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Florent Schmitt
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Études : revue fondée en 1856 par des Pères de la Compagnie de Jésus
Compagnie de Jésus
octobre-novembre-décembre 1958

Florent Schmitt

Le 17 août 1958, dans sa maison de Neuilly, Florent Schmitt s'éteignait à la suite d'une longue maladie.
Tous ceux qui l'ont connu se souviennent d'un beau vieillard aux cheveux et à la barbe neigeux. Grand et maigre, il était encore ces dernières années d'une souplesse étonnante, n'hésitant pas, pour féliciter ses interprètes, à sauter sur la scène avec une agilité que lui auraient enviée bien des hommes dans la force de l'âge. Toujours curieux des progrès de la musique contemporaine, il en suivait le développement avec soin, portant sur elle des jugements sûrs et épaulant nombre de jeunes compositeurs dont les idées différaient des siennes. On le rencontrait souvent à des premières, mais il fallait le découvrir; ennemi des cénacles, il ne se laissait pas entourer et se ' promenait volontiers dans les couloirs du théâtre, seul, ou avec un ami, paraissant ignorer celui que l'on fêtait ce soir-là. Maniant avec art la satire et le paradoxe, Florent Schmitt émaillait ses paroles comme ses écrits de formules lapidaires au risque de se faire passer pour un misanthrope. «  Il ne m'est arrivé depuis ma naissance que de vivre en attendant peut-être qu'il m'arrive de mourir.» Il ignorait les intrigues du monde musical et montrait de la désinvolture vis-à-vis de l'ordre établi. Ainsi, à la Villa Médicis en 1902 (il avait alors trente-deux ans), il reçut un blâme du ministre. Son premier soin fut d'encadrer le parchemin, de l'afficher bien en vue dans sa chambre et de quitter Rome à nouveau, alors que c'était justement pour ses absences qu'il s'était attiré cette sanction. Indépendance, ironie, tels étaient les traits apparents du caractère de Florent Schmitt. Mais derrière cette façade on découvrait de l'opiniâtreté, de la vigueur, et le respect de la tradition.
Né en 1870 à Blamont (Meurthe-et-Moselle), Florent Schmitt fit ses études musicales à Nancy où il travailla avec l'organiste de la cathédrale. Il entra en 1889 au Conservatoire de Paris et fut l'élève de Théodore Dubois, de Lavignac, de Massenet et surtout de Fauré. Il admirait beaucoup ce dernier et fut plus inspiré par son art que par celui de Debussy comme on l'a dit souvent. Le service militaire interrompit ses études. Il les reprit avec acharnement car il tenait au prix de Rome. «  Entre mille infortunes, dit-il, j'eus jadis celle de concourir cinq fois au prix de Rome pour ne l'obtenir qu'une seule » (en 1900) (1). Encore n'y arriva-t-il que grâce aux peintres et aux sculpteurs de l'Institut que Massenet, Saint-Saëns et Reyer décidèrent en sa faveur.
Nanti d'une bourse confortable (trente mille francs or), Florent Schmitt partit avec le sculpteur Landowsky (2). Son prix devait marquer l'éveil de sa création artistique et changer son caractère. Comparées à l'effort intense qu'il venait de fournir au Conservatoire, les exigences du règlement de la Villa Médicis (un envoi annuel) auraient dû lui paraître légères. Elles furent pour lui une charge. A peine était-il arrivé à Rome qu'il quitta cette ville pour une première visite du pays. Il n'y retourna qu'après plusieurs mois d'absence pour travailler sans enthousiasme. «  L'après-midi filait trop vite, occupé à la restitution de mes pages gommées le matin et à la préparation de nouvelles couches à gommer le lendemain. » Comme sa partition n'avançait pas, il l'abandonna pour un nouveau voyage en Italie du Nord qui le conduisit au Simplon. Se sentant pris du désir de connaître l'autre face des Alpes, il passa le col, arriva à Brigue et prit le train pour Paris. On le rappela. Il retourna à Rome... par la Corse et termina son premier envoi, limité au premier mouvement d'un quintette où l'inspiration était remplacée par le volume. «  Dans cette version primitive de soixante-trois pages, c'était déjà, comme papier, d'un poids respectable. » Après cet effort il partit pour Bayreuth, mais il n'y trouva pas la foi. Il rejoignit alors Paris pour l'édition d'un morceau de piano à quatre mains et, une fois cette affaire réglée, prit son billet pour Barcelone. Il lui arriva en Espagne mille aventures (dont celle de voyager entre une chèvre et un mouton : « Mieux élevés, ma foi, que beaucoup de leurs frères et soeurs supérieurs») avant de s'embarquer définitivement pour l'Afrique du Nord d'où on le rappela de nouveau à Rome. Il y acheva rapidement son deuxième envoi. «  Je retapai un poème symphonique de 1898 sur les Ramayas et cela passa au rapport de l'Institut comme Deschanel à travers sa vitre. Resté inédit, ce morceau devait rencontrer sa destinée finale dans l'inondation de 1910 qui, l'absorbant corps et biens, m'enleva toute préoccupation à son sujet.»
