1583, porte : « Monseigneur (le duc) at tel
droict audict Saint Avold quand l'on mesne servoize
vendre hors de la ville, l'on paye de chacune mesure
quattre deniers. »
A une époque plus reculée que celles dont il vient
d'être question, les « gouverneurs » de Saint-Mihiel
avaient obtenu d'Edouard III, duc de Bar (1411-1415),
puis des ducs René II et Antoine, par « privilèges
particuliers, le droict et permissson de faire et vendre
bierre et cervoise tant au dedans d'icelle ville que par
tous les villages de la prévosté, et mesme en ceulx du
bailliage scituez en la banlieue de ladicte ville, avec
faculté de pouvoir laisser ledict droit à qui plus (11),
avec deffence à tous subjectz de ladicte prévosté et
lieux susdicts d'en faire ou vendre sans l'authorité et
consentement desdicts gouverneurs,... pour des deniers
provenantz de ladicte ferme entretenir les murailles et
portes de ladicte ville et subvenir aux frais et autres
nécessitez d'icelle... » Ces anciens privilèges furent
confirmés par le duc Henri II, le 8 janvier 1611.
Il résulte de ces documents que la cervoise était en
usage dans les différentes parties de la Lorraine, et il
semble inutile d'en rechercher d'autres exemples.
LA BIÈRE SUCCÈDE A LA CERVOISE. - BRASSERIES A NANCY AU
XVIe SIÈCLE.
Le dernier de ces documents est celui où le mot bière
soit prononcé pour la première fois ; mais les lettres
d'Edouard, de René II et d'Antoine n'existant plus, on
ne saurait dire s'il y est réellement exprimé.
Il n'apparaît, en France, que dans les nouveaux statuts
donnés par Charles VIII, en 1489, à la corporation des
brasseurs de Paris. La brasserie de la capitale y est
appelée « la communauté des cervoisiers et faiseurs de
bière. »
L'auteur auquel j'emprunte ce renseignement donne
ailleurs, avec la définition de la bière, qu'il appelle
simplement a boisson alcoolique houblonnée (12) »,
l'étymologie de ce mot, qui se prononce bien souvent, et
dont peu de personnes connaissent l'origine.
« Le mot de bière, dit-il, provient de bere. En vieux
saxon, bere signifie céréale, et plus spécialement orge
(une orge d'Ecosse s'appelle encore aujourd'hui bear, et
le mot barley, qui, en anglais, désigne l'orge, rappelle
aussi la racine primitive). L'hébreu possède de même le
mot beri ou peri, qui veut dire grain... L'orge ayant,
de tout temps, joué le principal rôle dans la
composition de la bière, il est naturel qu'elle ait
servi à baptiser le liquide.
Cette racine bere se retrouve dans brace, mot gaulois
servant à désigner l'orge fermentée, ou le malt (13) et
d'où dérivent brasser, brasseur, etc.
Il semble assez probable qu'en France, le liquide
houblonné se répandit sous le nom de bière, et supplanta
celui non houblonné, appelé généralement cervoise.
Quant au houblon, « à quelle époque est-il venu
aromatiser et, en réalité, procréer la bière ? Cette
question ne saurait encore être résolue. On en est
réduit, pour ce qui la concerne, à des suppositions
vagues, étayées de rares preuves historiques... Certains
auteurs ont placé, à tort, le houblon dans une
description d'Isidore de Séville, qui vivait au VIIe
siècle. En l'an 768, il est question de houblonnières (humlonariae)
dans une donation faite à l'abbaye de Saint-Denis par
Pépin le Bref. Les Capitulaires de Charlemagne ne
mentionnent pas le houblon... Du vivant de l'empereur,
nous le trouvons dans le Polyptique d'Irminon de l'abbé
Irmin de Saint-Germain. Il y est cité, dans les dîmes et
redevances, sous le nom de humulo, humelo et humlo... Au
IXe et au Xe siècles, le houblon s'employait dans les
pays qui forment aujourd'hui le nord de la France...
Melchior Sebitz, auteur strasbourgeois, parle des bières
houblonnées au XVIe siècle. Il est donc probable, sinon
certain, que le houblon était employé en Alsace depuis
longtemps... »
En était-il de même pour la Lorraine ? on ne saurait
rien dire à cet égard, faute de documents : il est
seulement fait mention, en 1618, du houblon récolté dans
la gruerie de Jametz (14).
Ainsi qu'on le verra plus loin, la fabrication de la
bière avait déjà pris alors une certaine importance en
Lorraine, bien qu'elle ne semble pas y avoir été
introduite depuis longtemps. Il n'en est pas question,
en effet, au moins d'une manière authentique, avant la
fin du XVIe siècle.
L'initiative de ce genre d'industrie paraît devoir être
attribuée à deux communautés religieuses. En 1588,
Charles III fait délivrer 200 francs aux père gardien et
Cordeliers du couvent de Nancy afin de les aider à
acheter une grande chaudière pour avoir moyen de faire
plus grande quantité de bière qu'ils n'avaient accoutumé
faire pour le défruit de son hôtel (15). - Une autre
somme de 47 francs 6 gros est donnée en aumône, par
ordre du duc, aux Cordeliers de Vic, pour les aider à
réfectionner « leur brasserie (16) ».
Il est à supposer que la bière des religieux de Nancy
était d'une qualité supérieure puisqu'elle méritait non
seulement d'être servie sur la table du prince, mais
était encore donnée comme modèle pour son mode de
fabrication. En effet, une ordonnance du Conseil de
ville réglant la confection de la bière, a telle qu'elle
se fait aux Cordeliers », porte : « Fault, pour une
brassée sun brassin), ung resal et demy moyen bled, six
resaux d'orge, vingt livres de houbelon ».
Depuis quand les « brasseries » dont il vient d'être
parlé fonctionnaient-elles ? c'est ce qu'on ignore;
toujours est-il qu'elles sont les premières que l'on
trouve mentionnées.
Dès cette époque, on avait constaté que la bière pouvait
être utilement employée pour remplacer le vin dans les
années où, par suite de la « stérilité des vendanges »,
celui-ci ferait défaut ou serait d'un prix trop élevé.
C'est ce qui était arrivé en 1587. Afin de remédier à
cet état de choses et « pour subvenir de boisson tant à
ses sujets qu'aux gens de guerre de son armée », Charles
III donna commission à Jean Colonnet, contrôleur
ordinaire de son hôtel, pour se rendre dans les
bailliages de Nancy, Saint-Mihiel, Vosges, Allemagne,
Bassigny, Clermont, Epinal et Châtel-sur-Moselle, faire
brasser certaine bonne quantité de bière dans les lieux
les plus propres et commodes à cet effet, en avoir la
surintendance, y faire promptement travailler par
ouvriers brasseurs et gens convenables, s'entendre avec
eux sur les prix de leur façon, fourniture de bois et
houblon, en leur faisant délivrer les grains
nécessaires, comme froment ou seigle, orge et avoine, en
quantité suffisante.
Cette mesure dut avoir pour résultat la création, sur
divers points de la Lorraine, d'ateliers de fabrication,
dont quelques-uns n'eurent peut-être qu'une existence
momentanée, dont les autres continuèrent à subsister.
Faut-il compter au nombre de ces derniers celui d'un
nommé Claude Maître d'hôtel, indiqué, avec la
qualification de brasseur, rue du Petit-Bourget, dans le
rôle des habitants de Nancy en 1589, ou bien, cet
individu n'était-il qu'un ouvrier ? On ne saurait le
dire.
Soit que la pénurie de vin eût été extrême en 1587, soit
que l'on commençât à prendre goût à la bière, on voit
les princesses elles-mêmes user de cette boisson. Le
cellérier (17) de Nancy fait dépense, cette année, de
cinq bichets de blé délivrés à Mathis, le tonnelier,
faiseur de bière, pour servir à faire bière pour l'état
(la table) de mes dames ; et de trois resaux un bichet
d'avoine à faire bière pour le train desdites dames,
c'est-à-dire pour les domestiques de leur maison.
A partir de 1589, le cellérier délivre du blé et de
l'avoine, en plus ou moins grande quantité, à faire
bière, soit pour l'état de Son Altesse, soit pour le «
deffruit » de son hôtel; ce qui semble faire voir que
cette liqueur était devenue un objet habituel de
consommation, et qu'il s'en faisait de deux espèces :
l'une avec du blé, pour la table du duc et des princes,
l'autre, avec de l'avoine, pour les gens à leur service.
Cette année, Charles III fit ériger à la ville Neuve une
brasserie (18) destinée, sans doute, à fabriquer de la
bière pour les troupes, puisque les dépenses qu'elle
occasionna furent acquittées par le trésorier général
des guerres. Ces dépenses forment trois articles : 769
fr. 6 gros pour 3,600 livres de houblon acheté aux
Pays-Bas ; 597 fr. 10 gros pour « l'érection » de la
brasserie, outre 300 fr. qui avaient déjà été fournis
pour le même objet; enfin, 300 fr. pour achat d'une
chaudière.
La « brasserie » de la ville Neuve fut « démontée » en
1591 et « menée » à la Grande-Maison de la ville
Vieille, qui servait de greniers à grains et d'ateliers
à la Monnaie ; mais le bâtiment dans lequel elle avait
été établie conserva une dénomination qui rappelait son
ancienne destination : on la nommait la Bierrerie (19).
L'usage de la bière s'était alors assez généralisé pour
que cette boisson devînt matière à impôt. Le 6 février
1590, les Etats-généraux ayant accordé à Charles III une
aide extraordinaire pour subvenir à l'entretien de son
armée, ils l'autorisèrent à percevoir le dixième denier
du vin et de la bière qui se vendraient à la feuillée. -
En 1595, les Etats lui accordèrent une nouvelle aide du
dixième pot de vin, bière et autres liqueurs potables. -
Par ordonnance du dernier avril 1602, le duc imposa, en
conséquence de l'octroi que venaient de lui faire les
Etats, quatre gros par mois sur chaque ménage
contribuable,... outre le huitième pot des vins et
bières qui se vendraient en détail.
On voit, par le compte de la levée de cette aide, de
1602 à 1615, que l'impôt ne fut plus ensuite que du
dixième, puis du quinzième pot; on le remit ensuite au
dixième; il était à ce taux en 1628.
Cette année, les administrateurs de l'aumône générale
des pauvres de la ville de Nancy, établie depuis deux
ans, remontrèrent à Charles IV que cette institution ne
donnait pas tous les résultats qu'on en avait espérés,
et que le nombre des mendiants ne diminuait pas, et ils
lui soumirent l'idée de créer, sous le titre de subside
charitable, un nouveau genre d'impôt sur les boissons,
dont le produit serait spécialement affecté à la
nourriture et entretènement des pauvres. Le duc, agréant
cette proposition, rendit une ordonnance portant,
entr'autres articles : « Outre et par dessus tant l'impost
en deniers et le dixiesme pot de vin et de bière qui se
lèvent présentement,... il sera prins... sur chacun
virlin de vin de Lorraine, seize gros... Quant à la
bière qui entrera et celle qui sera brassée en ladicte
ville de Nancy, se payera pour icelle la moictié du
subside sur le vin, et ce, à raison des tonneaux,
vaisseaux et fustailles èsquels elle sera mise... »
Après avoir réglé le mode de perception des droits sur
les boissons qui entraient en ville, le duc ajoute : «
Et parce qu'il se brasse aussi de la bière audit Nancy,
principalement quand il y a peu de vin, nous ordonnons
aux brasseurs de ladicte bière qu'à celuy des bureaux
(de perception) qui sera le plus proche de leurs logis,
ils payent comptant, pour icelle bière, ledit subside
par tonneau, chacun selon la fustaille qu'il fera... »
Il ne paraît pas que l'on débitât de la bière dans les
établissements publics, car les ordonnances de la
Chambre de ville relatives à la police des hôteliers et
cabaretiers, n'en parlent pas.
ORDONNANCES SUR LA FABRICATION ET LA VENTE DE LA BIÈRE.
- LA BIÈRE DES BÉNÉDICTINS DE DIEULOUARD.
A partir du XVIIe siècle, la fabrication et la vente de
la bière commencent à prendre de l'extension, et l'on
voit même des brasseurs étrangers importer leur
industrie en Lorraine (20). Il y en avait d'autres qui,
sans connaître leur métier ou pour faire des profits
illicites, façonnaient de la mauvaise boisson, nuisible
à ceux qui en faisaient usage. Afin de remédier à cet
état de choses, le duc Henri II rendit, le 6 octobre
1609, une ordonnance qui, sur certains points,
mériterait d'être mise en vigueur aujourd'hui.
« Nous ayant été remontré, dit-il, qu'il se commet de
grands abus à la vente et confection des bières, soit
par l'ignorance d'aucuns qui s'ingèrent d'en faire et
brasser sans en savoir bien la façon, soit par la malice
et convoitise d'autres qui, pour en tirer plus grand
gain, n'y mettent et emploient tout ce qui, pour les
rendre bonnes et saines, doit y entrer ; d'où arrivent
et peuvent arriver journellement plusieurs inconvénients
préjudiciables à la santé de ceux qui usent de cette
boisson, et à la bonne foi et charité qui doit empêcher
nos sujets de ne se circonniver et surprendre les uns
les autres, on vendant leurs denrées à plus haut prix
que de raison ;... prohibons et défendons
très-expressément à toutes personnes, soit sujets ou
étrangers, de s'ingérer dorénavant à faire et brasser
aucune bière dans nos villes, bourgs et villages, sans
notre expresse licence et commission, à peine, contre
les contrevenants, de cent francs d'amende pour la
première fois, de 200 francs pour la seconde, pour la
troisième de 400 francs, et de plus grande et arbitraire
pour la quatrième et les autres suivantes. Le tiers
desdites amendes applicable au rapporteur, et les deux
autres tiers à nous, outre la confiscation qui nous en
reviendra, sur chacune contravention, des bières faites
et des provisions, chaudières, cuves, tonailles et
autres ustensiles à les faire, dont les contrevenants
seront trouvés saisis.
» Et afin que, d'ici en avant, notre peuple et nos
sujets soient bien et duement servis desdites bières,
nous avons ordonné diverses commissions être expédiées à
aucuns nos brasseurs et ouvriers d'icelle, pourvus de
suffisance, fidélité et expérience en ce métier, pour en
faire et brasser en telles de nos villes, bourgs et
villages où nous jugerons y avoir besoin, et desquels
commis, nosdits sujets qui voudroient en user auront
doresnavant à les acheter au prix que, de trois mois en
trois mois, lesdites bières seront taxées par tels de
nos officiers des lieux à qui il appartient connoître et
ordonner de la police des vivres...
» N'entendons, néanmoins, nos présentes défenses avoir
lieu à l'égard des corps, collèges et couvents qui
vivent en communautés et en dépenses communes, auxquels
il sera libre de faire bière chez eux, pour leur usage
seulement, comme aussi pour l'égard de notre hôtel et
des maisons de notre cher frère et de notre très-chère
soeur, on chacune desquelles il pourra y avoir tels
brasseurs de bière que bon leur semblera, pour le
défruit d'icelles tant seulement. »
Comme il arrive toujours, des gens peu scrupuleux
imaginèrent d'aller fabriquer de la bière au dehors et
de l'apporter ensuite pour la vendre. Afin d'empêcher
cette fraude, le duc promulgua, le 16 janvier 1610, une
nouvelle ordonnance ainsi conçue :
« ...Etant avertis qu'aucuns, pour frauder notre intention
(exprimée dans l'ordonnance précédente), font dessein
d'aller faire et brasser bières à leur fantaisie et
telles qu'ils voudront, en divers lieux particuliers,
pour les apporter ensuite às villes, bourgs et villages
où il y aura brasserie établie par nous ou par nos
commis, pour y vendre ou autrement consommer lesdites
bières faites ailleurs, et, par ce moyen, non-seulement
nuire à nosdits commis, mais aussi continuer toujours à
tenir autant de portes ouvertes auxdits abus ;
» Nous, pour à ce obvier, avons, par forme d'ampliation
de notre précédente ordonnance, fait défenses
très-expresses à toutes personnes, de quelques qualités
et conditions qu'elles soient, d'apporter ou faire
apporter en nosdites villes, bourgs et villages, sans en
avoir obtenu la permission de nous, et que leurs bières
ne soient reconnues et approuvées bonnes et loyales par
les officiers des lieux, et leurs prix taxés par iceux,
à peine, contre les contrevenants, de 10 francs d'amende
pour la première fois, de 20 pour la seconde, de 40 pour
la troisième, et de plus grande et arbitraire pour la
quatrième, et outre, et par chacune fois, de
confiscation desdits bières... »
Sur les remontrances qui lui furent faites par ceux
auxquels il avait commis « l'égard, soin, charge et
surintendance des brasseries », que les ordonnances
précédentes étaient impuissantes pour empêcher les
fraudes, Henri II les renouvela par sa déclaration du 28
avril 1614, et augmenta le taux des amendes. Il réitéra,
en outre, la défense faite aux « corps, collèges et
communautés » de vendre de la bière qu'il leur avait été
permis de fabriquer pour leur consommation.
En vertu de l'ordonnance de 1609, le droit de
confectionner de la bière fut amodié ou affermé à des
individus que l'on avait sans doute jugés capables de
servir convenablement le public. C'est ainsi qu'en 1617,
Me Jean Courtois, brasseur à Blâmont, obtint le
privilège (21) de fabriquer de la bière dans cette ville
pendant une année, comme plus offrant, moyennant 20 fr.
Les comptes de tous les receveurs des domaines ou
prévôtés contiennent des chapitres de « recette en
deniers de la bière vendue en l'office » ou « de
l'amodiation de la ferme et faculté de faire bière ».
Tels sont les comptes des domaines d'Amance, Lunéville,
Marsal, Fénétrange, Saint-Nicolas; - d'Arches,
Charmes-sur-Moselle, Dompaire, Saint-Dié et
Raon-l'Etape, Mirecourt, Châtel-sur-Moselle (Vosges) ; -
de Saint-Avold (22), Bitche, Sarreguemines, Sarralbe
(Moselle); - de Jametz (23) et Apremont (Meuse); - de
Vaudrevange (24) et du Val de Lièpvre (25); d'où il
résulte que la fabrication et la vente de la bière
avaient lieu dans un grand nombre d'endroits.