Le règlement imposant qu'au cours de la troisième année les pensionnaires de la Villa Médicis se rendent en Allemagne, Florent Schmitt prit le chemin des écoliers. Il n'atteignit les bords du Rhin qu'après avoir visité Londres et Amsterdam. Les brumes du Nord ne lui plaisant décidément pas, il quitta le pays pour la Grèce et la Turquie. A Constantinople il songea enfin au retour (son troisième envoi n'était pas encore commencé) mais choisit, pour ce faire, un itinéraire... touristique: Andrinople, Sofia, Belgrade, Budapest, Vienne, Berlin, Hambourg, Copenhague, Hälsingborg et Varsovie d'où il prend enfin le train direct pour Rome. Etait-il rassasié des voyages ? Y avait-il enfin trouvé l'inspiration ? On ne sait. Toujours est-il que le Psaume XLVII sera la plus belle oeuvre de sa carrière. Inspirée par les textes saints, cette fresque gigantesque étreint l'auditeur dès les première mesures. La clarté de son écriture, la richesse de ses timbres, la foi qui l'anime en font une des pièces maîtresses de l'oratorio contemporain. Le Roi David d'Honegger, écrit une quinzaine - d'années plus tard, ne le surpassera pas. Avec la Tragédie de Salomé, ballet monté au Théâtre des Arts en 1907, Florent Schmitt épuisa cette veine merveilleuse.
La vie du compositeur se déroula dès lors sans histoire. Le succès obtenu par ses deux grandes oeuvres lui ouvrit les portes de la carrière. Il séjourna à Paris jusqu'en 1921, y fonda la Société Musicale Indépendante, puis fut pendant trois ans directeur du Conservatoire musical de Lyon d'où il démissionna en 1924. A son retour, à Paris, il obtint la chronique musicale du Temps et de la Revue Française. Enfin en 1936 il fut élu à l'Institut au fauteuil de Paul Dukas.
L'oeuvre de Florent Schmitt est immense. On lui doit des oeuvres orchestrales (la Symphonie concertante, Feuillets de Voyage, etc...) et chorales; des ballets (le Petit Elfe Ferme-l'Oeil 1924, Oriane la sans égale 1938, devenu plus tard Oriane et le Prince d'Amour); de la musique de film (Salambo, dont il tira des suites symphoniques) et de scène (pour Antoine et Cléopâtre, dans la traduction d'André Gide 1920); de la musique de chambre (principalement un Trio, un Quatuor et un Quintette - celui de Rome qu'il reprit et termina quelques années plus tard); des sonates pour toutes sortes d'instruments; une abondante littérature pour le piano aux titres parfois cocasses (Suite sans esprit de suite 1938); de nombreuses mélodies sur des poèmes de Richepin, Maeterlinck et Verlaine (Il pleure dans mon coeur); enfin une Messe qu'il achevait au moment de sa mort.
Un des derniers musiciens qui connut la célébrité avant la guerre de 1914, contemporain de Vierne et de Tournemire, Florent Schmitt était un des principaux représentants de l'école classique. Ennemi des formules révolutionnaires, il forgea peu à peu son style par une étude patiente des principes traditionnels de la musique. Il s'appuya toujours sur un contrepoint. solide et ses trouvailles harmoniques étaient limitées à dés combinaisons facilement accessibles : «  L'effet le plus saisissant, dit-il (3), est la suite d'accords parfaits majeurs et mineurs non par simple succession, mais par degrés disjoints ou par les enchaînements familiers de l'harmonie consonnante avec ou sans retard. » Son expérience a prouvé qu'entre l'école de Debussy et celle de d'Indy il y avait une place, à prendre dans la lignée de Franck, Massenet, Saint-Saëns et Fauré. Ses oeuvres paraîtront peut-être décalées dans le temps quand on songera à ce qu'il a écrit et à l'année de sa mort; mais si on les replace à leur date de parution, on s'apercevra que non seulement elles sont de leur époque, mais qu'elles apportent encore à celle-ci la pierre qui souvent lui manquait.
Henri de CARSALADE DU PONT.

(1) Les citations de cet article sont extraites d'un recueil de souvenirs : Autour de Rome, publié par Florent Schmitt dans Cinquante ans de musique française (1874-1925).
(2) Père du compositeur actuel.
(3) Cité par Octave Ferroud dans un article sur Florent Schmitt paru dans la Revue Musicale de 1924.

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