Ajoutons que les Soeurs-Grises d'Ormes consommaient de
celle qui se faisait à Vézelise, Bayon et Mirecourt.
En 1621, sans doute pour simplifier les opérations du
fisc, Henri II imagina d'affermer à un seul
adjudicataire le privilège de fabriquer et de vendre de
la bière dans toute l'étendue de ses Etats, soit par
lui-même, soit par ceux qu'il déléguerait à cet effet.
Le traité suivant, dans lequel le duc expose les motifs
de sa détermination, fut passé, en conséquence, le 21
avril de cette année :
« Ayant trouvé, dit-il, util et expédient, pour le bien
de nostre service, de vendre, pour quelque quantité
d'années, le pouvoir de faire des bierres dedans nos
païs à quelque personne idoine et capable qui, en
accommandant le public, soulage noz subjectz ez
nécessitez qu'ilz pourroient avoir de vin ou autre
boisson nécessaire ; et, s'estant présenté à ce faire
nostre cher et bien amé Claude Martin, commis de la
batterie (de cuivre) de ceste nostre ville de Nancy,
nous avons fait traicter et convenir avec.luy à la somme
de dix huict mil frans pour neuf années, à raison de
deux mil frans chacune... Et moyennant quoy, nous luy
avons vendu, ceddé et transporté... le pouvoir de faire
et vendre, par luy ou ses commis et députés,
privativement de tous autres, lesdites bierres dans
nosdits païs, en ce qui est de haultes justices
seulement où nous n'avons point de comparsonnier ;
icelles bierres bonnes, léalles et marchandes, et à prix
raisonnable, en sorte que nostredit peuple en soit
soulagé, comme dit est, avec deffense espresse à tous
autres d'en faire, à peine de cent frans d'amende,
applicable, le tier à nous, le tier audit Martin et
l'autre tier au rapporteur, et de confiscation desdites
bierres à nous seul, contre ceux qui en feront sans
saditte permission... »
Claude Martin ne renouvela pas son bail, qui expirait en
1630, il se contenta de prendre à ferme, pour six
années, à partir de cette dernière, la confection de la
bière dans l'office de Nancy, moyennant la somme de 693
francs par an.
En 1656, Basile Mus et ses associés étaient
entrepreneurs de la faciende de la bière, tant à Nancy
que dans la banlieue, on ne sait à quelles conditions.
Ils avaient pour successeur, en 1666, Toussaint de Mory,
l'un des ancêtres de Mory d'Elvange, auquel Charles IV
fit donner quittance de la somme de 1350 fr., à laquelle
montait le prix de sa ferme de la faciende des bières de
la ville de Nancy, pour les trois premiers quartiers de
1666, pour pareille somme qu'il avait rabattue sur
quantité de draps de Hollande, noirs et blancs, par lui
fournis au duc.
Ce chiffre prouve que la consommation de la bière, au
moins dans la capitale, avait pris d'assez notables
proportions. Cette boisson semble même être devenue le
complément obligé d'un grand repas : c'est ainsi que
l'on voit figurer la bière, des pipe; et du tabac dans
les dépenses de festins que donnèrent Messieurs du
Conseil de ville, les 1er et 2 juillet 1636, à plusieurs
personnages marquants. Les quatre pots qui leur en
furent servis ne coûtèrent que deux francs, ce qui est
bon marché auprès de ce qu'on les paierait aujourd'hui.
Le mémoire ne dit pas d'où provenait la bière dont nos
édiles régalèrent leurs hôtes; peut-être était-ce de
Dieulouard, où des Bénédictins anglais, chassés de leur
patrie par la persécution religieuse, étaient venus
s'établir au commencement du XVIIe siècle. Afin de se
procurer, tant pour eux que pour les jeunes
gentilshommes de leur pays, qu'ils avaient en pension,
une boisson à laquelle ils étaient habitués, et se créer
une ressource qui augmentât leurs revenus, ils se mirent
à fabriquer de la bière, qui acquit bientôt de la
renommée (26). Par une dérogation aux ordonnances
interdisant aux communautés religieuses la vente de
celle qu'elles façonnaient, ils obtinrent le privilège
de distribuer la leur dans toute l'étendue de la
Lorraine, en payant toutefois une redevance aux fermiers
du droit de faciende de l'office dans lequel aurait lieu
la distribution.
Ces derniers, néanmoins, cherchèrent souvent à les
inquiéter dans l'exercice de leur privilège, et il
intervint plusieurs arrêts qui les y maintinrent.
Leurs produits, paraît-il, étaient bien supérieurs à
ceux qui sortaient des autres brasseries ; la Cour et
les « principaux sujets des Etats » en fournissaient «
leur boête, n'en trouvant pas plus près de la bonne à
leur gré ».
Un des principaux clients des Bénédictins devait être le
sieur Fiacre Léguiader, dit Launay, l'un des chefs de
cuisine de l'hôtel de François III et aubergiste à
Lunéville, aux Armes d'Angleterre. Il donnait à manger
aux cavaliers qui suivaient les cours de l'Académie,
notamment aux seigneurs anglais, lesquels, ne trouvant
dans cette ville aucune bière à leur goût, en envoyaient
chercher à Dieulouard. Il en fut consommé jusqu'à 144
mesures chez Launay, pendant les six premiers mois de
l'année 1735.
Jusqu'à l'époque de leur suppression, les Bénédictins
furent maintenus dans le privilège de vendre leur bière
par toute la Lorraine, en payant les droits auxquels ils
avaient été cotisés, et cette boisson conserva sa
vieille renommée. Un auteur contemporain (27), à même de
l'apprécier, fait connaître les qualités qui la
distinguaient, en donnant quelques détails intéressants
sur la branche d'industrie dont nous nous occupons.
« On ne brasse, dit-il, de la bierre qu'à Nancy et à
Dieulouard et dans quelques contrées voisines de
l'Allemagne, encore dans quelques couvens de religieux
(28) pour leur usage, quand le vin manque. Notre peuple
en général ne connoit la bierre que de nom...
» La bierre fait, après le vin, l'article le plus
considérable pour l'usage. Les matières qui la composent
sont les grains, blés barbus et orges, des houblons et
de l'eau... La brasserie principale de Lorraine est
celle de Nancy ; il en est plusieurs dans la Lorraine
allemande et dans les parties limitrophes du duché de
Luxembourg. La brasserie de Dieulouard, tenue par des
Bénédictins anglois et irlandois, doit passer pour
lorraine... La bierre de Dieulouard approche de celle
d'Angleterre en goût et en force, elle pétille comme du
vin de Champagne mousseux, supporte le mélange de l'eau,
se conserve longtemps et se transporte sans altération.
Nos grains, nos eaux, notre air, font ses qualités...
Après la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy, qui
est de bonne qualité...
» La bierre se vend dans l'intérieur de la province et
au dehors, et le houblon s'envoie également chez
l'étranger, lorsqu'il est d'une qualité qui le fait
désirer, comme est celui d'Angleterre, de Bohême, de
Liège, etc... C'est une boisson saine, lorsqu'elle est
bien faite ; elle porte avec elle son agrément et son
indemnité, étant fort substantielle... »
« Lorsqu'elle est bien faite », c'est ce que l'on
pourrait dire de beaucoup de bières de nos jours,
auxquelles manquent cette qualité et plusieurs autres.
LA BRASSERIE DE NANCY AU XVIIIe SIÈCLE.
La citation qui précède nous conduit tout naturellement
à parler de la brasserie de Nancy ; mais il convient
auparavant rectifier et compléter ce que dit l'auteur
auquel elle est empruntée.
A l'entendre, on n'aurait fabriqué de la bière, en
Lorraine, au siècle dernier, qu'à Nancy, à Dieulouard,
et dans quelques contrées voisines de l'Allemagne et du
grand duché de Luxembourg. Sans doute, la fabrication de
cette boisson avait dû se répandre dans ces régions,
dont le sol est généralement peu favorable à la culture
de la vigne ; mais elle avait également lieu ailleurs.
C'est ce qui ressort positivement de la déclaration de
Léopold, du 3 décembre 1717, portant concession de
divers octrois aux villes de ses Etats. Ayant reconnu,
notamment, que la plupart des droits qui s'y levaient
étaient extrêmement onéreux à ses sujets, que plusieurs
d'entre elles avaient quantité de petits droits
contraires à la liberté, qui donnaient lieu à des
vexations continuelles de la part de ceux qui étaient
chargés de les percevoir, il supprima tous ceux qui
avaient été établis par ses prédécesseurs et accorda à
ces villes, pour six années, de nouveaux droits
d'octroi, portant en partie sur les liquides. Ils
furent, pour la plupart, d'un franc par mesure de vin
qui se vendrait en détail, deux francs par mesure
d'eau-de-vie (29) qui se vendrait en gros, six gros par
mesure de bière ou de cidre qui se vendrait en détail.
La nomenclature des localités ou ces droits furent
établis embrasse presque toutes celles de la Lorraine et
du Barrois qui avaient quelque importance ; on y trouve,
pour nous borner à notre département, Saint-Nicolas,
Rosières, Blâmont, Vézelise, Briey, Nomeny, Einville,
Pont-Saint-Vincent, Badonviller, Deneuvre, Conflans,
Longuyon, Norroy-le-Sec, Sancy, Pont-à-Mousson,
Thiaucourt et Lunéville.
En 1715, Léopold avait accordé à Pierre Batifol, son
premier valet de pied, pour sa vie durant, « le droit de
faciende des bierres o dans cette dernière ville et la
prévôté, à l'exclusion de tous autres, en payant
annuellement au domaine un cens de 100 francs.
Le 24.juillet 1734, le sieur La Guerre, intéressé dans
la ferme des domaines réunis de Lunéville, laissa, à
titre de bail, pour six années, à Valentin Goutt, l'un
des valets de pied du duc François III, les droits de la
ferme des bières qui s'y encavaient et s'y consommaient,
moyennant 650 francs par année.
Il y avait dans cette dernière ville, en 1738, un
brasseur, Nicolas Dorvaux, et un autre, Jean Sparre, à
Viller.
On les voit se joindre à Launay dans une contestation
qu'eut celui-ci avec le sous-fermier de la faciende des
bières à Lunéville, pour avoir déposé chez lui des
bières étrangères sans avoir fait la déclaration et payé
les droits. Un arrêt du 5 juin 1739 fit défenses à
toutes personnes, autres que les religieux fondés en
privilèges, de brasser ou faire brasser aucunes bières
dans l'étendue de l'office de Lunéville, sans la
permission du fermier, à peine de confiscation et de
cent francs d'amende. Launay fut condamné à acquitter
les droits, à une amende de dix francs et aux dépens.
Des contraventions du même genre, et qui prouvent encore
que la fabrication et la vente de la bière n'étaient pas
limitées à quelques parties de la Lorraine,
provoquèrent, en 1751, des plaintes de la part des
sous-fermiers des domaines de Sarreguemines (30), Bitche,
Lixheim, Saint-Avold, Marsal, Saint-Mihiel, Koeurs,
Hattonchâtel, Apremont, Rembercourt-aux-Pots et
dépendances. Le Conseil des finances y fit droit et
rendit, le 6 mars, un arrêt portant que les ordonnances
des années 1609, 1614, etc., seront suivies et exécutées
selon leur forme et teneur ; en conséquence, fait
défenses à toutes personnes autres que celles fondées en
privilèges à elles pour ce spécialement accordés, de
brasser ou faire brasser aucunes bières dans l'étendue
des Etats de Sa Majesté sans la permission du fermier ou
des sous-fermiers des domaines, à peine de confiscation
et de cent francs d'amende pour chaque contravention.
Fait pareillement défenses, sous lesdites peines de
confiscation et de cent francs d'amende, à toutes
personnes, de quelque qualité et condition elles soient,
d'encaver, consommer, vendre et débiter aucunes bières,
soit étrangères ou autres, dans toutes les villes et
lieux des Etats, sans en avoir fait leur déclaration
préalable, du lieu de la fabrication de ces bières, et
sans en avoir acquitté les droits envers le fermier ou
ses sous-fermiers, sur le pied de deux francs par pièce
de cinq mesures et au-dessous, et au cas qu'elles
excèderaient cinq mesures, à raison de six gros par
mesure d'excédent... »
En 1777, un nommé Hubert Michelant avait créé une
brasserie à Epinal, au moyen d'un abonnement contracté
par lui avec le sous-fermier du domaine, à raison de 108
livres par an. Mais, deux ans après, il dut renoncer à
son établissement, Jean Mangeot, marchand brasseur en
cette ville, ayant obtenu, par arrêt du Conseil d'Etat,
le droit exclusif de faciende et débit de toutes espèces
de bières dans l'étendue des ville et banlieue d'Epinal,
pour en jouir, par lui et ses successeurs, pendant
cinquante années, à charge de payer au domaine une
redevance annuelle de 300 livres, cours de France, et de
laisser les Bénédictins de Dieulouard jouir de leur
privilège, en acquittant les 3 gros par mesure, ainsi
qu'ils y étaient obligés. Il fut néanmoins permis aux
bourgeois d'Epinal d'acheter hors de la ville et
d'introduire des bières pour leur consommation, en
payant les droits d'encavage, fixés par l'arrêt du 6
mars 1751 (mentionné ci-dessus); avec défense d'en
introduire et encaver chez eux pour les marchands et
débitants, à peine de 50 livres d'amende, par chaque
mesure, au profit de Mangeot ou de ses ayant droit.
Michelant transféra son industrie dans la partie
lorraine (31) de Sainte-Marie-aux-Mines, et obtint, en
1788, le même droit que Mangeot, aux mêmes durée et
conditions, mais sous une redevance de 100 livres
seulement.
Il faut croire que le commerce de la bière était assez
lucratif, puisque des gentilshommes eux-mêmes ne
dédaignaient pas de s'y livrer. Suivant les ordonnances
de Léopold et des arrêts de la Chambre des Comptes, ceux
qui résidaient dans les sept prévôtés de la Voivre (32)
étaient tenus de verser au domaine les mêmes droits que
les roturiers pour toutes les bières qu'ils feraient
brasser, soit dans les Etats du duc, soit ailleurs. En
1727, un sieur Papigny, seigneur du fief de Clermarey
(33), ayant refusé de les acquitter, fut poursuivi par
le sous-fermier du domaine de Villers-la-Montagne (34),
et condamné à les payer, par arrêt du Conseil, du 2
avril de cette année.
Par lettres patentes du 15 septembre 1716, Léopold avait
permis au Rhingraff de Dhaune, seigneur de Puttelange,
d'établir dans cette terre un brasseur flamand, « pour,
y est-il dit, y faire de la bière de la qualité de celle
de Flandre, pendant douze années, avec défense à toute
personne d'en faire de pareille à huit lieues de
distance de Puttelange; à charge par ledit brasseur
flamand qui serait ainsi établi, de payer tous les
droits dus au domaine, tant pour la façon, vente que
débit, le tout sans préjudice aux autres brasseurs qui
voudraient faire de la bière ordinaire, de continuer
comme du passé ».
En 1746, François-Joseph comte de Custine, seigneur de
Guermange (35), grand fauconnier de Stanislas, obtint la
permission de faire brasser telle quantité de bière
qu'il jugerait à propos, dans la brasserie qu'il avait
fait construire sur le ban de ce village, et de la
vendre et débiter, en payant un cens annuel de 30 livres
entre les mains du receveur du domaine de Dieuze,
Semblable autorisation fut accordée, en 1781, à Amand
baron de Bouseck, conseiller intime du prince-évêque de
Fuld, seigneur d'Eppelbronn (36), parce que le sol de
cette contrée ne permettant pas de cultiver la vigne,
les habitants étaient obligés d'aller chercher de la
bière sur les terres de l'Empire, ce qui causait une
perte au domaine.
Le fisc avait su tirer parti d'une industrie qui, comme
on vient de le voir, s'exerçait, au XVIIIe siècle, dans
toutes les parties du Barrois et de la Lorraine.
La capitale de cette dernière province n'était pas
restée en arrière sous ce rapport. Léopold, jugeant sans
doute qu'il était utile de favoriser une telle branche
de commerce, avait fait construire à ses frais, proche
l'écluse du moulin Saint-Thiébaut, une bierrerie, dont
les frais de maçonnerie, charpente, etc., acquittés par
lui en 1703, s'élevaient à la somme de 6,235 fr. 9 gros,
faisant celle de 2,681 livres.
Sur les entrefaites, un de ses valets de pied,
Pierre-Joseph Deschamps, lui fit remontrer a qu'ayant
une connaissance parfaite de la faciende des bières,
étant originaire de Flandre, et par l'expérience qu'il
avait acquise dès sa jeunesse, il désirerait en faire
brasser dans ses Etats, de la qualité et de la manière
de celle qui se brassait en Flandre, en se servant de
brasseurs flamands, qu'il ferait venir exprès pour le
seconder dans cette entreprise ; mais, comme il
craignait qu'après avoir fait les dépenses d'un pareil
établissement, il ne fût frustré du fruit de son travail
par d'autres qui pourraient faire brasser et débiter de
pareilles bières, il suppliait le duc de lui accorder
ses lettres de privilège sur ce nécessaires, et lui
faire don de quelque place pour y établir sa brasserie
». Léopold, voulant surtout faciliter, un établissement
qui tournerait à l'avantage de ses sujets, accorde à
Deschamps, par lettres patentes du 21 août 1702, « le
droit et le privilège de pouvoir seul, et à l'exclusion
de tous autres, faire et brasser, dans les ville et
banlieue de Nancy, de la bière de la qualité et de la
manière que l'on fait en Flandre »; et il lui donne le
terrain sur lequel il avait fait commencer un bâtiment
propre à y faire une brasserie. Il défend à tous autres
de contrefaire lesdites bières et d'en vendre et débiter
de pareilles dans les villes et banlieue de Nancy, à
peine de tous dépens, dommages et intérêts.
A la mort de Deschamps, cette concession fut continuée à
Françoise Fremion, sa veuve, laquelle, par acte du 21
juillet 1721, vendit à Evrard Hoffman, l'un des
huissiers du cabinet de Léopold (37), moyennant 9,000
livres tournois, le matériel de la brasserie, le
subrogeant en tous ses droits. Celui-ci, voulant
augmenter les bâtiments, ce qui devait lui occasionner
une assez forte dépense, sollicita et obtint, le 1er
avril 1723, la confirmation de la vente et de la
subrogation passées à son profit par la veuve Deschamps.
Hoffman était encore propriétaire de la brasserie en
1767, lorsque l'on conçut le projet de faire communiquer
la ville Vieille à la ville Neuve par le bastion des
Michottes, en ouvrant la rue qui a conservé ce dernier
nom. Les maisons portant aujourd'hui les numéros 3 et 5
étaient occupées par l'hôpital militaire, construit en
1724. Cet hôpital parut alors déplacé dans un endroit
qui devait être très fréquenté, surtout depuis
l'ouverture de la porte Saint-Stanislas, et, par arrêt
du Conseil, du 3 juin 1768, le Roi ordonna qu'il fût
construit un nouvel hôpital sur une partie des terrains
où était la brasserie, en échange desquels on
abandonnerait à son propriétaire ceux qu'occupait
l'hôpital sur la place dite alors de Grève (38),
jusqu'au rempart. En vertu de cet arrêt, ajoute Lionnois,
« le sieur François Hoffman (39) commença cette belle
maison qui est vis-à-vis de l'Université, qu'il a vendue
depuis peu (40) à M. Mathieu de Dombasle, et derrière,
jusqu'au fossé (41), sa brasserie, l'une des plus belles
et des plus commodes de France (42) ».
Des mains de François Hoffman, la brasserie passa dans
celles de son gendre, Joseph-Alexandre Arnauld de
Praneuf, officier au régiment de Schomberg-Dragons,
lequel obtint, le 9 septembre 1777, un arrêt confirmant
les lettres patentes de 1702, 1723 et 1768, pour, par
ledit Praneuf, jouir du bénéfice d'icelles (43) ; il lui
est fait, en outre, concession du droit exclusif de
faciende et débit « le toutes espèces de bières dans
toute l'étendue des villes et banlieue de Nancy, pendant
vingt-cinq années, à charge de payer au domaine une
redevance annuelle de 300 livres. Les bourgeois eurent
la même permission que ceux d'Epinal (44)
Cet arrêt fut rendu à la suite d'une requête qui
renferme quelques détails intéressants. Le droit de
fabriquer des bières, y est-il dit, les encaver, vendre
et débiter, est domanial en Lorraine ; il est établi par
les ordonnances de 1609, 1610 et 1614, confirmées par
l'arrêt du 6 mars 1751... Le duc François, à son
avènement (1724), ayant ordonné la réunion de tous les
domaines et droits domaniaux aliénés depuis 1697, le
privilège des droits de faciende, encavage et débit des
bières, s'y trouva compris ; il fut sous-fermé par le
fermier du domaine au nommé Gillet moyennant 1,200
livres, au cours de Lorraine, de canon annuel. Mais le
sieur Hoffman obtint un arrêt du Conseil des finances,
le 28 décembre 1730, qui ordonna qu'il continuerait à
jouir du privilège de la faciende des bières, façon de
Flandres, conformément aux lettres patentes de 1702 et
1723, et qui lui permit de fabriquer toutes sortes de
bières pendant chacune des neuf années du bail de
Gillet, à charge de payer aux sous-fermiers de ce droit
400 livres par chacune desdites années. Hoffman obtint
divers arrêts en vertu desquels il fit interdire à tous
autres la fabrication et la vente de toutes bières
autres que celles de sa brasserie. Il obtint,
entr'autres, le 20 août 1732, contre les Bénédictins de
Dieulouard, qui fabriquaient des bières façon de
Flandres, un arrêt qui en ordonna la confiscation et
prononça l'amende...
Lorsqu'en 1768, Hoffman entra en possession des
bâtiments de l'hôpital militaire, ces bâtiments étaient
en si mauvais état, qu'il fut obligé de les faire
abattre et d'en construire de nouveaux, ce qui lui
occasionna une dépense de plus de 50,000 livres, pour
laquelle il fit des emprunts qui causèrent sa ruine.
Dans la vue d'acquitter une partie de ses dettes,
Praneuf et sa femme consentirent, par leur contrat de
mariage, à prendre la brasserie et les bâtiments sur le
pied de 114,000 livres. Ils espéraient en jouir
tranquillement, en continuant à servir au domaine la
redevance de 200 livres, mais les brasseurs des environs
s'étant soulevés contre l'exercice de leur privilège,
introduisirent une quantité de bière dans Nancy; ce qui
donna lieu à des procès qui se renouvelaient tous les
jours. Ce fut afin de les faire cesser qu'ils
sollicitèrent et obtinrent l'arrêt rappelé ci-dessus ;
il ne reçut qu'une partie de son exécution, la
Révolution étant venue mettre un terme au privilège de
Praneuf avant qu'il ne fût expiré. Celui-ci n'en
continua pas moins à exercer son industrie ; il gérait
encore son établissement en l'an IV, ainsi qu'on le voit
par le recensement fait cette année ; mais il avait
alors sept concurrents, qui devaient lui causer un
notable préjudice.
Il semble résulter des documents qui précèdent qu'il n'y
eut à Nancy, durant le cours du siècle dernier, qu'une
seule brasserie, dans laquelle on ne fabriqua d'abord
que de la bière à l'instar de celle de Flandres, puis
toutes sortes de bières.
On se demande tout naturellement comment s'écoulaient
les produits de cette usine, si remarquable, au dire de
Lionnois : il est difficile de répondre à cette question
d'une manière satisfaisante, faute de renseignements
précis. Ce qui ressort de ceux que l'on possède, c'est
qu'ils s'exportaient à des distances assez grandes, eu
égard aux moyens de communication qui existaient alors.
Ainsi, l'on voit, en 1750, les Cisterciens de l'abbaye
de Haute-Seille (45), située à plus de quinze lieues de
la capitale, faire venir de la bière de la brasserie
d'Hoffman. Les Chanoines réguliers du prieur de Viviers
(46), auxquels, paraît-il d'après les comptes de leur
dépense, il n'était pas interdit de fumer, buvaient
aussi de la bière, mais dont on n'indique pas la
provenance. La même chose avait lieu, pour le dire en
passant, dans d'autres maisons religieuses, sans que
l'autorité ecclésiastique y trouvât à redire.
Mais c'était surtout la consommation sur place qui
devait ouvrir des débouchés à la brasserie nancéienne.
Cette consommation était devenue assez importante pour
fournir à la ville une source de revenus. Celle-ci en
affermait l'octroi, qu'elle augmentait à proportion de
ses charges (47), et la perception des droits se faisait
à peu près de la même manière qu'autrefois par nos
agents des contributions indirectes. C'est ce que l'on
voit par divers règlements de police, dont le premier
est du 24 décembre 1738.
Cette année, un nommé Jacques Millot, qui venait de
prendre la ferme de l'octroi sur les vins, bières et
eaux-de-vie, demanda à la Chambre de ville le
renouvellement d'une ordonnance rendue à ce sujet en
1720, et qu'en conséquence, injonction fût faite à tous
cabaretiers, aubergistes, taverniers et autres vendant
ces boissons, de lui donner une déclaration exacte et
fidèle de celles qu'ils avaient en provision et de
continuer ainsi à l'avenir, pendant toute la durée de
son bail. La Chambre, faisant droit à cette requête,
promulgua un règlement, dont voici les principales
dispositions :
Tous habitants des villes et faubourgs de Nancy qui
voudront vendre et débiter vins et bières en détail,
seront tenus de déclarer au bureau établi par le fermier
la quantité des provisions qu'ils en auront...
La déclaration étant faite, le débit ne pourra commencer
que le fermier n'ait fait la reconnaissance de la
quantité et de la consistance des tonneaux, et qu'il ne
les ait marqués de sa rouane, dont l'empreinte sera
déposée au greffe de la Chambre.
Tant et si longtemps que les vendants vins et bières
feront leur débit, ils seront obligés de tenir la
feuillée, ou autrement d'avoir bouchon ou enseigne qui
puisse servir d'avertissement au fermier de la
continuation du débit.
Tous les vendants permettront l'entrée de leurs caves au
fermier ou à ses préposés, toutes les fois qu'ils s'y
présenteront, pour en faire la visite et la
reconnaissance, sans les insulter, ni quereller, à peine
de punition telle qu'au cas appartiendra.
Ce règlement de police, qui fut renouvelé en 1762 et
1763, nous apprend que le débit de la bière se faisait
par les cabaretiers, aubergistes et taverniers ; il n'y
est pas question des cafetiers, dont les premiers
n'apparurent qu'assez longtemps après (48). L'usage du
tabac à fumer, encore peu répandu, n'avait pas amené la
création des nombreux établissements dans lesquels, on
en va « griller», en absorbant un liquide qui rafraîchit
les lèvres et le gosier.
L'absence de cafés permet de supposer que l'on
consommait de la bière dans un certain nombre de maisons
bourgeoises (49), soit comme agrément, soit de
préférence au vin, surtout lorsque de mauvaises récoltes
en faisaient hausser le prix.
Dans ces circonstances, on avait encore recours à un
autre genre de boisson, dont les documents officiels,
antérieurs au XVIIIe siècle, ne font pas mention, mais
qui était certainement connue en Lorraine bien
auparavant, surtout dans les régions ou le sol ne se
prêtait pas à la culture de la vigne : nous voulons
parler du cidre.
Par un édit en date du 6 août 1715, Léopold (50) veut
que, outre l'octroi et le taxage des vins accordés à la
ville de Nancy par le duc René II, en 1504, il soit
perçu, sur les eaux-de-vie, liqueurs, vins, bières et
cidres qui se vendront en gros ou en détail, savoir :
sur la mesure d'eau-de-vie, 2 fr.; sur le pot de «
Ratafiat, Percicot, Vaté, Eau de Canèle, Genièvre,
Fleurs d'oranges et autres liqueurs (51), 2 gros par
pot; sur chaque mesure de bière et de cidre, 6 gros.
Mais, sur la requête des officiers de l'Hôtel de ville,
le duc abrogea cet édit, deux mois après, relativement
aux droits à payer par ceux qui vendaient du cidre, des
ratafiats et autres liqueurs, dont il laissa le commerce
et le débit libres dans cette ville, comme cela était
auparavant.
C'est ce qui explique pourquoi il n'est pas question du
cidre dans les règlements de police ultérieurs,
concernant la perception du droit d'octroi sur les vins,
bières et eaux-de-vie.
En 1770, François Hoffman, qui avait pris ce droit à
bail de la ville, selon qu'il se levait en vertu de
l'arrêt du Conseil, du 26 mai 1763, adressa au Roi une
requête dans laquelle il expose « que les officiers
municipaux ne prévoyant pas alors que les vins
manqueraient tout-à-coup dans les années suivantes, au
point de mettre les bourgeois dans la nécessité d'y
substituer le cidre, dont jusqu'alors on n'avait fait
aucun usage dans cette capitale (52), ne pensèrent pas
même à comprendre cette boisson dans celles sujettes au
droit d'octroi qu'ils obtinrent sur les vins, bières et
eaux-de-vie; cependant, la rareté et la cherté des vins
s'étant fait sentir, principalement en Lorraine, depuis
trois ans, le cidre, moins désagréable à boire que des
vins de mauvaise qualité, tels que ceux de la dernière
récolte, est devenu la boisson ordinaire des bourgeois
de Nancy, et leur tient lieu du vin, sujet à l'octroi,
en sorte que la préférence donnée au cidre sur le vin,
dont il ne se fait plus de consommation, priverait le
suppliant de la plus forte partie de son droit et
entraînerait bientôt sa ruine entière. Outre ce motif,
sa demande est fondée sur l'usage de toutes les autres
villes de la Lorraine, notamment de celle de Lunéville,
où l'on perçoit sur les cidres, à raison de la
consommation qu'il s'y fait de cette liqueur, le droit
d'octroi établi sur les vins, bières et eaux-de-vie...
Le suppliant se restraint å demander sur les cidres le
demi-droit qui se perçoit sur les bières, quoique
l'usage du cidre, en arrêtant la consommation du vin,
ait diminué celle des bières même... »
Le Roi, faisant droit sur cette requête, rendit, le 31
juillet 1770, un arrêt par lequel il ordonna que l'édit
de 1715 serait exécuté selon sa forme et teneur; permit
à Hoffman de lever le droit sur les cidres conjointement
avec ceux qui lui étaient affermés, et prescrivit que ce
droit continuerait à être perçu, à l'expiration de son
bail, au profit de la ville.
Les deux boissons, causes de cet arrêt, continuèrent à
être simultanément en usage jusque vers la fin du siècle
dernier : les cafetiers, limonadiers, vinaigriers,
débitants de cidre et de bière, formaient une communauté
ayant à sa tête deux syndics et trois adjoints, dont
l'élection avait lieu par les maîtres du corps, devant
le lieutenant général de police, entre les mains duquel
ils prêtaient serment. Les nouveaux entrants à la
maîtrise payaient, au moment de leur admission, le quart
du droit de réception, montant à 16 livres 13 sous 3
deniers, cours de France. Chaque année, un des syndics
rendait les comptes (53) de la communauté en présence et
à la participation du procureur du roi au siège de
police de la ville de Nancy, ayant la police des arts et
métiers.
La bière a fini par détrôner complètement le cidre, et
celui-ci n'est plus guère connu que de nom. On ne songe
pas à ? recourir, comme il y a une centaine d'années,
lorsque les vendanges font défaut ; on préfère des
boissons qu'il serait difficile de qualifier, et pour
lesquelles il serait bon de remettre en vigueur nos
vieilles ordonnances défendant aux « hostes, »
taverniers, cabaretiers et autres « d'affaicter ny
mistionner » leurs vins, sous peine d'amende et de
confiscation.
LA BIÈRE EN FRANCE. - LA BRASSERIE DE TANTONVILLE,
Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'histoire de la bière
proprement dite, sous cette dénomination, re remonte, en
France, qu'à la fin du XVe siècle. M. Reiber lui a
consacré plusieurs pages, moitié sérieuses, moitié
plaisantes, auxquelles j'emprunterai quelques passages,
qui ne se liront peut-être pas sans intérêt.
Les statuts donnés par Charles VIII, en 1489, à la
corporation des brasseurs de Paris, furent, dit-il,
renouvelés ou confirmés en 1514, 1630 et 1687. « La
brasserie française continuait à vivre, mais non à
prospérer. Elle ne fut réellement importante que dans le
Nord, vers les Flandres, où cette industrie devint une
véritable puissance, et où elle l'est encore...
» Sous Louis XIV, Paris comptait 18 maîtres-brasseurs ;
sous Louis XV, en 1750, elle en avait 40, et sous Louis
XVI, en 1782, 23 seulement. Leur nombre était de nouveau
plus élevé à la Révolution.
» Au XVIe siècle et au XVIIe, Paris employait pour sa
bière deux parties d'orge et une partie d'avoine (54).
Les coryoisiers de Picardie usaient d'un mélange par
moitié d'orge et de seigle. Pour aromatiser le liquide,
les uns se servaient de laurier-rose et de gentiane, les
autres de sauge, de lavande, de coriandre, d'absinthe,
etc.
» Il existe une facétie intitulée : Le Bragardisme et
joyeux testament de la bière, dédié aux magnanimes
biberons pour les festes de Caresme prenant (Arras,
1611), qui prouve qu'au XVIe et au XVIIe siècle, le vin
l'emporta peu à peu sur la bière en France. Dans cet
écrit, la bière se reconnaît boisson misérable, ayant
causé beaucoup de troubles et de malaises, et fait son
testament (55) avant de céder devant le vin. Les
brasseurs sont fort malmenés dans l'opuscule en question
; l'épithète de gastebleds est une des plus douces dont
ils soient gratifiés.
» Pendant que la France, de plus en plus riche en vins,
se déshabituait fort de la bière, l'Allemagne
perfectionnait l'ancienne boisson de médiocre qualité et
l'amenait peu à peu au degré de finesse qui lui revalut
les sympathies françaises. Voici quelques chiffres pour
illustrer cette vogue nouvelle de la bière. Paris en but
7,000 hectolitres en 1853, 40,000 hectolitres en 1864,
et environ 300,000 en 1881 (56). Cette progression
ascendante et phénoménale indique presque une
transformation complète de goût et de régime. Il est
aujourd'hui réservé à la France d'égaler et de surpasser
l'Allemagne (la brasserie strasbourgeoise n'a-t-elle pas
conquis sa réputation en faisant partie de la brasserie
française), et il lui est surtout réserve de rendre les
moeurs gambrinales aimables. La bière française jouit
déjà particulièrement d'une grande faveur à l'étranger.
C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que nous avons
trouvé, il y a cinq ans (c'est-à-dire en 1876), la bière
de Tantonville très acclimatée à Tunis. »
Elle va bien ailleurs, et plus loin que Tunis : dans
toute la France, d'abord, où elle est recherchée par les
établissements de premier ordre, à l'égal des meilleures
bières du continent (57); en Corse, en Algérie, en
Espagne, en Italie, en Suisse et en Belgique ; des
essais d'exportation viennent également d'être tentés
pour les Indes anglaises et le Brésil, et ils ont
pleinement réussi.
Par suite des développements qu'elle a pris, des
perfectionnements qu'elle a reçus, la brasserie de
Tantonville est devenue la plus importante de France. De
1500 hectolitres fabriqués en 1840, seconde année de sa
fondation, elle est arrivée à dépasser une production
annuelle de cent mille hectolitres, qui peut être portée
à plus de cent cinquante mille par de récents
agrandissements.
Qu'était la brasserie Praneuf auprès de cette
gigantesque usine, avec sa ligne spéciale de chemin de
fer et son bureau de télégraphe, - choses auxquelles on
ne songeait guère il y a cent ans ! - avec ses bacs
rafraîchissoirs, ses caves de fermentation, de 1.650
mètres carrés, ses caves à bière, pouvant contenir
50,000 hectolitres ; ces cares glacières, d'une
superficie de 6,800 mètres carrés ; ses appareils à
fabriquer la glace, en produisant 200 kilos par heure ;
etc. (58)
Outre quelques établissements secondaires, d'une date
plus ou moins récente, il s'est créé, aux portes de
Nancy, dans les dépendances du domaine quasi seigneurial
du Sauvoy, une brasserie qui a déjà pris une certaine
notoriété. Fondée en 1869 par notre compatriote M.
Galland, avec une société d'actionnaires, sous la
dénomination de Brasserie Viennoise, et dite ensuite
Grande Brasserie de l'Est, elle est arrivée à fabriquer
annuellement 67,009 hectolitres; 500 s'exportent en
Italie, 60,000 sont envoyés dans diverses parties de la
France, 6,500 se vendent sur place.
On peut apprécier la qualité des produits de cette usine
en entrant dans le débit contigu à ses ateliers, tenu
par un ancien sous-officier de notre armée d'Afrique.
C'est, sous ce titre modeste, un vaste café, en avant
duquel règne une terrasse plantée d'arbres, d'où l'on
jouit d'une vue magnifique sur la vallée de la Meurthe.
La bière, - qui est entrée dans nos habitudes et devenue
presque un besoin, ne se vend plus à présent, comme
autrefois, uniquement chez les cabaretiers et
taverniers, mais dans de somptueux établissements, dont
le luxe était aussi inconnu à nos aïeux que le gaz qui
les éclaire. Hommes et femmes prennent part à sa
consommation, laquelle atteint des proportions
fabuleuses.
Si, à l'instar de Deschamps et de ses successeurs, un
brasseur pouvait, durant près d'un siècle, jouir du
privilège d'en alimenter Nancy et sa banlieue, combien
de millions ne gagnerait-il pas !
(1) ETUDES GAMBRINALES. - Histoire et
archéologie de la bière, et principalement de la bière
de Strasbourg, par Ferdinand Reiber. Berger-Levrault et
Cie, éditeurs. 1882.
(2) Dans l'ouvrage intitulé : Le régime de santé de l'escolle
de Salerne, traduit et commenté par Maistre Michel Le
Long, Docteur en Medecine ... Troisiesme édition..
Paris.., M DC XLIX.
(3) Digot, Histoire de Lorraine, t. I, p. 159, 160 et
363.
(4) Nous avons laissé de côté, à dessein, le passage (p.
160) ou M. Digot parle des soi-disant brasseurs de
Verdun bracenses negociatores, qui auraient exercé leur
industrie du temps de l'évêque Austramme (801-806). Le
savant abbé Clouet a clairement demontré (Hist. de
Verdun, t. I, p. 236) que l'épithète bracenses ne
signifie nullement brasseurs ; il devrait y avoir
braciatores ou brasiatores.
(5) Quincy, Meuse, canton et arr. de Montmédy.
(6) Suivant M. Reiber, cerevisia dériverait de terve,
vieux mot d'origine celtique ou gauloise, qui désigne le
blé ou le froment. « Ce mot, ajoute-t-il, s'est conservé
dans la région rhénane intérieure, dans terwe. Une
circonstance qui nous fortifie particulièrement dans
cette opinion, c'est que le bas allemand du moyen âge
possédait le mot terwise, qui signifiait en réalité
cervoise, c'est-à-dire bière de froment (Weizenbier)...
Pline, en affirmant que cervisia est un mot gaulois,
prouve d'ailleurs directement que le terme ne vient pas
du latin, et indirectement, que ce sont les conquérants
romains qui ont latinisé le celtique qu'ils avaient
rencontré. »
D'anciens auteurs, cités par Du Cange, donnent pour
étymologie à cervoise le nom de Cérès, la déesse des
moissons : « Cerevisiam a Cerere dictam, quasi
Cerebibiam, quod Ceres, id est, frumentum cortum bibatus
» - « Cervisia, a Cerere, id est, fruge vocata : est
enim polio ex feminibus frumenti vario modo confecta »;
c'est-à-dire, en quelques mots : Cervoise vient de Céres,
comme si l'on disait bois son de Cerès, parce que c'est
un breuvage fait de froment.
(7) En français : Officine des brasseurs ou endroit où
la cervoise est cuite et confectionnée, ce que nous
appelons brasserie. - Carubier, brasseur ou
confectionneur de cervoise.
(8) « BRACE, dit Du Cange, grani species, ex quo
cerevisia conficitur. Bracium idem quod Brace.
En France, brace et bracius se changent en brai, bray,
brais, mots vieux français qui signifient plus
spécialement malt concassé...
Quant au français malt et å l'allemand malz, ils sont
d'origine germanique, et viennent de maleu, qui signifie
moudre. (Reiber.)
(9) Sous-entendu : reçu.
(10) Ancien département de la Moselle.
(11) C'est-à-dire aux enchères.
(12) Les savants, dit M. Reiber, la définissent de la
façon suivante : la bière est un liquide fermenté,
obtenu par la décortion on l'infusion de matières
amylacées dues aux céréales, et modifiées par la
fermentation; renfermant une certaine dose de houblon,
et se trouvant dans un état particulier de fermentation
secondaire.
(13) Voy. ci-dessus, p. 15, note 1.
(14) Jametz, Meuse, canton de Montmédy. - Les grueries
étaient des circonscriptions territoriales, à la tête
desquelles se trouvait placé un agent de
l'administration forestière, nommé gruyer, dont les
fonctions avaient beaucoup d'analogie avec celles de nos
sous-inspecteurs des forêts.
(15) En 1591, une certaine quantité de blé est délivrée
à frère Didier, brasseur au convent des Cordeliers, pour
bière qu'il avait brasséé pour le défruit de l'hôtel.
(16) Ce terme, ici et plus loin, ne doit pas être pris
dans l'acception moderne : il signifie simplement les
ustensiles (alambics, chaudières, etc.) destinés à la
fabrication de la bière.
(17) Le cellérier était l'officier chargé spécialement
de la recette des grains.
(18) En 1590, une « brasserie » fut établie au château
de Hombourg pour faire de la bière aux soldats qui y
tenaient garnison.
(19) La maison dite la Bierrerie, avec le meix derrière,
sise rue Saint-Dizier, provenant des successions de
noble Claude de Fisson et d'Antoinette de Chastenoy, son
épouse, fut vendue, en 1662, par les Carmélites aux
Dominicains, pour le prix de 5,000 francs.
La Bierrerie, d'après une note que nous communique M.
Ch. Courbe, occupait l'emplacement de l'hôtel de Mahuet-Lupcourt
(hôtel O'Gorman actuel); elle fut « démontée » pour
rendre du terrain à Alexandre de Chastenoy, qui déclara
vouloir y faire bâtir, lorsqu'on distribua ces places à
la ville Neuye, de 1591 à 1598, aux particuliers qui en
demandèrent pour construire des maisons.
(20) Un nommé Pierre Poirson, « brasseur de bière »
natif de Dinan (Belgique), figure sur l'état des
bourgeois reçus à Nancy depuis l'an 1591, comme y étant
venu en 1608.
(21) Des. concessions du même genre avaient, sans doute,
été faites à d'autres individus, puisqu'elles
provoquèrent des plaintes de la part des Etats-généraux.
C'est ainsi qu'ils disent, dans un des « griefs
présentés au duc lors de leur session de 1614-1615 : «
Son Altesse est suppliée de permettre à un chacun de
faire cartes, savons, teintures, bières, chaudronneries
et choses semblables, et d'en lever toutes les deffences
qu'on a cy devant faict...; et où il luy plaira de faire
continuer les privillèges qu'il a donné à des
particuliers touchant ladicte permission, qu'il luy
plaise de ne la continuer plus longues années que celle
qui leur a esté accordé, et de n'en faire d'autres... »
(22) Le compte de l'année 1633 porte en recette le droit
dû par les brasseurs et vendeurs de bière de cette
ville.
(23) Il y avait, dans le château, une « brasserie », que
l'on répara en 1615.
(24) Aujourd'hui Wallerfangen, commune du canton de
Saarlouis, ancien chef-lieu du bailliage d'Allemagne. En
1619, un individu obtint l'acensement d'une place pour «
bâtir une brasserie » proche de l'étang de cette ville.
(25) On appelle ainsi la vallée qui traverse le canton
de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin).
(26) L'auteur du Traité du département de Metz (1736)
dit, à ce sujet : « Les Bénédictins anglais qui se sont
établis à Dieulouard, en 1606. ont fait bâtir un beau
monastère : du pied de la montagne sur laquelle sont le
château et le couvent, il sort une fontaine qui forme un
ruisseau considérable ; les eaux sont excellentes pour
faire de la bierre, qui ne cède en rien à celle des
Gobelins; les Bénédictins, ainsi que les habitants, en
font un grand commerce. »
(27) Andreu de Bilistein ; Essai sur les drchés de
Lorraine et de Bar, 1762.
(28) Notamment chez les Chanoines réguliers de l'abbaye
de Domévre. Un compte de l'année 1699-1700 porte en
dépense somme de 1073 fr. pour 74 mesures de vin, une de
bière et la façon de dix autres mesures de bière. - Ces
religieux buvaient aussi du cidre.
(29) La consommation de cette liqueur avait pris, au
commencement du XVIIe siècle, des proportions assez
considérables. Afin de remédier aux abus qui se
commettaient dans sa fabrication, Léopold, par son édit
du 21 août 1700, créa, « en maîtrise », cinq cents
offices de fabricateurs et distillateurs d'eau-de-vie,
lesquels pouvaient seuls en faire, à l'exclusion de tous
autres, moyennant une finance, proportionnée, sans
doute, à l'importance de la localité où ils étaient
établis. Les brevets de distillateurs, comme ceux de
perruquiers, constituaient ainsi une source de revenus
pour le trésor.
(30) En 1716, Léopold avait accordé des chartes aux
maîtres boulangers, « ordinairement brasseurs et
vendeurs de bierres », et aux meuniers des villes de
Sarreguemines, Bitche, Puttelange et autres lieux
composant l'offre de ladite ville de Sarreguemines.
Aucune des dispositions de ces chartes ne concerne les
boulangers, en tant que brasseurs. L'article 13 porte
seulement qu'il leur est permis de vendre de
l'eau-de-vie les jours de fêtes, ainsi qu'ils ont fait
d'ancienneté.
(31) Il y avait une brasserie dans la partie alsacienne
de cette ville.
(32) On appelait ainsi la partie de l'ancienne province
du Barrois qui renfermait les bailliages d'Etain et de
Briey.
(33) Clair-Marais, ancienne cense, commune de Longwy.
(Dict. top. de la Moselle.)
(34) Arr. de Briey, canton de Longwy.
(35) Ancien département de la Meurthe.
(36) Village, canton d'Ottweiler (Prusse); anciennement
Lorraine, bailliage de Schambourg, passé, en 1814, sous
la domination prussienne, avec le canton de Tholey,
auquel il appartenait.
(37) Il établit, en 1724, une houblonnière dans un
terrain, près de l'étang Saint-Jean, que lui avait
rétrocédé Jean Le Brument, entrepreneur de la
manufacture de drap.
En 1769, François Hoffman, dont il va être question,
obtint de la ville, par acensement, un terrain depuis
l'hôpital des Enfants trouvés (sur l'emplacement
qu'occupe l'Académie) jusqu'à la porte Notre-Dame, et y
fit également planter uue houblonnière.
(38) Aujourd'hui Dombasle.
(39) Ancien officier pour le service du Roi. Il était
fils d'Evrard, et fut père d'Henri Hoffman, littérateur
et journaliste distingué, né à Nancy en 1760, dont
l'éloge a été prononcé par M. Jacquinet dans son
discours de réception à l'Académie de Stanislas, en
1878.
(40) C'est en 1784 ou 1785 que cette maison fut vendue
au père du célèbre agronome, non par Hoffman, mais par
son gendre Arnaud de Praneuf : et ce fut celui-ci qui
transféra la brasserie dans les bâtiments ayant face sur
la rue des Michottes, où ils portent les numéros 3 et 5.
(Note de M. Courbe.)
(41) C'est-à-dire jusqu'à l'ancienne place de Grève, à
présent de l'Académie.
(42) Par une annonce publiée le 19 décembre 1772, le
sieur Hoffman, « propriétaire de la Brasserie de Nancy,
rue Saint-Stanislas n° 288 » (n° 66 actuel), fait savoir
qu'il « a découvert la méthode sûre de faire des bières
de la première qualité, qui se conserveront plusieurs
années en s'améliorant, soit en tonneau, soit en
bouteilles. - Il fera faire également des bieres douces
et fournies, claires et agréables, qui se boiront
jusqu'au mois de juillet, le tout à prix raisonnable.
(43) Il l'avait invoqué, en 1775, contre un nommé Petna,
dit Téméraire, exerçant la profession de brasseur à
Jarville, lequel avait été trouvé introduisant de ses
bières à Nancy».
(44) Voy. ci-dessus, p. 31.
(45) Hameau, com. de Cirey, Meurthe-et-Moselle.
(46) Viviers, anc, dép. de la Meurthe. arr. de
Château-Salins.
(47) C'est ce qui arriva, notamment, en 1769. Un arrêt
du Conseil permit à la ville de lever, jusqu'en 1776, 4
sous par livre en sus des droits qui se percevaient sur
les vins, bières et eaux-de-vie.
(48) En 1767, il n'y avait encore à Nancy que deux cafés
: le Café Royal, appelé successivement Café Français,
Café Impérial, de nouveau Café Royal, en dernier lieu,
Café Stanislas, dénomination qu'il a conservée; - et le
Café de Strasbourg, rue des Dominicains; plus, deux
maîtres de billards, on teneurs de cafés de second
ordre, mais très fréquentés. Le nombre de ces
établissements, dont M. Courbe a donné la liste dans ses
Promenades historiques à travers les rues de Nancy,
s'accrut notablement depuis l'époque dont il vient
d'être parlé, mais surtout à partir de 1790. En l'an IV,
on ne comptait pas moins de 25 cafetiers, outre 70
cabaretiers et 55 marchands de vin, chez lesquels, comme
chez les anciens taverniers et cabaretiers, on débitait
sans doute de la bière.
(49) Cette consommation est rendue facile aujourd'hui
par le port à domicile de bière en bouteilles, genre
d'industrie créé depuis quelques années, et qui a déjà
pris d'assez grandes proportions.
(50) En 1727, ce prince faisait venir du cidre
d'Angleterre pour son hôtel.
(51) ll est question d'élixir de la Chartreuse dans le
livre de recette et dépense des Chartreux de Bosserville,
de 1775 à 1790.
(52) ll veut dire probablement qu'on n'en faisait plus
usage.
(53) On possède ceux des années 1760 à 1786.
(54) Pendant la disette de 1709, Léopold défendit
d'employer de l'orge et du blé, mais seulement de
l'avoine, dans la faciende de la bière.
(55) Son épitaphe, imprimée à la fin de l'opuscule, est
ainsi conçue :
En ce tombeau une bière repose,
Qui de la mort de plusieurs est la cause
Et qui n'a sceu jamais en son vivant
Rien dans le corps y loger que du vent :
Partout, brasseur, qui fuynez ce passage,
De son trespas n'attristez le courage,
Car vous verrez que les fils de Bacchus
Vous pilleroient comme un pot de verjus.
Le poète-médecin traducteur et commentateur de l'Ecole
de Salerne, dont il a été parlé au commencement de notre
travail, énumère les inconvénients et les vertus de la
bière dans deux « discours » et deux « explications »
dont voici quelques passages :
« La bière tient lieu de vin, et breuvage délicieux au
pais où la vigne ne se cultive point... Ce breuvage
oppile le foye, s'il n'est altéré de force houblon, et
fait mesme, au dire de Dioscoride, devenir ladres ceux
qui en font ordinaire: d'abondant il fait mal à la
teste, cause une yvresse beaucoup plus longue que le
vin, et qui ne s'en va pas si facilement: de plus on
remarque que ceux qui en sont yvres tombent plustost en
arrière que devant, pource que les vapeurs qu'il envoye
au cerveau ne pouvant estre promptement dissipées à
cause de leur époisseur, se changent en humeurs crues et
terrestres, qui s'arrestent aux parties latérales et
postérieures de la teste, occupent le principe des
nerfs, et ostent aux esprits la liberté de leur chemin,
d'où il arrive que tant à cause du poids de l'humeur que
du principe des nerfs préoccupé, la chûte se fait
plutost derrière que devant : qui pis est, telles
yvresses sont suivies non rarement d'apoplexies,
paralysies, affections léthargiques et autres... »
Plus loin, appliquant à la bière un des vers qu'il a
consacrés à la cervoise (provoque à uriner(-1-),
rafraichit (-2-), est enflante(-3-), le traducteur
énumère ainsi quelques-unes de ses vertus :
1. « A sçavoir quand elle est altérée de suffisante
quantité de houblon. Or jaçoit que le houblon ne soit
pas l'ingrédient principal en la composition de ce
breuvage, pourtant il est celuy sans lequel il ne peut
estre pris seurement, attendu que par sa faculté
apéritive, il empesche les oppilations du foye, de la
ratte et du misentère, que la bière causeroit sans
difficulté...
2. « A sçavoir celle qui a beaucoup d'orge et peu de
houblon ; pour tant telle bière que ce soit est de
tempérament chaud, plus ou moins ; celle d'orge et
d'avoine médiocrement; celle de froment le plus de
toutes : car bien que le froment soit de nature
tempérée, et que les autres grains susdits déclinent au
froid, pourtant la seule préparation faite par
fermentation, assation, putréfaction et coction, ne peut
estre sans qu'elle retienne la qualité du feu. Or
est-elle d'autant plus chaude qu'il y a de houblon meslé;
pourtant celle qui est fort houblonnée peut autant, ou
mieux rafraischir que celle d'orge simple, attendu que
le houblon fait évacuer l'humeur bilieux qui entretient
la chaleur dans le cops.
3. « Entendre des vents faute d'une bonne coction, ou
pource que l'estomac ne la peut digérer que lentement et
difficilement : ou pource que l'orge, qui en est le
principal ingrédient, est venteuse, à cause de sa
froideur et viscosité. »
(56) L'auteur, dont le livre a été imprimé à cette date,
dit que la France produit annuellement huit millions
d'hectolitres de bière, mais la moyenne de la
consommation n'y atteint eneore que 21 litres par
habitant,
(57) La supériorité des produits de l'usine de
Tantonville a valu aux si habiles directeurs de cet
établissement deux médailles d'or aux expositions
universelles de 1878 et 1882, des diplômes d'honneur à
l'exposition industrielle de Blois et à l'exposition
universelle d'Amsterdam; enfin, tout récemment, une
médaille d'or à l'exposition universelle de Calcutta
(Indes-Orientales).
(58) Elle est représentée sur une grande planche qui
accompagne le numéro 484 du Panthéon de l'Industrie, à
la suite d'un article intitulé : les Bières françaises,
où le mode de fabrication employé à Tantonville est
longuement exposé. |